La rentrée avec son flot de disques, ses concerts. Les clubs de jazz offrent leur lot de surprises, programment de la musique qui interpelle. Il me tarde d’arpenter à nouveau la rue des Lombards, les terrasses animées du Sunside et du Baiser Salé. Ce n’est pas encore octobre et son été indien, mais malgré des soirées frileuses, l’ensoleillement se prolonge avec un air doux et sec et une belle lumière que voile des brumes matinales. Les parisiennes exhibent fièrement des corps de déesse et de longues chevelures. Offrez leur les fleurs du mois, l’anémone, le dahlia, la belle-de-nuit. Rentré du Japon où il a négocié quelques vinyles, Jean-Paul m’apprend que Franck Bergerot, l’une des têtes pensantes de Jazz Magazine / Jazzman, s’est fait couper les cheveux. Son coiffeur habitant un village de l’Ardèche, au bout du monde, je vous laisse imaginer l’épaisse toison qui recouvrait son crâne. Reste le costume, mais son tailleur officie à Lascaux et s’y rendre aujourd’hui pose problème. À propos d’encéphale, Monsieur Michu a rapporté de Hongrie un livre admirable, un chef-d’œuvre d’humour noir, “Voyage autour de mon crâne” qui réveille chez lui une hypocondrie galopante. Son auteur, Frigyes Karinthy, observe et décrit avec minutie l’évolution de sa tumeur au cerveau. Une opération l’en délivra avec succès ; la crise cardiaque qui l’emporta deux ans plus tard également. J’ai escamoté l’ouvrage. Mal m’en a pris. À sa lecture, je m’observe, m’examine, me palpe anxieusement, ce que fait Monsieur Michu depuis qu’il a terminé la sienne. Pour lui changer les idées, Madame Michu le conduit à Provins, au Duke Festival (28 et 29 septembre). Avec Jacquot tout excité de retrouver le Duke Orchestra que dirige Laurent Mignard. Je ne peux m’y déplacer, mais pense avoir trouvé le moyen de calmer mes angoisses : refiler le bouquin à Jean-Paul.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Je vous en ai déjà parlé, mais ne manquez pas le 13 le concert que le pianiste François Couturier et son Tarkovsky Quartet – Anja Lechner (violoncelle), Jean-Louis Matinier (accordéon), Jean-Marc Larché (saxophone soprano) – donneront dans le grand auditorium du Collège des Bernardins (20, rue de Poissy, 75005 Paris). Un second concert aura lieu le 16, en l'Abbaye de Royaumont (Asnière-sur-Oise). Le quartette y jouera "Le temps scellé", création audiovisuelle réalisée avec Andrei A. Tarkovski, le propre fils du réalisateur.
-Antoine Hervé au Sunset, les 13, 14 et 15 septembre pour un "Tribute to Weather Report", groupe phare des années 70 qui, outre Joe Zawinul et Wayne Shorter, bénéficia pour quelques albums du jeu de contrebasse profondément novateur de Jaco Pastorius. Pianiste généreux et plein d’idées, Antoine Hervé propose une relecture de quelques-unes de leurs compositions les plus marquantes. Avec lui, Véronique Wilmart sculpte et transforme les sons qui lui parviennent. L’ordinateur lui permet de les traiter, de les intégrer à la musique, atmosphères insaisissables fruit de boucles asymétriques composées et décomposées en direct. Stéphane Guillaume (flûtes, saxophones ténor et soprano), Gilles Coquart (basse électrique) et Philippe Garcia (batterie) complètent la formation.
-Manuel Rocheman au Sunside pour deux soirs, le 14 et le 15, avec les musiciens de son trio – Mathias Allamane à la contrebasse et Matthieu Chazarenc à la batterie. Le pianiste sort un nouveau disque fin octobre, “Café & Alegria”, enregistré au Brésil avec le guitariste Toninho Horta dont il interprète les compositions. Quelques titres de sa plume s’ajoutent à ce répertoire qu’il va certainement reprendre, nous en donner un avant-goût. Élève de Martial Solal, il possède un bagage technique impressionnant, mais joue aujourd’hui moins de notes au bénéfice d’un plus grand feeling, le pianiste virtuose laissant parler son cœur.
-Bassiste émérite au tempo précis, aux notes justes et élégantes, Riccardo Del Fra joua beaucoup avec Chet Baker, dédicataire de son premier et meilleur album “A Sip of your Touch” (1991). Il l’accompagna pendant neuf ans, jusqu’en 1988, année de la disparition du trompettiste, et rendra hommage à ce dernier le 15 au Duc des Lombards avec le programme “My Chet, My Song” crée en 2011 lors du festival Jazz in Marciac. Airelle Besson (trompette), Pierrick Pedron (saxophone alto), Bruno Ruder (piano) et Ariel Tessier (batterie) complètent son quintette.
-La chanteuse danoise Susi Hyldgaard au Duc des Lombards le 21 et le 22. Elle nous a rendu visite en mars dernier, donnant un concert au Sunside à l’occasion de la sortie de “Dansk”, disque sur l’identité, la communication, dans lequel elle mélange plusieurs langues et entremêle toutes sortes de musiques. Elle nous revient en quartette avec Johannes Enders au saxophone ténor, Johannes Lundberg à la contrebasse et la fidèle et toujours souriante Benita Haastrup à la batterie qui double la voix de Susi et assure les contre-chants. Outre le piano dont elle tire de belles couleurs harmoniques, la chanteuse joue du piano électrique et saupoudre sa musique d’électronique, l’ordinateur dans lequel sont stockés des samples de voix, des séquences sonores qu’elle superpose aux propres notes de ses musiciens, renforçant son aspect orchestral.
-Eddy Louiss au Trianon (80 bd Rochechouart 75018 Paris) le 22 à 20h00. Avec quelques amis musiciens – Fabien Mary (trompette), Xavier Cobo (saxophones), Alain Jean-Marie (piano), Mourad Benhammou (batterie) – , l’organiste revisitera le mythique “Kind of Blue”, rendra hommage à Michel Petrucciani avec lequel il enregistra deux disques inspirés (“Conférence de presse”) et à Antonio Carlos Jobim, puis interprétera ses compositions, nous en offrant quelques nouvelles. Avec lui également Jacob Desvarieux (guitare et chant) et Dédé Saint-Prix (flûte et chant), musiciens antillais dont le cœur bat au même rythme que le sien. "Pour cette soirée, j’ai envie de mélanger les influences que j’aime… Elle sera bleue, simple et chaude…" prévient Eddy.
-Nul doute que le Brussels Jazz Orchestra est l’un des meilleurs big band de jazz européen. Dirigé par le saxophoniste Frank Vaganée, il aligne de grands solistes et multiplie les rencontres avec des musiciens prestigieux. Bill Holman, Maria Schneider, Kenny Werner lui ont confié des arrangements et l’orchestre a invité de célèbres jazzmen à le rejoindre. Il sera au New Morning le 26 (21h00) pour jouer “A Different Porgy & Another Bess”, programme d’un album enregistré avec David Linx et Maria Joao mêlant titres célèbres de l’opéra de George Gershwin – I Love you Porgy, My Man Is Gone Now, Summertime – à des pages moins connues. “Porgy & Bess” est une œuvre de près de 3 heures rarement jouée dans sa totalité. On n’en connaît que des extraits. Confiés à plusieurs arrangeurs et portés par le chant superbe de David Linx, ces derniers brillent par leurs orchestrations aux couleurs rutilantes. Seul problème, le timbre de voix de Maria Joao m’insupporte. Nobody’s perfect !
-Hilario Duran au Duc des Lombards les 26 et 27 avec ses musiciens habituels, Roberto Occhipinti à la contrebasse et Mark Kelso à la batterie. Né à la Havane en 1953, il y débuta sa carrière, jouant avec le Los Papas Cun Cun Ensemble et l’Orchestra Cubana de Musica Moderna. Installé à Toronto depuis 1998, il a participé à une vingtaine d’albums, jazz et musique cubaine faisant bon ménage sous ses doigts. Chucho Valdès ne tarit pas d’éloges sur son piano. Publié en 2010 au Canada et disponible en France depuis avril, “Motion” (Cristal) mérite une écoute attentive. Compositeur, Hilario signe également les arrangements de son disque. Le titre Havana City, une réussite, bénéficie d’une orchestration élargie, les autres plages étant enregistrées en trio.
-Ne manquez pas le concert de Patrick Favre au Sunside le 27. Patrick joue un piano merveilleux que l’on entend rarement à Paris. Après “Intense” et “Humanidade” (Choc Jazz Magazine / Jazzman en février 2010), deux splendides albums en trio, c’est en quartette que Patrick Favre a enregistré “Origines”, son nouveau disque, le guitariste Pierre Perchaud rejoignant Gildas Boclé à la contrebasse et Karl Jannuska à la batterie. Avec eux, le pianiste poursuit une quête mélodique exigeante, nous invite à partager une musique modale et onirique aux notes rares et précieuses.
-Le pianiste Stephan Oliva et la chanteuse Susanne Abbuehl en duo au Duc des Lombards le 1er octobre. D’eux, je possède une version magique de Lonely Woman produite par Philippe Ghielmetti pour Discograph. La chanteuse suisse fait peu de disques et prend son temps. “April” (ECM), son premier enregistrement, la révéla en 2001. Son second, “Compass”, nous parvint cinq ans plus tard. Elle a étudié avec Jeanne Lee et son travail sur la voix intimement lié au souffle dépasse largement le cadre du jazz. Instrument complice de sa musique, le piano de Stephan convient idéalement à ce chant intérieur.
-Collège des Bernardins : www.collegedesbernardins.fr
-Abbaye de Royaumont : www.royaumont.com
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Le Trianon : www.letrianon.fr
-New Morning : www.newmorning.com
-Provins Duke Festival : www.dukefestival.com
Crédits photos : Tarkovsky Quartet © Paolo Soriani / ECM – Crâne et canapé rouge, Antoine Hervé, Riccardo Del Fra, Susi Hyldgaard, David Linx, Patrick Favre © Pierre de Chocqueuse – Manuel Rocheman © Thibault Stipal – Eddy Louiss © Tempo 111 – Stéphane Oliva © Cécile Matthieu – Susanne Abbuehl © Andrea Loux / ECM – Hilario Duran © Photo X/D.R.