« Papy, John Coltrane a joué avec Tresorious Monk ou avec Miles Davis ?
- Avec les deux Jacquot. Ce n’est pas Tresorious mais Thelonious. Consulte ton Dictionnaire du Jazz.
- Papy, les sourdines wah-wah qu’utilisaient les cuivres de l’orchestre de Duke Ellington dans ses années jungle étaient-elles électrifiées ?
- Bien sûr que non Jacquot.
- Papy, pourquoi les titres provisoires des morceaux d'Ellington portent-ils quatre lettres ?
- Demande à Claude Carrière. Lui seul pourrait te répondre. »
Monsieur Michu a rencontré Claude lors d’une conférence que ce dernier donnait au Collège des Bernardins. Une aubaine, car depuis qu’il a laissé tomber sa panoplie gothique, son petit-fils le harcèle de questions sur le jazz. Claude sait tout ou presque sur Ellington, mais pour ne pas constamment le déranger, Monsieur Michu a offert à Jacquot “Le Nouveau Dictionnaire du Jazz” paru peu avant les fêtes chez Robert Laffont dans sa collection Bouquins. Créé en 1988 par Philippe Carles, André Clergeat et Jean-Louis Comolli aidés par de nombreux collaborateurs, remis à jour et augmentée de 400 entrées par rapport à la seconde édition de l’ouvrage en 1994, cette nouvelle mouture rassemble 3300 articles très utiles à tous ceux qui veulent connaître le jazz et son histoire. Mécontent de ne pas y avoir trouvé de données biographiques sur le S.F. Jazz Collective et les Clayton Brothers, Jean-Paul râle comme d’habitude. Il est pourtant le premier à s’en servir. Anticipant les inévitables critiques des pisse-froid, Philippe Carles a eu la bonne idée d’y placer en exergue cette phrase de George Bernard Shaw : « Un dictionnaire est comme une montre : indispensable, mais jamais à l’heure ! » Il manque des musiciens dans ce “Nouveau Dictionnaire du Jazz”, mais ses 1472 pages renferment des informations précieuses que l’on est bien content de trouver. Monsieur Michu l’a donc offert à Jacquot qui a tout à apprendre sur cette musique. Remarquant l’étrange regard de Miles Davis sur la couverture, une photo inquiétante de Giuseppe Pino, Jacquot s’est empressé de parcourir la notice qui concerne le trompettiste. La musique électrique des derniers disques qu’il enregistra ne plaît guère à Monsieur Michu. Il préfère voir son petit-fils écouter “Kind of Blue” qu’il promet de lui acheter. En attendant, ils savourent ensemble un enregistrement inédit* du Duke Ellington Orchestra sur le label SWR que distribue Intégral. Enregistré live à Stuttgart le 6 mars 1967, ce disque au son fantastique contient 13 compositions mirifiques pleines de swing et de couleurs. Ayant retrouvé les siennes, Monsieur Michu compte bien se rendre le 27 avril à l’UNESCO qui organise la première journée internationale du jazz. Malgré les bandages épais qui lui recouvrent le visage (il s’est fait retirer clous, épingles et chaînettes qui le trouaient de part en part et a bien du mal à cicatriser), Jacquot (photo ci-contre) souhaite l’accompagner. Son grand-père espère que Tigran Hamasyan, prévu au programme, portera une autre tenue que celle qu’il arbore sur la pochette de son dernier disque. Ses habits noirs seraient un mauvais exemple pour son petit-fils qui porte encore des lunettes très gothiques. C’est le printemps, bonjour, bonjour les hirondelles. Le ver de terre frétille comme un jeune marié le soir de ses noces. Dans son “Almanach des quatre saisons”, Alexandre Vialatte nous apprend que le mois d'avril est le mois préféré de l'escargot coureur et que l'homme est magnifique à voir. Il a toutefois bien du mal à ne pas se pencher sur le précipice d’où il s’est tiré.
*Si la musique et la prise de son tiennent du
miracle, les titres des morceaux ne sont pas toujours les bons. Duke Ellington leur donnait souvent des titres provisoires. Eggo est ainsi la 2ème partie d'une suite
intitulée “The Little Purple Flower”. On la trouve en entier dans le “Yale Concert” édité l'année suivante chez Fantasy. Derrière Kixx se dissimule The Biggest and Busiest Intersection, un extrait du
“Second Sacred Concert ”. Derrière Knob Hill se cache Mount Harissa
et Freakish Lights n'est autre que Blood Count, la toute dernière composition de Billy Strayhorn. Enfin, attribué à Duke Ellington,
Tutti for Cootie est de Jimmy Hamilton. Ces précisions m'ont été donné par Claude Carrière. Qu'il soit ici remercié.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Stéphane Belmondo invite ses amis au Duc des Lombards les 5, 6 et 7 avril. Le trompettiste fréquente beaucoup les clubs, improvise, aime les rencontres, les « battle royal » inattendues. Sur la scène du Duc, il convie Kirk Lightsey pour un duo piano - trompette (ou bugle) le 5. Jacky Terrasson sera son pianiste les deux autres soirs. Marcel Azzola (accordéon) et Thomas Bramerie (contrebasse) le 6, Sylvain Romano (contrebasse) et Laurent Robin (batterie) le 7 arbitreront leurs échanges.
-Avec “Black Radio”, son dernier disque, l’excellent pianiste Robert Glasper touche un public beaucoup plus large que celui du jazz. Séduisant et sophistiqué, l‘album réunit de nombreuses stars du hip hop et de la soul. Bilal, Erykah Badu, Meshell Ndegeocello répondent aux envolées de ses claviers. Le Trianon (80 bd Rochechouard 75018 Paris) l’accueille le 6. Avec lui, Casey Benjamin au saxophone alto et au vocoder, Derrick Hodge à la contrebasse, Mark Columberg à la batterie et le chanteur Bilal, déjà à ses côtés dans “Mood”, un disque de 2003, son premier.
-Par la justesse de sa voix et de son phrasé, mais aussi par le choix de son répertoire, Stacey Kent touche aussi un large public. Elle sera à l’Olympia le 6 avec son groupe dont fait partie son mari, le saxophoniste britannique Jim Tomlinson. Certains la trouvent trop apprêtée, mais ses reprises de standards, les compositions que Tomlinson co-signe parfois avec l’écrivain Kazuo Ishiguro (“Les vestiges du jour”) traduisent un goût très sûr de cette américaine qui parle parfaitement le français, chante sans accent Ces petits riens, Jardin d’hiver, La saison des pluies. Difficile de résister au charme de la chanteuse, à cette voix suave et douce qui articule chaque mot avec gourmandise.
-Le Festival Banlieues Bleues se poursuit jusqu’au 13 avril avec son cortège de musiques déjantées et de bonnes surprises. Inviter le trio du pianiste Harold Lopez-Nussa (Felipe Cabrera à la contrebasse et Ruy Adrian Lopez-Nussa à la batterie) en est une. Le 11, le jeune et prometteur pianiste cubain convie la chanteuse malienne Mamani Keita à rejoindre son groupe sur la scène du Centre Culturel Jean Houdremont à La Courneuve. Au même programme, le quintette du trompettiste Ambrose Akinmusire ravira les amateurs de jazz moderne. Publié l’an dernier, son disque “When The Heart Emerges Glistening” (Blue Note) a obtenu le Grand Prix de l’Académie du Jazz. Ce n’est pas rien. On n’hésitera donc pas à aller écouter un musicien qui met de l’amour dans ses notes, n’exhibe jamais gratuitement sa technique et fascine par ses tutti, ses phrases mélodiques délicatement ciselées. Avec lui les musiciens de son album, Walter Smith III au ténor, Harish Raghavan à la contrebasse, Justin Brown à la batterie, Sam Harris remplaçant Gerald Clayton au piano.
-Jean-Luc Ponty au Châtelet le 11 (20h00) pour fêter les 50 ans d’une carrière qui l’a longtemps tenu éloigné de la France. Installé en Californie à partir de 1973, il crée pour Atlantic des œuvres inégales dans lesquelles le violoniste se montre souvent plus inspiré que le compositeur. Frank Zappa ne s’y trompe pas lorsqu’il l’engage en 1969 dans son orchestre. Son instrument contribue à la grandeur des albums “Hot Rats” “Apostrophe” et “Overnite Sensation”. L’amateur de jazz préfère toutefois ses premiers disques, les faces historiques qu’il enregistra avec Eddy Louiss et Daniel Humair. Il les retrouvera au Châtelet, Biréli Lagrène et Stanley Clarke les rejoignant pour un concert qui verra aussi le violoniste interpréter ses compositions avec l’Orchestre Pasdeloup.
-Aaron Parks en trio au Duc des Lombards le 12 et le 13. Elève de Kenny Barron, il a longtemps jouée avec Terence Blanchard dont il fut le pianiste. Les voicings, les choix harmoniques des pièces brèves de l’unique album qu’il a enregistré pour Blue Note en 2008, “Invisible Cinema”, séduisent par leur lyrisme. Parks a depuis rejoint James Farm, groupe du saxophoniste Joshua Redman qui a publié l’an dernier un album très remarqué. Au Duc, le pianiste sera accompagné par Klaus Nørgaard à la contrebasse et Craig Weinrib à la batterie.
-Michel El Malem Group à la Maison de la Radio (Studio Charles Trenet) le 14 à 17h30. Publié en novembre dernier et primé par l’Académie du Jazz qui lui a décerné le Prix du Disque Français 2011, “Reflets” traduit les choix esthétiques du saxophoniste qui sait rendre fluides et transparentes ses lignes mélodiques. À la virtuosité, Michel préfère le lyrisme, les notes chantantes et aérées. L’album bénéficie de la présence du piano magique de Marc Copland, mais Michel possède un véritable groupe pour jouer sa musique. Michael Felberbaum (guitare), Marc Buronfosse (contrebasse), Luc Isenmann (batterie) développent un jeu collectif très créatif. Bruno Angelini (piano) remplace Marc Copland pour ce concert, une des rares apparitions d’une formation que l’on souhaiterait écouter plus souvent.
-Fly, un trio sans piano, mais aussi sans véritable leader. Chaque membre du groupe apporte ses propres idées musicales et les mêle à celles des autres, le répertoire tenant compte de l’instrumentation (saxophone ténor, contrebasse, batterie) et de la personnalité de chacun. Les compositions collectives qui en résultent accordent autant de place à l’improvisation qu’à l’écriture. Chaque instrument questionne et répond aux propos des deux autres, l’espace sonore se voyant occupé à parité égale. La contrebasse de Larry Grenadier complète le discours mélodique que tient Mark Turner au saxophone ténor, lui apporte un ample contrepoint rythmique. La batterie de Jeff Ballard souligne, colore, étire le temps et le structure. Fly sort son second album. “Year of the Snake” (ECM) a été enregistré à New York en janvier 2011. On en découvrira les morceaux au Sunside les 15 et 16 avril.
-Chick Corea en duo avec Gary Burton Salle Pleyel le 17. Sous l’égide de Manfred Eicher, patron aux grandes oreilles du label ECM, leur dialogue débuta au début des années 70 avec le disque “Crystal Silence” dont le titre éponyme fit le tour du monde. S’affranchissant de la pesanteur, les deux complices imposaient leurs harmonies élégantes, leurs notes virtuoses et transparentes. Après un mémorable concert donné à Zürich publié en album, les deux hommes se consacrèrent à nouveau à leurs groupes respectifs, tout en se retrouvant périodiquement pour de nouvelles aventures. En 1998, le vibraphoniste invita Corea à participer à “Like Minds”, opus réunissant Pat Metheny, Dave Holland et Roy Haynes. Pour fêter le 40ème anniversaire de leur association, nos duettistes publient aujourd’hui “Hot House” consacré à la relecture de standards - de Jobim, Monk, Brubeck, le morceau Hot House étant une célèbre composition de Tadd Dameron.
-Vijay Iyer avec Stephan Crump (contrebasse) et Marcus Gilmore (batterie) au Duc des Lombards le 21. “Accelerando”, leur nouvel album, prolonge leurs recherches qui visent à ouvrir davantage les portes du jazz. Les standards, les morceaux de Duke Ellington, Herbie Nichols et même les reprises soul qu’il contient (Human Nature de Michael Jackson) nous sont familiers. Pourtant écouter cette musique c’est comme si se trouvant dans une pièce, un torrent furieux de notes, de clusters, une houle brûlante de rythmes poussaient les murs, faisant apparaître des paysages sonores inconnus embués de rêve. Bien que jouant un piano souvent percussif et abstrait, le pianiste peut aussi se montrer profondément lyrique. Influencée par Thelonious Monk, Cecil Taylor et Andrew Hill, sa musique l’est aussi aussi par Duke Ellington et se situe dans la tradition du jazz.
-Abordant toutes sortes de musiques, Bobby McFerrin fait ce qu’il veut avec sa voix. Sa large tessiture lui permet toutes sortes d’acrobaties vocales, de rivaliser et d’imiter de nombreux instruments. Il est aussi l’un des rares chanteurs à pouvoir se produire en concert a cappella. McFerrin est surtout un musicien complet. Les instruments dont il sculpte et souffle les sons, il a appris à en jouer. Il sait diriger un orchestre et a écrit des arrangements pour big band. « Confiez-lui la direction d’un orchestre symphonique, et vous aurez un orchestre au chômage » peut-on lire très justement dans le communiqué de presse. Les 23 et 24 avril prochains, au théâtre du Châtelet, il se contente d’inviter Marie-Claude Pietragalla, Paco Séry et Thomas Dunford luth, théorbe (le 23), Tigran Hamasyan, Michel Godard et Jonathan Dunford viole de gambe, basse de viole (le 24).
-S’il n’a jamais réussi à imposer ses propres albums, Ernie Watts reste l’un des meilleurs saxophonistes en activité de la Côte Ouest et possède un son facilement reconnaissable au ténor. Charlie Haden en est conscient lorsqu’il l’engage en 1986 dans son Quartet West. Musicien de studio très demandé, il a participé comme sideman à un nombre considérable d’enregistrements, de jazz et de musiques de films - celle des “Chariots de Feu” lui fait obtenir un Grammy Award en 1982. Le Duc des Lombards l’accueille le 23 et le 24 avec Bernard Vidal (guitare), Peter Giron (contrebasse) et Tony Match (batterie).
-Comme précédemment annoncé dans ce blog, sous l’égide de l’Unesco et le patronage de son Ambassadeur de Bonne Volonté Herbie Hancock, le 27 avril devient la première journée internationale du jazz. New York et La Nouvelle-Orléans la fêteront le 30, mais c’est bien sûr la programmation parisienne qui nous intéresse. Outre une nuit blanche prévue rue des Lombards, l’Unesco (7, place de Fontenoy 75007 Paris) accueillera à partir de 10h30 de nombreuses manifestations jazzistiques. Concerts (Tigran Hamasyan, Riccardo Del Fra et le Sextette du Conservatoire de Paris, Paul Lay, Giovanni Mirabassi, Dominique Fillon), master classes (avec Herbie Hancock, Dee Dee Bridgewater, Barbara Hendricks, Marcus Miller, Biréli Lagrène et Fabien Ruiz, chorégraphe du film “The Artist”), table ronde autour du jazz et du cinéma organisée par l’Académie du Jazz avec la participation de Bertrand Tavernier et expositions de photos seront les points forts de cette manifestation. S’inscrire est obligatoire pour y assister. Renseignements et programmes sur le site de l’UNESCO : www.unesco.org/new/en/culture/jazz-day
-S’il revendique ses origines latines, David Sanchez est d’abord un jazzman, un enfant de Sonny Rollins et de John Coltrane, et sa musique, d’une frénésie capiteuse, n’oublie jamais d’être lyrique. Attendu au New Morning le 27, le fougueux saxophoniste s’y rendra avec Gerald Clayton, pianiste complet qui connaît parfaitement le vocabulaire du jazz et aime faire danser les tempos. Matt Brewer à la contrebasse et Henry Cole à la batterie complèteront une formation annonçant les chaleurs de l’été.
- “Dream Pursuit”, le nouveau disque de Tony Tixier (Space Time) révèle un pianiste original qui maîtrise parfaitement son instrument. Né à Montreuil en 1986, Tixier ne cherche pas à jouer un piano inutilement virtuose. Il préfère inventer, proposer des harmonies inhabituelles et des notes souvent brûlantes à une section rythmique habitée par le groove. Burniss Earl Travis II à la contrebasse et pour ces concerts Kendrick Scott à la batterie ne dédaignent pas les métriques du hip hop, les tempos de la soul. Avec le saxophoniste Logan Richardson (alto et soprano) pour compléter la formation, sa musique est puissante, forte et prometteuse. On s’en rendra compte au Sunside que le quartette investit les 27 et 28.
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Le Trianon : www.letrianon.fr
-Olympia : www.olympiahall.com
-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com
-Maison de Radio France : www.radiofrance.fr
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Salle Pleyel : www.sallepleyel.fr
-New Morning : www.newmorning.com
Crédits Photos : Stacey Kent © Nicole Nodland/EMI - Ambrose Akinmusire, Ernie Watts © Philippe Etheldrède - Aaron Parks © Blue Note Records - Fly © John Rogers/ECM - Gary Burton & Chick Corea © Concord Jazz/Universal - Bobby McFerrin © Carol Friedman - Herbie Hancock © UNESCO/Ania Freindorf - Tony Texier © Sharly/Space Time Records - On Stage (Red), Stéphane Belmondo, Harold Lopez-Nussa, Jean-Luc Ponty, Michel El Malem, Vijay Iyer © Pierre de Chocqueuse - Robert Glasper, David Sanchez © X/D.R.