Benoît DELBECQ & Fred HERSCH Double Trio : “Fun House”
(Songlines / Abeille Musique)
“The Sixth Jump” de Benoît Delbecq et “Whirl” de Fred Hersch comptent parmi mes 13 Chocs de l’année 2010. Les deux pianistes fascinent : le premier par son sens du tempo, sa conception très souple du rythme, son toucher, ses progressions d’accords ; le second par la richesse et la singularité de son univers très personnel. On rêvait d’un disque qui les réunirait. Il existe, s’intitule “Fun House” et renferme des compositions de Delbecq spécialement écrites pour le double trio impliqué dans le projet : Jean-Jacques Avenel et Mark Helias (contrebasse) Steve Argüelles et Gerry Hemingway (batterie). Les seules reprises sont celles de Strange Loop, un des thèmes de “Pursuit”, disque enregistré par Benoît en 1999 que Fred apprécie beaucoup, et Lonely Woman d’Ornette Coleman. Les deux hommes admirent depuis longtemps leurs œuvres respectives. Benoît semble avoir été particulièrement séduit par “Chicoutimi” un album du clarinettiste Michael Moore dans lequel Fred tient le piano. Pour lui, les timbres, les couleurs ont autant d’importance que les rythmes et les mélodies. Morceaux de bois ou gommes placés sous certaines cordes de son piano en modifient la sonorité. Les graves de l’instrument sonnent parfois comme les lames de bois d’un balafon. Enregistré en deux jours, les dix morceaux de “Fun House” présentent toutefois un aspect moins africain que “The Sixth Jump”, laissent beaucoup d’espace aux musiciens qui décalent leurs phrases, en font tourner les motifs mélodiques. La section rythmique colore l’espace sonore, contrebasses aux cordes grattées, frappés, tirées, foisonnement percussif des tambours, vibrations des cymbales, glissement du bois sur du métal. Le marquage des temps est abandonné au bénéfice d’une polyrythmie que saupoudre d’électronique Steve Argüelles, la partie centrale de Tide résultant d’un montage de plusieurs prises. Le vif et rythmé Night for Day mis à part – les musiciens semblent y suivre une grille harmonique – , le rubato est de rigueur dans le jeu modal des pianistes, Fred Hersch à gauche, Benoît Delbecq à droite, qui n’exclut pas une certaine abstraction (One is Several). Difficile de reconnaître leur piano respectif dans cette musique colorée qui est bien davantage celle de Delbecq que celle que Hersch, musique liquide, symphonie de chambre aquatique dont les notes, telles les gouttes d’eau d’une cascade, conservent une fraîcheur délectable.