Pas vraiment de jeunes talents. Tous les deux ont du métier, mais peinent à faire connaître et reconnaître leur musique. Des découvertes, des coups de cœur, de ceux qui le font battre plus vite et plus fort…
Jérémie TERNOY Trio : “Bill” (Circum-Disc / MVS distribution)
Enregistré en 2007, “Bloc”, précédent disque de Jérémie Ternoy, son second, contenait des plages essentiellement rythmiques et des compositions aux mélodies évanescentes qui révélaient un riche potentiel harmonique. Le pianiste hésitait entre rythme et lyrisme. Ses différents tableaux constituant une suite, “Bill” mêle habilement les deux, les nouveaux morceaux faisant fusionner rythmes et mélodies, Jérémie tissant un discours mélodique sur de longs ostinato, sur des tourneries répétitives dignes de Philip Glass (Répétitifs) qu’il parvient à aérer, à faire respirer. Disposant d’un toucher raffiné, il improvise de longues lignes mélodiques, fait chanter ses notes avec lesquelles il nous raconte des histoires et nous tient constamment en haleine. Il y parvient grâce à la complicité de son groupe, un trio se suffisant à lui-même. Nicolas Mahieux (contrebasse) et Charles Duytschaever (batterie) l’accompagnent depuis plus de dix ans et installent un flux sonore d’une rare fluidité. Cela s’entend surtout, dans Bill morceau onirique aux harmonies surprenantes – parfois tirées des cordes du piano – qui donne son nom à l’album. Quant à Ligoté, pénultième titre de ce recueil, il révèle un musicien dans la plénitude de son art. Jérémie Ternoy a largué les amarres. Oubliant sa technique pour écouter son cœur, il nous régale de ses mélodies rythmées, d’un beau piano que l’on aurait tort d’ignorer.
Frédéric BOREY : “The Option” (Fresh Sound New Talent / Socadisc)
Au regard de sa discographie et d’une biographie témoignant de nombreuses rencontres et péripéties musicales, Frédéric Borey n’est pas ce que l’on peut appeler un « talent émergent ». Connu de certains journalistes et de ses confrères musiciens, il est toutefois ignoré par un large public. Je le découvre avec “The Option”, son cinquième album, le premier à me parvenir. Grâce à Arielle Berthoud, attachée de presse indépendante qui assure infiniment mieux que celui de Socadisc, aux abonnés absents depuis de longues années. Installé à Paris depuis septembre, après quatre ans de villégiature à Bordeaux où il enseigna le saxophone, Frédéric Borey a sans doute de meilleures chances de s’y faire connaître. Un concert est prévu le 6 décembre prochain au Sunside. L’occasion idéale d’écouter un musicien qui met sa sonorité au service de compositions témoignant d’un réel souci d‘écriture et de forme. Des années d’études classiques ont façonné l'artiste qui s’est débarrassé de tout ce que l’enseignement avait de trop scolaire pour se forger un langage propre, mélodique, en phase avec le jazz d’outre-atlantique car respectant ses traditions. Lo Zio et son thème acrobatique relève ainsi du bop et Still Raining d’une ligne de blues, mais Frédéric Borey qui se complait dans les registres médium et aigu du ténor sait aussi imaginer des mélodies « mélodieuses » et les faire swinguer. Le son clair et droit de son instrument évoque celui de Warne Marsh et plus près de nous le timbre de Chris Cheek ; à l'alto dans Still Raining, au soprano dans The Option, sa sonorité suave et moelleuse sert admirablement son chant. Une fine équipe soigne et donne du poids à sa musique. Inbar Fridman à la guitare et Camelia BenNaceur (découverte auprès de Billy Cobham) au piano et Fender Rhodes sont avec lui les principaux solistes de cet opus. Invités sur deux plages, Yoann Loustalot au bugle et Mickael Ballue au trombone rehaussent de couleurs des arrangements soignés. Confiés à Florent Nisse et à Stefano Lucchini, contrebasse et batterie n’étouffent jamais la musique, mais la portent, la rendent légère et pneumatique, Mr J.H. révélant le grand talent du bassiste. D’une grande douceur, Olinka réunit guitare, contrebasse et saxophone ténor pour un vrai moment de bonheur.