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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 10:19
Alexis Valet © Audrey Radas -

Alexis Valet © Audrey Radas -

Que de disques depuis septembre ! S’ils se bousculent dans mon lecteur de CD, certains accrochent davantage l’oreille, interpellent plus que d’autres. Intrigué, on  revient sur un album, on prend le temps d’une seconde, voire d’une troisième écoute pour pleinement l’apprécier. Il révèle alors ses couleurs, ses harmonies, la richesse de ses rythmes, la beauté de ses arrangements. Deux des sept disques dont vous trouverez ici les chroniques ont été enregistrés par des vibraphonistes. L’instrument s’impose aujourd’hui sous les mailloches d’une nouvelle génération de musiciens. Le batteur Jorge Rossy l’a adopté. Les américains Joel Ross et Peter Schlamb, le pratiquent, de même que les français Simon Moullier et Alexis Valet ici même en photo(s). Au sein de cette sélection d’albums récents, “Back to the Moon” de Thomas de Pourquery date de septembre mais j’ai tardivement découvert sa musique : du jazz, de la pop, un amalgame de genres et d’influences dans un réjouissant disque concept tel qu’il en sortait dans les années 60 et 70.

Producteur aux grandes oreilles, Jean-jacques Pussiau me fit écouter les premiers disques en solo du pianiste suisse René Bottlang rue Liancourt, “In Front” puis “At the Movies” qui sortirent sur Owl Records au début des années 80. En 2003, Jean-Paul Ricard de l’ajmi me fit parvenir “Solongo”, également en solo, enregistré après un séjour de deux ans en Mongolie au cours duquel René rencontra Solongo son épouse dont il nous conte aujourd’hui les rêves. Solongo Dreams est en effet la plage d’ouverture de “Buenos Aires”, qui paraît aujourd’hui sur Meta Records, un album solo enregistré en 2015 à Buenos Aires lors d’un périple d’un mois en Argentine. Car bien qu’habitant depuis 1978 dans le sud de la France, René Bottlang continue de voyager, d’y ramener des souvenirs, de courtes histoires musicales dont on suit pas à pas le libre et passionnant cheminement harmonique. Le pianiste nous décrit des visages, des paysages, des sensations. Il le fait en poète, avec délicatesse et pudeur. Une bonne moitié des morceaux sont des impromptus. Impossible de se rendre compte de ce qui est improvisé de ce qui ne l’est pas, mais la musique, douce et belle, à la croisée du classique et du jazz, ne se réfère nullement au folklore argentin. Blowing in the Wind de Bob Dylan et Nostalgia in Times Square de Charles Mingus complètent ce disque très attachant.

Bill Carrothers joue certes du piano dans les disques de Peg, son épouse et dans “La musique d’Alan” (Vision Fugitive), bande-son de 2019 dessinée par Emmanuel Guibert, mais ses propres disques se font rares. Bill quitte rarement la petite ville du Michigan qu’il habite et que la neige recouvre les mois d’hiver. La sortie de “Firebirds” (La Buissonne) est donc inattendue. Le pianiste y rencontre Vincent Courtois dont le violoncelle fait merveille au sein du trio qu’il partage avec les saxophonistes Daniel Erdmann et Robin Fincker. Leur ingénieur du son, Gérard de Haro, connaît tout aussi bien Bill Carrothers et a eu la bonne idée de réunir ces deux grands musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble. “Firebirds” rassemble compositions originales et standards. Deux versions fort différentes d’Aqua y Vinho, un thème d’Egberto Gismonti, l’ouvrent et le referment. Dans la première, le pied enfoncé sur la pédale centrale de son piano, Bill étouffe volontairement ses accords alors que le violoncelle strie l’espace, semble l’ouvrir à grands coups d’archets. Invité sur deux plages, le saxophoniste Éric Seva enrichit Isfahan de Duke Ellington d’un beau chorus de baryton. Introduit en pizzicato par Vincent, Circle Game de Joni Mitchell est un autre moment fort de l’album. De même que 1852 mètres plus tard, précédemment enregistré par Vincent Courtois dans “West” (2014), un autre disque du label La Buissonne. Sa mélodie est magnifique et sa nouvelle version inoubliable.

Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James O'Mara

Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James O'Mara

À la trompette, Hermon Mehari, musicien américain né à Dallas en 1987. Demi-finaliste de la Thelonious Monk Competition en 2014, il s’est installé à Paris deux ans plus tard et vient de se faire remarquer auprès de la chanteuse Estelle Perrault. Le pianiste italien qui l’accompagne est Alessandro Lanzoni, né à Florence en 1992 et auteur en 2019 d’un remarquable enregistrement en trio pour Cam Jazz, (“Unplanned Ways”). “Arc Fiction”, un album du label et collectif MIRR, nous donne l’occasion de découvrir leur musique faite d’échanges, de moments improvisés ressentis comme écriture musicale, leurs compositions ressemblant souvent à des improvisations. Un piano ferme et mobile assoit la  tonalité et accompagne avec bonheur une flamboyante trompette dont les acrobaties techniques nourrissent un Donna Lee spectaculaire. Chantante dans Savannah, fiévreuse dans Bostom Kreme, abstraite dans Reprise in Cathartic, poétique dans Penombre et End of the Conqueror, la musique de ce disque reste surtout très séduisante.

Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry

Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry

Back to the Moon” (Lying Lions Productions) se distingue nettement des autres disques de jazz publiés cette année. Par ses chorus, par la place qu’y occupent les instruments à vent – saxophones, trompette, bugle –, il relève du jazz au sein d’une instrumentation foisonnante comprenant claviers, synthétiseurs et effets électroniques. L’importance accordée aux voix ancre tout autant l’album dans la musique pop, celle de Space Oddity de David Bowie, de l’album “Dark Side of the Moon” du Pink Floyd, la batterie confiée au volcanique Edward Perraud, le Keith Moon du Jazz, lui apportant une grande variété de rythmes. Des chansons (le magnifique Yes Yes Yes Yes), des pièces chorales hautes en couleur (I Gotta Dream), constituent une large partie du répertoire. Thomas de Pourquery n’en est pas le seul chanteur. Les musiciens de son groupe, Supersonic, contribuent aux vocaux, Berlea Bilem assurant le lied de O Estrangeiro composé par Caetano Veloso. Car c’est à un véritable voyage musical que nous invite cet album soigneusement travaillé en studio, un opus jubilatoire d’un grand lyrisme. Thomas de Pourquery, foulera-t-il bientôt le sol lunaire avec l'astronaute Thomas Pesquet ? On l’ignore, mais son disque inclassable, aussi brillant qu’une étoile, est déjà sur orbite.

À Genève où il s’installa au début des années 80, le batteur Alvin Queen accompagna souvent les musiciens américains de passage, mais c’est Copenhague qu’il célèbre dans “Night Train to Copenhagen” (Stunt Records), un disque en trio produit par le pianiste Niels Lan Doky. On découvre deux musiciens prometteurs, le pianiste suédois Calle Brickman et le contrebassiste danois Tobias Dall, des musiciens du nord de l’Europe qui jouent un jazz bien trempé dans le blues et le swing, un jazz de facture classique qui s’écoute toujours avec bonheur. S’il accompagna les plus grands, Alvin Queen fut aussi le dernier batteur d’Oscar Peterson. Cet album est donc aussi un hommage au pianiste, “Night Train to Copenhagen” réunissant une partie du répertoire de “Night Train” et de “We Get Requests”, deux des plus célèbres disques de Peterson. Calle Brickman ne possède certes pas l’immense virtuosité de ce dernier. Il produit toutefois un swing sans faille dans les morceaux rapides et révèle un sensible et délicat toucher dans les ballades. Influencé par Elvin Jones qui lui permit un soir de 1962 de jouer avec Coltrane, Alvin Queen n’en possède pas moins un jeu personnel. Il sait mettre en en valeur les timbres de son instrument. Sa frappe est ferme mais sans lourdeur. Son soutien précis et diversifié donne des ailes à son jeune pianiste.

Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records

Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records

Après avoir été le batteur du premier trio de Brad Mehldau, Jorge Rossy se consacre aujourd’hui au vibraphone et au marimba sans délaisser toutefois la batterie puisqu’il en joue dans “Uma Elmo”, un enregistrement récent du guitariste Jakob Bro. Dans “Puerta” qui vient de paraître sur ECM, il utilise ces deux nouveaux instruments avec une grande économie de moyens. Les deux musiciens qui l’accompagnent, Robert Landfermann à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie, interviennent toujours à bon escient dans cette musique tranquille qui prend le temps de respirer. Jorge Rossy en a composé tous les morceaux sauf Cargols, écrit par Chris Cheek, saxophoniste avec lequel il a souvent travaillé. Maybe Tuesday est construit sur les accords de The Man I Love de Gershwin et Puerta qui donne son nom à l’album a été écrit dans un hôtel londonien, juste avant que Rossy ne quitte le trio de Mehldau pour ouvrir un nouveau chapitre d’une carrière décidément fructueuse.   

Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

Instrument mélodique mais aussi percussif, le vibraphone semble aujourd’hui renaître sous les mailloches de jeunes musiciens. Alexis Valet est l’un d’entre eux. Il a découvert le jazz à l’écoute de Miles Davis, Charles Mingus et Dave Brubeck. Un enracinement qui n’affecte en rien la modernité de sa musique. “Explorers” son nouvel album pour Jazz&People, le second de sa discographie, en témoigne. Compositions originales et standards – Dr. Jackle de Jackie McLean relevant du bop, Fall de Wayne Shorter, Dixie’s Dilemna de Warne Marsh – en constituent le répertoire, chaque thème donnant lieu à une improvisation crée dans l’incertitude de l’instant. Quatre morceaux sont interprétés en trio avec Luca Fattorini à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie. Le pianiste Bojan Z et le saxophoniste néerlandais Ben Van Gelder au timbre si singulier à l’alto s’invitent dans les autres, trois plages les réunissant tous. Hats and Cards contient de savoureux dialogues vibraphone / saxophone alto et What’s Next envoûte par la répétition de sa ligne mélodique, son habile balancement rythmique. Ici, la modernité des métriques n’étouffe pas le swing mais le renforce et plonge cette belle musique dans le rythme.

 

Photos : Alexis Valet © Audrey Radas - Hermon Mehari & Alessandro Lanzoni © James 0'Mara - Thomas de Pourquery / Supersonic © Floriane de Lassée & Nicolas Henry - Jorge Rossy Trio © Daniel Dettwiler / ECM Records - Alexis Valet / Antoine Paganotti / Luca Fattorini © Audrey Radas

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4 octobre 2021 1 04 /10 /octobre /2021 16:13
François Couturier et Anja Lechner © Makr Mushet / ECM Records

François Couturier et Anja Lechner © Makr Mushet / ECM Records

Après plusieurs semaines d’inactivité, ce blog reprend du service. Les concerts redémarrent et les disques sont nombreux à sortir. Ceux dont vous lirez les chroniques ont mes préférences. Un choix subjectif bien sûr, mais ceux d’entre vous, nombreux je l’espère, qui partagent mes goûts, ne seront probablement pas déçus. Vous trouverez la chronique du Marcin Wasilewski Trio, “En Attendant” (ECM) dans le numéro d’octobre de Jazz Magazine. J’ai beaucoup réduit la liste de concerts que je propose. Seuls les plus importants à mes yeux seront désormais annoncés. Ce blog ne reprendra pas son rythme habituel. Je me réserve toutefois l’opportunité de prendre ma plume à tout moment si l’actualité du jazz le nécessite. Bonne rentrée à tous et à toutes.

-Comme chaque année en octobre, à l’initiative de l’association Paris Jazz Club, les clubs de jazz de Paris et de la région parisienne font leur festival, vingt-cinq clubs accueillant cent quatre-vingt concerts et quatre cent cinquante musiciens entre le vendredi 8 et le samedi 23. Manifestation culturelle incontournable de l’automne, Jazz sur Seine qui en est à sa 10ème édition maintient inchangée sa politique tarifaire : deux concerts 40 euros et une offre découverte proposée aux étudiants, demandeurs d’emploi et élèves de conservatoires à 10 euros. Dix-huit showcases (entrée gratuite selon les places disponibles) se tiendront le mardi 19 octobre dans cinq clubs du quartier des Halles. On en consultera les programmes sur le site de Paris Jazz Club : www.parisjazzclub.net/fr/events/festival-jazz-sur-seine-2021

-Comme chaque année en octobre, le jazz afro-américain a rendez-vous à Clermont-Ferrand. La 34ème édition de Jazz en Tête, un festival différent car n’accueillant que du jazz qui ressemble à du jazz, se déroulera du mardi 19 au Samedi 23. Le bassiste Joe Sanders en quartette le 19, le Makaya McCraven Quartet avec le trompettiste Marquis Hill le 20, Kirk Lightsey en trio avec Famoudou Don Moye, batteur de l’Art Ensemble of Chicago le 21, le quintette du saxophoniste Kenny Garrett le 22 et le Jazz at Lincoln Center Orchestra sous la direction du trompettiste Wynton Marsalis en soirée de clôture le 23 en sont les moments forts. Mis à part ce dernier concert prévu à 20h30, tous sont à 20h00 et se déroulent dans la salle Jean Cocteau de la Maison de la Culture. On consultera le programme complet sur le site du festival : www.jazzentete.com

Emmett Cohen © John Abbott

Emmett Cohen © John Abbott

Mes concerts d’octobre

-Le pianiste Emmett Cohen en trio avec Yasushi Nakamura (contrebasse) et Kyle Poole (batterie) le 5 et le 6 (19h30 et 22h00) au Duc des Lombards. www.ducdeslombards.com

 

-Le Umlaut Big Band dirigé par Pierre-Antoine Badaroux célèbre la musique de Mary Lou Williams suivi après l’entracte du Jazz at Lincoln Center Orchestra sous la direction du trompettiste Wynton Marsalis le 9 à la Philharmonie de Paris (20h30). www.philharmoniedeparis.fr

 

-Le guitariste Nguyên Lê en trio avec Romain Labaye (basse) et Paul Berne (batterie) le 14 (à 20h30) à l’Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe, l’Ecuje – 119 rue Lafayette, 75010 Paris – qui s’ouvre à des concerts de jazz une fois par mois. Le pianiste Olivier Hutman est chargé de la programmation. www.ecuje.fr/jazz-ecuje-paris

 

-Estelle Perrault et les musiciens de “Dare That Dream”, son deuxième album, le 16 (20h30) au Studio de l’Ermitage. www.studio-ermitage.com

 

-Anja Lechner (violoncelle) et François Couturier (piano) le 17 à Champagne-sur-Oise (Église Notre-Dame-de-l'Assomption, 14 - 26 rue Notre Dame, 17h00) dans le cadre du festival Jazz au fil de l’Oise. Leurs concerts sont rares et “Lontano”, leur dernier opus, est l’un des plus beaux disques de l’an dernier. www.jazzaufildeloise.fr

 

-Le duo inédit qui réunit le pianiste Yonathan Avishai et le bassiste Omer Avital le 23 (à 21h30) et le 24 (à 19h00) au Sunside. www.sunset-sunside.com

 

-Thomas Curbillon le 28 (20h00) au Bal Blomet. Le chanteur guitariste fête la sortie de “Place Sainte Opportune” (Jazz&People), un album éminemment radiophonique arrangé par Pierre Bertrand et réalisé par Daniel Yvinec mariant swing et chansons françaises. Il contient de nombreuses compositions originales et des reprises de Et bailler, et dormir de Charles Aznavour et de Berceuse à Pépé de Claude Nougaro sur une mélodie de Maurice Vander. Eric Legnini (piano), Thomas Bramerie (contrebasse), Antoine Paganotti (batterie) et Stéphane Belmondo (trompette et bugle) invité sur certaines plages en sont les principaux musiciens. www.balblomet.fr

Andrew Cyrille, Bill Frisell, David Virelles, Ben Street © A.T. Cimarosti / ECM Records

Andrew Cyrille, Bill Frisell, David Virelles, Ben Street © A.T. Cimarosti / ECM Records

Quelques disques qui m’interpellent

Loin de ranger ses baguettes, Andrew Cyrille, 83 ans le 10 novembre prochain, semble débuter une seconde et tardive carrière chez ECM. Après “The Declaration of Musical Independence” publié en 2014, la firme munichoise fait paraître “The News”, un album de jazz moderne à l’atmosphère toute aussi singulière. Découvert au sein de la dernière formation du regretté Tomas Stanko, le pianiste David Virelles remplace Richard Teitelbaum au sein de la formation du batteur, un quartette comprenant Ben Street à la contrebasse et Bill Frisell à la guitare. Les couleurs, les sonorités souvent aériennes que ce dernier tire de son instrument apportent beaucoup à la magie de cette musique ouverte que le piano virtuose et inattendu de Virelles et le drive foisonnant du leader enrichissent. Frisell apporte trois compositions, dont Baby, une ballade d’un grand lyrisme, et Go Happy Lucky, déjà enregistré en solo sur son disque “Music Is” (OKeh) en 2017. Intimiste et inventif, “The News” est une grande réussite.

Né le 3 septembre 1951 à San Francisco, Todd Cochran débuta sa carrière de pianiste auprès de Bobby Hutcherson – il joue sur “Head On”, un disque Blue Note du vibraphoniste de 1971. L’année suivante, sous le nom de Bayeté / Todd Cochran, il enregistre son premier album pour Prestige (Worlds Around the Sun”) avant de passer aux claviers électriques sous l’influence d’Herbie Hancock, et se voir sollicité comme sideman par de nombreuses pop stars (Peter Gabriel, Jim Capaldi) et des artistes de soul et de rhythm’n’blues (Aretha Franklin, Booker T. Jones), tant à Londres qu’aux États-Unis. Compositeur, producteur, Todd Cochran est aussi un pianiste dont le jeu élégant marqué par le blues s’inscrit dans la tradition du jazz. En témoigne “Then And Again, Here And Now” (Sunnyside), un album dans lequel en trio avec John Leftwich (contrebasse) et Michael Carvin (batterie), il se souvient, reprend Bemsha Swing de Monk qui le fascine déjà à l’âge de dix ans, The Duke de Dave Brubeck qu’il découvre quatre ans plus tard , mais aussi A Foggy Day In London, pour lui associé aux brouillards de ses séjours londoniens, des mélodies qu’il enrichit d’harmonies et d’improvisations personnelles, un jazz intemporel que l’on aimerait écouter plus souvent.     

Aussi à l’aise dans les ballades que sur tempo rapide, Sinne Eeg excelle et nous surprend une fois encore dans “Staying in Touch” (Stunt) enregistré en duo avec le bassiste Thomas Fonnesbæk, bassiste aujourd’hui très demandé. Ce n’est pas la première fois que la chanteuse danoise se livre à l’exercice. En 2015, Stunt publiait “Eeg / Fonnesbæk” *, un autre duo avec ce dernier. Outre quelques compositions originales, ce nouvel opus renferme des morceaux d’Irving Berlin, Cole Porter et Paul Desmond (son incontournable Take Five permettant d’admirer le scat d’une voix très pure et très juste), mais aussi The Long and Winding Road (de Lennon/McCartney) et The Dry Cleaner from Des Moines que Charles Mingus et Joni Mitchell composèrent. Contrebasse et voix dialoguent, improvisent et créent une musique d’une grande fraîcheur. Sur trois plages, un quatuor à cordes en fait ressortir la beauté.   

*L’édition japonaise du disque contient deux bonus, des versions superbes de The Shadow of Your Smile et d’Autumn Leaves qui la rendent indispensable.   

Découverte auprès du pianiste Alain Jean-Marie qui la prend sous son aile, Estelle Perrault, née en 1989 à Enghien-les-Bains d’une mère taïwanaise et d’un père français, rêve d’Ella Fitzgerald et de Billie Holiday et admire Bud Powell et Bobby Timmons, nous apprend le dossier de presse qui accompagne “Dare That Dream”, son second disque pour Art District Music. Un album dont les morceaux, « exploration nostalgique du sentiment amoureux et de la tendresse familiale », chantés dans un anglais parfait, font entendre un timbre de voix singulier dont la douce mélancolie interpelle. Estelle Perrault écrit les textes de ses chansons et en compose aussi les musiques. Deux d’entre-elles, celles de Child Time et de Ran Away, sont toutefois signées par Carl Henri Morisset, son pianiste. Avec elle également Hermon Mehari dont la trompette illumine cinq des huit plages de l’album. Elie Martin Charrière, son batteur, en est aussi le directeur artistique, Clément Daldosso à la contrebasse complétant une formation qui reprend deux standards, Yesterdays et le You Must Believe in Spring de Michel Legrand qu’immortalisa Bill Evans.  

Orchestre de quatorze musiciens, le Umlaut Big Band remonte le temps, aux premières décennies du jazz. Après un album consacré à Don Redman (1900-1964), la formation consacre avec “Mary’s Ideas” (Umlaut Records) un double CD à Mary Lou Williams (1910-1981) dont les archives personnelles sont conservées à l’Institute of Jazz Studies de Newark. Le visitant en 2019, Pierre-Antoine Badaroux qui assure la direction de l’orchestre et Benjamin Dousteyssier (baryton, alto et saxophone basse) en ont ramené de nombreuses partitions numérisées dont celles de compositions écrites entre 1930 et 1981 jamais enregistrées auparavant. Pianiste et arrangeuse des Twelve Clouds of Joy que dirigea le saxophoniste Andy Kirk, Mary Lou Williams écrivit pour de nombreuses formations, celles de Benny Goodman et de Duke Ellington notamment. Fréquentant les boppers dès les années 40, elle leur livra des partitions, arrangea pour Dizzy Gillespie In the Land of Oo-Bla-Dee et composa sa Zodiac Suite qui, orchestrée pour un orchestre de chambre et une section rythmique, fut jouée au Town Hall de New York en décembre 1945. Irriguée par le blues, son œuvre d’une étonnante modernité, parfois inspirée par Cecil TaylorZoning Fungus II qui explore les potentialités sonores du piano – nous est ici présentée de manière thématique, un passionnant livret accompagnant deux disques enthousiasmants enregistrés en janvier 2021 à la Philharmonie de Paris.

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30 juillet 2021 5 30 /07 /juillet /2021 10:39
Baptiste Bailly © Sebastián Laverde / Jazztone Studio

Baptiste Bailly © Sebastián Laverde / Jazztone Studio

Quelques disques à écouter sans modération avec lesquels vous pouvez partir en vacances, ou que vous pouvez tranquillement écouter chez vous sans que le ciel ne vous tombe sur la tête. Parmi eux, une découverte, celle de “Suds” enregistré à Valence (Espagne) par Baptiste Bailly, jeune pianiste originaire de Montbrison (Loire). Où que vous soyez, faites-vous vacciner et passez tous un bel été.

Suds”, premier album solo de Baptiste Bailly que fait paraître ces jours-ci le label Neuklang, ne peut laisser indifférent. On y découvre un jazz de chambre élégant à mi-chemin entre la musique impressionniste de Claude Debussy et celle de Manuel de Falla. Dans Soie et L’Eau et le Vent, Baptiste utilise les cordes métalliques de son piano comme une guitare. Sa main gauche peut aussi en bloquer les cordes, ce qu’il fait dans la seconde partie de Suds, une danse flamenca. Il utilise aussi avec parcimonie un Moog, Neige se voyant ainsi traversé par des effets électroniques qui lui apportent une dimension orchestrale, des sonorités échantillonnées d’orgue d’église envahissant progressivement le morceau. Si l’Espagne et sa musique y occupent une place importante, Neige, L’eau et le vent et L’Arbre aux secrets décrivent les paysages chers à son cœur du plateau des Hautes-Chaumes du Forez (Loire). La tendre et exquise mélodie d’Amari qu’il chantonne referme un disque envoûtant d’une grande puissance poétique.

Sophia Domancich apprécie toutes sortes de musiques. Inclassables, aussi surprenants qu’inattendus, ses propres disques se suivent sans jamais se ressembler. “Snakes and Ladders” (Cristal) que j’aime beaucoup réunit John Greaves et Robert Wyatt. “Lilienmund” (Sans Bruit) pour piano et électro-acoustique convoque Robert Schumann et Alban Berg. Récemment publié “Le Grand jour” (PeeWee!) est le troisième album solo de cette pianiste pas comme les autres, dont l’instrument cohabite parfois avec les sonorités électriques d’un Fender Rhodes (Le Grand jour), ce dernier étant parfois privilégié (Fantômes). Souvent onirique, parfois abstraite, la musique, ensorcelant jeu d’ombre et de lumière, ruissèle de riches couleurs harmoniques. Qu’elle les percute avec énergie ou les caresse du bout des doigts, ses notes, oh combien précieuses et sensibles, nous font toujours rêver.

Grands disques et petites chroniques (2)

Ancien élève du CNSM de Paris où il enseigne aujourd’hui, Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano) fut découvert par Daniel Humair avec lequel il enregistra plusieurs disques dont le remarquable “Modern Art” en trio avec Stéphane Kerecki et plus récemment “Drum Thing” également très réussi. “Everlasting” (La Buissonne), le premier album qu’il fait paraître sous son nom le fait entendre au sein d’un quartette qui existe depuis une douzaine d’années. Le pianiste Bruno Ruder fut avec lui membre du trio Yes is a Pleasant Country. Quant au bassiste Guido Zorn, il joue avec Ruder dans “Gravitional Waves”, autre réussite du catalogue La Buissonne. Ici, nos quatre musiciens – j’allais oublier le batteur John Quitzke – assument un discours tranquille et fluide, l’improvisation prenant souvent le pas sur l’écriture, simple colonne vertébrale d’une musique inventée collectivement.

Riddles”, leur premier album, date de 2016. Par la suite, Ray Lema et Laurent de Wilde ont souvent joué ensemble, peaufinant leur répertoire, travaillant de nouveaux morceaux lors de leurs concerts. Enregistré en novembre 2020, “Wheels” (Gazebo / One Drop) rassemble précision rythmique et inspiration mélodique. Deux Steinway et quatre mains pour un dosage subtil de jazz, de classique et de musiques africaines. Épicés et souvent hypnotiques, les rythmes martelés par nos deux pianistes proviennent du Congo, du Nigeria, d’Éthiopie, des Caraïbes (Poulet bicyclette, une biguine se transformant en charleston !) et d’Amérique. Saka Salsa recouvre de sauce congolaise une musique de tradition cubaine. “Wheels” permet bien des rencontres, des mixages de cultures. I Miss You Dad, une pièce tendre et belle que Laurent a écrit en souvenir de son père récemment disparu, en est l’un des sommets.

Ses élèves et le Brussels Jazz Orchestra dont elle est la pianiste, lui laissent heureusement le temps de faire des disques. Depuis 2013 et “Le Peuple des silencieux”, un concert donné lors du Gaume Jazz Festival, Nathalie Loriers les enregistre en trio avec la saxophoniste Tineke Postma lauréate du Prix du Musicien Européen décerné par l’Académie du Jazz l’an passé, un prix que Nathalie obtint en 2000. Troisième opus de leur formation, “Le Temps retrouvé”, sort sur le label Igloo qui abrita les premières œuvres de Nathalie. Le bassiste en est Nic Thys, déjà présent dans “We Will Really Meet Again”, son disque précédent. Plusieurs morceaux portent le nom de vents : Zéphirs, Alizés. Le soprano accentue la mélancolie des thèmes, surtout dans les ballades. Dédié à Rik Bevernage récemment disparu, Shanti (paix en sanscrit) est également interprété en solo. Nathalie Loriers joue un magnifique piano. Les notes délicates de sa riche palette harmonique peignent des paysages qu’il fait bon écouter.

Grands disques et petites chroniques (2)

Enrico Pieranunzi est un habitué du festival de jazz de Copenhague. En 2017, l’occasion lui fut donné de jouer avec le bassiste danois Thomas Fonnesbæk. “Blue Waltz” (Stunt) contient les meilleurs moments de leur rencontre, deux concerts donnés les 14 et 15 juillet au Bistro Gustav. Enregistré en studio “The Real You” (Stunt), leur nouveau disque, un hommage à Bill Evans – Only Child et Interplay y sont interprétés –, témoigne une nouvelle fois de leur complicité. Enrico joue un piano vif, nerveux et lyrique. Ses lignes mélodiques croisent celles de la contrebasse chantante de Thomas, ce dernier parvenant à s’immiscer dans le discours du pianiste, à dialoguer constamment avec lui. Digne héritier du grand Niels-Henning Ørsted Pedersen, Thomas Fonnesbæk qui sort le 24 septembre un nouvel album en duo avec la chanteuse Sinne Eeg – “Staying in Touch” (Stunt)  –, est LE bassiste européen à suivre de près.

 

Crédits photos : Baptiste Bailly © Sebastián Laverde / Jazztone Studio – Vincent Lê Quang Quartet © Gérard de Haro – Enrico Pieranunzi & Thomas Fonnesbæk © Annett Ahrends.

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25 juin 2021 5 25 /06 /juin /2021 11:26
Grégory Ott © HK Visuals

Grégory Ott © HK Visuals

Comme je vous l’ai récemment confié, peu de disques de jazz m’ont enthousiasmé ce semestre. Les vacances d’été approchant, je vous livre ici de brèves chroniques de ceux qui m’ont le plus séduits. Mieux vaut tard que jamais avec une première série d’albums que je vous invite à écouter. Puissiez-vous les apprécier et leur réserver une place dans votre discothèque.

Autour de Joe Lovano (ténor et soprano), le Trio Tapestry réunit la pianiste Marilyn Crispell et le batteur Carmen Castaldi. Publié en 2019, leur envoûtant premier album invitait à méditer. Paru en début d’année, “Garden of Expression” (ECM) est aussi d’une grande portée spirituelle. Un flux sonore distendu de notes apaisées et mélancoliques que colore le batteur enveloppe l’auditeur. Celles raffinées du piano se mêlent au chant des saxophones. Composée par Lovano mais transcendée par le jeu interactif du trio, la musique étale ses couleurs, ses harmonies sereines, dessine des paysages oniriques qu’il fait bon écouter.

Enrico Pieranunzi enregistre beaucoup mais ne fait jamais de mauvais disque. Également sorti en début d'année, “Time’s Passage” (abeat) est même excellent. Une formation largement italienne joue ses compositions et quelques standards, deux versions de In the Wee Small Hours of the Morning nous étant proposées. Le batteur de cette séance, André Ceccarelli, retrouve ici la chanteuse Simona Severini qu’il accompagne dans “Monsieur Claude”, un autre disque du Maestro. Chanté en français et bénéficiant de sa voix troublante, Valse pour Apollinaire est l’un des grands moments d’un album au sein duquel le piano enchanteur d’Enrico dialogue avec bonheur avec le vibraphone d’Andrea Dulbecco, révélation d’un opus flamboyant.

Russ Lossing fait lui aussi beaucoup de disques. Mal distribués, la plupart d’entre eux passent hélas inaperçus. Dans “Metamorphism” édité en mars sur Sunnyside, le pianiste retrouve des musiciens avec lesquels il a souvent joué et enregistré. Quelque peu perdu de vue, l’excellent saxophoniste Loren Stillman se rappelle ici à notre souvenir. John Hébert, le bassiste de Fred Hersch, et le batteur Michael Sarin constituent une section rythmique élastique capable de se plier aux nombreuses variations que les solistes imposent à la musique, un jazz moderne d’une grande richesse mélodique ouvert aux dissonances et à tous les possibles.

C’est sur Inner Circle Music, label du saxophoniste Greg Osby, qu’un autre saxophoniste, Michel El Malem, fait son retour après un silence discographique de dix ans. Avec lui dans “Dedications”, Romain Pilon à la guitare, Stéphane Kerecki à la contrebasse et Luc Isenmann à la batterie, ce dernier déjà présent sur “Reflets”, le précédent disque de Michel. Le pianiste, une fois encore, en est Marc Copland et la subtilité harmonique de ses interventions apporte beaucoup à cette création collective au sein de laquelle s’implique la formation toute entière. Bien que toutes composées par le leader, les longues plages fluides de l’album semblent en effet avoir été improvisées, les musiciens les jouant comme si, au meilleur de leur forme, ils donnaient un concert.

Joachim Kühn enregistre désormais à domicile, à Ibiza, île dans laquelle il s’est installé en 1994, habitant sa partie la plus reculée. S’attaquer à un disque solo consacré à des ballades, une idée de Siggi Loch son producteur, ne le tentait guère. Se prenant au jeu, le  pianiste a finalement accepté, “Touch of Light” (ACT) comprenant aussi bien des morceaux de Bob Marley (Redemption Song), Prince (Purple Rain), Milton Nascimento (Ponta de Areia) que de Mal Waldron (Warm Canto), Bill Evans (Peace Piece) et Ludwig van Beethoven (l’Allegretto de la Septième Symphonie). S’il conserve son toucher ferme et précis, son attaque puissante de la note, Joachim Kühn dans cet album improvise peu. Il préfère mettre en valeur les mélodies qu’il reprend, tempère son ardeur, et avec lyrisme va à l’essentiel.

Les bonnes surprises existent et “Parabole” (Jazzdor), un enregistrement en solo de Grégory Ott, en est une. J’ignorais tout de ce pianiste strasbourgeois avant de recevoir son disque, une relecture aussi décalée qu’inventive de la bande-son du film de Wim Wenders “Les ailes du désir” (“Der Himmel über Berlin”). Ne cherchez pas à comparer sa musique avec celle de Jürgen Knieper que l’on entend dans un film que Wenders a largement improvisé, le tournant au jour le jour sans trop savoir comment le terminer. Partant des images, Grégory Ott pose sur elles ses propres mélodies, ses visions musicales s’intégrant parfaitement à la poésie du scénario de Peter Handke : un ange tombe amoureux d’une trapéziste et choisit de devenir mortel. Superbement enregistré par Philippe Gaillot, “Parabole” baigne dans le blues. Angel Eyes, la seule reprise de l’album, en est même imprégné. Bénéficiant d’harmonies délicates, de nombreuses plages nous invitent à rêver et sont inoubliables.

Tyshawn Sorey / Vijay Iyer / Linda May Han Oh © Craig Marsden / ECM

Tyshawn Sorey / Vijay Iyer / Linda May Han Oh © Craig Marsden / ECM

Un nouveau trio pour Vijay Iyer. Après une longue et fructueuse association avec Stephen Crump et Marcus Gilmore, le pianiste retrouve le batteur Tyshawn Sorey, un vieux complice, et complète sa formation avec Linda May Han Oh à la contrebasse. Ils jouent ensemble depuis 2019 et “Uneasy” leur premier disque pour ECM reflète bien l’interaction qui règne au sein du groupe. Drivé par la frappe puissante du batteur, contrebasse et piano y dialoguent avec bonheur, le jeu souvent mélodique de Linda enrichissant sensiblement la musique. L’album contient huit compositions originales d’Iyer écrites sur une période de vingt ans. S’y ajoutent une reprise très originale de Night and Day de Cole Porter et Drummer’s Song de la regrettée Geri Allen. Loin de jouer ici une musique aventureuse et abstraite, Vijay Iyer renoue avec un jazz mélodique accessible à tous. Touba est d’un grand lyrisme et Augury, une improvisation en solo, d’un exquis raffinement harmonique.

Le récital en solo que le pianiste Masabumi Kikuchi donna au Bunka Kaikan Recital Hall de Tokyo le 26 octobre 2012 et que le label ECM édita quatre ans plus tard sous le nom de “Black Orpheus” fut le dernier de sa carrière. Le pianiste disparaissait le 6 juillet 2015 à l’âge de 75 ans. On ignorait l’existence d’un enregistrement studio new-yorkais inédit de décembre 2013 qui sort aujourd’hui sur Red Hook Records, petite maison de disques installée en Irlande. Moins abstraite que les pièces improvisées de son ultime concert, la musique de “Hanamichi” n’en est pas moins majestueuse. Car c’est en jouant peu de notes et en adoptant des tempos très lents que Poo, comme le surnommaient affectueusement ses amis, donne à sa musique sa pleine dimension onirique. Improvisant en solo sur des standards et reprenant Little Abi son thème fétiche, il les colore d’harmonies brumeuses et élargit leur espace sonore en les conviant à s’ouvrir au silence. 

Malgré son âge – il est né en 1927 –, personne ne joue comme Martial Solal. Sa technique phénoménale, sa culture du jazz lui autorisent bien des digressions. Les morceaux qu’il interprète prennent ainsi des chemins de traverse, des sentiers qui bifurquent, sa mémoire vagabondant sans jamais se perdre. La Salle Gaveau est archi pleine, ce 23 janvier 2019. Pour rien au monde un amateur de piano n’aurait manqué ce concert, son dernier annonce Martial dans le livret. Enregistré par les micros de Radio France, “Coming Yesterday” (Challenge) fait entendre un piano espiègle mélangeant allègrement rythmes et tonalités sur des standards inusables bousculés avec humour. Martial joue beaucoup de notes et jongle constamment avec elles. Il reprend en début de concert I Can’t Get Started « pour s’en débarrasser », s’amuse avec Frère Jacques rebaptisé Sir Jack, nous offre un feu d’artifices de citations, mélodies qu’il transforme et harmonise au gré de son intarissable fantaisie.

-Trio TAPESTRY : “Garden of Expression” (ECM / Universal)

-Enrico PIERANUNZI Jazz Ensemble : “Time’s Passage” (abeat Records / UVM)

-Russ LOSSING : “Metamorphism” (Sunnyside / Socadisc)

-Michel EL MALEM : “Dedications” (Inner Circle Music / L’autre distribution)

-Joachim KÜHN : “Touch the Light” (ACT / Pias)

-Grégory OTT : “Parabole” (Jazzdor Series / L’autre distribution)

-Vijay IYER Trio : “Uneasy” (ECM / Universal)

-Masabumi KIKUCHI : “Hanamichi : The Final Session Recording” (Red Hook Records)

-Martial SOLAL : “Coming Yesterday” (Challenge / DistrArt Musique)

 

Crédits photos : Grégory Ott © HK Visuals - Tyshawn Sorey, Vijay Iyer, Linda May Han Oh © Craig Marsden / ECM.

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7 juin 2021 1 07 /06 /juin /2021 17:13
Quelques nouvelles du blogdeChoc

Vous l’avez probablement constaté : ce blog est resté longtemps en sommeil. À cela, plusieurs raisons, la principale étant le peu d’envie que j’éprouve actuellement à écrire sur le jazz. La fermeture des clubs et des salles de concert depuis la fin du mois d’octobre a considérablement ralenti l’activité musicale d’une année 2021 assez pauvre en disques qui interpellent, la technique, l’indéniable savoir-faire des musiciens, ne compensant pas toujours le manque d’originalité de leur musique. Une certaine lassitude m’envahit à l’écoute des très nombreux CD(s) que je reçois. Toutefois, les bonnes surprises existent, preuves que le jazz, musique savante, n’a pas fini de produire des œuvres et de nous étonner, qu’actualisée et dynamisée par les jazzmen d’aujourd’hui, elle n’est pas prêt de disparaître.  

 

Si les nouveaux disques du Trio Tapestry et de Vijay Iyer pour ECM m’ont enthousiasmé et que la parution de “Coming Yesterday”, album rassemblant les meilleurs moments du concert que Martial Solal donna Salle Gaveau, le 23 janvier 2019, reste son incontournable « testament musical improvisé », “Parabole” (Jazzdor), un album solo de Grégory Ott, pianiste strasbourgeois que je ne connaissais pas, m’a également beaucoup séduit.

 

Dix ans après “Reflets”, disque récompensé en 2011 par le Prix du Disque Français de l’Académie du Jazz, le saxophoniste Michel El Malem en a enregistré un second, “Dedications” sur Inner Circle Music, le label de Greg Osby, qui est tout aussi bon que le premier. Baptiste Bailly, un jeune pianiste que vous n’êtes certainement pas nombreux à connaître, sort prochainement sur le label Neukland un opus en solo qui intègre de légères textures électroniques, des sons d’orgue et de synthétiser. Intitulé “Suds”, il mérite une écoute attentive. Enfin, François Zalacain m’a fait savoir que Nick Sanders, un autre jeune musicien sur lequel je ne taris pas d’éloges, a enregistré pour Sunnyside un album solo qui paraîtra en fin d’année. Ces disques et quelques autres, moins d’une dizaine, j’essayerai de vous en parler brièvement.

 

La dernière décennie fut riche en évènements, en découvertes. Ce blog qui existe depuis bientôt treize ans en a rendu compte, contribué à les faire connaître, ce qui m’a donné l’envie de rassembler dans un livre certaines de mes chroniques. Révéler de nouveaux talents ayant toujours été mon intention première, j’y privilégie des jazzmen peu médiatisés qui peinent à se faire entendre, aborde des sujets qui me tiennent à cœur, raconte le jazz et le questionne : Peut-il exister sans swing ni racines ? Est-il devenu la nouvelle musique contemporaine ? Était-il plus créatif auparavant ? Vous y trouverez des axolotls, des ermites, des drôles de drames, des considérations sur Duke Ellington, Stan Getz, Boris Vian, André Hodeir, Henri Dutilleux et sur la modernité des Heures persanes.  Intitulé “De Jazz et d’Autre”, l’ouvrage est prêt. Reste à trouver un éditeur, ce qui est loin d’être gagné.

 

Il survient parfois des miracles et c’est un autre de mes textes, longtemps remisé dans un tiroir, qui verra le jour à la rentrée. “De la Musique plein la tête” à paraître aux Éditions Les Soleils Bleus raconte ma jeunesse turbulente et mon parcours dans la musique, de mes années rock’n’roll à ma découverte du jazz dans la seconde moitié des années 70. Un parcours qui me mènera à intégrer la rédaction de Jazz Hot après quatre folles années au sein des disques Polydor.         

 

Je profite de la réouverture des clubs le 9 juin (avec jauge réduite et respect des protocoles sanitaires) pour vous inviter à sortir écouter du jazz, en prenant bien sûr toutes les précautions possibles. Le 22, la pianiste Nathalie Loriers se produira en trio avec la saxophoniste Tineke Postma (lauréate du Prix du Jazz Européen 2020 de L’Académie du Jazz) et Nic Thys à la contrebasse au Studio de l’Ermitage (20h00). Leur nouveau disque s’intitule “Le Temps retrouvé” et sort sur le label Igloo. Ne manquez pas non plus l’immense Fred Hersch au Bal Blomet les 25 (20h00) et 26 juin (19h00). On se laissera également tenter par les concerts au Sunside du duo Laurent de Wilde / Ray Lema les 15 et 16 juin (19h00 et 21h00). Nos deux complices y fêteront la sortie de “Wheels”, subtil dosage de jazz, de classique et de musique africaine enregistré sur deux Steinway. Apprenez aussi que le 24 juin, Alexandre Saada interprètera au Sunside (19h00 et 21h00), le répertoire de “Songs for the Flying Man”, un disque qui, l’an dernier, ensoleilla mon confinement. Quant au Duc des Lombards, il accueillera le trio du pianiste Franck Amsallem les 11 et 12 juin (trois sets par soir, 19h00, 20h15 et 21h30). Portez des masques et faites-vous vacciner. On n’est jamais assez prudent.

-Studio de l’Ermitage :  www.studio-ermitage.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-Bal Blomet : www.balblomet.fr

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

 

Photo : Nic Thys, Tineke Postma & Nathalie Loriers © Jacky Lepage

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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 16:30
Claude Carrière : la mémoire du Duke

Mars. Après plus de deux mois n’inactivité, ce blog redémarre avec les mauvaises nouvelles que vous connaissez déjà. C’est d’abord la disparition de Chick Corea, emporté le 9 février à l’âge de 79 ans par une forme rare de cancer. Je l’avais revu à la Philharmonie il y a un an, le 2 mars 2020, après son concert donné avec Christian McBride et Brian Blade. Passant du temps avec lui dans sa loge, nous avions échangé des souvenirs sur “The Mad Hatter” et “My Spanish Heart”, un disque qui lui tenait particulièrement à cœur et dont j’avais assuré la promotion chez Polydor lors de sa sortie en 1976. Chick avec son humour pince sans rire, sa fantaisie de chapelier fou, avait l’humilité des grands.

 

Claude Carrière : son nom et son prénom commencent par la lettre C, la troisième de l’alphabet. Comme Chick Corea. Curieux hasard qui les voit disparaître le même mois de la même année, Claude le 20 février, onze jours seulement après un musicien dont il aimait beaucoup le piano. Né à Rodez le 14 mars 1939, Claude avait fait partie de l’équipe de Jazz Hot dirigée par Laurent Godet. Avec son complice Jean Delmas, il créa en 1982 le Jazz Club, une émission qu’il conserva jusqu’en 2008, année au cours de laquelle la direction de Radio France l’en écarta, ce dont il fut profondément affecté.

 

Maurice Cullaz me le présenta en 1985. Je venais de rentrer à l’Académie du Jazz et Claude, de treize ans mon aîné, y était déjà écouté, Maurice se reposant déjà sur lui pour la bonne marche d’une institution alors quelque peu poussiéreuse dans laquelle il imposait ses choix. Je pris vite l’habitude de le seconder dans cette tâche et lorsqu’il devint lui-même Président en 1993, j’ai bien sûr continué de travailler avec lui.

 

Une rencontre fortuite à Fontainebleau m’avait permis de mieux le connaître. Avec Philippe Bourdin, nous avions l’habitude de nous y rendre fréquemment en train afin de récupérer les nouveautés que distribuait DAM, société dont s’occupait le sympathique André Turban. Du jazz, mais aussi de la musique brésilienne, DAM en étant alors le principal importateur français. Claude faisait de même. Nous nous y retrouvâmes par hasard et il me ramena en voiture à Paris ce jour-là. J’eus droit à de la musique de Duke Ellington pendant tout le trajet, découvrant par là même sa passion pour un musicien sur lequel il était intarissable. Il m’avait alors demandé combien de ses disques je possédais. N’en ayant qu’une dizaine, il m’avait affirmé que ce n’était pas assez et qu’un amateur de jazz se devait d’en avoir dix fois plus. N’écoutant pas la radio à cette époque, j’ignorais qu’entre 1976 et 1984 il avait diffusé l’œuvre intégrale du Duke et consacré 400 émissions à son idole.

 

Lorsqu’en 1994 j’entrepris la rédaction de “Passeport pour le jazz”, livre coécrit avec Philippe Adler et édité l’année suivante, c’est à Claude et à Christian Bonnet que je demandai conseil. Ce dernier me donna des renseignements sur les grands enregistrements de la « swing era ». Outre ceux qu’il me livra sur Duke Ellington, Claude me fit connaître des disques importants de Fletcher Henderson et Jimmy Lunceford, musiciens que je connaissais mal, et me fit gagner un temps précieux.

 

Jusqu’en 2005, année au cours de laquelle François Lacharme devint à son tour Président de l’Académie du Jazz, je le retrouvais chaque année chez lui, rue de Charonne, afin de mettre sous pli les invitations de notre remise des prix. Nous terminions la soirée chez Melac, restaurant aveyronnais que Claude appréciait. Outre notre Assemblée Générale annuelle qui se tenait aux « Broches à l’Ancienne », nous nous donnions rendez-vous en décembre, rue Joubert, chez Mimi Perrin, pour voter le Prix du Jazz Vocal dont elle présidait la commission.

 

Les années passant, je le vis moins souvent. Toujours élégant, il présidait l’Association Grands Formats et avec Christian Bonnet avait fondé la Maison du Duke. Par sympathie, j’en devins adhérent, sans toutefois assister aux nombreuses conférences qu’il y donnait régulièrement. Avec l’excellent guitariste Frédéric Loiseau et la jeune chanteuse Rebecca Cavanaugh, il avait monté un petit orchestre dont il était le pianiste. Outre Duke Ellington, Claude admirait Fred Hersch dont il manquait rarement les concerts. Il me fit écouter plusieurs de ses disques, me fit comprendre l’importance du musicien et découvrir la richesse de son piano. Il continuait également à s’occuper de rééditions discographiques. Après la collection Masters of Jazz pour laquelle il avait réalisé une intégrale de Charlie Christian en neuf volumes et de nombreuses compilations pour Francis Dreyfus, il était responsable depuis 2007 de la collection Original Sound Deluxe chez Cristal Records. Un coffret consacré à Nat King Cole en 2019 fut son dernier travail.

 

En tant que Président d’Honneur de l’Académie du Jazz, Claude était de facto membre du Bureau qui se réunissait ces dernières années à mon domicile du Boulevard Beaumarchais. J’ai des photos de lui avec Christian Bonnet et ce n’est pas sans émotion que je les regarde. Ils sont probablement là-haut avec le Duke, assistant à un concert inoubliable de son orchestre, Claude au premier rang pour mieux respirer les parfums capiteux de sa “Perfume Suite”, s’extasier sur cette musique ellingtonienne que le ciel accorde d’écouter à ceux qui l’ont beaucoup aimé.

 

Photo © Pierre de Chocqueuse

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1 janvier 2021 5 01 /01 /janvier /2021 13:11
Meilleurs Voeux

             Dans l’espoir d’une année heureuse

                         Joie et Santé en 2021

                    Happy New Year

           Et puisse le jazz vous mettre du baume au cœur   

    

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 12:47
Vœux pieux ?

24 décembre 2020, veille de Noël

 

Cher(e)s ami(e)s,

Il est grand temps pour moi de refermer ce blog après une année noire. On espère la suivante moins dramatique. Sans trop y croire, car on hésite à la souhaiter bonne et heureuse, par crainte de vœux pieux. Abusons sans excès de ces quelques jours de liberté avant un reconfinement attendu en janvier. Un Noël sans couvre-feu nous est même accordé. Profitons-en car il faut être résolument optimiste pour penser que demain sera comme avant, que les clubs et les salles de concert pourront bientôt nous accueillir. Nous quittons une année masquée pour une autre. Le masque est déjà aussi indispensable que ses clefs, son portefeuille ou sa carte d’identité et il le restera longtemps.

 

L’an dernier à la même époque, privé de bus et de rames de métro, le parisien arpentait les rues de la capitale tout en aspirant à reposer ses pieds fatigués. De nombreux cafés le lui permettait. Un an plus tard, ces derniers gardant portes closes, il se dépêche de faire ses courses dans des magasins provisoirement ouverts. Faites donc vivre ceux de votre quartier. Évitez d’enrichir Amazon. Offrez des livres et des disques. Fiez-vous à mes Chocs de l’année pour les choisir. Je mets donc ce blog en sommeil et vous donne un rendez-vous probable en février. Je prends des risques et ose même vous adresser mes bons vœux pour l’année à venir. Puisse-t-elle être meilleure que la précédente et le jazz combler vos désirs.

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17 décembre 2020 4 17 /12 /décembre /2020 10:15
© Klaus Vedfelt - Getty

© Klaus Vedfelt - Getty

 2020 : une année noire pour la culture, pour nos jazzmen, pour les habitants d’un monde sens dessus dessous victimes d’un ennemi invisible, inodore, incolore et mortel. Tour à tour confinés, déconfinés et reconfinés par leurs gouvernants eux-mêmes surpris par l’ampleur d’une pandémie que personne n’a vu venir, le terrien s’interroge sur la vie de demain. Y-aura-t-il encore des contacts physiques, des magasins, des bars, des restaurants, des musées, des salles de concerts, des clubs et des festivals de jazz ? Les ventes de disques en ont bien sûr été affectées. Les rares échoppes qui en proposent ayant été contraintes ce printemps de garder portes closes, bien des parutions furent reportées à l’automne. Leurs bacs à nouveau remplis, nos boutiques préférées se sont retrouvées fermées en novembre. Quant aux clubs et aux salles qui assurent les concerts de sortie des albums, leur réouverture tant espérée le 15 décembre est reportée en janvier, ou plus tard encore. Enregistrer des concerts et les proposer sur des sites ou des réseaux sociaux, ce n’est pas la même chose que d’écouter une musique vivante se créant sous nos yeux.

 

Restent les disques que l’on peut écouter chez soi sans danger. Malgré la pandémie, ils ont été nombreux à sortir en 2020. Depuis, la plupart des studios ont provisoirement fermé leurs portes et c’est chez lui, sur son propre piano, que Fred Hersch a enregistré le sien, l’un des deux albums solo de ces 13 Chocs au sein desquels les musiciens européens sont à l’honneur cette année. Comme Michael Wollny, l’auteur du second opus en solo de cette sélection, Anja Lechner et Daniel Erdmann sont allemands. Associés à des musiciens français, la violoncelliste à François Couturier, le saxophoniste à Bruno Angelini, ils ont fait paraître d’excellents disques en duo, l’amitié franco-allemande se révélant gagnante.

 

Palo Alto”, un inédit non négligeable du grand Thelonious Monk, “The Women Who Raised Me” de Kandace Springs et “Sunset in the Blue” de Melody Gardot sont les seuls disques de jazz américains de ce palmarès 2020 avec celui de Fred Hersch dont la rythmique habituelle accompagne Marc Benham dans un album publié sur le label danois SteepleChase. Souvent produit par des firmes européennes (ECM), le meilleur du jazz sort aujourd’hui des studios européens. Andy Emler, le Marcin Wasilewski trio avec Joe Lovano ont enregistré leurs disques à La Buissonne et Pierre de Bethmann les quatre volumes de ses “Essais” au Studio Recall. Gérard de Haro et Philippe Gaillot, leurs ingénieurs du son, comptent parmi les meilleurs. Puissent-ils encore enregistrer des disques l’an prochain.

11 nouveautés…

 

Marc BENHAM : “Biotope”
(SteepleChase / Socadisc)

Chronique dans le blog de Choc le 10 mars

Jouant avec un égal bonheur du stride, du dixieland, du swing, du bop et du jazz moderne, le piano espiègle de Marc Benham rassemble toutes les périodes de l’histoire du jazz, les époques de sa saga se télescopant parfois au sein d’un même morceau. Enregistré en une seule journée avec John Hebert (contrebasse) et Eric McPherson, la section rythmique habituelle de Fred Hersch, “Biotope” séduit donc par la variété de son répertoire. Mood Indigo, Jitterbug Waltz, Moonlight in Vermont datent des années 30 et 40. Con Alma et Airegin des années 50. Le pianiste étonne aussi par l’audace, la modernité de ses compositions. Sa Suite de Fibonacci est une petite merveille d’écriture et Pablo un dandinement de notes étourdissantes habitées par le swing. Imprévisible, chargée d’un humour malicieux, sa musique acrobatique donne le vertige.

Vincent COURTOIS : “Love of Life”

(La Buissonne / Pias)

Chronique dans le blog de Choc le 17 février

En 2019, subjugué par la force évocatrice des récits de Jack London (1876-1916), le violoncelliste Vincent Courtois entreprit avec Robin Fincker (saxophone ténor et clarinette) et Daniel Erdmann (saxophone ténor), une tournée américaine les menant sur les terres de l’écrivain. Gérard de Haro qui les accompagnait enregistra le trio à Oakland. Une nouvelle de London, Love of Live, donne son nom à l’album. Presque tous les morceaux portent d’ailleurs ceux de ses romans et nouvelles, ses livres parmi lesquels “Martin Eden” inspirant à Vincent Courtois mélodies et cadences. Principal pourvoyeur de thèmes du trio, ce dernier donne volume et puissance à la musique. De l’intimité de son instrument avec deux saxophones naissent des sonorités inouïes que ce trio d’exception est bien le seul à nous offrir.

Anne DUCROS : “Something”

(Sunset Records / L’autre distribution)

Chronique dans le blog de Choc le 2 mars

Produit par Stéphane Portet et dédié à Didier Lockwood qui s’impliqua beaucoup dans “Purple Songs” (Dreyfus Jazz), un album d’Anne Ducros primé par l’Académie du Jazz en 2001, “Something” parvient à capter merveilleusement les nuances, le timbre de sa voix. Qu’elle s’exprime en anglais (Your Song d’Elton John, Something de George Harrison, The Very Thought of You) en français (Samba Saravah, paroles françaises de Pierre Barouh), ou en italien (Estate), sa diction parfaite, son phrasé aérien et souple, ses onomatopées inventives suscitent l’admiration. Gardienne du tempo, la contrebasse de Diego Imbert donne une grande lisibilité mélodique au répertoire. Quant à la guitare d’Adrien Moignard, elle trouve toujours les notes justes pour mettre en valeur la meilleure de nos chanteuses de jazz.

Andy EMLER : “No Solo”

(La Buissonne / Pias)

Chronique dans le blog de Choc le 12 octobre

Bien qu’écrit sur mesure pour ses invités, le répertoire de “No Solo” entièrement composé par Andy Emler qui a conçu son disque comme une suite, s’ouvre à l’imprévu et irradie un feeling inhabituel. Ces morceaux, le pianiste les a enregistrés en solo avant de les confier aux musiciens pour lesquels ils ont été pensés, chacun d’eux rajoutant en re-recording dans un autre studio sa propre partie instrumentale ou vocale. Réservant les deux premières pièces à son piano, Emler enchaîne sur des duos et des trios éblouissants. La flûte de Naïssim Jalal plonge For Nobody dans un bain de douceur. Les voix d’Aïda Nosrat, d’Aminata « Nakou » Dramé et de Thomas de Pourquery humanisent une musique sensible et colorée qui devient pure magie lorsque, porté par un ostinato de piano envoûtant, le saxophone alto Géraldine Laurent y insuffle son âme.

Daniel ERDMANN / Bruno ANGELINI : “La dernière nuit”

(www.brunoangelini.com)

Chronique dans le blog de Choc le 17 février

Composée et interprétée par Daniel Erdmann (saxophone ténor) et Bruno Angelini (piano), la musique de “La dernière nuit” accompagne une évocation de Sophie Scholl (1921-1943), figure emblématique du réseau « La Rose Blanche » qui fut décapitée le 22 février 1943 à Munich par les nazis avec son frère Hans pour avoir imprimé et diffusé des tracts hostiles au régime et à la guerre. Les subtiles couleurs harmoniques des compositions, les notes tendres et émouvantes du piano, le souffle expressif du saxophone traduisent les états d’âme de la condamnée la nuit qui précède son exécution, expriment son espoir de vaincre la peur et d’entrer sereinement dans la mort. Vendu lors des concerts du duo, ce disque, magnifique, est disponible sur les plateformes numériques (Bandcamp) et sur le site de Bruno Angelini.

Melody GARDOT : “Sunset in the Blue”

(Decca / Universal)

Chronique dans le blog de Choc le 13 novembre

Cinq ans que Melody Gardot n’avait pas sorti de disque studio. “Sunset in the Blue” ne déçoit pas et fait partie de ses grandes réussites. Arrangés par Vince Mendoza, les violons et violoncelles du Royal Philharmonic Orchestra magnifient la voix chaude et caressante de la chanteuse qu’accompagne le chanteur de fado António Zambujo dans C’est magnifique. À cet écrin de cordes se mêlent parfois des vents, l’orchestre au grand complet déployant aussi ses fastes. Larry Klein qui a produit l’album en a soigné tous les détails pour lui donner un brillant exceptionnel. Il y parvient. Interprétant une poignée de standards et des compositions originales, Melody Gardot célèbre sensuellement le Brésil et le jazz. Des musiciens confirmés l’accompagnent, la guitare d’Anthony Wilson rythmant délicatement la musique.

Fred HERSCH : “Songs from Home”

(Palmetto / L’autre distribution)

Chronique dans le blog de Choc le 11 décembre

Ce disque en solo, Fred Hersch l’a enregistré dans la maison de campagne de Pennsylvanie sur son propre piano, un Steinway B de 50 ans. Confiné, souhaitant rendre les gens heureux par sa musique, il pose ses propres harmonies sur des chansons souvent liées à des souvenirs de jeunesse. Il a grandi avec la musique populaire sophistiquée et créative des années 60, avec “Blue” de Joni Mitchell, “Sgt Peppers” des Beatles, Wichita Lineman de Jimmy Webb. Outre quelques compositions personnelles – Sarabande, West Virginia Rose dédié à sa mère et à sa grand-mère  –, le répertoire comprend aussi Get Out of Town de Cole Porter et Solitude de Duke Ellington, morceau approprié à l’enfermement que fait vivre la pandémie. Dans l’intimité de son domicile Fred Hersch s’épanche et exprime ses sentiments en jouant un merveilleux piano.

Anja LECHNER / François COUTURIER : “Lontano”

(ECM / Universal)

Chronique dans Jazz Magazine n°732

Anja Lechner au violoncelle, François Couturier au piano, soit la moitié de l’admirable Tarkovski Quartet à nouveau réuni après un premier opus en duo en 2013 sur ECM New Series. Avec Anja, l’une des rares violoncellistes « classique » qui ne craint pas d’improviser, François joue une musique ouverte qui dépasse le cadre du jazz et décloisonne les genres. Les belles lignes mélodiques de son piano se mêlent à celles du violoncelle dont les cordes laissent échapper une musique pure et majestueuse. Parfaitement équilibré, le répertoire de l’album comprend des compositions originales, de courtes improvisations collectives, des pièces du répertoire classique du géorgien Giya Kancheli et d’Henri Dutilleux, et des relectures inspirées d’œuvres du pianiste argentin Ariel Ramírez, et de l’oudiste tunisien Anouar Brahim.

Kandace SPRINGS : “The Women Who Raised Me”

(Blue Note / Universal)

Chronique dans Jazz Magazine n°726

Larry Klein sait mettre en valeur les musicien(ne)s dont il produit les albums. Repérée par Prince en 2016, Kandace Springs bénéficie de ses arrangements élégants dans ce disque qui comme son nom l’indique, (« Les femmes qui m’ont inspirée »), est un hommage aux chanteuses qui ont marqué sa jeunesse. Reprenant des thèmes chantés par Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Carmen McRae et plus proche de nous par Norah Jones, Diana Krall, Sade, Roberta Flack, Dusty Springfield et Bonnie Raitt, elle les chante avec une voix chaude et puissante dont il est difficile de rester insensible. Jouant elle-même du piano, accompagnée par une section rythmique comprenant Steve Cardenas (guitare), Scott Colley (contrebasse) et Clarence Penn (batterie), et conviant à la fête quelques solistes prestigieux, elle signe un opus 100% jazz, son meilleur.

Marcin WASILEWSKI Trio, Joe LOVANO : “Arctic Riff”

(ECM / Universal) 

Chronique dans Jazz Magazine n°729

Après avoir convié le saxophoniste suédois Joakim Milder à l’enregistrement de “Spark Of Life” en 2014, le trio du pianiste Marcin Wasilewski qui depuis sa création en 1993 comprend le bassiste Slawomir Kurkiewicz et le batteur Michal Miskiewicz, invite le saxophoniste Joe Lovano à partager sa musique. Dans Glimmer of Hope, une longue et délicate introduction de piano de Wasilewski fait d’emblée rentrer l’auditeur dans un jazz modal et onirique. Le pianiste embellit les thèmes par des couleurs harmoniques enveloppantes, la finesse de son toucher. Au ténor, Lovano dynamise la musique par un jeu musclé dont profitent L’amour fou et On the Other Side qu’il a écrit pour cette séance. Sa sonorité chaleureuse fait merveille dans les ballades. Le lyrisme de ses chorus en magnifie les mélodies.

Michael WOLLNY : “Mondenkind”

(ACT / Pias)

Chronique dans le blog de Choc le 26 octobre

Enregistré à Berlin en avril, en pleine période de confinement, “Mondenkind” est le premier opus en solo de Michael Wolny. Son titre (Enfant de la lune) fait référence à la mission Apollo 11, plus précisément à l’astronaute Michael Collins qui à chaque passage orbital autour de la lune perdait tout contact avec la terre pendant 46mn et 38s, la durée de ce disque. Le pianiste mêle ses œuvres à des pièces de compositeurs « classiques » (Alban Berg, Rudolf Hindemith), à des thèmes du groupe canadien Timber Timbre et du chanteur Sufjan Stevens. Des morceaux lents et expressifs, souvent en mode mineur, accompagnent de courtes pièces abstraites et inquiétantes. En pleine possession de ses moyens, un musicien inventif pose des harmonies raffinées sur une musique souvent onirique et signe une des grandes réussites de sa discographie.

 …1 coffret de 5 CD(s)

 

Pierre de BETHMANN Trio : “Essais / Volumes 1 à 4”

(Aléa / Socadisc)

Chronique du volume 4 dans le blog de Choc le 2 mars

Chronique du volume 4 dans le blog de Choc le 27 novembre

Le volume 4 et le disque bonus de ce coffret contenant cinq plages inédites sont parus cet automne. Les trois autres datent de 2015, 2017 et février 2020. Tous contiennent des thèmes écrits ou adoptés par des jazzmen (Thelonious Monk, Herbie Hancock, Sam Rivers, Wayne Shorter), des chansons (Que Sera Sera popularisé par Doris Day, Pull Marine de Serge Gainsbourg), des pièces du répertoire classique (Sicilienne de Gabriel Fauré, Forlane de Maurice Ravel) et des morceaux peu souvent joués qui revivent sous d’autres couleurs harmoniques (Moreira que le pianiste et chanteur Guillermo Klein enregistra en 2011 avec son groupe Los Guachos). Les bonnes mélodies ne meurent jamais. Pierre de Bethmann (piano et rhodes) Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie) s’en approprient 40 et les rendent éblouissantes.

…et 1 inédit

 

Thelonious MONK : “Palo Alto”

(Impulse ! / Universal)

Chronique dans le blog de Choc le 9 novembre

1968, une année difficile pour l’Amérique et pour Thelonious Monk qui pourtant enchaîne les concerts. En octobre, le pianiste se produit deux semaines au Jazz Workshop de San Francisco. Alors que les tensions restent vives entre Blancs et Noirs en cette période d’émeutes raciales, le 27 octobre Danny Scher, un lycéen de seize ans, parvient à rassembler les deux communautés autour de la musique de Monk dans l’auditorium de son lycée de Palo Alto. En quartette avec Charlie Rouse (saxophone ténor), Larry Gales (contrebasse) et Ben Riley (batterie), le pianiste interprète cet après-midi-là Ruby My Dear, Well, You Needn’t, Blue Monk, Epistrophy, reprend en stride Don’t Blame Me et achève sur quelques notes de I Love You Sweetheart of All My Dreams, une chanson de 1928 popularisé par Rudy Vallee. 47 minutes de bonheur enfin ressuscitées.

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11 décembre 2020 5 11 /12 /décembre /2020 09:30
Trois disques d’un temps suspendu

Trois pianistes, deux américains et un français. Profitant de l’isolement imposé par un virus aussi dévastateur qu’inattendu, nos trois musiciens publient aujourd’hui des disques en solo. Ceux de Jean-Christophe Cholet et de Fred Hersch ont été enregistrés chez eux sur leurs propres instruments. Retenu aux Pays-Bas par la pandémie, Brad Mehldau a préféré le confort d’un studio d’Amsterdam. J’aurais pu ajouter à cette liste “Mondenkind” de Michael Wollny dont la prise de son fut réalisée à Berlin, mais il a déjà fait l’objet d’une chronique en octobre. Les nombreux morceaux que Fred Hersch reprend sont souvent liés à des souvenirs d’enfance et d’adolescence. Il s’épanche et se livre beaucoup dans des interprétations aussi lumineuses que sensibles. Brad Mehldau s’attarde davantage à décrire ce qu’il ressent face à la Covid-19 qui a changé ses habitudes. Isolé dans une maison presque forestière, Jean-Christophe Cholet s’est laissé aller à improviser une musique spontanée et sincère. C’est la première fois qu’il se livre à l’exercice et il est très réussi. 

Trois disques d’un temps suspendu

Fred HERSCH : “Songs from Home” (Palmetto / L’autre distribution)

Confiné en avril dans sa maison de Pennsylvanie, Fred Hersch nous fit cadeau tous les jours pendant deux mois sur sa page Facebook, à 19h00 précise heure française, d’un morceau interprété en direct. Le succès de ces mini-concerts baptisés « Tune of the Day » lui donna l’idée d’enregistrer un disque solo dans la tranquillité et l’intimité de son domicile, une maison de campagne construite autour de son piano, un Steinway B de 50 ans. « Je voulais jouer de la musique pour rendre les gens heureux. Une partie des chansons de cet album datent d’avant que je sache ce qu’était le jazz. J’ai grandi dans les années 60 en écoutant une musique populaire qui était alors sophistiquée. » Des chansons avec lesquelles le pianiste a une longue histoire personnelle et qui ont marqué sa jeunesse.

 

All I Want de Joni Mitchell, le morceau d’ouverture de “Blue”, le disque le plus triste et le préféré de la chanteuse, bénéficie de ses choix harmoniques, de la douceur de son toucher. Son piano « un vieil ami de 50 ans » a quelques imperfections. Il le sait et lui pardonne. « Plutôt que d’en être frustré, j’en ai embrassé les défauts ». Le ré au-dessus du do médian émet un bruit sourd et percutant, audible dans Get Out of Town de Cole Porter et Wichita Lineman, une des grandes chansons de Jimmy Webb. Hersch en découvrit la version à succès de Glen Campbell, les thèmes de Webb ayant souvent été chantés par d’autres interprètes. After You’ve Gone (1918) est l’un des deux morceaux de l’album joué en stride. L’autre, le joyeux et chaloupé When I’m Sixty-Four de Lennon / McCartney, provient du célèbre “Sgt Peppers”, l’un des grands disques des Beatles.

 

Les autres standards dont Fred Hersch renouvelle les harmonies et les couleurs sont Wouldn’t It Be Lovely, un extrait de “My Fair Lady”, et Solitude de Duke Ellington dont il nous offre une version aussi sensible que délicate. Dédié à sa mère et à sa grand-mère et précédemment enregistré en solo dans “Floating” (2014), West Virginia Rose dont il caresse tendrement les notes introduit The Water Is Wilde, une chanson folklorique des Appalaches, l’histoire d’un amour perdu. Plusieurs lignes mélodiques cohabitent dans Consolation (A Folk Song), un thème rarement joué du trompettiste Kenny Wheeler. Utilisant le contrepoint, Fred Hersch tisse une toile polyphonique souple et aérée. Entre chaque note, on y entend le vent chanter. De tous ses disques, “Songs from Home” est sans doute celui qui lui ressemble le plus. Son piano y exprime ses sentiments et nous touche profondément.

Trois disques d’un temps suspendu

Brad MEHLDAU : “Suite : April 2020” (Nonesuch / Warner Music)

C’est dans un studio d’Amsterdam, ville dans laquelle la pandémie l’a contraint à demeurer, que Brad Mehldau a enregistré cet album en solo, « un instantané musical de la vie que nous avons tous vécue ce dernier mois », douze mouvements complétés par trois reprises qui lui tiennent particulièrement à cœur. Bien que confiné avec les siens, le pianiste souffre de ne pouvoir retrouver son pays hélas divisé et en proie au racisme. Dans l’intégralité de ses notes de pochette que l’on trouve sur son site, il se désole pour les familles de George Floyd, Breonna Taylor et David McAtee, tous abattus par la police, tous membres de la communauté afro-américaine dont il se sent proche par la musique. Brad Mehldau la joue sobrement, rejette toute virtuosité pour un cheminement mélodique qui exprime « des expériences et des sentiments qui sont à la fois nouveaux et communs à beaucoup d’entre nous » et questionne un monde bouleversé par le virus qui n’est déjà plus comme avant. Dans Keeping Distance, ses deux mains se gardent bien de se rapprocher tout en restant inextricablement liées, comme deux personnes qui se connaissent et s’estiment ne peuvent se passer l’un de l’autre. Le pianiste a beau décliner deux thèmes simultanément, ses mains discutent et se répondent.

 

Comme Fred Hersch qui fut son professeur, Brad Mehldau n’hésite pas à exploiter les ressources du contrepoint. Stepping Outside relève de la fugue, d’une approche harmonique européenne. Bach n’est jamais loin, de même que les compositeurs classiques que l’on entend dans son piano. Les accords mélancoliques de Stopping, listening : hearing (S’arrêter, écouter : entendre) introduisent la mélodie très simple du majestueux Remembering Before All This, dont les notes s’efforcent d’exprimer le malaise que l’on éprouve au souvenir d’un monde qui, hier encore, ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. C’est à sa famille qu’il pense dans les dernières parties de sa suite que conclut Lullaby, une berceuse. La pandémie lui a donné l’occasion de se rapprocher d’elle, de partager son quotidien. Les paroles de Don’t Let It Bring You Down du bien-aimé “After the Gold Rush” de Neil Young lui ont été d’une aide précieuse dans cette épreuve. Il le reprend ainsi que New York State of Mind de Billy Joel qu’il affectionne depuis l’âge de neuf ans, une lettre d’amour pour une ville qui a longtemps été la sienne. Écrite par Jérome Kern en 1919, la mélodie lumineuse de Look for the Silver Lining referme cet opus sur une positive lueur d’espoir.  

Trois disques d’un temps suspendu

Jean-Christophe CHOLET : “Amnesia” (Infingo / L’autre distribution)

Pianiste de formation classique, Jean-Christophe Cholet est aussi un arrangeur habile et un compositeur éclectique. Riche d’une trentaine d’albums sa discographie en comprend plusieurs avec le contrebassiste Heiri Känzig et le batteur Marcel Papaux. En décembre 2014, avec Matthieu Michel (bugle), Didier Ithursarry (accordéon) et Ramon Lopez (batterie), il enregistrait à La Buissonne le magnifique “Whispers”, l’un de mes 13 Chocs de 2016, l’un des plus beaux disques de jazz de chambre européen de ces dernières années.

 

Enregistré en juin, dans sa maison de Paupourt (Loiret) après cinquante-cinq jours de confinement, “Amnesia” est pourtant son premier album solo. Il rassemble quatorze pièces inventées spontanément, toutes différentes car traduisant les états d’âme du pianiste au moment de leur création. Des improvisations « guidées essentiellement par l’humeur d’instants privilégiés passés au cœur d’une forêt inspirante, loin de l’effervescence d’une vie courante et trépidante ».

 

Majestueux et lent, Ici et maintenant s’apparente à un hymne. Le pianiste en plaque les accords avant de jouer Impatient, une pièce abstraite construite autour d’un bref motif mélodique. Aimer se perdre, une rêverie arpégée, change peu à peu de tempo au fur à mesure de sa progression. Dans Ironie du sort, la main droite brode une délicate et soyeuse tapisserie. 1926 est une pièce grave et mélancolique. 1928 qui lui succède se pare de notes légères et cristallines. D’autres font briller Les étoiles qui porte bien son nom. Après une longue introduction onirique, une mélodie lumineuse s’y révèle. C’est la plus belle de l’album avec celle d’Amnesia qui semble s’ouvrir comme les ailes multicolores d’un papillon. On s’envole allègrement avec elle.

 

Crédits photos : Fred Hersch © Scott Morgan – Brad Mehldau © Michael Wilson – Jean-Christophe Cholet © Jean-Baptiste Millot.

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