Grâce à Romulus dont le calendrier ne commençait qu’en mars, décembre porte un nom associé à decem (dix), comme si l’année ne possédait que dix mois. Un paradoxe qui n’empêche pas décembre d’être le mois du solstice d’hiver. Le soleil rentre dans le Capricorne le 22, saturne, austère et froid, apportant rigueur et détermination aux natifs du signe. Les anciens fêtaient les Saturnales, sept jours d’agapes et de combats de gladiateurs.
Si ces derniers ont disparu, les fêtes perdurent malgré des poches de plus en plus vides, l’État, gourmand et avide, multipliant impôts, taxes et surtaxes pour renflouer ses caisses. Même l’Évêché manque de fonds. Les dons des paroissiens en berne, l’ambassade de Russie a offert le sapin destiné au parvis de Notre-Dame, un arbre de 25 mètres de haut habitué aux nuits longues et froides.
Le froid : on s’en protège comme on peut. Chapka en fourrure ou bonnet d’ours, col coupe-vent, ample manteau de laine ou en cuir de bison, collants thermolactyl Damart ou chaussettes montantes en mohair, bottines fourrées en poil de Rossinante (qu’ils prétendent !), le citadin s’emmitoufle, disparaît sous les couches de vêtements qui le couvrent. Pour mieux pleurer les feux de cheminée qui bientôt, lutte anti-pollution oblige, appartiendront au passé. Apprendre que brûler du bois une demi-journée c’est émettre autant de particules fines qu'une voiture diesel parcourant 3.500 kilomètres jette un froid. Pour continuer à se chauffer au bois à Paris et en Ile-de-France à partir du 1er janvier, chaudière à bois, poêle ou insert, installations coûteuses, seront les seules autorisées.
Ceux qui ne disposent pas d’autres moyens de chauffage réchaufferont leurs membres engourdis dans les clubs de jazz. Sauter d’un pied sur l’autre, frapper dans ses mains chauffent également le sang, mais il est rare d’applaudir chez soi les disques que l’on écoute. Il faut sortir, fêter les musiciens sur scène. La soirée annuelle qu’organise TSF à l’Olympia le 15 décembre, You & The Night & The Music (douze orchestres), affiche complet. C’est loin d’être le cas des petits clubs qui donnent leur chance à des musiciens inconnus. Les bonnes surprises existent. Découvert avec Phil Costing au Sunside le 25 novembre dernier, Jérôme Beaulieu, jeune pianiste québécois propose un jazz lyrique et mélodique d’une rare fraîcheur. Je recommande “Chercher l’équilibre” (Effendi Records), le second disque du trio qu’il anime.
Vous suivez l’actualité du jazz, vous aurez donc constaté que Jazz Magazine fête ses soixante ans avec un copieux numéro double de 164 pages : interviews de Daniel Filipacchi, Jacques Réda, Jean-Louis Chautemps, mais aussi de Nonce Paolini (TF1) et Gérard Brémond (Pierre et Vacances, TSF Jazz, Duc des Lombards). Vous apprendrez pourquoi les collaborateurs du journal aiment le jazz. Vingt musiciens français racontent leur rencontre avec lui. Un numéro tellement dense qu’il faudra patienter jusqu’en février pour découvrir les Chocs de l’année que la revue décerne. Les miens, les 13 Chocs 2014 du blogueur de Choc (12 nouveautés et un inédit), vous seront communiqués autour du 20 décembre, juste avant la mise en sommeil de ce blog pour les fêtes. Patientez donc un peu. Dans les chaudières du jazz pour remédier au froid.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-À l’initiative du chanteur Thierry Peala et afin de venir en aide à Doreen Wheeler, épouse du trompettiste Kenny Wheeler disparu le 18 septembre, un hommage sera rendu à ce dernier le 8 au New Morning. Quelques compagnons de route, mais aussi de nombreux musiciens qui l’admiraient y participeront. Né à Toronto en 1930, installé en Angleterre en 1952, Wheeler s’y fera un nom dans le monde du jazz. Co-fondateur du groupe Nucleus, membre du Globe Unity Orchestra et du United Jazz and Rock Ensemble, il fut de toutes les aventures et enregistra 23 albums sous son nom et plus d’une centaine d’autres en tant que sideman. Outre Thierry Peala (chant), seront présents : Norma Winstone (chant), Geoffrey Tamisier, Yoann Loustalot, Airelle Besson, Thomas Mayade (trompette), Georgui Kornasov (trombone), Francesco Bearzatti, Sébastien Texier (saxophones), Bruno Angelini, Edouard Ferlet, Carine Bonnefoy (piano), Franck Tortiller (vibraphone), Federico Casagrande (guitare), Henri Texier, Riccardo Del Fra, Matyas Szandai, Michel Benita (contrebasse), Aldo Romano, Christophe Marguet, Louis Moutin et Steve Argüelles (batterie).
-Toujours le 8, le cinéma Le Balzac (1, rue Balzac, 75008 Paris) accueille à 20h30 le Caratini Jazz Ensemble – 16 musiciens parmi lesquels André Villéger et Matthieu Donarier (saxophones), Claude Egea (trompette), Denis Leloup (trombone), Alain Jean-Marie (piano), Thomas Grimmonprez (batterie) – pour un ciné-concert consacré à “Body & Soul”, film muet qu’Oscar Micheaux tourna en 1924 avec l’acteur Paul Robeson, l’histoire d’une jeune femme vertueuse victime d’un escroc cynique déguisé en homme d’église. Patrice Caratini (contrebasse) en propose une nouvelle partition. Enregistrée en public au Parc Floral de Paris en juillet 2013 dans le cadre du Paris Jazz Festival, elle fait l’objet d’un disque (Caramusic / L’autre distribution) depuis le 13 octobre.
-Une dernière chance d’écouter cette année le Gil Evans Paris Workshop vous est donnée le 10. Dirigé par Laurent Cugny qui en est aussi le pianiste, l’orchestre (16 musiciens) se produira dans son lieu de résidence habituel, le studio de l’Ermitage. J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette formation de jeunes jazzmen prometteurs qui font revivre des arrangements de Gil (Time of the Barracudas), mais aussi de Laurent (In Tempo, sorte de petit concerto pour trompette, l’instrument se voyant confié à Malo Mazurié). Des compositions de Charles Mingus (Goodbye Pork Pie Hat), George Russell (Blues in Orbit) et Jelly Roll Morton (King Porter Stomp) sont également à l’honneur. Deux concerts évènements du Gil Evans Paris Workshop ont déjà eu lieu dans cette même salle. Ne manquez pas le troisième, dernier de la saison.
-Le pianiste Enrico Pieranunzi apprécie décidemment Simona Severini, une jeune chanteuse italienne originaire de Milan qui a étudié avec Tiziana Ghiglioni, donné ses premiers concerts avec le pianiste Giorgio Gaslini et publié deux disques sous son nom. Après avoir tous deux collaboré à un disque hommage au défunt Lucio Dalla publié en 2013 (“Dalla in Jazz” dans lequel ils reprennent Futura, une de ses compositions) et s’être produit avec elle au Sunside le 14 juin dernier, ils retrouvent pour deux soirs, les 12 et 13 décembre, ce même club de la rue des Lombards, Diego Imbert (contrebasse) et André Ceccarelli (batterie) complétant la formation.
-Poly-instrumentiste demandé, lauréat du prestigieux Prix Django Reinhardt en 2009, Stéphane Guillaume fêtera deux soirs de suite au Sunset (le 18 et le 19) la sortie de “Pewter Session” (Gemini Records), album marquant dix années de collaboration avec Frédéric Favarel (guitare), Marc Buronfosse (contrebasse) et Antoine Banville (batterie). Travail collectif (chaque musicien y propose ses compositions) que les nombreux instruments joués par Stéphane (saxophones alto, soprano et ténor, flûte et clarinette basse) ne rendent jamais monotone, ce nouveau disque reflète bien la complicité qui unit les membres du quartette, entente fructueuse que la scène révèle davantage encore.
-Les 26, 27 et 28 décembre, le trompettiste et Stéphane Belmondo présentera au Sunside de larges extrait de son prochain album enregistré en trio dans le Gard au Studio Recall. Un disque hommage à Chet Baker que Stéphane considère comme un de ses maîtres, et qui porte sur sa période SteepleChase, lorsque Chet jouait avec le guitariste Doug Raney et le contrebassiste Niels-Henning Ørsted Pedersen. Pour mener à bien ce travail comprenant également des compositions originales, Stéphane a fait appel à Thomas Bramerie qui lui aussi accompagna Chet, et à Jesse Van Ruller, guitariste hollandais qui remporta la Thelonious Monk Competition en 1995 devant un jury qui comprenait Pat Metheny, Jim Hall, Pat Martino et John Scofield.
-Pour terminer l’année (ou presque car nous serons le 30, veille de cette Saint Sylvestre qui promet tant de fêtes et de vœux), pourquoi ne pas se rendre au Sunside écouter des standards ? Sara Lazarus les chante merveilleusement. Les confiant à sa voix, elle sait mettre en valeur leurs mélodies inoubliables, les porter jusqu’à nous. Pour l’accompagner, Vincent Bourgeyx nous comblera de son magnifique piano, Gilles Naturel – dont le dernier opus, une merveille, a obtenu un Choc en octobre dans Jazz Magazine / Jazzman –, fera chanter sa contrebasse et Philippe Soirat, comme toujours, saura se montrer impérial à la batterie.
-New Morning : www.newmorning.com
-Le Balzac : www.cinemabalzac.com
-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
Crédit photos : “Blade Runner” © Ridley Scott – Laurent Cugny © Pierre de Chocqueuse – Enrico Pieranunzi, Stéphane Guillaume, Stéphane Belmondo, Sara Lazarus © photos X/D.R.