VENDREDI 12 avril
Invité à se produire en solo sur la péniche l’Improviste à l’occasion de la première édition du Festival International du Jazz au Cinéma, Stephan Oliva féru de 7ème Art, ne pouvait manquer l’occasion de faire entendre les nombreuses musiques de film que son piano, comme lui imbibé d’images, aime reprendre. Il y ajoute ses propres visions, laisse autant parler sa mémoire que son imagination. De courts passages illustratifs l’inspirent parfois autant que les thèmes principaux des films qu’il a vus plusieurs fois pour en relever les musiques. Les partitions posées sur le piano ne sont que des pense-bêtes, des repères, son travail relevant beaucoup de l’improvisation. Stephan coupe, modifie, effectue un remontage des séquences musicales qu’il reprend. De nouvelles images surgissent, complètent celles qui nous sont familières. Portée par les seules notes du piano, la scène de la douche dans “Psychose” s’allonge, repasse différente sur l’écran de nos yeux qui écoutent. L’oreille imagine et voit ce que Hitch s’est refusé à montrer. Un agencement de notes graves puissamment martelées nous restitue l’horreur de la scène.
Confiées à son instrument qu’il fait sonner comme un orchestre, débarrassées des orchestrations qui permettent de trop les dater, les musiques inventées par Miklos Rozsa, David Raksin ou Bernard Herrmann se révèlent comme des créations nouvelles. Stephan a enregistré un disque entier des œuvres de ce dernier. Les plus obsédantes illustrent des films noirs, genre que Stephan affectionne et dont il a consacré un album.
“Psychose”, Vertigo”, mais aussi “Taxi Driver” dont il nous offrit une version crépusculaire furent au programme de ce concert. Un accord d’une rare noirceur dont la pédale forte prolonge la résonnance introduit “Citizen Kane” et les dissonances de “La soif du mal” nous plongent au cœur même de la nuit.
Le noir reste la couleur dominante de son piano, mais les sombres accords qu’il plaque portent une large nuance de tons, de gris, de pigments divers dont il mélange les notes pour nous faire entendre des ombres plus claires. Le noir tend vers le blanc, vers la lumière que son jeu crépusculaire fait d’autant mieux ressortir. Les tendres mélodies qu’il fait surgir sont les phares qui trouent l’obscurité et écartent la peur que provoque la profondeur abyssale de ses basses.
“Vertigo” contient de délicieux passages romantiques. “Le Privé” aussi. Rythmées par un léger zéphyr, leurs notes respirent et frémissent. On fait de même, heureux de profiter de ces bouffées d’air tiède. Le noir et blanc se fait couleur dans “Les liens du Sang”, un polar de Jacques Maillot dont Stephan a composé la musique. Il la discipline autrement, l’éclaire avec les notes d’un thème admirable fixées sur la toile qu’il tend devant nos yeux.
Les bandes-son des films de Jean-Luc Godard occupèrent tout le second set. Stephan en a récemment visionné les œuvres pour les besoins de son prochain album. Produit par Philippe Ghielmetti, enregistré en mars dernier à La Buissonne, “Vaguement Godard” sortira en septembre. Parfois associées à de simples fragments de thèmes - ceux composés par Michel Legrand pour les douze tableaux qui séquencent “Vivre sa vie” - , les images du cinéaste se bousculent sous les doigts du pianiste. “Pierrot le fou” reste étroitement lié à la répétition de Ferdinand, véritable leitmotiv de cette partition d’Antoine Duhamel.
Composé par Paul Misraki, “Alphaville” donne à Stephan l’occasion de « peindre au bitume » le froid béton des années 60. Au sein de dissonances et de clusters surgit une petite mélodie qui charme et pétille, fil conducteur orientant le très désorienté Eddie Constantine alias Lemmy Caution dans sa mission de sauvetage et de destruction.
Trois mesures d’As Tears Go By, un thème des Rolling Stones que chante a capella Marianne Faithfull dans “Made in USA”, inspirent Stephan qui improvisa aussi sur deux phrases très monkiennes d’“A Bout de Souffle” imaginées par Martial Solal.
« La guerre, c'est simple : c'est faire entrer un morceau de fer dans un morceau de chair », entend-on dans “For Ever Mozart” réalisé par Godard en 1996. “Les Carabiniers” et “Ombres et Lumières” traitent aussi de la guerre. Stephan mêle leurs musiques, fait jaillir la lumière du noir même de la nuit.
“Le Mépris” enfin, le plus beau score de Georges Delerue qui comprend l’inoubliable thème de Camille. Stephan le reprend dans “Jazz’n (e)motion”, un disque de 1997 qu’a produit Jean-Jacques Pussiau. Ses premières versions de “Touch of Evil” (“La Soif du mal”) et de “Vertigo” (“Sueurs froides”) y figurent.
La musique du “Mépris” est solaire, comme l’île de Capri où furent tournées de nombreuses scènes du film. Même abordées dans les graves, les mélodies virevoltent et décollent. Leurs notes possèdent des ailes. Avec les magnifiques images de Raoul Coutard, elles comblent les temps morts du film, compensent la minceur du scénario et lui donnent sa dimension onirique. Stephan Oliva joue Godard et la musique de son disque nous fait déjà rêver.
Photos de Stephan Oliva © Pierre de Chocqueuse - Photos du tournage d'Alphaville © X/DR.