Cécile McLORIN SALVANT :
“WomanChild”
(Mack Avenue / Universal Music)
Elle se nomme Cécile McLorin Salvant et subjugue par une voix rare, une de celles dont la découverte inespérée relève du miracle. Comment ne pas songer à Billie, Sassy, Ella, mais aussi à Abbey Lincoln que Cécile a bien évidemment écoutée tant le timbre en est suave et chaud. Cette voix si belle, nous faillîmes la manquer.
Cécile ne se destinait pas à une carrière de chanteuse, mais effectuait une prépa à Aix en Provence pour entrer à Sciences Po. Elle rêvait de devenir chanteuse lyrique, mais la musique n’était pour elle qu’un simple hobby. Née à Miami de mère française et de père haïtien, elle y a étudié le piano classique et chanté dans une chorale d’enfants. À Aix, elle rencontre le saxophoniste Jean-François Bonnel qui dirige la classe de jazz du Conservatoire Darius Milhaud. Il la convainc de chanter, de donner des concerts. En 2010, elle participe sans trop y croire au Concours Thelonious Monk dans la grande salle du Kennedy Center de Washington et, à la surprise générale, en remporte le 1er prix. Jacky Terrasson qui l’admire lui donne un sérieux coup de main en lui confiant deux titres de “Gouache”, et sa présence aux côtés du pianiste au Festival de Jazz de la Villette la place sur la sellette. Plusieurs dates avec Wynton Marsalis et le Lincoln Center Orchestra l’an dernier, une tournée prévue en décembre au sein du même orchestre, sacrent ce début de règne.
Mais d’abord ce disque attendu depuis longtemps, le premier réellement produit que la chanteuse enregistre après un opus mal distribué et passé inaperçu. Certains seront sans doute frappés par son classicisme. Cécile s’empare de quelques thèmes anciens qui parlent à son cœur, à sa mémoire, en exprime le blues de manière naturelle, les fait revivre par une diction et un phrasé impeccables. Elle est aussi la première à reprendre You Bring Out the Savage in Me depuis que Valaida Snow l’enregistra en 1935. “WomanChild” s’ouvre sur St. Louis Blues que chantait Bessie Smith. Une simple guitare (James Chirillo) accompagne une voix qui d’emblée enthousiasme. Une instrumentation réduite lui suffit. Une contrebasse assurée par Rodney Whitaker, une batterie confiée à un Herlin Riley impérial dans You Bring Out the Savage in Me, un piano élégant tenu par Aaron Diehl, musicien jouant aussi bien du jazz traditionnel que du bop, Cécile trouve là l’écrin idéal pour son chant. Avec Nobody et son piano honky tonk, nous nous voyons transportés dans un barrelhouse de la grande Amérique. Modernisé, le tonique John Henry dans lequel le dobro remplace la guitare relève du folk. Quant au blues Baby Have Pity on Me que l’on doit à Clarence Williams, il possède un aspect rural appréciable. Plus actuel, WomanChild révèle le talent de Diehl, pianiste vif et prompt à réagir avec lequel Cécile dialogue, étire ses notes, théâtralise son chant avec gourmandise, ce qu’elle fait aussi dans un décoiffant What a Little Moonlight Can Do croqué à pleines dents. Chanté en français avec beaucoup d’émotion, Le front caché sur tes genoux, un poème haïtien des années 30 dont elle a composé la musique remet bien sûr en mémoire Je te veux, morceau d’Erik Satie qu’elle interprète dans le disque de Terrasson. La chair de poule perdure longtemps après son écoute. "A star is born" assurément.