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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 09:58

Viji-Iyer-Trio-c-Jimmy-Katz.jpgTrois disques en trio. Celui de Vijay Iyer accorde une place prépondérante au rythme. Aaron Golberg privilégie le blues et la tradition dans le sien. Sans piano, mais accompagné par la contrebasse de Michel Benita et la batterie de Sebastian Rochford, le saxophoniste britannique Andy Sheppard fait constamment chanter sa musique.

 

Vijay IYER trio “Accelerando” (ACT / Harmonia Mundi)

Vijay-Iyer-Trio--Accelerando-cover.jpgProlongeant “Historicity » enregistré en 2009 par le même trio, “Accelerando” offre à nouveau des relectures de standards, des reprises inventives de Duke Ellington, Herbie Nichols, mais aussi des tubes de la soul – The Star of a Story d’Heatwave, Mmmmhmm de Flying Lotus, alias Steve Ellison producteur de hip hop, Human Nature popularisé par Michael Jackson et gravé en solo par le pianiste en 2010. “Accelerando” n’est pas pour autant un album funky. Sa palette rythmique beaucoup plus large, intègre les rythmes du jazz, de l’Inde, de l’Afrique, le groove surgissant de métriques complexes. Au sein du trio, la notion de soliste s’estompe au profit de l’énergie collective des trois instruments qui, ensemble et spontanément, façonnent une matière sonore épaisse, une musique physique, une houle brûlante de rythmes réduite à un battement rudimentaire dans Mmmmhmm. Comme son nom l’indique, le morceau intitulé Accelerando bouge, accélère sous les ruades des tambours. Il reprend le mouvement final d’une suite écrite par Iyer pour la chorégraphe Karole Armitage, ce disque s’écoutant aussi avec le corps. Principal instrument mélodique, le piano de Vijay harmonise les thèmes, dialogue avec la contrebasse de Stephan Crump, la batterie de Marcus Gilmore, tous trois travaillant sans filet. Dans The Star of a Story le rythme semble constamment freiner la mélodie, le pianiste finissant par faire tourner un ostinato et se caler sur la batterie. Wildflower d’Herbie Nichols est joué à la Monk. Derrière le piano, la contrebasse commente, double le temps. C’est probablement dans Little Pocket Size Demons, une pièce d’Henry Threadgill destinée à une formation comprenant deux tubas, deux guitares et un cor que les musiciens vont le plus loin dans l’abstraction. Le morceau est vif, d’une verticalité turbulente. Stephan Crump y utilise beaucoup l’archet. Heurtés, saccadés, martelés, les rythmes naviguent, se soulèvent, s’abaissent sur les vagues de notes d’un piano inspiré.     

 

Aaron GOLDBERG, Omer AVITAL, Ali JACKSON : “Yes !” (Sunnyside / Naïve)

Aaron-Goldberg-Trio--Yes-cover-.jpgAaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson se connaissent depuis si longtemps qu’ils n’ont pas eu besoin de se concerter avant d’enregistrer ce disque dont la musique semble avoir jailli spontanément. Une seule journée de studio pour réunir neuf morceaux miraculeux, la première prise étant souvent la bonne. Au programme, des compositions de Duke et Mercer Ellington, de Thelonious Monk. Proche du stride, l’ostinato rythmique qui l’introduit et le conclut le rendant méconnaissable, Epistrophy se dévoile grâce à son thème. Aaron y greffe une improvisation particulièrement brillante. Maraba Blue, la composition bleue d’Abdullah Ibrahim qui ouvre l’album, place le rythme au cœur de la musique. Un simple balancement, un souple et subtil déhanchement pour l’installer en douceur, poser dessus un thème, et le blues s’affirme avec le piano de Goldberg qui en chante les notes, les claquements de doigts de Jackson, le batteur, pour en marquer les temps. Car ici les trois musiciens s’expriment en toute simplicité, et accordent la priorité au feeling. Profondément ancrée dans le blues qui l’irrigue, leur musique sonne constamment authentique, comme façonnée par les leçons d’un passé qu’ils n’ont pas oublié. Mis à part, Manic Depressive un blues du saxophoniste Eli Degibri, un copain, les autres thèmes, lyriques, sont d’Avital et de Jackson. Batteur du Lincoln Center Jazz Orchestra ce dernier est aussi un fin mélodiste comme en témoigne El Soul, une ballade aux couleurs délicates. Dans Aziel Dance qu’il apporte également, un piano solaire déploie des harmonies rayonnantes sur un rythme de samba. D’une précision métronomique, la contrebasse boisée d’Avital sait aussi émouvoir. Homeland, sa composition en recèle les notes nostalgiques.

 

Andy SHEPPARD, Michel BENITA, Sebastian ROCHFORD : “Trio Libero”

(ECM / Universal)

A-Sheppard--Trio-Libero-cover.jpgUn trio sans piano, mais à sa tête un saxophoniste fait constamment chanter ses instruments (ténor et soprano), cisèle des notes exquises et profondes. Andy Sheppard, Michel Benita et Sebastian Rochford s’étaient plusieurs fois rencontrés sans toutefois jouer tous ensemble. Ils le firent en 2008 à Coutances. L’année suivante, en résidence à Aldeburgh dans le Suffolk, ils mirent au point à un répertoire original, improvisant des pièces entières, les retravaillant pour leur donner une forme, « improviser, transcrire, développer et puis les rejouer en improvisant de nouveau – d’où le nom de Trio Libero. » En juillet 2011, les trois hommes se retrouvent en studio à Lugano pour les enregistrer, les laissant ouvertes pour y déposer d’autres idées, se donnant la liberté de questionner, répondre, créer. À tout moment, ils font sonner leurs instruments, mettent leurs timbres en valeur. Même le cri devient musique, prolonge naturellement la note, la sanctifie. Le saxophone la laisse s’épanouir, en prolonge le son. On y perçoit le souffle qui la fait naître et l’organise. Contrebasse et batterie font de même, remplissent l’espace sonore sans jamais le charger et c’est miracle de les entendre dialoguer, harmoniser et colorier les mélodies qu’ils inventent. Les pièces sont brèves, souvent co-signées par le trio. La plus longue ne dépasse pas les six minutes, car nul besoin ici d’étaler sa virtuosité, de répandre des notes inutiles. Bien les choisir, les faire respirer, chanter importe davantage. On a du mal à croire que cette musique si lyrique est largement improvisée. Magnifique reprise instrumentale de I’m Always Chasing Rainbows, une chanson de 1917 inspirée par une Fantaisie-Impromptu de Chopin, popularisée à Broadway par les Dolly Sisters.

 

Photo Vijay Iyer Trio © Jimmy Katz / ACT

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