Au début des années 80, dans le petit bureau qu’il occupait rue Liancourt, Jean-Jacques Pussiau me fit écouter “In Front”, le premier disque en solo de René Bottlang qu’il s’apprêtait à sortir sur Owl Records, l’opus 22 de son label. Un deuxième album “At the Movies” allait suivre deux ans plus tard. Je perdis de vue le pianiste suisse et sa musique pour la retrouver en 2003 avec “Solongo” publié par l’AJMI (Association pour le Jazz et la Musique Improvisée) que préside Jean-Paul Ricard. Revenant d’un long séjour en Mongolie, René y dévoile d’autres rythmes, une musique inspirée par ses rencontres avec des musiciens traditionnels, sa découverte d’un autre monde. Après “Trilongo” et “Artlongo”, l’AJMI édite aujourd’hui un nouvel enregistrement de René. Un disque que le pianiste partage avec deux musiciens aussi curieux que lui. On ne présente plus Barre Phillips, le premier contrebassiste qui a osé publier un disque solo entièrement improvisé (“Journal Violone” en 1968). Quant à Christian Lété, s’il accompagna Claude Nougaro et pendant dix ans Charles Aznavour, il a été le batteur de l’ONJ de Claude Barthelemy, a joué avec moult jazzmen et n’a jamais cessé de constituer des groupes, le dernier en date avec Claude Terranova et Tony Bonfils. “Teatro Museo” procède d’une autre démarche. Avec Barre Phillips et Christian Lété, René Bottlang converse en toute liberté, choisit de jouer une musique ouverte et collective. Rien ne semble avoir été prémédité dans ce disque qui prend le temps de respirer, de s’écouter. On y entend des cordes, du bois, du métal, des peaux vibrer et résonner. La musique est ici sons et matières. Sa nature tellurique touche à quelque chose de profond, de primitif dans ces improvisations entre trois instruments qui s’épaulent, inventent, parlent ensemble d’une même voix. Dans A l’écoute, Travellers, Sur un bateau jusqu’à une île, Post-Composum, l’harmonie structure le jeu collectif. Plus abstraites, les autres plages s’organisent davantage autour du rythme. Dans Handscript et Off to the Side, les mains frappent, percutent les instruments et participent au processus créatif. Au départ, You, Me and You n’est qu’un simple ostinato joué par le piano. Il déclanche des commentaires abondants, un foisonnement mélodique et rythmique pour le moins télépathique. Introduit par quelques notes obsédantes, Teatro Museo génère une improvisation collective fascinante et témoigne de la remarquable interaction d’un trio pas comme les autres.