Quatre chanteuses, un quartette porté par un chanteur, la voix, instrument capable de faire frémir les mots de l’âme, est à l’honneur dans ce blogdechoc. Comme le rappelait récemment Michel Sardaby, « le chant est la racine, l’essence de toute musique. » En Norvège, au Conservatoire de Trondheim dont Tord Gustavsen suivait les cours, les professeurs enseignent le chant, apprennent aux élèves à improviser vocalement avant de les mettre au piano.
On savait Malia attirée par le jazz. Jackie Terrasson l’a invitée l’an dernier à rejoindre son trio sur la scène de la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand dans laquelle se déroule le festival Jazz en Tête. Ses enregistrements relèvent de la soul, mais cette chanteuse originaire du Malawi aime aussi Nina Simone « une orchidée noire, mystérieuse, belle, puissante… ». Elle la célèbre dans “Black Orchid” , puisant dans ses ballades. Nina chantait Billie Holiday, Jacques Brel, George Gershwin, Randy Newman. Malia fait de même, et sa voix grave, sensuelle, un peu rauque bouleverse dans Don’t Explain, If You Go Away (version anglaise de Ne me quitte pas), I Love you Porgy et Baltimore. Si les tempos sont lents, langoureux, l’orchestration minimaliste de l’album n’en reste pas moins subtile. Au piano, à l’orgue (dans I Put a Spell on You) ou avec une kalimba, Alexandre Saada pose de tendres et magnifiques couleurs sur la musique. Daniel Yvinec y dépose les sons cristallins d’un vibraphone modèle réduit. Jean-Daniel Botta (guitare et contrebasse) et Laurent Sériès (batterie, kas kas) contribuent discrètement aux arrangements de ce disque émouvant.
Christelle Pereira aime le jazz classique, les standards que les jazzmen ont depuis longtemps adoptés. Elle apprécie également le bop et “The Maestro(s) ”, son second disque, comprend des thèmes de Cedar Walton et de Sonny Stitt dont elle reprend en scat Eternal Triangle. Chanteuse d’expérience, elle s’est souvent produite au Caveau de la Huchette et au Jazz Club Lionel Hampton avec le Bad Boys Big Band que dirige Claude Tissendier. Christelle a aussi travaillé avec Stan Laferrière qui a signé les arrangements d’“Opus One” son album précédent, et avec Jean-Loup Longnon qui n’a pas l’habitude d’engager des chanteuses débutantes. La large tessiture de sa voix lui permet de prendre des risques, de nous offrir des versions personnelles de thèmes qu’elle affectionne. Avec elle, Dado Moroni, pianiste sensible et stimulant, dont les notes chatoyantes posent le swing au cœur de la musique. Michel Rosciglione à la contrebasse et Philippe Soirat à la batterie assurent un accompagnement parfait dans cinq plages de l’album.
“Inner Dance”, second disque de Laura Littardi, chanteuse italienne installée en France depuis 1987, séduit par la fraîcheur de ses arrangements. Bénéficiant de nouvelles harmonies, d’autres tempos, on peine à reconnaître Old Man (Neil Young), Another Star, Higher Ground et Isn’t she Lovely (Stevie Wonder), Carried Away (Graham Nash). Des morceaux des années 70 que Laura réinvente, jazzifie avec malice. Carine Bonnefoy apporte les riches couleurs de ses claviers. Francesco Bearzatti assure chorus et obbligatos dans cinq plages dont une version décoiffante et improvisée de Proud Mary, l’un des grands tubes de Creedence Clearwater Revival. Pour le chanter, Laura adopte une voix expressive qui flirte avec le cri, et parvient à nous faire complètement oublier l’original. Elle compose aussi de bonnes chansons, son nostalgique Sunny Days, mais aussi Beautiful Flower pris sur un rythme de bossa, s’intégrant parfaitement à cette sélection. Autre bonne idée, la présence de Mauro Gargano dont la contrebasse chantante et mélodique donne une belle assise à la musique. Guillaume Dommartin et Fabrice Moreau se partagent la batterie dans un disque qui confirme le talent d’une chanteuse sincère et attachante.
La danoise Susi Hyldgaard surprend et enchante par la diversité et l’originalité de ses disques. Elle soigne leurs orchestrations et possède un univers qui ne rentre dans aucune catégorie précise. Susi manqua de peu le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz pour “Homesweethome” en 2003. La parution de“Blush”, son quatrième album, au sein duquel la musique électronique tient une place importante, étonna en 2005. Après le somptueux “It’s Love We Need” avec le NDR Big Band arrangé par Roy Nathanson et Bill Ware des Jazz Passengers en 2008, elle vient de publier une petite merveille d’intelligence et de sensibilité musicale. “Dansk” (Danois), travail de studio étalé sur deux ans, entremêle quatre langues : le danois, l’anglais, le français et l’allemand. S’aidant du re-recording et utilisant des samples, Susi les superpose, donne de la poésie à ses morceaux et du swing à se mots. Certains titres portent ainsi des noms français. Jazz, pop, folk, difficile de situer ce disque en partie enregistré dans son home studio et dans lequel, outre du piano, elle joue de nombreux claviers, de l’accordéon et même de la guitare. Avec elle, Jannick Jansen qui l’accompagne depuis longtemps à la basse électrique, Benita Haastrup sa jolie batteuse blonde, Freja Emilie et Emma Scheuer Hyldgaard pour d’autres voix. Celle de Susi envoûte. La chanteuse compose des mélodies entêtantes, les enveloppe d’harmonies délicates et les saupoudre d’électronique, parvenant à leur transmettre sa sensibilité d’artiste. Le Sunside l'accueillera le 3 mars prochain avec son trio.
Je ne savais rien de Mild Dream, avant que Kevin Norwood, leur chanteur, ne me fasse parvenir “Real Brother”, un disque consacré au répertoire de Jeff Buckley. Né en 1966, décédé en 1997 à l’âge de 30 ans, ce dernier fascina toute une génération par sa voix couvrant quatre octaves, ses compositions et ses reprises. Sa version d’Hallelujah de Leonard Cohen est plus émouvante que l’originale. Cette chanson, vous ne la trouverez pas dans ce disque. Le groupe la joue lors de ses concerts, l’offre en cadeau à ceux qui se déplacent. Porté par la voix de baryton Martin de Norwood qui rappelle celle de Buckley, bénéficiant de la palette harmonique de Vincent Strazzieri au piano, de la solide contrebasse de Fabien Gilles qui a arrangé tous les morceaux, et du drumming raffiné et précis de Cedrick Bec (Christophe Leloil, Dress Code), ce second opus de Mild Dream crée la surprise. Le groupe cherche un distributeur. Contact : kevin.norwood86@gmail.com
-MALIA : “Black Orchid” (EmArcy / Universal)
-Christelle PEREIRA : “The Maestro(s) ” (Dzess Music /www.christellepereira.com )
-Susi HYLDGAARD : “Dansk” (Yellowbird / Harmonia Mundi)
-Laura LITTARDI : “Inner Dance” (Great Winds / Musea)
-MILD DREAM : “Real Brother” (Terre Musique /www.milddream.com )
Photo de Susi Hyldgaard © Nicola Fasano