SAMEDI 22 juin
Bruno Angelini et Philippe Le Baraillec enseignent le piano à la Bill Evans Academy. Ils ont eu le même professeur, Samy Abenhaïm et revendiquent une approche mélodique et harmonique du piano. Ils donnaient un double concert sur la péniche l’Improviste amarrée pour deux mois à la hauteur du 34 quai de la Loire, le long du bassin de la Villette.
Souvent associé à de nombreux projets et formations, Bruno Angelini joue dans “Toxic Parasites”, le dernier album de Sébastien Texier. Au sein d’une discographie imposante, se distinguent ses albums en trio, mais aussi “Never Alone”, un excellent enregistrement en solo pour Minium. Loin de lui faire peur, l’exercice semble stimuler son imagination. Il en faut pour s’attaquer aux musiques d’Ennio Morricone, des mélodies qui inspirent les plus doués des jazzmen. Enrico Pieranunzi leur a consacré deux albums tout en évitant de reprendre les plus célèbres, celles que Morricone a composées pour Sergio Leone, son ancien camarade de classe. À “Il était une fois en Amérique”, son chef d’œuvre, Bruno préfère “Le Bon, la brute et le truand” et “Il était une fois la révolution”, deux films dont il habille les mélodies d’harmonies nouvelles, de couleurs inédites. Occupant l’espace sonore, il s’emploie à faire chanter ses notes, leur donne du poids tout en prenant soin de les faire respirer. Il en met certaines en boucle, improvise sur des thèmes que le blues et les notes bleues transforment et rendent méconnaissables. Des accords cristallins de piano électrique répondent parfois au piano. La main gauche assure des basses puissantes. La droite dessine des paysages et fait voir des images. Vaste tambour mélodique, l’instrument résonne, acquiert une ampleur orchestrale. Un ostinato envoûtant accompagne une autre mélodie. Des grappes de notes perlées se greffent sur un rythme lent et majestueux. Le pianiste se fait chaman, agite des hochets de pluie, tire mille couleurs des cordes métalliques de son instrument. La magie opère. La richesse et la variété de ses timbres vont nous bercer tout au long de la nuit.
Après une courte pause, Philippe Le Baraillec est au piano. On peine à le croire tant ses concerts sont rares. Il faut être un de ses élèves – et ils sont nombreux à bord – pour l’entendre au piano. Il n’aime pas se mettre en avant, enregistre peu, ce qui rend sa musique infiniment précieuse. Une grande tendresse habite ses notes frissonnantes d’émotion. Le quartier-maître Le Baraillec habite corps et âme le grand navire du jazz qu’il conduit vers des terres propices à des harmonies heureuses. Grâce à lui des standards ont encore des richesses à dévoiler, des notes rêveuses à chanter. Exposé par un toucher d’une finesse peu commune, Nardis baigne dans une lumière féérique, se pare d’un limbe de notes lumineuses. Mais voici que sur des arpèges de guitare mises en boucle, Philippe improvise, non sans rechercher des séquences plus abstraites, quelques dissonances pimentant un piano qui n’oublie pas d’être lyrique. Le phrasé serré et précis évoque parfois Lennie Tristano, mais de ces cascades de notes jouées avec une rigueur contrapuntique jaillit une musique infiniment tendre que calme un doux et pudique balancement. Le piano navigue parfois avec une guitare fantôme, mais un seul accord peut suffire à installer un climat féérique, la musique profitant d’harmonies poétiques dont Philippe a le secret. Joué en solo, Not for Lilian (to Lilian) que renferme “Involved” son dernier disque, est ainsi une invitation au rêve. Comme ses autres compositions parcimonieusement dispersées dans de trop rares albums, le morceau possède un fort pouvoir de séduction. On quitte l'Improviste hanté par ces notes raffinées et sincères qui semblent jaillir du cœur.
Photos © Pierre de Chocqueuse