C’est à Venise en 1996 qu’Alain Gerber entend parler d’Emmett Ray. Il déjeune dans une trattoria avec Woody Allen lorsque le cinéaste lui demande s’il connaît Emmett Ray, Amintore Repeto de son vrai nom, un guitariste plus grand qu’Eddie Lang et Charlie Christian, l’auteur de six uniques faces de 78 tours enregistrées pour RCA Victor en 1951. Gerber qui possède une connaissance encyclopédique du jazz croit à un canular. Woody Allen affabule, son Emmett Ray n’a jamais existé. Quelques mois plus tard, du bureau new-yorkais d’Allen, une cassette D.A.T. lui parvient, une copie de I’ll See You in my Dreams, un des titres de cette unique séance du guitariste inconnu, un bon démarquage d’un thème gravé par Django Reinhardt en 1939. Alain pense à une mystification, il n’existe aucun enregistrement de Ray, Daniel Richard et Philippe Baudoin le confirment. Lorsqu’il reçoit une lettre d’un certain Jean-Charles Gracieux qui prétend avoir tenu la contrebasse dans le quartette de Ray en 1945, le romancier est pour le moins surpris. Il lui rend visite dans son pavillon de banlieue, et le laisse raconter son histoire. Emmett a séjourné plusieurs fois à Paris. Il s’est même trouvé une petite amie pendant l’été 1945, une fille prénommée Lorette. Il portait alors l’uniforme de l’infanterie américaine. De la bouche de Gracieux, Gerber apprend de nombreux épisodes de la vie de Ray, mais le vieil homme est-il crédible ? N’est-il pas mythomane comme certains le prétendent ? Alain se perd en conjecture lorsqu’une nouvelle lettre de Gracieux lui fournit le nom du batteur de Ray, un certain Bill Shields alias Napoleone Ciani qui, de passage dans la capitale, souhaite le voir. Alain le rencontre au Crillon. Ciani parle, complète la biographie d’Emmett qui devient aussi réelle que peut l’être celle d’un personnage de roman. A New York, Ray a croisé Django en compagnie de Marcel Cerdan et Igor Stravinsky. En 1948, il s’est retiré à Bottleneck, petite ville côtière située à quarante-cinq minutes au sud de Boston, et n’a jamais franchi les portes d’un studio d’enregistrement. Son récit laisse Gerber plus perplexe que jamais. La fin de l’histoire, il l’apprend par hasard en 1998. Un périple en voiture de Montréal à New York le conduit à Bottleneck et le mène à Lorette. Elle lui confirme qu’Emmett s’est bien rendu à New York en 1951 pour y graver quelques faces, mais l'a-t-il fait ? De cette prétendue séance pour Victor, aucune bande n’a été conservée. Qui donc joue sur ce mystérieux enregistrement que Woody Allen a fait parvenir au romancier ? A Venise où il le croise une seconde fois, Woody lui donne la solution de l’énigme. Samantha Morton, une jeune actrice l’accompagne. Avec elle et Sean Penn, le cinéaste s’apprête à tourner “Sweet and Lowdown” (“Accords et désaccords”) qu’il présentera à la Mostra (hors compétition) en 1999. Une évocation de la vie du guitariste bien différente que celle qu'Alain Gerber nous propose dans “Je te verrai dans mes rêves”, un roman publié chez Fayard. D’une plume espiègle, le romancier brouille les pistes, donne des noms et des détails biographiques de personnes réelles et les mêle à d’autres de pure fantaisie. Le cadre historique est d’une telle vérité que l’on peine à croire qu’Emmett Ray n’est que fiction. Né de l’imagination d’Allen, malicieusement réinventé par Gerber, le guitariste s’étoffe, prend de l’épaisseur et devient aussi vrai que s’il avait réellement existé.