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19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 10:56
Trophées du Sunside 2017 : constats et découvertes

Entre le 5 et le 7 septembre, douze jeunes formations, « bataillèrent » pour remporter l’un des Trophées du Sunside, des prix destinés aux meilleurs groupes et aux meilleurs solistes de la génération montante, les talents de demain. Quatre formations, quatre heures de musique à écouter et à noter trois soirs durant pour que le jury dont j’étais l’un des membres puisse parvenir au palmarès qui fut dévoilé dès le 8 au matin. Le bilan de cette 17ème édition fut incontestablement positif, tant sur le plan musical que sur celui de l’audience. Voir le club de la rue des Lombards investi par un public jeune et enthousiaste donnait du baume au cœur.

La musique apporta son lot de bonnes surprises et de déceptions, ces dernières moins nombreuses que d’autres années grâce au bon niveau technique des musiciens et à la forte personnalité de certains d’entre eux, les groupes proposant du jazz sortant des sentiers battus et des arrangements originaux se voyant récompensés. Leurs judicieuses combinaisons de timbres permirent ainsi à Oggy & The Phonics de remporter le 1er prix du meilleur groupe. Savamment filtrées par des pédales d’effets contribuant à l’identité sonore de la formation, clarinette (Clément Meunier, 1er prix du meilleur soliste), saxophone ténor (Louis Billette), et guitare (Théo Duboule) mêlent leurs sonorités et servent des compositions lyriques et fort bien orchestrées, une musique énergique que rythment Gaspard Colin (basse) et Nathan Vandenbulcke (batterie). Un album autoproduit, “Folklore Imaginaire”, est disponible sur leur site. Après avoir patiemment écouté quantité de thèmes bien fades sauvés par le savoir-faire des musiciens tous capables d’improviser, le jury ne pouvait qu’applaudir les morceaux mélodiques que le groupe proposait. Car, doté d’une technique impressionnante et souvent bardé de diplômes, le musicien de jazz ne cherche trop souvent qu’à faire entendre sa propre musique, se prend pour un compositeur ce qui est loin d’être toujours le cas. Composer un thème séduisant, une vraie mélodie, denrée rare aujourd’hui, n’est pas chose facile. Une ritournelle ou un riff font parfois l’affaire, mais un Ornette Coleman ne se révèle pas tous les jours.

La plupart des musiciens qui se produisirent alternativement au Sunside et au Sunset pendant trois soirs semblaient oublier que tout jazzman dispose d'un vivier de mélodies susceptibles de nourrir son art, de faire du neuf avec du vieux, de créer des nouveaux morceaux à partir d’un répertoire existant. Des mélodies sur lesquelles le musicien peut greffer des improvisations toujours nouvelles et faire chanter de belles phrases mélodiques à l’instrument qu’il pratique. Libre à lui d’imposer de nouveaux standards plus proches de son environnement musical, de son époque. C’est ce que fait Brad Mehldau lorsqu’il reprend des thèmes de Paul McCartney, de Radiohead ou de Sufjan Stevens. La communauté des jazzmen s’enracine ainsi dans un vaste répertoire toujours renouvelé. C’est pour vérifier cet enracinement que le jury demanda à chaque formation de jouer un standard de son choix. Le résultat fut souvent concluant. Et même enthousiasmant dans le cas d’Oggy & The Phonics qui nous offrit une version très originale du Pithecanthropus Erectus de Charles Mingus. Un seul groupe ne se livra pas à cet exercice. Relevant davantage de la musique improvisée que du jazz, leur musique « coup de poing » n’avait qu’un seul mérite : ne pas laisser indifférent.

Car nos oreilles eurent parfois à souffrir, certains batteurs plus fougueux que d’autres, faisant inutilement monter le niveau sonore. Un bon batteur est un batteur que l’on n’entend pas disait Bill Evans. Une boutade certes, mais un batteur qui joue trop fort entraîne inévitablement ses partenaires à faire de même et ce, au détriment de la musique. Cette dernière souffre souvent d’un trop plein de notes. Asphyxié, le tissu musical respire mal, un niveau sonore trop élevé n’arrangeant pas les choses. Groupe vocal féminin réunissant Nirina Rakotomavo, Cynthia Abraham et Céline Boudier (remplacée pour ce concert par Camille Durand), les Selkies surent ainsi nous plonger dans un bain de fraicheur, nous remettre d’aplomb. Leurs voix chaudes et sensuelles s’assemblent, s’harmonisent et se complètent pour chanter du folk, du jazz, des musiques sans frontières. Une mention spéciale du jury récompensa leur prestation. J’ai également apprécié le Gabriel Midon Quartet. Contrairement à d’autres bassistes qui se prennent pour Scott LaFaro ou Jaco Pastorius, Gabriel Midon n’oublie pas que le rôle de son instrument, véritable colonne vertébrale de sa formation, est principalement de porter la musique. Il prend bien quelques solos mélodiques mais toujours à bon escient et préfère laisser ses musiciens parfaire ses intéressantes compositions. Le saxophoniste Romain Cuoq et le pianiste Clément Simon se montrèrent ainsi beaucoup plus à l’aise et performants qu’au sein du groupe de ce dernier.

Trophées du Sunside 2017 : constats et découvertes

Mais la grande découverte de ces Trophées reste pour moi la chanteuse Marie Mifsud. Récompensée par un deuxième prix d’orchestre, sa prestation scénique surpassa toutes les autres. Très à l’aise, mettant aisément le public dans sa poche, elle fut la seule à offrir un vrai spectacle, un show professionnel. Venue du lyrique, Marie Mifsud apprit l’art du jazz vocal auprès de la grande Sara Lazarus. Contrôlant parfaitement son souffle, elle possède une excellente diction et fait ce qu’elle veut avec sa voix. Une voix de soprano qui escalade sans peine les octaves, fait danser les mots et les onomatopées. Mimi Perrin aurait adoré ! Batteur du petit orchestre qui l’accompagne, Adrien Leconte écrit des textes pleins d’humour. Marie contracte, prolonge ou en étire les syllabes pour leur donner du swing. Des compositions originales, mais aussi de grands standards de jazz (Señor Blues d’Horace Silver, Puttin’ on the Ritz très drôle et très champagne en rappel) confiés à un quintette au sein duquel chaque musicien a un rôle précisément défini. Car la mise en place, impeccable, ne souffre d’aucun écart, le groupe allant jusqu’à posséder son propre ingénieur du son. Un bon flûtiste Quentin Coppale double la voix et dialogue avec elle. Le piano de Tom Georgel apporte à la musique son assise harmonique. Quant à la contrebasse bien boisée de Victor Aubert, elle a bien sûr une réelle importance. Marie Mifsud a fait paraître il y a quelques mois “LÀ” un disque autoproduit d’une trentaine de minutes, sept morceaux parmi lesquels des reprises de Take The A Train, Soul Eyes, Black Coffee et Duke Ellington’s Sound of Love. On peut se le procurer sur le site de la chanteuse.

-Oggy & The Phonics : www.oggyandthephonics.com

-Marie Mifsud : www.mariemifsud.com

 

PALMARÈS :

MEILLEUR GROUPE : 1er prix : Oggy & The Phonics - 2ème prix : Marie Misfud Quintet - Mention Spéciale du Jury : Selkies

MEILLEUR SOLISTE : 1er prix : Clément Meunier (clarinette) - 2ème prix : Pierre Carbonneaux (saxophone).

 

Photos © Patrick Martineau - Portrait de Marie Mifsud © Flavien Prioreau

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11 septembre 2017 1 11 /09 /septembre /2017 09:26
Pierrick PÉDRON : “Unknown” (Crescendo / Caroline)

Découvert avec “Deep in a Dream”, Prix du Disque Français 2006 de l’Académie du Jazz, Pierrick Pédron recevait la même année le prestigieux Prix Django Reinhardt. Le saxophoniste allait ensuite déconcerter une partie de son public avec une musique mâtinée de pop (“Omry” en 2009), son goût de l’aventure le conduisant à faire jouer ses propres compositions par une fanfare d’harmonie et un chœur (“Cheerleaders” en 2011), à reprendre les compositions emblématiques d’un groupe mythique (“Kubic’s Cure” en 2014) et à entremêler de nombreux genres musicaux (“And The” en 2016), tous ces disques divisant pour le moins la critique.

Sous les auspices bienveillantes de Laurent de Wilde, directeur artistique et instigateur du projet, Pierrick Pédron nous livre aujourd’hui “Unknown”, un opus acoustique d’une grande fraîcheur, reflet de ses goûts éclectiques. « Le disque qui me ressemble le plus » confie-t-il dans le n°698 (septembre) de Jazz Magazine. Laurent et Pierrick : deux grands admirateurs de Thelonious Monk. Le premier lui a consacré un livre il y a quelques années et sort en octobre, à la tête de son New Monk Trio, un album de ses compositions. En publiant en 2012 “Kubic’s Monk”, un disque sans piano également primé par l’Académie du Jazz, le second a également rendu hommage à sa musique. Monk reste toutefois totalement absent de cette séance presque uniquement consacrée à des compositions originales du saxophoniste, Enjoy the Silence, seul titre que Pierrick n’a pas composé, étant une reprise des Depeche Mode.

La plupart de ses morceaux, Pierrick Pédron les a imaginés dans la maison familiale proche de Saint-Brieuc qui abrita ses jeunes années. Sa mère venait de disparaître après une longue maladie. Mum’s Eyes, une ballade plaintive et débordante de tendresse, lui est bien sûr dédiée. Le boppisant Unknown qui introduit l’album est né spontanément. Un chorus d’alto aux notes habilement enchaînées vient se greffer sur un thème acrobatique que le piano et le saxophone exposent à l’unisson. On y découvre un pianiste aux doigts agiles, très à l’aise dans ce registre musical exigeant une grande technique. D’origine haïtienne et natif de Seine-et-Marne, Carl-Henri Morisset, vingt-trois ans, un élève de Pierre de Bethmann et de Riccardo Del Fra qui l’a introduit auprès de Pierrick, place des accords qui surprennent à des endroits inattendus, son jeu mélodique équilibrant la sonorité parfois âpre d’un alto parkérien dont les audaces s’accompagnent d’un grand lyrisme. Dédié à Mulgrew Miller qui nous quitta en 2013, le tonique Mister Miller fait entendre un altiste tout feu tout flamme, Pierrick soufflant aussi des notes brûlantes dans With the 2B’s, morceau rythmiquement ambigu et difficile à mettre en place. Batteur d’expérience, Greg Hutchinson rythme avec souplesse des échappées libres, des morceaux dissonants et largement improvisés (Trolls). À la contrebasse, Thomas Bramerie, un complice de longue date, porte la musique et arbitre subtilement le discours des solistes. Piano et saxophone peuvent ainsi chanter de concert dans une reprise de Val André dont la première version apparaît dans “Omry”. Mes titres préférés restent toutefois les ballades de l’album. À l’émouvant Mum’s Eyes et au poétique Enjoy the Silence, s’ajoutent A Broken Reed – au cours de la prise, Pierrick cassa une anche ce qui donne une sonorité inhabituelle à son alto – et Petit Jean dédié à son jeune fils. La contrebasse y prend un trop bref solo mélodique, le seul de cet album sincère et attachant.

 

Sortie de l'album le 15 septembre.

Photos © Philippe Marchin

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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 09:59
En marche

Septembre. L’air un peu plus frais fait du bien aux bronches. Les marcheurs respirent mieux. Certains marchent à l’ombre, d’autres à droite. Même la République s'est mise à marcher. Il était temps ! C’est toutefois la gauche qui a le plus d’expérience dans ce domaine. Leurs longues marches à pied les dispensent de tout régime. Excellentes pour l’hygiène générale, elles réduisent les toxines et musclent les jambes. Les Insoumis qui la pratiquent assidûment nous promettent une rentrée sportive. De longs déplacements les verront battre interminablement les pavés parisiens. De bonnes chaussures sont conseillées. Attention aux attaques des indiens, aux piqûres de moustiques. Le chameau de bât est recommandé pour les très longs trajets. Le Paris - Caracas formellement déconseillé. Leur « líder máximo » ne marche pas sur l’eau.  

 

La grande majorité des français aspire toutefois à une rentrée plus calme, à des chants moins guerriers. Elle se fait à petits pas, doucement, tout doucement car, bien qu’un peu voilé, le soleil brille encore dans le bleu du ciel et invite à sortir. L’amateur de jazz en profite pour voler encore un peu de temps au temps avant de reprendre son travail, ses habitudes. Propice à des plongées dans la musique, la période estivale m’a donné l’occasion de réécouter des œuvres classiques. Les “13 Barcarolles” et les “Nocturnes” de Gabriel Fauré, mais aussi son “Second quintette pour piano et cordes opus 115” dont le troisième mouvement, une andante moderato, est une page admirable de la musique française. Se replonger dans Brahms (ses “10 Intermezzi pour piano” par Glenn Gould, disque que me fit connaître le pianiste Guillaume de Chassy), dans les quatuors à cordes méconnus de Carl Nielsen et de Joseph-Ermend Bonnal, (ce dernier écrivit aussi sous pseudonyme des pièces de ragtime), ou dans les œuvres pour piano de Jean Cras et de Gabriel Dupont (“Les Heures Dolentes”) procure un bonheur indicible.

 

Je n’en ai pas pour autant négligé le jazz, me penchant sur quelques disques déjà anciens de Tethered Moon. Seul survivant de ce trio qui comprenait les regrettés Masabumi Kikuchi et Paul Motian, Gary Peacock publie chez ECM “Tangents”, un des grands disques de cette rentrée. Très présente, sa contrebasse n’a jamais été aussi bien enregistrée. À la batterie, Joey Baron colore subtilement une musique que le piano de Marc Copland rend étonnamment abstraite. Vous lirez ma chronique de cet album dans le numéro de septembre de Jazz Magazine. Les sorties de disques se faisant plus rares, l’été m’a également permis de redécouvrir quelques trésors de ma discothèque. Parmi eux, “Dreamer” du pianiste Russ Lossing, un de ses premiers opus ; “Line On Love” du saxophoniste Marty Ehrlich (avec Craig Taborn au piano), un enregistrement de 2002 que Gilles Coquempot (Crocojazz) me fit découvrir ; “First Meeting” du bassiste Miroslav Vitous et “Illusion Suite” de Stanley Cowell, deux vinyles ECM. À l’heure du triomphe des musiques invertébrées, de la sous-culture de masse, jazz et classique sont des chefs-d’œuvre en péril dont il semble urgent de conserver la mémoire. Souhaitons qu’ils ne soient pas oubliés. 

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Jazz à La Villette 2017 : il y en a pour tous les goûts, le festival, largement ouvert à toutes sortes de musiques se poursuivant jusqu’au 13 septembre. Le 8, Laurent de Wilde retrouve son complice Ray Lema à la Cité de la Musique (20h00) pour un duo de piano au sommet. Ils ont enregistré un bien beau disque l’an dernier, mais leurs concerts leurs permettent d’aller plus loin, d’associer plus étroitement encore rythmes et mélodies colorées, d’exprimer librement les musiques qui leur trottent dans la tête. – Le dimanche 10, Dianne Reeves (photo) s’offre la Grande Halle de La Villette (19h00). La chanteuse reste une valeur sûre du jazz afro-américain. Une déjà longue et fructueuse carrière en témoigne. – Le 12, Archie Shepp, 80 ans, est attendu à la Philharmonie (20h00). Un duo avec le pianiste Jason Moran constituera la première partie de son concert. Puis, Olivier Miconi (trompette), Amina Claudine Myers (orgue et piano), Wayne Dockery (contrebasse), Hamid Drake (batterie) et un chœur entoureront le saxophoniste dans un hommage au gospel. Si vous supportez mal et les fausses notes (et Shepp en joue beaucoup), allez plutôt écouter la veille (le 11) à la Cité de la Musique (20h00) le New Jawn Quartet de Christian McBride, admirable bassiste dont le jazz moderne reste ancré dans la tradition. Avec lui au sein d’un quartette sans piano, deux souffleurs expérimentés : Josh Evans (trompette) et Marcus Strickland (saxophone), une vieille connaissance. A la batterie, Nasheet Waits est également bien connu des amateurs de jazz. Avec McBride, il forme une paire rythmique éblouissante qui donne des ailes à la musique.

-Musicien trop discret, Vincent Bourgeyx est attendu au Duc des Lombards les 18 et 19 septembre (19h30 & 21h30). Avec lui, les musiciens de “Short Trip (Fresh Sound), son dernier album, un disque de jazz comme on aimerait en entendre souvent. Matt Penmann (James Farm) à la contrebasse, Obed Calvaire (souvent avec Monty Alexander) à la batterie, mais aussi David Prez, le saxophoniste de la séance, deux plages de “Short Trip bénéficiant également de la chanteuse Sara Lazarus. Très à l’aise avec le blues, le pianiste, pose de belles couleurs sur une musique dont il connaît l’histoire et qui n’a pour lui plus de secrets, un jazz moderne imbibé de swing et de notes bleues mais aussi lyrique et tendre comme en témoigne les ballades qu’il transcende, arc-en-ciel de son répertoire éclectique.

-Anne Ducros et Christian Escoudé au Sunset les 22 et 23 (21h00). Avec ces deux là, on est sûr de passer une soirée inoubliable, voire deux, leur association inédite se poursuivant deux soirs. Cela fait des années que Christian fait chanter sa guitare. Quant à Anne, c’est la meilleure de nos chanteuses de jazz : une diction parfaite, un scat éblouissant mais aussi une manière unique de faire vivre les textes des chansons qu’elle reprend. Dans “Brother, Brother !”, son dernier disque, elle revisite des morceaux qu’elle apprécie depuis longtemps, des thèmes associés à Marvin Gaye, Sting, Joe Cocker, mais aussi à Juliette Gréco (Déshabillez moi) et à Yves Montand (La bicyclette), la bonne chanson française restant un vivier de mélodies inoubliables.

-Pianiste des deux derniers albums du trompettiste Avishai Cohen, un artiste ECM, Yonathan Avishai enregistre les siens avec ses musiciens et poursuit une fructueuse carrière sous son nom. Après “Modern Time” réalisé en trio, il a étoffé sa formation et enregistré l’an dernier un disque étonnant, “The Parade, nous menant dans les Caraïbes et à la Nouvelle-Orléans, un voyage au sein duquel son jeu de piano minimaliste aère un jazz raffiné au swing entêtant. Au Sunside le 23 (21h30), la chanteuse Monique Thomas rejoint sa formation habituelle, un quintette comprenant César Poirier (clarinette et saxophone alto), Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie) et Inor Sotolongo (percussions).

 

-Aldo Romano au Triton le 23 (21h00) avec Michel Benita à la contrebasse et Dino Rubino, pianiste à propos duquel le batteur ne tarit pas d’éloges. Les trois hommes ont enregistré au Triton un nouvel album “Mélodies en Noir & Blanc” dont ils fêtent la sortie. Aldo y reprend des titres de son répertoire, Song for Elis qu’il écrivit à la mémoire d’Elis Regina, Inner Smile qui donne son nom à un de ses albums, Dreams and Water qu’il enregistra plusieurs fois, la première en 1991 pour Owl Records, « (…) des morceaux que j’ai composés il y a un certain temps. Le temps passe, la musique reste, intemporelle. Intemporelle comme la chanson de Gérard Manset Il voyage en solitaire, que je chante ici mais qui chante en moi depuis la première fois que je l’ai entendue. »

-Habitué du Duc des Lombards – il y donna deux concerts en juin dernier –, le pianiste Dominique Fillon retrouve son club préféré les 26 et 27 septembre (19h30 et 21h30) pour rendre hommage à Al Jarreau, décédé cette année le 12 février à Los Angeles. Les musiciens de son trio habituel, Laurent Vernerey à la contrebasse (il joue dans l’électrique “Born in 68” publié en 2014, dernier disque à ce jour de Dominique) et Francis Arnaud à la batterie (présent dans “As It Comes”, un autre disque acoustique de Dominique), se verront rejoindre sur scène par le saxophoniste Yannick Soccal le 26 et le trompettiste Sylvain Gontard le 27.

-Jeremy Pelt au Sunside le 29 et le 30 pour souffler les notes brûlantes d’un bop moderne qu’il revendique et qu’il cisèle comme un orfèvre. Véloce et inspiré, ce trompettiste est un sculpteur de sons, des sons éphémères mais porteurs de swing et de lumière. Naguère membre du Mingus Big Band, du Roy Hargrove Big Band et du Village Vanguard Orchestra, accompagnateur de Nancy Wilson et des pianistes Cedar Walton et John Hicks, cet habitué du Festival Jazz en Tête a enregistré une dizaine de disques sous son nom. Victor Gould (piano), Vicente Archer (contrebasse), Jonathan Barber (batterie) et Jacquelene Acevedo (percussions) seront avec lui sur la scène du Sunside.

-Le samedi 30, dans le cadre de l’émission Jazz sur le Vif, le Studio 104 de Radio France fêtera les 20 ans du Jazz Ensemble, formation du contrebassiste Patrice Caratini. Des variations autour de la musique de Louis Armstrong en 1998 (“Darling Nellie Gray”), des chansons de Cole Porter en 2000 (“Anything Goes”), de la musique des îles (“Chofé biguine la” en 2001 et “Latinidad” en 2009), mais aussi des programmes consacrés à André Hodeir, au tandem Miles Davis / Gil Evans (“Birth of the Cool”), à Charles Mingus (“The black Saint And The Sinner Lady”), sont quelques-unes des créations / recréations que le Jazz Ensemble nous a offert en deux décennies. Cet anniversaire, Patrice le partagera bien sûr avec les musiciens d’un orchestre qui en a vu passer beaucoup. Parmi eux, les trompettistes Claude Egea et Pierre Drevet, le tromboniste Denis Leloup, les saxophonistes Matthieu Donarier et André Villéger, les pianistes Alain Jean-Marie et Manuel Rocheman. À la batterie Thomas Grimmonprez et Sara Lazarus aura mission des parties vocales. Je ne vous donne pas le nom du contrebassiste. C’est à 20h30 le 30 septembre. En trio, Matthieu Donarier (saxophones), Manu Codjia (guitare) et Joe Quitzke (batterie) assureront la première partie de ce concert exceptionnel.

-Jazz à la Villette : www.jazzalavillette.com

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-Le Triton : www.letriton.com

-Radio France - Jazz sur le Vif : www.maisondelaradio.fr/concerts-jazz

 

Crédits photos : Gary Peacock © Caterina di Perri / ECM – Dianne Reeves © Jerris Madison – Anne Ducros & Christian Escoudé, Dino Rubino / Michel Benita / Aldo Romano, Dominique Fillon © Philippe Marchin – Yonathan Avishai Quintet © Eric Garault – Jeremy Pelt © Hans Speekenbrink – Patrice Caratini © Jean-Yves Ruszniewski – Vincent Bourgeyx © Photo X / D.R.

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31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 12:09
Repos Estival

Neuf ans déjà que le blogdechoc est opérationnel. Comme chaque été, je le mets en sommeil, le temps de prendre quelques vacances, de profiter de la mer, du ciel, des montagnes, du temps qui file et nous échappe. Moins de CD(s) dans les boîtes à lettres, de courriels dans les boîtes de réception de nos ordinateurs, on peut donc réécouter de vieux disques, lire, faire la sieste, aller au cinéma, oublier le flot furieux d’une actualité qui, le reste de l’année, galope et ne laisse aucun répit. Rendez-vous en septembre avec des chroniques de disques, de livres, des concerts qui interpellent et passez tous un bel été.

 

Photo X / D.R.

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28 juillet 2017 5 28 /07 /juillet /2017 12:37
Les liaisons dangereuses de Thelonious Monk

Des inédits de Thelonious Monk ne tombent pas du ciel tous les jours. Mais avec ce pianiste imprévisible, tout est possible. La découverte en 2005 sur un rayonnage de la Librairie du Congrès de précieux acétates faisant entendre Monk et John Coltrane en 1957 à Carnegie Hall fut un événement mémorable. Retrouver les enregistrements new-yorkais du pianiste pour le film de Roger Vadim “Les liaisons dangereuses 1960 en est assurément un autre. Le 22 avril dernier, jour du Disquaire Day, un magnifique coffret contenant deux LP et un livret richement illustré en commercialisait la musique. Une édition numérotée et limitée à 5000 copies pour le monde entier. Elle fut suivie par un double CD le 16 juin. Un vinyle contenant l’essentiel de la musique sortira le 10 octobre prochain. Né le 10 octobre 1917, Monk aurait fêté ses 100 ans.  

En 2014, Frédéric Thomas et François Lê Xuân contactaient Laurent Guenoun, dépositaire des archives de Marcel Romano (1928-2007). Pour Sam Records, sa jeune compagnie de disques, Fred recherchait des enregistrements inédits de Barney Wilen et Marcel Romano avait été son manager. Pas de Barney, mais des bandes magnétiques portant comme seule indication le nom de Thelonious Monk. Fred et François prirent donc rendez-vous pour écouter ces bandes, au mieux pensaient-ils l’enregistrement du concert que le pianiste avait donné à Pleyel en juin 1954 à l’occasion du 3ème Salon du Jazz. Un examen plus attentif des boîtes qui les contenaient révéla une découverte beaucoup plus importante, celle de l’intégralité de la musique enregistrée en 1959 par Monk aux Nola Studios de New York pour le film de Roger Vadim, “Les liaisons dangereuses 1960”.

Marcel Romano avait rencontré Monk à Paris en juin 1954. S’étant lié d’amitié avec lui, il était présent lors de l’enregistrement pour Vogue de ses premières faces en solo. Lors d’un voyage en Amérique en septembre 1957, Marcel l’avait retrouvé à New York, au Five Spot, club dans lequel Monk jouait alors avec John Coltrane. Mais ce n’est qu’un an plus tard qu’il lui parla pour la première fois d’une musique pour un film de Roger Vadim en préparation. Agent d’artistes, producteur de concerts, un temps responsable de la programmation du club Saint-Germain, Marcel Romano avait été l’instigateur de la bande-son de “L’ascenseur pour l’Echafaud” confiée à Miles Davis et de celle “Des femmes disparaissent”, film d’Edouard Molinaro, musique d’Art Blakey et de Benny Golson. Romano en avait supervisé les enregistrements à Paris et comptait bien faire de même avec Monk. Avec l’aide d’Harry Colomby, le manageur du pianiste, il tenta vainement de lui organiser une tournée européenne en avril 1959. Dépressif – la police lui avait retiré la carte qui lui permettait de jouer dans des clubs et une tournée avec grand orchestre avait été annulée –, Monk qui venait de passer une semaine au Grafton State Hospital, un hôpital psychiatrique, en était incapable.  

 

Roger Vadim qui avait achevé le tournage de son film – dans les studios de Boulogne-Billancourt, à Megève et à Deauville entre le 23 février et le 30 avril 1959 – souhaitait impérativement monter de la musique sur ses images avant le 31 juillet. Pour convaincre Monk de lui en fournir, il comptait sur Marcel Romano. Ce dernier venait de réunir en studio à Paris Barney Wilen, Kenny Dorham, Duke Jordan, Paul Rovère et Kenny Clarke pour la musique d’“Un témoin dans la ville”, un autre film de Molinaro. Vadim en profita pour les filmer en train de jouer, les mélangeant aux acteurs dans une scène qu’il conserva au montage.

Marcel Romano arriva à New-York à la fin du mois de juin. Non sans avoir demandé par précaution au pianiste Duke Jordan d’écrire de la musique pour “Les liaisons”. Rechignant à signer le moindre contrat, Monk fut difficile à convaincre. Il accepta finalement le 26 juillet après avoir visionné une copie de travail du film. Le studio était réservé pour le lendemain. N’ayant aucun nouveau morceau à proposer, il joua six de ses compositions habituelles, une improvisation autour d’un blues (Six in One), et By and By (We’ll Understand It Better By and By), un gospel de Charles Albert Tindley qui illustre les retrouvailles de Valmont (Gérard Philippe) et de Marianne (Annette Stroyberg) dans une petite chapelle savoyarde. Seules une trentaine de minutes de la musique enregistrée ce jour là seront utilisées dans le film, souvent derrière les dialogues. Nous avons des photos de la séance. Monk y porte un étonnant chapeau chinois en paille. Les deux jours suivants (28 et 29 juillet), avec Barney Wilen au saxophone ténor, Art Blakey et ses Jazz Messengers enregistraient la musique de Duke Jordan. Vadim l’intégra dans son film, accordant à Monk la primauté au générique, Crepuscule With Nellie joué en solo en constituant la musique.

Le film ne la met toutefois guère en valeur. Monk enregistra ses morceaux sans tenir compte de la durée des scènes, du script détaillé que Marcel Romano lui avait remis. De ses musiques n’ont été conservés que des fragments servant de fonds sonores. Les bandes originales de la séance sont pourtant d’une qualité exceptionnelle. Ayant dissout ses Jazz Modes, Charlie Rouse a rejoint Monk peu de temps auparavant et s’ils ont l’habitude de jouer ensemble,  Sam Jones à la contrebasse et Art Taylor à batterie n’accompagnent Monk que depuis quelques mois. Le Making-of de Light Blue (14 minutes) fait d’ailleurs entendre une conversation entre Monk et Taylor, le pianiste lui expliquant tant bien que mal comment il doit jouer le morceau, un blues dans la veine de Functional. Présent à la séance, Barney Wilen y observe une certaine discrétion. Il dialogue avec Rouse dans Rhythm-a-Ning, morceau enlevé que le pianiste, espiègle et très en doigts, enregistra une première fois en 1957 avec Art Blakey et ses Jazz Messengers. On entend également Barney dans Crepuscule With Nellie que Monk avait écrit pour sa femme hospitalisée, une ballade contenue dans l’album “Monk’s Music”. Les deux saxophones ténor reprennent le thème à l’unisson. Monk l’introduit en solo puis le développe, la contrebasse seule fournissant l’accompagnement rythmique à ses exquises dissonances.

Dans les “Liaisons”, le populaire Well, You Needn’t est utilisé en fond sonore pendant la réception que donnent les Valmont au début du film. Monk l’enregistra à plusieurs reprises et la première fois pour Blue Note en 1947. Le jeu tendu, voire agressif de Charlie Rouse se pare de lyrisme et Monk, qui décidemment ne joue pas comme les autres, y est magistral. Plusieurs prises de Pannonica nous sont également donnés à entendre – en solo et en quartette. Dédiée à la baronne Nica de Koenigswarter, Monk le composa chez elle en septembre 1956 et l’enregistra un mois plus tard. Sa version en quartette accompagne les images de la première rencontre entre Valmont et la jeune Marianne Tourvel qu’il va tout faire pour séduire. Dans la version que l’on trouve dans “Brillant Corner’s”, Monk double le piano au célesta. Le disque contient également Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are, un blues présentant une série d’accords peu conventionnels qui porte le nom d’un hôtel, le Bolivar, que la Baronne fréquentait. Le chorus que prend Barney Wilen se fond parfaitement dans l’univers du pianiste qui aujourd’hui encore fascine le monde du jazz.

Thelonious MONK : “Les liaisons dangereuses 1960” - en coffrets de 2 LP ou de 2 CD (Sam Records - Saga / Pias)   

 

 

Réunissant Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Annette Stroyberg, Jean-Louis Trintignant, Jeanne Valérie et Boris Vian, une copie passable des “Liaisons dangereuses” est disponible dans la collection René Chateau Vidéo.

 

Photos Courtesy of Arnaud Boubet

Collection privée. 

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21 juillet 2017 5 21 /07 /juillet /2017 09:17
Modern Jazz

Trois disques récemment parus méritent des chroniques. Confiés à de jeunes musiciens afro-américains, les deux premiers font entendre un jazz moderne et inventif qui garde ses racines en mémoire. Le pianiste Gerald Clayton et le trompettiste Ambrose Akinmusire ont d’ailleurs travaillé ensemble. Ce dernier joue dans “Life Forum”, le précédent disque de Clayton. Réunissant un casting de haut vol, “The Passion of Charlie Parker” est un hommage décalé au génial saxophoniste. Au saxophone ténor, Danny McCaslin s’y montre éblouissant.

Ambrose AKINMUSIRE : “A Rift in Decorum” (Blue Note / Universal)

Il est de ceux qui font bouger les choses, prennent des risques, surtout en concert, la scène étant pour Ambrose Akinmusire un laboratoire dans lequel se crée un autre jazz en devenir. Publié en 2014, “The Imagined Savior Is Far Easier to Paint”, son album précédent, était beaucoup plus orchestré et produit. Ici plus de quatuor à cordes ni de musiciens invités. Sur la scène du Village Vanguard, le trompettiste s’exprime et innove en quartette, toujours avec Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la batterie. Particulièrement inventive, sa section rythmique n’hésite pas à oublier les barres de mesure et à jongler avec d’improbables métriques. Portée par le jeu foisonnant de Brown qui fouette et martèle cymbales et tambours, la musique s’organise collectivement au fur et à mesure qu’elle se déroule. Harris cultive souvent les dissonances mais peut tout aussi bien suivre les contre-chants de la trompette ou accompagner cette dernière dans l’exposé de thèmes très lents d’une grande pudeur et beauté mélodique. Dans Moment in Between the Rest, presque un lamento, la trompette semble pleurer, ses effets de growl, ses brusques attaques dans le registre aigu de l’instrument exprimant ses sanglots. Elle fait de même dans A Song to Exale to (Diver Song), une tendre et délicate mélodie longuement introduite par le piano et la contrebasse jouée à l’archet. Largement improvisés, tous ces morceaux reposent sur des tempos fluctuants. Les notes y coulent plus ou moins vite selon l’humeur du trompettiste qui occupe beaucoup l’espace et n’hésite pas à jouer des lignes mélodiques inattendues, partageant avec les siens une musique labyrinthique constamment in progress.

Gerald CLAYTON : “Tributary Tales” (Motéma / Pias)

Lui aussi innove, propose un autre jazz en phase avec son canal historique, sa tradition afro-américaine. Justin Brown qui est aussi le batteur de son trio lui apporte les métriques impaires et sophistiquées qui conviennent aux harmonies chatoyantes de son piano. Gerald Clayton aime aussi explorer de nouveaux territoires. Le drumming inhabituel de Brown et la contrebasse pneumatique de Joe Sanders constituent la trame rythmique idéale de son jazz moderne. Avec eux, d’autres musiciens de “Life Forum”, l’album précédent du pianiste. On retrouve ainsi les saxophonistes Logan Richardson (à l’alto) et Dayna Stephens (au baryton dans un seul morceau). Ben Wendel, le saxophoniste de Kneebody, est au ténor et au basson en deux occasions. Sachal Vasandani et le poète Carl Hancock Rux assurent respectivement vocalises (Squinted) et narration, l’album restant toutefois très largement instrumental. Gerald Clayton soigne l’orchestration de sa musique, sa mise en couleurs. Les saxophones s’en chargent, partageant avec lui les thèmes, apportant des contre-chants à un piano qui adopte une certaine discrétion. Bien que s’offrant une courte pièce en solo (Reflect On), l’instrument se fond souvent dans la masse orchestrale pour se mettre à son service. Mêlant souvent leurs timbres à l’unisson, les anches donnent aussi à la musique une certaine âpreté. Logan Richardson possède une sonorité rugueuse et agressive et ses improvisations libres heurtent parfois l’oreille. Clayton y remédie par des chorus fluides, un lyrisme qui équilibre la musique. Son piano dans Dimensions : Interwoven, un poème que récitent Aja Monet et Carl Hancock Rux, est tout simplement magnifique.

“The Passion of Charlie Parker” (Impulse ! / Universal)

Produit par Larry Klein, cet hommage réussi à Charlie Parker (1920-1955) a le mérite d’actualiser l’œuvre du saxophoniste, les musiciens réunis ici ayant essayé d’imaginer la musique que jouerait Parker s’il était encore de ce monde. Conçu comme une pièce de théâtre musicale, il retrace quelques épisodes de sa vie, de ses débuts à Kansas City à New York, ville dans laquelle se forgea sa légende. Écrits par David Baerwald, les textes « langage joycien au sein duquel la métaphore règne en maître » ont été confiés à Madeleine Peyrou, Melody Gardot, Luciana Souza, Kurt Elling et Gregory Porter, chanteuses et chanteurs avec lesquels Klein a précédemment travaillé. Kandace Springs, nouvelle coqueluche des disques Blue Note, la jeune française Camille Bertault, étonnante dans son adaptation vocale d’Au Privave dont elle a également écrit les paroles, et Barbara Hannigan que les amateurs de musique contemporaine connaissent bien complètent ce casting de stars. Tous interprètent des personnages associés à Parker, l’acteur de cinéma et de théâtre Jeffrey Wright prêtant sa voix à ce dernier. So Long (une adaptation de K.C. Blues) et Fifty Dollars (aka Segments) sont particulièrement réussis. Ils contiennent de passionnants développements instrumentaux, ces derniers équilibrants les parties vocales de l’album. Très convainquant au saxophone ténor, Donny McCaslin ne cherche jamais à imiter Parker mais étonne par la modernité de son phrasé, le lyrique de ses nombreuses interventions. Il retrouve ici le guitariste Ben Monder et le batteur Mark Giuliana, qui ont participé avec lui à l’enregistrement de “Blackstar”, le dernier David Bowie. Craig Taborn aux claviers, les bassistes Scott Colley et Larry Granadier et le batteur Eric Harland s’ajoutent à cette exceptionnelle réunion de grands musiciens.

 

Photo (Gerald Clayton) © Keith Major  

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7 juillet 2017 5 07 /07 /juillet /2017 15:46
Adieu l'ami

Impitoyable faucheuse ! Après Philippe Adler et tant d’autres cette année, c’est Christian Bonnet qui s’en va là-haut retrouver nos chers et regrettés disparus. Claude Carrière me le présenta au début des années 90. Je préparais alors pour la Fnac Music la réédition des principaux enregistrements que John Hammond avait produit pour le label Vanguard. Né en 1945, Christian connaissait beaucoup mieux que moi ces disques historiques. Certaines faces de Jimmy Rushing comptaient beaucoup pour lui. Il les avait écoutées très jeune et en conservait pieusement le souvenir. Il travaillait place de l’Alma dans une agence de la Société Générale et c’est dans un restaurant proche de son bureau qu’il me remit des photocopies de toutes les pages concernant les années Vanguard du producteur, soit le 39ème chapitre de ses mémoires, “John Hammond On Record”, livre qui était alors difficile à trouver.

 

La rédaction de “Passeport pour le jazz” que j’écrivis un peu plus tard avec Philippe Adler fut une autre occasion de lui demander conseil. J’avais besoin de renseignements sur les grands orchestres de la « swing era » et il était parfaitement apte à me les fournir. Directeur de la collection Masters of Jazz, il rééditait depuis 1991 l’œuvre complète des grands de l’histoire du jazz. Une activité qu’il poursuivit avec BD Jazz puis avec la collection Cabu, ce dernier dessinant les pochettes. Saxophoniste, il joua pendant quarante ans dans les rangs du Swing Limited Corporation Big Band (SLC), orchestre dont Patrice Caratini fut un temps le bassiste. Ces dernières années, il possédait sa propre formation, le Black Label Swingtet pour laquelle il écrivait la plupart des arrangements. Membre de l’Académie du Jazz depuis 2009, il en devint le trésorier après la disparition de Jacques Bisceglia en 2013, réclamant patiemment aux retardataires leurs cotisations, s’occupant activement de cette institution.

 

D’humeur égale, Christian Bonnet ne se mettait jamais en colère. Diplomate, il ménageait les susceptibilités. Nos désaccords sur le jazz moderne, nos discussions passionnées sur la musique ne dégénéraient jamais en affrontements. Scrupuleusement honnête, il écoutait sur Deezer tous les disques appelés à concourir à l’Académie du Jazz. Nous avions depuis longtemps l’habitude de déjeuner ensemble tous les vendredi au Mékong près des arènes de Lutèce avec Francis Capeau, Philippe Etheldrède et Xavier « big ears » Felgeyrolles. Rejoint par Claude Carrière et occasionnellement par Philippe Coutant, notre petit groupe émigra au Petit Saigon, restaurant de la rue des Carmes que nous fit connaître Gilles Coquempot, présent lui aussi à nos agapes jazzistiques.

 

Très impliqué dans la bonne marche de la Maison du Duke, association qu’il présidait et dont il était également le trésorier, Christian Bonnet avait récemment contribué à rendre intelligible le message ducal en supervisant la traduction de “Music is my Mistress”, les mémoires de Duke Ellington. Opiniâtre, il était parvenu à les faire éditer en France, 43 ans après leur publication en Amérique. Sa disparition inattendue est douloureuse. Il laisse une veuve, deux fils et un grand vide. Je le vois encore à mon domicile où se réunissait souvent le Bureau de l’Académie, assis sur le fauteuil le plus solide dont je disposais car il était grand et possédait un physique athlétique comme le montre cette photo. Comment imaginer qu’il ne sera plus jamais avec nous lors de ces réunions conviviales qu’il ne manqua qu’une seule fois, la dernière, déjà appelé ailleurs, en une terra incognita dont personne n’est encore revenu.

 

Outre le décès à l’âge de 60 ans de Geri Allen, grande pianiste souvent présente dans ce blog – son disque “Flying Toward the Sound” (Motéma) fut un de mes 13 Chocs de 2010 –, j’apprends la disparition d’Alain Tercinet. Membre de l’Académie du Jazz, rédacteur et maquettiste de Jazz Hot pendant de longues années, collaborateur de Jazzman, Alain est l’auteur de plusieurs livres et de biographies remarquables – “Be-bop”, “Parker’s Mood”, “Stan Getz”. Sa contribution la plus importante à l’histoire du jazz reste son fameux “West Coast Jazz”, bible de tous les amateurs de jazz californien rééditée aux Éditions Parenthèses en 2015 dans une version modifiée et complétée. Alain signa également les notes de livret de la collection Jazz in Paris qu’Universal inaugura à l’automne 2000 et qui compte aujourd’hui plus de 130 références.

 

Comme chaque année, ce blog sera prochainement mis en sommeil jusqu’aux premiers jours de septembre. Vous en serez bien sûr avertis.          

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Originaire de Wilmington (Delaware) et depuis longtemps installée à Paris, Sarah Lazarus donne peu de concerts, enregistre parcimonieusement mais n’en est pas moins une grande chanteuse de jazz, une des meilleures. Pour vous en convaincre, écoutez “Short Trip, le dernier album du pianiste Vincent Bourgeyx. Les deux standards qui lui sont confiés comptent parmi les grands moments de ce très bel opus. I’ve Grown Accustomed To His Face a même rarement été aussi bien chanté. Le Sunside l’accueille le 8 juillet dans le cadre de la 26ème édition de l’American Jazz Festiv’Halles. Avec elle, Alain Jean-Marie au piano, Gilles Naturel à la contrebasse et Andréa Michelutti à la batterie. Personne ne s’en plaindra.

-Naguère batteur des groupes Weather Report et Steps Ahead, Peter Erskine a toujours recherché les aventures musicales. Ses quatre albums en trio pour ECM avec John Taylor et Palle Danielsson, ses deux opus avec Nguyên Lê et Michel Benita pour ACT et “Sweet Soul enregistré avec Joe Lovano, Kenny Werner et Marc Johnson sont de grandes réussites. Flirtant à nouveau avec la fusion, Erskine sera au Sunside le 11 avec The Dr. Um Band, formation avec laquelle il a enregistré deux albums. Le plus récent, “Second Opinion (Fuzzy Music), réunit Bob Sheppard (saxophone ténor), John Beasley (claviers) et Benjamin Sheperd (basses). Le batteur a fait le voyage avec eux. Ne manquez pas cette occasion inespérée de découvrir leur musique en concert.

-Laurent de Wilde et Ray Lema au Parc Floral de Vincennes (Espace Delta, 16h00) le 15 dans le cadre du Paris Jazz Festival. Se connaissant depuis longtemps, ils avaient toujours souhaité enregistrer ensemble. Ils l’ont fait l’an dernier, avec “Riddles” (Gazebo), duo de pianos dont la musique dansante associe avec bonheur rythmes et mélodies colorées. Le blues rencontre une mélodie traditionnelle du Sahel, une comptine se superpose à un ragtime de la Nouvelle Orléans. Le tango y croise le reggae. Dans cette invitation au voyage, l’Afrique y reste bien présente. Les cordes de son piano parfois enduites de Patafix, Laurent fait parfois sonner l’instrument comme un balafon. Loin d’un déluge de notes, la musique évite tout bavardage inutile et en sort constamment inventive.

-Le pianiste Joey Alexander au New Morning le 18 dans le cadre de son Festival All Stars. Né à Bali, ce jeune prodige de 14 ans a déjà enregistré deux albums sous son nom. Le premier contient une version époustouflante de Giant Steps. Beaucoup plus conséquent, “Countdown le second impressionne davantage. Émouvant dans ses ballades, éblouissant sur tempo rapide, l’adolescent possède une technique phénoménale et une vraie culture jazzistique. Les nombreux concerts qu’il donne à travers le monde lui ont permis de grandir, d’acquérir de l’assurance. On constatera les progrès accomplis en allant l’écouter rue des Petites-Écuries avec les musiciens de son trio, Alex Claffy à la contrebasse et Willie Jones III à la batterie.

-Buster Williams au Duc des Lombards le 19 et le 20 avec les musiciens de son quartette : Steve Wilson (saxophones), Georges Colligan (piano) et Kush Abadey (batterie). Né en 1942 dans le New Jersey, il reste l’un des grands bassistes de sa génération. Naguère membre des Jazz Crusaders et de la formation électrique d’Herbie Hancock (celle qui enregistra les sommets du genre que sont “Mwandishi”, “Crossings” et “Sextant”), il a joué avec les plus grands. Il possède une sonorité bien reconnaissable, tire de belles harmoniques de son instrument, la souplesse de son jeu de walking bass apportant une parfaite assise rythmique à la musique qu’il interprète.

-Le Gil Evans Paris Workshop au Sunside le 27. Les lecteurs de ce blog n’ignorent pas que Laurent Cugny a constitué il y a trois ans un nouvel orchestre de jeunes musiciens pour jouer la musique de Gil Evans et ses propres arrangements. Après une série de concert dans différents clubs de la capitale, la formation a fait paraître cette année un premier disque, deux CD(s) consacrés à des reprises de morceaux que Laurent affectionne (Lilia de Milton Nascimento), à des compositions d’Evans (Time of the Barracudas) ou à des arrangements de ce dernier, tel Spoonful du bluesman Willie Dixon qui donne son nom à ce premier double album. Un grand espace de liberté est laissé aux solistes – Antonin-Tri Hoang (saxophone alto), Martin Guerpin (saxophones soprano et ténor), Adrien Sanchez (saxophone ténor), Quentin Ghomari (trompette), Bastien Ballaz (trombone) pour n’en citer que quelques-uns – pour faire vivre et revivre une musique subtilement modernisée.  

-René Marie également le 27 le Duc des Lombards – deux concerts 19h30 et 21h30, ce qui permet aussi de se rendre au Sunside. Avec elle, les musiciens de son Experiment in Truth Band John Chin (piano), Elias Bailey (contrebasse) et Quentin Baxter (batterie) – qui l’accompagnent dans “Sound of Red”, son dernier album, un opus largement autobiographique dont elle a écrit toutes les chansons. C’est le meilleur disque de jazz vocal de l’an dernier. Éclectique, il s’ouvre à d’autres musiques, les racines musicales de la chanteuse la portant vers la soul, le blues, le gospel et le folk. Né à Séoul et excellent pianiste, John Chin assure offre à sa voix chaude et sensuelle de superbes harmonies. Très à l’aise sur une scène, René Marie, grande chanteuse de la grande Amérique subjugue et impressionne. Laissez-vous donc séduire.

-Le quatuor à cordes Supplément d’âme au Parc Floral de Vincennes (Espace Delta, 16h00) le 30. Il réunit depuis 2011 sous la houlette de Jean-Philippe Viret (contrebasse), Sébastien Surel (violon), David Gaillard (alto) et Éric-Maria Couturier (violoncelle). Au programme, de larges extraits de leur nouveau disque, “Les idées heureuses”, qui tourne autour de la musique de François Couperin. Car si certains morceaux s’inspirent de quelques-unes des pièces pour clavecin de Couperin, les autres sont des compositions personnelles aux mélodies séduisantes. Confiées à un quatuor à cordes dont le second violon est remplacé par une contrebasse, ce jazz de chambre mâtiné de musique baroque tient ses bienheureuses promesses.

-XIIème édition du festival Pianissimo en août au Sunside. Quelques concerts à ne pas manquer : Pierre de Bethmann et son trio le 8 avec Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie) – Alain Jean-Marie et son Be Bop Trio le 17 et le 18 avec Philippe Aerts (contrebasse) et Lukmil Perez (batterie) – Fred Nardin et Jon Boutellier le 23 avec Patrick Maradan (contrebasse) et Romain Sarron (batterie) – René Urtreger en trio le 25 et le 26 avec Yves Torchinsky (contrebasse) et Eric Dervieu (batterie) – Tony Paeleman en quartette le 29 avec Julien Pontvianne (saxophone ténor), Nicolas Moreaux (contrebasse et Karl Jannuska (batterie) – Edouard Ferlet “Think Bach Opus 2” le 30.

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-Paris Jazz Festival : www.parisjazzfestival.fr

-New Morning : www.newmorning.com

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

 

Crédits Photos : Christian Bonnet © Pierre de Chocqueuse – Le Bureau de l'Académie du Jazz en janvier 2017 © Bénédicte de Chocqueuse – Sarah Lazarus © Olivier Humeau – Ray Lema & Laurent de Wilde © Jean-Baptiste Millot – Buster Williams © R. Cifarelli / Phocus – Jean-Philippe Viret  © Philippe Marchin – Pierre de Bethmann, Sylvain Romano, Tony Rabeson © Christophe Charpenel – Joey Alexander, Gil Evans Paris Workshop, René Marie © Photo X/D.R.

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27 juin 2017 2 27 /06 /juin /2017 09:15
Jean-Philippe VIRET : “Les idées heureuses” (Mélisse / Outhere Music)

« J’aime la musique de François Couperin (…), une profondeur mélodique, souvent introspective, nous attire dans une rêverie sinueuse d’où émergent des sentiments du quotidien, à la fois simples, gais, drôles et nostalgiques » nous confie le contrebassiste Jean-Philippe Viret dans le livret de son nouvel album, “Les idées heureuses”, qu’il a enregistré avec Sébastien Surel (violon), David Gaillard (alto) et Éric-Maria Couturier (violoncelle), quatuor à cordes à l’instrumentation inhabituelle. Jugée peu apte à être utilisée comme instrument soliste, la contrebasse s’en était vue écartée au XVIIIe au profit d’un second violon. Viret avait depuis longtemps l’idée de remplacer ce dernier par son propre instrument. Il le fit en 2011, la musique acquérant ainsi une plus large tessiture, une richesse de timbres inédite. Le premier disque du quatuor, “Supplément d’âme”, vit le jour l‘année suivante. S’il contient une pièce de Couperin, Les Barricades mystérieuses composée en 1717 pour le clavecin, la musique de l’organiste de la Chapelle royale est bien plus présente dans “Les idées heureuses”.

Autour de François Couperin, son sous-titre, est des plus explicite. Autour, car s’il ne contient qu’une seule composition de Couperin, La muse plantine, jouée à peu près à la lettre – à peu près, car les instruments semblent parfois grimacer et gémir –, l’album contient trois autres morceaux directement inspirés par trois de ses nombreuses pièces pour clavecin. Quatre livres qu’il divisa en vingt-sept ordres, des œuvres au sein desquelles la poésie est favorisée au détriment de la virtuosité et qui portent souvent des noms humoristiques, tel que Le dodo ou l’amour au berceau repris librement ici. Cinq compositions personnelles de Jean-Philippe Viret, reflet de sa propre vision du compositeur – L’idée qu’on s’en fait –, complètent le disque, l’écriture plus contemporaine de Peine Perdue, précédemment enregistré en 2008 par le trio du contrebassiste (Edouard Ferlet et Fabrice Moreau), plaçant ce morceau à part. Malgré la présence de la contrebasse, la sonorité de ces pièces reste bien celle d’un quatuor à cordes « classique ». Au sein d’une musique écrite, s’insèrent de nombreuses parties improvisées, discours audacieux d’une spontanéité toute naturelle autour de mélodies séduisantes.  

 

Rendue intemporelle par un travail sur la forme, un subtil mélange de timbres et de textures, la musique voyage sans problème dans le temps, le remonte – En un mot commençant relève davantage de Schubert que de Couperin – pour fondre son aspect baroque dans le jazz, voire le tango de notre siècle. La seconde partie de Docile n’évoque-t-elle pas certaines milongas d’Astor Piazzolla ? Comme François Couperin qui s’était écarté des structures musicales trop rigides de son époque, Viret et ses complices s’affranchissent des codes et affirment la modernité de leur musique. Modernité de Jour après jour introduit par un stupéfiant solo de contrebasse, de Docile, éloge de la lenteur dans lequel les instruments semblent ralentir le temps, grincements des archets et pizzicatos de cordes espiègles de L’an tendre… Écriture et improvisation, jazz de chambre et musique baroque subtilement entremêlés, cette musique heureuse, Luc Lang, Prix Goncourt des Lycéens en 1998 pour “Mille six cents ventres” et auteur avec Viret des notes du livret de ce disque, l’un des plus attachants de l’année, trouve « des mots qui dansent avec elle » pour la décrire.

 

-Concert le 30 juillet dans le Parc Floral de Vincennes (Espace Delta, 16h00) dans le cadre du Paris Jazz Festival.

 

Photos © Grégoire Alexandre

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19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 09:21
Bill FRISELL - Thomas MORGAN : “Small Town” (ECM / Universal)

Avec “Small Town” enregistré en public au Village Vanguard, Bill Frisell retrouve ECM, label qui lui fit faire ses premiers disques. Nous sommes en 1981 et Paul Motian qui en a déjà gravé plusieurs pour la firme munichoise l’appelle à ses côtés pour l’enregistrement de “Psalm”. L’année suivante, le guitariste publie sous son nom “In Line”, premier opus d’une discographie devenue conséquente. À partir de 1988, il enregistre pour le label Elektra Nonesuch et signe quelques-unes de ses plus belles réussites : “This Land” hommage aux musiques qui marquèrent son adolescence, jazz blues, country, et qui relève d'une écriture typiquement américaine ; “Blues Dream” ou le blues tel que le rêve Bill Frisell, un blues qui intègre hymnes et fanfares et emprunte à la musique country sa pedal steel guitar.

En tant que sideman, le guitariste n’a pourtant jamais cessé de participer à des séances pour ECM. Outre de nombreuses sessions avec Paul Motian et sa participation au groupe Bass Desires de Marc Johnson, il se fait remarquer dans des albums de Paul Bley, Jan Garbarek, Eberhard Weber, Kenny Wheeler et récemment dans “The Declaration of Musical Independence” d’Andrew Cyrille, batteur souvent associé à la New Thing dont les préoccupations esthétiques ne sont pourtant pas celles du guitariste. Il y joue trois de ses compositions dont Song for Andrew n°1 que l’on retrouve dans “Small Town”, un duo guitare / contrebasse, l’instrument se voyant confié à Thomas Morgan que le batteur Joey Baron lui à présenté dans les années 90. Frisell apprécie sa façon naturelle de s’exprimer de « se projeter un peu en amont de la musique avant de jouer une note », d’anticiper les siennes. « Il ne joue jamais rien qui ne soit une réponse à ce que j’ai joué précédemment ce qui a le pouvoir de me rendre léger, comme si je pouvais vraiment décoller » confie volontiers le guitariste.  

 

Très demandé en studio – Tomasz Stanko, Giovanni Guidi, Masabumi Kikuchi, David Virelles et Jacob Bro, ont enregistré avec lui  – Thomas Morgan, né en 1981, a participé avec Frisell à la dernière séance de Paul Motian. Reprenant son It Should’ve Happened a Long Time Ago, une composition « faussement simple, mais porteuse d’une atmosphère au sein de laquelle on se déplace en toute liberté », les deux hommes lui rendent ici hommage. Écrite par Motian, elle donne son nom à un disque en trio de 1984 au sein duquel Bill Frisell et Joe Lovano accompagnent le batteur aujourd’hui disparu. Plus longue, la nouvelle version est surtout beaucoup plus contemplative. Les deux hommes espacent leurs notes, en jouent peu. Comme toujours, Frisell soigne sa sonorité, dispose dans l’espace des sons aériens dont il contrôle et dose le volume et la résonnance, créant ainsi un univers profondément poétique au sein duquel mélodie et improvisation s’imbriquent au point de se confondre.

Ce soir là, Lee Konitz est dans la salle. Subconscious-Lee est un coup de chapeau impromptu adressé au saxophoniste qui le composa en 1949. Morgan accompagne les notes sinueuses de ce classique du bop que joue parfaitement le guitariste puis prend l’initiative. Si Jim Hall reste sa principale influence, Bill Frisell passa une partie de sa jeunesse à Denver dans le Colorado, s’imprégnant de folk et de country music. Wildwood Flower, un des grands succès de la Carter Family fait donc partie de ses racines. Small Town est dédié à Maybelle Carter dont le jeu de guitare novateur influença le sien – le pouce assure la mélodie sur les cordes basses et les autres doigts la rythmique, mélodie et rythme étant ainsi joués simultanément. L’Amérique de Frisell c’est aussi le rock’n’roll de Fats Domino. Co-signé avec son complice Dave Bartholomew, What a Party est un classique du chanteur. Sa partie vocale se confond ici avec une ligne rythmique très souple, dont les notes espacées aèrent beaucoup la musique. Poet - Pearl est une ancienne composition de Morgan que Frisell introduit par des harmoniques. La contrebasse tisse un subtil contrepoint mélodique derrière la guitare qui en fait délicatement chanter le thème. Magnifiquement ré-harmonisée par nos deux complices, sa célèbre mélodie naguère chantée par Shirley Bassey convenant très bien à un traitement instrumental, Goldfinger, que John Barry très inspiré composa dans les années 60, referme un disque d’une grande richesse inventive.

 

Photos : (N&B) © John Rogers / ECM Records - (couleurs) © Lynne Harty / ECM Records

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9 juin 2017 5 09 /06 /juin /2017 09:55
Yves ROUSSEAU / Christophe MARGUET Quintet : “Spirit Dance” (Cristal Records / Pias)

Depuis quinze ans batteur du quartette d’Yves Rousseau, contrebassiste et auteur de nombreux projets éclectiques, Christophe Marguet s’est beaucoup impliqué dans ce disque, le premier qu’ils codirigent ensemble, le premier enregistré avec une nouvelle formation dont les intervenants nous sont familiers : Fabrice Martinez à la trompette et au bugle, David Chevallier à la guitare, Bruno Ruder au piano et aux claviers. Rousseau et Marguet ont chacun composé six morceaux, de beaux thèmes soigneusement orchestrés mais surtout plus imprégnés de jazz que le répertoire de leur quatre albums précédents.

Un jazz relevant de la fusion lorsque les instruments se nappent de couleurs électriques ou arborent celles du rock. The Cat s’y rattache, la trompette répondant au grondement des instruments, à la guitare très présente de David Chevallier. Marcheur et Day Off doivent beaucoup à ses sonorités, à ses pédales d’effets. Auteur d’un chorus pour le moins agressif dans le sur-vitaminé Charlie Haden, morceau qui évoque la période fusion de Miles Davis, Chevallier donne à la musique son aspect énergique, mais aussi une texture, une épaisseur sonore qui contribue à sa richesse.

 

Mais “Spirit Dance” est aussi un opus profondément lyrique. Construit autour d’un lent ostinato rythmique et introduit par un court et judicieux solo de batterie, le seul de l’album, Fruit frais (on y croquerait !) favorise les échanges entre les instruments. Un peu triste dans Funambulo, la trompette se fait plus mélancolique encore dans Pénombre. On entre de plein pied dans le pays des songes avec Bleu Nuit et son thème envoûtant. Il contient un savant chorus de contrebasse, un des seuls qu’Yves Rousseau s’autorise avec l’introduction de Light and Shadow qu’il partage avec Bruno Ruder. Ce dernier y brille au piano acoustique, comme dans Spirit Dance, une joyeuse ritournelle dont il parvient à s’éloigner de la structure mélodique, à la faire exploser. Fabrice Martinez y est pour quelque chose. Tantôt agressive, tantôt lyrique, sa trompette souffle le chaud et le froid et unit les contraires. Lyrisme et énergie font bon ménage dans ses improvisations. Lisible et diversifié, le discours musical y gagne assurément.

 

La pochette de l’album, une photo de Jeff Humber intrigue et interpelle. Choisie par Yves Rousseau et Christophe Marguet, elle évoque bien les deux aspects complémentaires de leur musique, la puissance et la grâce. Le comédien et chanteur Olivier Martin-Salvan (120 kilos) porte sur ses épaules la danseuse et chorégraphe japonaise Kaori Ito (40 kilos). Ils s’opposent et s’affrontent mais dansent parfaitement ensemble. Leur spectacle s’intitule “Religieuse à la fraise”.

 

Yves Rousseau & Christophe Marguet © Photo X/D.R.  

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