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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 10:02
En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

Le plein de concerts en mai avec un soleil espiègle qui aime les escapades et entre dans les Gémeaux, constellation habitée par Castor et Pollux, deux frères nés d’un œuf de cygne. Ils possèdent le don d’apaiser les tempêtes. Donc, en mai, le ciel se découvre, des vents plus doux chassent les nuages. L’air plus chaud invite à arpenter les rues, les parcs, à courir la prétentaine. Les parisiennes vous invitent à sortir et les clubs de jazz à entrer. Ma plume écrirait bien toute seule si elle le pouvait, mais les concerts qui interpellent prennent ce mois-ci beaucoup de place et je me suis promis d’écourter cet édito. Difficile de ne pas vous donner des nouvelles de Monsieur Michu. Elles sont mauvaises. Le pauvre homme ne s’est jamais remis de sa dernière attaque. Un coup dur pour Jean-Paul qui lui est très attaché. Il se repose en province, passe ses journées dans une chaise roulante, a perdu ses dents, ses cheveux, et parle difficilement. Le pire, c’est sa surdité persistante. Pas question pour lui d’aller entendre Bill Carrothers à Coutances le 29 mai dans “D-Day”, œuvre pour quintette et chœur commémorant le 70ème anniversaire du débarquement. Elle sera également jouée à Caen et à Sainte-Mère-Église. Une commande du festival Jazz Sous les Pommiers qui propose aussi le 31 Brad Mehldau en solo, lui donnant l'occasion de vérifier que ces arbres déploient bien leur floraison printanière. Monsieur Michu va aussi manquer le festival Jazz à Saint-Germain-Des-Prés qui invite cette année la belle Eliane Elias qu’il souhaitait tant rencontrer. Quatorze ans déjà que ce festival existe, donne un surplus de vie au Quartier Latin avec des conférences, des expositions, un grand bal swing, mais surtout de la musique : Youn Sun Nah, Paul Lay, Thomas Enhco en solo, le Duke Orchestra que dirige Laurent Mignard à Saint-Sulpice, Daniel Humair, Eric Truffaz, il y en a pour tous les goûts. Du 24 au 31 mai, à Coutances, le jazz sent bon la pomme. Du 15 au 25 mai, à Paris, il s’installe dans les prés. Allongez-vous dans l’herbe tendre, respirez par les oreilles et écoutez la différence : le jazz comme le ciel est plus bleu.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Ravi Coltrane au New Morning le 6. Son dernier album “Spirit Fiction” (Blue Note) n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait. Le musicien n’en reste pas moins un bon saxophoniste ténor. Le fils de John Coltrane aime prendre des risques et possède une personnalité attachante. On attend beaucoup de David Virelles, pianiste subtil qui fait merveille dans “Wislawa”, splendide opus que le trompettiste Tomasz Stanko publia l’an dernier. Dezron Douglas à la contrebasse et Johnathan Blake à la batterie complètent la formation.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Née à Albi, élevée en Algérie et amoureuse du Brésil, Do Montebello a enfin enregistré un premier album qui devrait la sortir de l’ombre. Sergio Farias (guitare), Patrick Favre (piano), Ricardo Feijão (baixolão), Christophe de Oliveira (batterie) et Julio Gonçalves (percussion) l’accompagnent dans “Adamah”, disque aux compositions et aux arrangements soignés qu’éclaire le piano lumineux de Favre, musicien que l’on souhaiterait écouter plus souvent. Do y chante les arbres, le vent, les océans, les déracinés d’une terre malmenée, mais qui porte la vie. On les retrouvera à l’Européen le 7, Sandro Zerafa (guitare) remplaçant Sergio Farias malheureusement indisponible.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Infatigable, en trio avec Eric Dervieu son batteur de toujours et Yves Torchinsky son fidèle bassiste, René Urtreger vient donner deux concerts au Sunside les 9 et 10 mai. Personne ne s’en plaindra. Les vrais amateurs de jazz seront même à la fête, car insensible aux modes, et au jazz bling bling, le pianiste propose un bop toujours aussi réjouissant. S’il joue ses propres compositions, il reste fidèle au répertoire des grands musiciens qui l’ont précédé, reprend leurs œuvres, les rend toujours actuelles et vivantes. René Urtreger : un grand jazzman tout simplement !

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Cécile McLorin Salvant à la Cigale le 12. L’année 2013 fut exceptionnelle pour cette jeune chanteuse qui la termina en tournée avec l’orchestre de Wynton Marsalis. “WomanChild” son premier vrai disque reçut le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz, Cécile manquant de peu le prestigieux Prix Django Reinhardt. Après un concert au Carré Belle Feuille en janvier dernier, elle revient se produire à Paris avec Aaron Diehl, pianiste jouant aussi bien du jazz traditionnel que du bop, Paul Sikivie à la contrebasse et Pete Van Nostrand à la batterie. Le même soir, Stacey Kent s’offre le théâtre du Châtelet en compagnie du quatuor Ébène et de Bernard Lavilliers. Entre jazz et bossa nova.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Publié en 2013, “Magnetic”, le dernier disque de Terence Blanchard pour Blue Note compte parmi les grandes réussites du jazz afro-américain. Entouré de ses musiciens habituels et de quelques invités, le trompettiste innove, modernise sa musique et la rend passionnante. Brice Winston son saxophoniste depuis bientôt quinze ans, Fabian Almazan au piano, Joshua Crumbly à la contrebasse et Kendrick Scott, batteur puissant et énergique, seront avec lui le 13 pour mettre le New Morning sous tension et faire battre les cœurs.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Ouverture du festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés le 15 avec Youn Sun Nah en l’église du même nom. Son répertoire éclectique et sa voix d’une tessiture exceptionnelle ont séduit un large public. Sur scène, elle irradie, ensorcelle et s’étonne d’être applaudie. On attend d’elle un vrai disque de jazz. Elle préfère chanter les mélodies qu’elle affectionne. Avec elle pour concélébrer la messe, Ulf Wakenius (guitare), Vincent Peirani (accordéon) et Simon Tailleu (contrebasse). Leur approche minimaliste de la musique convient bien à Youn. Un beau concert en perspective.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Le 15 toujours, Marjolaine Reymond monte à bord de l’Improviste, péniche toujours amarrée quai d’Austerlitz, pour chanter son dernier album “To Be an Aphrodite or Not To Be”, un oratorio en trois parties consacré à la poétesse Emily Dickinson (1830-1886). La musique très soignée que propose Marjolaine relève autant de la musique contemporaine que du jazz et mérite une écoute attentive. Pour l’interpréter, en faire ressortir les couleurs et les nuances, la chanteuse sera entourée de Julien Pontvianne (saxophone ténor) David Patrois (vibraphone et marimba), Xuan Lindenmeyer (contrebasse) et Stefano Lucchini (batterie).

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Légende du saxophone, Lew Tabackin, soixante-quatorze ans bientôt, reste surtout connu pour son association avec la pianiste Toshiko Akiyoshi, son épouse avec laquelle il codirigea un grand orchestre. Très demandé en studio, Lew poursuivit également une carrière sous son nom, tant au ténor qu’à la flûte, son second instrument. Prenant le risque de se produire en trio, il affrontera le public exigeant du Sunset le 16, avec comme partenaires Raphaël Dever à la contrebasse et Mourad Benhammou à la batterie.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Concerts évènements pour la batteuse Terri Lyne Carrington invitée à se produire au Duc des Lombards les 27 et 28 mai. Elle interprétera son dernier disque “Money Jungle / Provocative in Blue”, consacrée comme son nom l’indique à l’album que Duke Ellington enregistra en 1962 pour United Artists avec Charles Mingus et Max Roach. Avec elle, d’autres musiciens que ceux de son disque. Aaron Parks, un excellent pianiste, remplacera Gerald Clayton et Zach Brown se verra confier la contrebasse que jouait Christian McBride. Ajoutons un saxophoniste, Antonio Hart, pour faire bonne mesure, apporter une relecture décalée du répertoire ellingtonien.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Le 29, c’est au tour d’Alexandre Saada de s’installer devant le piano du Duc. Il a l'habitude de l'exercice et sait apprivoiser l'instrument. On peut compter sur lui pour donner vie à des paysages mélancoliques remplis de brume de petit matin, jouer des phrases tranquilles, privilégier les couleurs, le bleu du ciel, l’émotion. Je recommande son dernier disque, “Continuation to the End”, un opus en solo dans lequel Alexandre nous confie ses rêves, ses impressions intimes, au piano devient poète.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Deux concerts pour Catherine Russell. Le Festival Têtes de Série l’accueille à Roland Garros le 29 et elle retrouve le Sunside le 30. Deux occasions d'aller écouter cette chanteuse à la voix chaude et sensuelle. Son album “Strictly Romancin’” a obtenu en 2013 le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz ainsi que le Grand Prix du Hot Club de France. Depuis, elle en a enregistré un autre, “Bring it Back”, qui est tout aussi bon. La fille de Luis Russell qui fut l’un des pianistes de Louis Armstrong puise dans l’héritage de son père, reprend des joyaux de l’âge d’or du swing et des blues immortels. Avec elle, Mark Shane (piano) et Matt Munisteri (guitare) qui l’accompagnent dans ses disques et un nouveau bassiste, Tal Ronen pour cadrer le tempo d’une musique intimiste.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Le 30, au Duc des Lombards, Laurent de Wilde retrouve une rythmique américaine pour un concert acoustique que l’amateur de jazz que je suis affectionne. Car avec Ira Coleman à la contrebasse et Billy Drummond à la batterie, la musique du trio peut s’élever jusqu’à une splendeur insoupçonnable. Comme un magicien (on le dit un peu sorcier), Laurent parvient toujours à surprendre. Sous hypnose, nous visitons des paysages dans lesquels se déclinent toutes sortes de bleus. Monk s’y promène des musiques plein la tête. On y croise aussi Ellington et quelques autres. Laurent connaît bien leurs musiques. Son piano chante les rythmes et le blues, mais Laurent compose aussi des thèmes superbes, efficaces contre le stress. On en trouve plusieurs dans “Over the Clouds”, un disque de 2012 qu'il fait bon écouter.

En mai, les prés du jazz peuvent aussi sentir la pomme

-Billy Hart au Duc des lombards le 31. Avec lui depuis 2003, une poignée de musiciens fidèles jouent et peaufinent la musique d’un véritable groupe. Leur dernier album s’intitule “One is the Other”. Mark Turner en est le saxophoniste, Ethan Iverson le pianiste et Ben Street le bassiste. Si le batteur reste le principal pourvoyeur de thèmes, Iverson et Turner contribuent aussi au répertoire. Mais surtout les musiciens aiment prendre des risques, leurs compositions ouvertes offrant un vaste champ d’investigation à leurs recherches harmoniques et rythmiques.

New Morning : www.newmorning.com

L’Européen : www.leuropeen.info

La Cigale : www.lacigale.fr

Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

Jazz à Saint-Germain-des-Prés : www.festivalsaintgermainparis.com

L’Improviste : www.improviste.fr

Jazz sous les Pommiers : www.jazzsouslespommiers.com

 

CRÉDITS PHOTOS : Ravi Coltrane © Blue Note Records – René Urtreger © Philippe Marchin – Cécile McLorin Salvant © John Abbott – Terence Blanchard © Nitin Vadukul – Youn Sun Nah © Sung Yull Nah – Marjolaine Reymond © Bernard Minier – Lew Tabackin © Dirk Stockmans – Terri Lyne Carrington © Annette Brown – Alexandre Saada © Vincent Breton – Catherine Russell © Pierre de Chocqueuse – Laurent De Wilde © Sylvain Gripoix – Billy Hart Quartet © John Rogers.

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28 avril 2014 1 28 /04 /avril /2014 09:00
Prononcez Ah-kin-mou-siré !

Un nouveau disque, six concerts au Duc des Lombards, la couverture de Jazz Magazine / Jazzman en avril, Ambrose Akinmusire est le musicien afro-américain dont on parle. Médiatisé, le trompettiste l’est pour une fois à bon escient. Enraciné dans la tradition, le jazz qu’il propose n’en est pas moins étonnamment moderne et ouvre de nouvelles perspectives au genre, tant mélodiques que rythmiques.

Prononcez Ah-kin-mou-siré !

Pour y parvenir, le trompettiste s’entoure de musiciens qu’il connait depuis longtemps. Il a rencontré Harish Raghavan, son bassiste actuel, au Thelonious Monk Institute of Jazz. Walter Smith III (saxophone ténor), un ami de 10 ans, et Justin Brown (batterie), un ami de toujours, l’accompagnent sur “Prelude… To Cora”, son premier disque enregistré en 2007, l’année où il remporte la prestigieuse Thelonious Monk International Jazz Competition.

Sam Harris est le membre le plus récent du quintette. Gerald Clayton et Fabian Almazan (aujourd’hui avec Terence Blanchard qui fut un des professeurs d’Ambrose au Monk Institute) l’ont précédé au piano. Ambrose a gardé des liens étroits avec Clayton. Le batteur de ce dernier est Justin Brown et Joe Sanders, son bassiste, joue aussi dans “Prelude… To Cora”.

Prononcez Ah-kin-mou-siré !

Car, tous ces musiciens se fréquentent, forment une communauté soucieuse d’apporter au jazz afro-américain un souffle neuf. On retrouve fréquemment les mêmes noms, aux musiciens déjà cités s’ajoutant les pianistes Taylor Eigsti, Aaron Parks et Robert Glasper, les saxophonistes Dayna Stephens, Jaleel Shaw et Logan Richardson, la chanteuse Gretchen Parlato et bien sûr Eric Harland, le plus grand batteur de jazz de sa génération. J’en oublie et cette liste est loin d’être exhaustive. En attente d’une reconnaissance, la plupart d’entre eux se produisent dans des petits clubs. Les grands festivals les boudent, leur préfèrent les ténors du box office qu’ils embauchent sur catalogue sans les connaître. Pas tous ! Comme Robert Glasper avant lui, Ambrose s’est plusieurs fois produit à Jazz en Tête (Clermont-Ferrand) alors qu’il n’était qu’un parfait inconnu. L’affiche de la vingtième édition du festival (2007) qu’anime Xavier Felgeyrolles montrait même son visage.

Le 16 avril, le dernier des six concerts qu’il donna au Duc des Lombards fut un feu d’artifice de notes inattendues, d’harmonies audacieuses. Entrecroisant ou décalant fréquemment leurs lignes mélodiques, Ambrose Akinmusire et Walter Smith III multiplièrent échanges et dialogues créatifs. Souplement portés par une section rythmique inventive, leurs contrepoints sautaient les barres de mesure pour jongler avec d’improbables métriques. Impossible de reconnaître les morceaux, tant la musique, spontanée et changeante, naissait, se développait naturellement. Les thèmes devenaient les supports de nouvelles aventures improvisées et osées, l’expression d’une musique âpre et puissante n’aimant point trop exhiber son lyrisme. Il fallait tendre des oreilles attentives pour apprécier le travail subtil de Sam Harris, pianiste réactif ne perdant jamais pied devant les improbables contre-chants de la trompette.

Prononcez Ah-kin-mou-siré !

“The Imagined Savior Is Far Easier to Paint” (Blue Note / Universal Music) surprend par sa richesse. Vaste et longue fresque sonore dépassant les 78 minutes, elle fait parfois appel à un quatuor à cordes, souvent rejoint par la flûte d’Elena Pinderhugues et la contrebasse de Harish Raghavan. Bénéficiant d’une telle orchestration, The Beauty of Dissolving Portraits place aussi Ambrose en vedette. Soufflant de longues notes tenues, suspendues entre ciel et terre, comme si de mystérieuses voix intérieures guidaient son chant, il s’y révèle particulièrement inspiré.

Rejointes par sa section rythmique, ces mêmes cordes habillent Our Basement, seule pièce de l’album qu’Ambrose n’a pas écrit. On la doit à la chanteuse Becca Stevens qui la chante magnifiquement. Sur un accompagnement de pizzicatos discrets, la trompette commente en apesanteur et assure les obbligatos. Elle fait de même dans Ceaseless Inexhaustible Child, offrant un écrin velouté à la voix de Cold Speaks. Inspiré par le portrait que la journaliste Michelle Mercer fait de Joni Mitchell dans “Will You Take Me as I Am : Joni Mitchell’s Blue Period”, un livre de 2009, Asiam (Joan) est chanté par Theo Bleckmann qui en a écrit les paroles et contribué à l’arrangement. Très soignées et bienvenues, les parties vocales de l’album, permettent plus facilement d’y rentrer. Car, confiées aux musiciens réguliers d’Ambrose que complète le guitariste Charles Altura, les pièces instrumentales ne possèdent pas le même pouvoir de séduction. Leur complexité rythmique, leurs lignes mélodiques anguleuses en partie masquées par l’énergie des musiciens, rendent même leur écoute difficile. Enregistré live au Jazz Standard de New York et dernier morceau de l’album, Richard (conduit), seize minutes d’une musique in progress et livrée à l’état brut demande une attention particulière. L’auditeur doit faire l’effort d’aller vers cette musique qui témoigne de la quête de perfection d’un musicien exigeant.

Comment ne pas penser aux disques Blue Note qu’enregistrèrent dans les années 60 Eric Dolphy, Andrew Hill, Jackie McLean, Grachan Moncur III, Sam Rivers Wayne Shorter, Tony Williams, musiciens qui proposaient une autre modernité face au jusqu’au-boutisme suicidaire du free-jazz. Moins réussi que les albums novateurs du label – “Out to Lunch” de Dolphy, “Contours” de Rivers, “Destination Out” de McLean, “Lifetime” de Williams, les citer tous seraient fastidieux –, mais porteur d’une musique plus aboutie que celle de ses deux disques précédents, “The Imagined Savior Is Far Easier to Paint” est à rapprocher de “Magnetic” et de “Life Forum”, albums que publièrent l’an dernier Terence Blanchard et Gérald Clayton. Ils témoignent d’un renouveau du jazz afro-américain que l’on suivra avec attention.

Crédit Photos : Ambrose Akinmusire © Photos Emra Islek - Affiche du festival Jazz en Tête, photo Michel Vasset.

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22 avril 2014 2 22 /04 /avril /2014 10:04
Paul BLEY : “Play Blue” (ECM / Universal)

Sans personne pour l’accompagner, sa musique prête à jaillir, Paul Bley se lance, frappe ses notes comme des tambours, les bouscule et les rythme. Le morceau s’intitule Far North et de cette répétition martelée surgit une délicieuse mélodie, le chant d’un piano vocalisé et unique. Des basses puissantes répondent aux aigus de l’instrument, des phrases tumultueuses succèdent à des séquences purement lyriques. Le pianiste abandonne le thème, y revient, pose des notes rêveuses et tendres, d’autres plus noires et agressives.

Paul Bley n’avait plus fait parler de lui depuis son concert en solo à la Cité de la Musique en septembre 2010, une prestation inégale, celle d’un immense musicien fatigué qui refuse d’abandonner, choisit de toujours avancer. Le solo, il connaît. C’est même sa spécialité. De nombreux albums de sa discographie appartiennent à cet exercice périlleux et sans filet que redoute de grands pianistes. On les trouve difficilement, sauf ceux qu’il a enregistrés pour ECM et OWL, des labels européens. Ses nombreux concerts donnés à travers le monde furent souvent l’occasion de séances pour des compagnies de disques, des grandes et des petites. Dans les années 70, il a même possédé la sienne, IAI (Improvising Artists Incorporated), publiant ainsi la musique de ses concerts. Des heures d’enregistrements dorment toujours, attendent d’être édités.

Moins actif aujourd'hui, Paul Bley, 82 ans bientôt, se rappelle à nous dans un piano solo de 2008, un concert que le public du Oslo Jazz Festival a sûrement apprécié. Loin de lui faire peur, jouer en solo stimule son imagination constamment en éveil. Les idées succèdent aux idées dans de longues plages improvisées. C’est même goulûment qu’il s’installe au piano, prêt à nous faire partager sa musique, à nous l’offrir entière avec la part d’ombre et les imperfections qu’elle recèle et qui en font ressortir la poésie. Martelées, frappées, ses notes sonnent et résonnent comme le feraient celles d’un orchestre. Qu’importe si parfois ses doigts les trahissent. Fruits d’une pensée active et fluide dont le mouvement refuse toute précipitation, ses vagues de notes plus ou moins denses soulèvent et transportent. Dissonances et constructions abstraites témoignent des recherches d'un esprit libre et frondeur, mais l’orage ne dure jamais longtemps, comme l'atteste sa Way Down South Suite. Sans crier gare, après cinq minutes et vingt secondes d'une traversée quelque peu tempétueuse, le piano se tait pour aborder les rivages du blues avec force lyrisme. Paul en fredonne la mélodie, échos allusifs d’une musique qu’il n’a pas oubliée, d’une histoire indissociable de la sienne. En 1963, il enregistrait avec Coleman Hawkins et Sonny Rollins l’incontournable “Sonny Meets Hawk !”. De ce dernier, il reprend Pent-Up House en rappel, le déconstruit, le réinvente. On se laisse emporter dans un tourbillon de notes. Aussi folles que belles, elles font perdre la tête.

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7 avril 2014 1 07 /04 /avril /2014 11:45
Drôle de jazz

Avril, mois de ces poissons de papier que l’on accroche un certain jour sur le dos des passants. Il fait beau et chaud malgré un air pollué, un vrai temps de mai qui incite les parisiens à promener les parisiennes, à baguenauder dans des jardins qui retrouvent des couleurs printanières. Prises d’assaut, les terrasses des cafés se couvrent de demoiselles dévêtues qui cherchent le soleil, offrent leur peau à leurs rayons pour dorer. Les tee-shirts moulants soulignent des poitrines conquérantes qui faciliteront bientôt les rencontres estivales, favoriseront les épanchements nocturnes. IPhone toujours à portée de main, casque vissé sur la tête ou écouteurs dans les oreilles, elles semblent apprécier d’étranges musiques compressées dont quelques notes confiées au vent parvinrent jusqu’à moi également attablé. Intrigué, je demandai à ma voisine, une jolie blonde, ce qu’elle écoutait. «Le dernier disque d'Ibrahim Maalouf ». « Du Jazz » ajouta-t-elle, ignorant qu’elle énonçait une contre-vérité. Plébiscité dans les festivals qui dévoilent dès à présent leur programme de l’été, le trompettiste libanais est représentatif de la confusion des genres qui règne aujourd’hui. L’homme est plutôt sympathique et je ne porterai aucun jugement sur sa musique, me bornant à regretter que cette dernière puisse être assimilée à du jazz. Dans une récente interview accordée à Jazz Magazine / Jazzman, Maalouf confie bien volontiers, que le jazz n’est pas sa musique, qu’il ignore tout de son histoire. Il connaît le Miles Davis de “Kind of Blue”, mais les trompettistes qu’il écoute sont aussi Jon Hassell et Nils Petter Molvær, musiciens qui ouvrent certes d’autres horizons, mais jouent une toute autre musique que du jazz. Le jouer demande une culture que nombre de « jazzmen » ne possèdent pas. Le conservatoire apporte technique et savoir-faire, rend capable de composer, d’improviser, mais ne donne nullement les clés de cette musique née en Amérique, musique métissée qui possède une grammaire, un vocabulaire qui lui permet d’être toujours actuelle et vivante, sa capacité de renouvellement passant par une nécessaire connaissance de ses règles, de son glorieux passé.

 

Ibrahim Maalouf se trompe lorsqu’il déclare dans cette même interview que la validation du public donne sa valeur à une expression artistique. Ce n’est pas parce qu’une majorité de français regardent les programmes de TF1 que ces derniers valent quelque chose. Les best-sellers de l’édition (disques, livres) ont-ils forcément valeur artistique ? Vaste débat qui nous éloigne de notre sujet. Toujours est-il que, présentées comme du jazz, des musiques qui n’en sont pas envahissent les festivals l’été et font le bonheur des Dugenoux, musiques du monde abusivement estampillées jazz, musiques faciles et racoleuses qui témoignent d’un nivellement des oreilles par le bas, mais aussi musiques cérébro-spinales aux métriques aussi complexes que pesantes, aux mélodies inexistantes. Pourquoi faire simple quant on peut compliquer, complexifier à outrance ? Habile lecteur, le musicien ne quitte guère aujourd’hui sa partition des yeux sauf lorsqu’il improvise, met tout son savoir à se passer de mélodie, à s’interdire le découpage ternaire de la mesure à quatre temps, cette accentuation des temps faibles qui donne sa légèreté aux notes et les fait virevolter.

 

Rassurez-vous, l’amateur de jazz trouve toujours chaussure à son pied. Grâce aux clubs qu’il fréquente, il peut écouter du jazz toute l’année. Saluons donc l’apparition d’un nouveau lieu, la Nouvelle Seine, péniche amarrée quai de Montebello, théâtre flottant de 115 places au pied de Notre Dame. À son bord, deux fois par mois, le lundi soir, un concert en deux sets d’une heure (20h30 et 22h15) vous sera proposé. Gage de sérieux et de qualité, la programmation a été confiée à Jean-Jacques Pussiau, producteur toujours à l’écoute qui après quelques disques inoubliables pour le label Out Note, occupe ainsi de nouvelles fonctions. Daniel Humair en trio le 14, Jean-Louis Chautemps en quartette le 28, qu’attendons-nous pour faire sortir nos parisiennes ?

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT      

Drôle de jazz

-Après le New Morning en décembre, Mélanie De Biasio s’offre La Cigale le 10. Sa carrière fut lente à démarrer. Des concerts donnés au Sunside et au Sunset en 2008 à l’occasion de la sortie de “A Stomach is Burning”, son premier disque repéré par quelques amateurs de jazz (dont Frédéric Charbaut qui admire beaucoup la chanteuse) et quelques bonnes chroniques ne suffirent pas à la lancer. Publié l’an dernier, moins jazz mais très séduisant, “No Deal” parvint à toucher un public et une presse plus large. Encensée par Télérama et les Inrockuptibles, Mélanie De Biaso qui s’exprime aussi à la flûte sème désormais le trouble par une voix grave et sensuelle, des mélodies poignantes qui transcendent les genres. Pascal Paulus (claviers), Pascal Mohy (piano) et Dre Pallemaerts (batterie), les musiciens de son disque, seront probablement avec elle lors de ce grand rendez-vous parisien.

Drôle de jazz

-Toujours le 10, le Studio de l’Ermitage accueille en trio à 20h30 Jack Wilkins. Guitariste parfois associé à Stanley Turrentine et à Jimmy Heath, Wilkins a également accompagné des chanteurs (Ray Charles, Mel Tormé, Tony Bennett) et des chanteuses (Sarah Vaughan, Morgana King). Avec Yves Torchinsky à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie, son concert parisien sera un hommage à son confrère Tal Farlow (1921-1998), grand styliste de la guitare jazz qui s’est souvent produit en France avec Philippe Petit.

Drôle de jazz

-Dernier jour pour Banlieues Bleues le 11 avec un double plateau à ne pas manquer, celui de Roy Nathanson et son groupe Sotto Voce, puis Cassandra Wilson et ses musiciens – Grégoire Maret (harmonica), Brandon Ross (guitares), Jon Cowherd (piano), Lonnie Plaxico (basse), John Davis (batterie) investissent la MC93 de Bobigny. Nathanson, je viens d’en parler. Ma chronique de “Complicated Day”, son nouveau disque, devrait vous donner envie de l’écouter. Quant à Cassandra Wilson, on ne la présente plus. La chanteuse semble avoir absorbé tous les genres. Elle n’oublie pas son Mississippi natal et la place qu’elle accorde au blues reste prépondérante. Sa voix grave de contralto ensorcelle. Elle chante Muddy Waters, Robert Johnson, reprend des standards de la pop et ose de bonnes compositions personnelles.

Drôle de jazz

-À la tête d’un septet, Baptiste Herbin retrouve le Duc des Lombards le 12 pour jouer Oliver Nelson. Saxophoniste et vrai jazzman, le garçon ne craint pas de se mesurer aux plus grands. On l’a entendu à Clermont-Ferrand animer de tardives et explosives jam-sessions. Dans “Brother Stoon” un disque de 2012 enregistré en quartette, son premier (on attend la suite), il privilégie l’héritage afro-américain, le canal historique et fait allégeance au bop, au blues et à la musique des îles. La nouvelle formation qu’il présentera au Duc aligne Michael Chéret et Fred Couderc aux saxophones, Julien Alour à la trompette, Vincent Bourgeyx (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie) assurant la section rythmique. Soirée brûlante en perspective !

Drôle de jazz

-Ambrose Akinmusire au Duc des Lombards pour 6 concerts, du 14 au 16 avril. Âgé de 30 ans, ce trompettiste exigeant et sincère fait ce mois-ci la couverture de Jazz Magazine / Jazzman, son nouveau disque Blue Note, “The Imagined Savior is Far Easier to Paint” (Choc) étant soutenu sans réserve par la rédaction du journal. Sortant des sentiers battus, cet opus ambitieux, 78 minutes d’une musique dense, imprévisible, aux arrangements aussi variés que soignés, nécessite plusieurs écoutes pour être pleinement apprécié. Réunir sur la scène du Duc tous les intervenants de l’album étant peu aisé, Akinmusire vient se produire avec Walter Smith III (saxophone ténor), Sam Harris (piano), Harish Raghavan (contrebasse) et Justin Brown (batterie), tous membres de son quintette habituel.

Drôle de jazz

-Sous le nom de Spring Quartet se dissimulent Joe Lovano (saxophone ténor), Leo Genovese (piano), Esperanza Spalding (contrebasse) et Jack DeJohnette (batterie). Le nom de Genovese nous est moins familier. Pianiste habituel de Spalding, il accompagne cette dernière sur les scènes du monde entier. Celle du théâtre du Châtelet accueillera la formation le 15 (20h00) avec au programme une douzaine de compositions originales qui, désormais parfaitement rôdées, feront bientôt l’objet d’un disque, le groupe achevant à Paris une importante tournée européenne.

Drôle de jazz

-Clovis Nicolas au Sunside le 15 et le 16. Il a longtemps disparu des clubs parisiens après avoir accompagné nombre de musiciens français parmi lesquels Baptiste Trotignon et les frères Belmondo. Normal, car installé à New York depuis 2002, il perfectionnait son instrument, la contrebasse, à la Juillard School et y étudiait la composition. À la tête de son New York Quintet, il retrouve la capitale. Riley Mulherkar (trompette) et Luca Stroll (saxophones) jouent dans “Nine Stories”, album enregistré sous son nom que publie Sunnyside, neuf histoires ancrées dans un réjouissant bop moderne. Clovis Nicolas en a écrite certaines, arrangeant aussi The Bridge (Sonny Rollins) None Shall Wander (Kenny Dorham) et deux standards. Samora Pinderhughes (piano) et Luca Santaniello (batterie) complètent sa formation.

Drôle de jazz

-Greg Osby (alto et soprano) au Sunset le 25 avec Vein, groupe comprenant Dave Liebman (soprano et ténor), Michael Arbenz (piano), Thomas Lähns (contrebasse) et Florian Arbenz (batterie). Auteur de plusieurs disques très réussis pour Blue Note, Osby s’est naguère distingué au sein du Special Edition de Jack DeJohnette, mais aussi auprès de Steve Coleman et de Marc Copland avec lequel il a enregistré plusieurs albums en duo. On découvrira avec curiosité cette nouvelle formation déjà plébiscitée : « Il y a de l'oxygène, du sang neuf et bouillonnant qui circule dans ce groupe dont le concept est de réunir diverses influences et de les frotter aux traditions. »

Drôle de jazz

-Ne manquez pas le trio réunissant Larry Goldings (orgue Hammond), Peter Bernstein (guitare) et Bill Stewart (batterie). Les trois hommes se produisent au Duc des Lombards le 28 et le 29. Ils se connaissent depuis 25 ans, savent s’écouter, se comprendre, l’interaction n’étant pas un vain mot dans leur approche souvent télépathique de la musique. Ils sortent un nouvel album en avril sur le label Pirouet. Son titre, “Ramshackle Serenade” devrait interpeler les lecteurs de Mark Twain qui ont encore de la mémoire.

-La Nouvelle Seine : www.lanouvelleseine.com

-La Cigale : www.lacigale.fr

-Studio de L’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

Crédits Photos : Mélanie De Biasio © Frank Loriou – Jack Wilkins © Melody Reed – Baptiste Herbin © Pierre de Chocqueuse – Ambrose Akinmusire © Blue Note Records – Spring Quartet © Jim Brock – Clovis Nicolas © Sunnyside Records – Greg Osby © Clay Patrick McBride – Peter Bernstein, Bill Stewart & Larry Goldings © Konstantin Kern – Clowns musiciens & Cassandra Wilson © photos X/D.R.

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27 mars 2014 4 27 /03 /mars /2014 09:27
Roy NATHANSON’S SOTTO VOCE : “Complicated Day” (Enja Yellowbird / Harmonia Mundi)

Saxophoniste, compositeur, enseignant, poète, acteur – pour Jim Jarmusch et Chantal Akerman notamment –, le new-yorkais Roy Nathanson, toujours dix fers au feu, choisit ici de mettre des paroles sur ses musiques, de célébrer la voix, les voix des musiciens de Sotto Voce, sextette qu’il créa en 2006. Ce n’est pas la première fois qu’il enregistre un disque qui met des chanteurs en valeur. On se souvient peut-être de l’album “In Love” des Jazz Passengers, formation fondée par ses soins en 1987. Produit par Hal Willner, il réunit nombre de vocalistes dont Bob Dorough, Jimmy Scott, Jeff Buckley et Deborah Harry. Le groupe tourna en Europe et aux Etats-Unis l’année suivante, Elvis Costello rejoignant parfois sur scène la chanteuse de Blondie. En 2008, Susi Hyldgaard confia ses chansons à Nathanson pour qu’il lui arrange un album. Enregistré avec le NDR Big Band, Roy co-dirigeant l’orchestre avec Dieter Glawischnig, son chef attitré, “It’s Love We Need” reste une incontestable réussite. Ce n’est donc pas vraiment une surprise si dans “Complicated Day”, les voix deviennent aussi importantes que les musiques qui les habillent. Elles portent les textes de Roy, ses chansons, ses poèmes qui ici se récitent, se lisent – les paroles sont reproduites dans le livret – et se chantent. Mis à contribution, les musiciens du groupe assurent les parties vocales, chœurs ou lead selon les plages, Nathanson se chargeant lui-même de Simon, No Storytelling et On a Slow Boat to China que Frank Loesser composa en 1948. L’amateur de jazz un tant soit peu cultivé en connaît la version qu’en donna Benny Goodman la même année. Ella Fitzgerald bien sûr le chanta. Autres reprises : Do Your Thing d’Isaac Hayes chanté superbement par Napoleon Maddox responsable des boîtes à rythmes, et I Can See Clearly Now, un morceau de Johnny Nash choisi et arrangé par Tim Kiah, le bassiste du groupe. Les instruments en soulignent les mots, les mettent en perspective. No Storytelling et World of Fire qu’Ornette Coleman aurait pu signer, sont introduits par une fanfare. And contient une large séquence instrumentale. Saxophone alto, soprano ou baryton (Roy Nathanson), trombone (Curtis Folkes), guitare ou banjo (Jérôme Harris), violon (Sam Bardfeld) et le propre fils de Roy, Gabriel Nathanson, à la trompette dans I Can See Clearly Now, l’instrumentation singulière jette un pont entre le jazz traditionnel et le free jazz, pâte sonore chaude et levée à point que n’enferme pas des barres de mesure trop rigides. Ajoutons une pincée de country à la musique malicieuse qu’offre ici le groupe, de vraies chansons, des mélodies qui restent en mémoire, ce disque festif et lyrique étant bien sûr recommandé.

En concert le 11 avril à Bobigny (MC93) dans le cadre du festival Banlieues Bleues.

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 10:03
Kris BOWERS : “Heroes + Misfits” (Concord / Universal)

Perméable à de nombreux styles musicaux, ce premier disque captive de bout en bout, ce qui n’est pas banal. Kris Bowers puise allégrement dans la soul et le hip hop, provoque la surprise en variant sans cesse ses orchestrations. Arrangé avec soin, son disque fourmille de bonnes idées, de mélodies attachantes. Stevie Wonder aurait pu signer celle de Wonderlove, un thème digne de ses grands albums des années soixante-dix. Kris a baigné dans cette musique, celle de ses parents qui appréciaient aussi Marvin Gaye et Earth, Wind and Fire. Mais Kris Bowers est aussi un remarquable pianiste. En 2011, il remportait la prestigieuse Thelonious Monk International Jazz Piano Competition devant un jury comprenant Herbie Hancock, Jason Moran, Danilo Pérez et Renee Rosnes. S’il prend bien sûr quelques chorus, affiche un lyrisme, une facilité insolente à faire chanter l’instrument, il laisse beaucoup s’exprimer les musiciens qui l’entourent. Jouée par Adam Agati, une guitare électrique branchée sur des pédales d’effets occupe ainsi l’espace sonore de Wake the Neighbors, un des nombreux morceaux à tiroirs de l’album. Casey Benjamin et Kenneth Whalum se partagent les saxophones et plusieurs plages en bénéficient. Chris Turner, José James et Julia Easterlin assurent les parties vocales. Chanté par cette dernière, Forget-er fait penser à du Björk. Avec ferveur, José James plonge Ways of Light dans un bain de gospel. Soutenu par une section rythmique très souple privilégiant groove et rebonds, Burniss Earl Travis II à la basse électrique et Jamire Williams à la batterie, Kris Bowers utilise divers claviers. Piano acoustique, Fender Rhodes, synthétiseurs offrent une large palette de couleurs à ses compositions, les instrumentaux du disque se révélant très cinématographiques. A New York, à la Julliard School, le pianiste s’était aussi spécialisé dans la composition de musique de films. Avec une équipe réduite, le re-recording permettant de doubler les voix, de multiplier les saxophones, il parvient ainsi à créer une bande-son aux climats variés et inattendus. On ne sait jamais ce qu’il va advenir d’un morceau. Il bifurque, redémarre avec une mélodie nouvelle, hérite d’autres rythmes, fait de grands écarts. La surprise est totale. Cet album qui s’ouvre sur des gazouillis d’oiseaux mérite mieux que les quelques lignes négatives que lui consacre Jazz Magazine / Jazzman. Il est recommandé de l’écouter fort. Le choc en est d’autant plus grand.

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 10:00
Douches froides et printemps précoce

Mars : Après nous avoir apporté inondations et consternation, l’anticyclone des Açores de nouveau à sa place annonce une accalmie. Un franc soleil fait à nouveau sourire les parisiennes, sortir les parisiens. Les jours s’allongent. L’astre solaire entre dans le Bélier le 21 et ouvre les portes d'un printemps qui semble bien précoce. Prudent, le citadin hésite pourtant à changer ses habitudes. Privé d’ondées, le parapluie ne déverse plus son eau, mais reste à portée de main dans la crainte d’un temps capricieux. Pas un seul flocon de neige n'a touché le sol de la capitale, mais le manteau de laine, lourd et épais, est toujours de saison. Bonnet, béret, casquette et chapeau chinois également. Car malgré un hiver particulièrement doux, la pluviométrie s’est révélée bien supérieure à la normale. Méfiance, des douches froides peuvent encore nous tomber sur la tête. La Seine-Saint-Denis en réserve quelques-unes. Banlieues Bleues qui fête sa 31e édition mélange les genres, invite à découvrir d’autres musiques et pratique allègrement l’électrochoc. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les oreilles. Si les miennes, délicates et gourmandes, se réjouissent de la présence de certains visiteurs, Randy Weston et Billy Harper le 14 mars, Roy Nathanson’s Sotto Voce et Cassandra Wilson à Bobigny le 11 avril, elles craignent aussi l’agression sonore qui mène tout droit à l’hôpital. Toujours souffrant, Monsieur Michu en sait quelque chose. L’amateur de jazz consultera attentivement le programme. En mars, on le verra aussi au cinéma. Le 19, sort sur les écrans un biopic sur Monica Zetterlund. La plus célèbre chanteuse de jazz suédoise resterait probablement ignorée hors des frontières de son pays sans un disque enregistré en 1964 avec Bill Evans. Réalisé par Per Fly et bénéficiant d’une réalisation très soignée, “Valse pour Monica” couvre ses plus belles années. Chanteuse, mais aussi actrice, elle fut la première à chanter du jazz en suédois. Pour l’interpréter Edda Magnason, une autre chanteuse, crève l’écran. “Valse pour Monica” est son premier film. Elle s’incarne dans son personnage, lui ressemble physiquement. Une bande-son époustouflante achève de convaincre. Après la séance, faites un tour rue Lepic. Au numéro 11, le jazz club et restaurant Autour de midi et minuit abrite jusqu’à la fin mai une vingtaine de photos en noir et blanc de Philippe Baudoin alias Philippe de Montmartre. L’exposition s’intitule « Le swing pour objectif ». Par les temps qui courent, garder le cap sur le jazz qui ressemble à du jazz, une folie, mérite d’être salué.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

Douches froides et printemps précoce

-Ils ont fait un tabac au Sunset, en février 2013. Ils occuperont au Sunside le 7 mars pour jouer le répertoire de leur prochain album consacré à Duke Ellington. Sylvia Howard est toujours accompagnée par ses boys du Black Label Swingtet, formation qui réunit Georges Dersy (trompette), Jean Sylvain Bourgenot (trombone), Christian Bonnet et Antoine Chaudron (saxophones), Jacques Carquillat (piano), Jean de Parseval (basse électrique) et André Crudo (batterie), des sexagénaires au pedigree impressionnant qui pactisent depuis longtemps avec le swing, denrée rare chez les jeunes jazzmen. Responsable des arrangements, convainquant au ténor, l’infatigable Christian Bonnet offre à sa chanteuse une formation festive que nous aurions tort de bouder.

Douches froides et printemps précoce

-Grand technicien du piano, Benny Green est programmé le 7 et le 8 au Duc des Lombards. Il accompagna quatre ans Betty Carter avant de rejoindre les Jazz Messengers d’Art Blakey où il se révéla en tant que soliste. Hard bopper accompli, affectionnant les longs block chords, les lignes mélodiques aux notes abondantes, il se plaît à maitriser un jeu virtuose ancré dans le swing et la tradition churchy. David Wong (contrebasse) et Kenny Washington (batterie) seront ses partenaires pour ses concerts parisiens.

Douches froides et printemps précoce

-Ne manquez pas Alexandre Saada au Sunside le 8 (concert à 19h00). Outre quelques extraits de “Continuation to the End”, disque récemment commenté dans ces colonnes, le pianiste développera de nouvelles improvisations, inventera d’autres mélodies, son imagination fertile privilégiant le discours poétique, l’expression juste. Il possède un jeu fluide et élégant et, avec peu de notes, dessine et colore des paysages dans lesquels il fait bon entrer.

Douches froides et printemps précoce

-Sara Lazarus fait peu de disques et passe davantage de temps avec ses élèves que dans des salles de concerts. On l’écoutera le même soir (le 8), dans le même club à 21h00. Peu encline à accomplir d’inutiles prouesses vocales, elle met son chant au service des mélodies, les sert avec bonheur et inspire le respect. Avec elle, un trio d’exception : Vincent Bourgeyx (piano), Gilles Naturel (contrebasse) et Philippe Soirat. Difficile de faire mieux pour l’accompagner.

Douches froides et printemps précoce

-Batteur de Roy Hargrove, Willie Jones III est attendu au Duc des Lombards le 11 et le 12 (20h00 et 22h00). Il était au Sunside en mai dernier pour rendre hommage à Max Roach et Clifford Brown. Au Duc, il se produira à la tête d’un groupe dont les membres nous sont familiers. Musiciens inventifs, Eddie Henderson (trompette), Justin Robinson (saxophone), Danny Grissett (piano) et Daryl Hall (contrebasse) peuvent créer la surprise.

Douches froides et printemps précoce

-Annick Tangora au New Morning le 13 pour fêter la sortie de “Springtime” son 4ème album (Frémeaux & Associés). Chanteuse à la voix solaire, Annick chante en plusieurs langues une musique métissée qui sent bon l’enivrant parfum des îles, une musique d’outre-mer associée à la danse et aux rythmes latins. Elle change aisément d’octave, invente ses propres onomatopées rythmiques, apporte des couleurs afro-cubaines aux morceaux qu’elle reprend, les siens et ceux des autres. Mario Canonge (piano) et Tony Rabeson (batterie) se sentent bien avec elle et portent le groove au cœur de la musique. Thomas Bramerie complète avec bonheur le groupe à la contrebasse et Alain Jean-Marie est invité à se mettre au piano.

Douches froides et printemps précoce

-Un concert gratuit le 14 à partir de 20h30 avec Lenny Popkin en trio avec Gilles Naturel à la contrebasse et Carol Tristano à la batterie ne se refuse pas. L’endroit : l’Harmonie Café, 35 boulevard Magenta 75010 Paris. Les amateurs de Lennie Tristano connaissent bien ce saxophoniste qui fut son élève. Influencé par deux autres disciples du pianiste, Lee Konitz et Warne Marsh, il échangea son alto pour un ténor, et joue le plus souvent dans l’aigu de l’instrument, sa sonorité diaphane s’accordant avec un jeu fluide et imaginatif.

Douches froides et printemps précoce

-Randy Weston (piano) et Billy Harper (saxophone ténor) en duo à l'Espace 1789 de Saint-Ouen le 14, concert organisé dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Les deux hommes se connaissent depuis une rencontre à Tanger en 1972. Harper joue dans “Tanjah”, un disque de Weston de 1973. Ils ont enregistré l’an dernier un nouvel opus pour Universal. “The Roots of the Blues” témoigne de leurs affinités. Tous deux cherchent l’épure, refusent le trop plein de notes pour mieux faire chanter leurs instruments, rendre leur conversation plus spirituelle que charnelle.

Douches froides et printemps précoce

-Danilo Pérez au New Morning le 18. Avec Ben Street (contrebasse) et Adam Cruz (batterie), Roni Eytan les rejoignant parfois à l’harmonica, le pianiste panaméen interprétera “Panama 500 ambitieux nouvel album qui rend hommage au conquistador Vasco Núñez de Balboa, premier européen a avoir découvert l’Océan Pacifique. Jouant une musique très ouverte, Pérez aime masquer les mélodies qu’il introduit en solo, s’éloigne souvent des thèmes pour suivre ou compléter les lignes mélodiques de son bassiste, une voie médiane entre latinité et jazz s’offrant à sa musique. Sa section rythmique en révèle les influences latines, rythmes de rumba ou de tamborito s’intégrant à une polyrythmie très riche.

Douches froides et printemps précoce

-Envie de découvrir de jeunes musiciens prometteurs ? Au Sunside le 25 mars, Flash Pig vous en offre l’occasion. La formation porte un drôle de nom, propose un jazz moderne, ouvert et séduisant. Elle comprend Maxime et Adrien Sanchez, des jumeaux. Le premier tient le piano et compose la plupart des thèmes ; le second joue du saxophone alto. Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie complètent le quartette à qui l'on doit un premier album très réussi.

Douches froides et printemps précoce

-Le 25, le Studio de l’Ermitage accueille le Yves Torchinsky’s European Jazz Family. Compagnons de longue date du contrebassiste, Claus Stötter (trompette), Simon Spang-Hanssen (saxophone ténor, flûte), Pierre-Olivier Govin (saxophones alto et soprano), Samuel Blaser (trombone), Philippe Michel (piano et arrangements) et François Laizeau (batterie) en sont membres. Musiciens européens de talent, ils partagent avec lui de nombreuses affinités musicales et préparent un album dans lequel ils souhaitent actualiser et prolonger certaines œuvres de l’histoire du jazz. Son titre : “Freedom Jazz Dance”.

Douches froides et printemps précoce

-Le 27 au Sunside, Jean-Michel Pilc (piano), Thomas Bramerie (contrebasse) et André Ceccarelli (batterie) fêtent la sortie de “Twenty(Bonsaï Records), un disque qui scelle leur vingt ans d’amitié. Outre des compositions collectives, le trio dépoussière des standards parfois inattendus et interprète des originaux du pianiste, ce dernier, tout feu tout flamme, se révélant être un fin mélodiste. S’appuyant sur des thèmes forts et lyriques, les trois hommes les transforment, les bousculent avec tendresse et passion. Du grand art !

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Harmonie Café : www.harmoniecafe.fr

-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

Crédits Photos : Edda Magnason © Chrysalis Films – Benny Green © Elde Stewart – Alexandre Saada, Yves Torchinsky © Pierre de Chocqueuse – Annick Tangora © Loïc Bon – Lenny Popkin © Fred Thomas – Randy Weston & Billy Harper © Jules Allen – Danilo Pérez © Raj Naik & Luke Severn – Flash Pig © Pauline Pénicaud – Sara Lazarus, Willie Jones III Band, Jean-Michel Pilc © Photo X/D.R.

Illustration : Sylvia Howard & The Black Label Swingtet © Cabu.

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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 09:10
Jazz : the French Touch

Quelques disques made in France pour changer, se démarquer de bien tristes Victoires de la Musique. Du jazz de qualité que l’on doit à de jeunes musiciens qui demain assureront la relève. Des coups de cœur au sein d’une production pléthorique et inégale. Le meilleur, c’est aussi Nicolas Folmer qui nous l’offre. Grâce à Daniel Humair et les musiciens du groupe épatant qui l’entourent. Daniel qui n’est plus un jeunot impressionne par sa capacité de renouvellement. Avec lui, la musique de Nicolas s’ouvre sur tous les possibles et c’est tant mieux. Le jazz bouge, changez vos habitudes.

Jazz : the French Touch

Flash Pig : “Remain Still” (Plus Loin Music / Abeille Musique)

Flash Pig : Drôle de nom pour un groupe. La pochette, très rock’n’roll, n’est pas non plus terrible. Ce ne pourrait être qu’un disque de plus, un de ceux que l’on range dans la pile d’un placard, tout en haut d'une étagère. Une fois ôté le film plastifié qui le recouvre, un texte de Pierre de Bethmann qui donne envie de l’écouter s'offre à la lecture. Pierre, un excellent pianiste dont j’ai du mal à pénétrer la musique ne tarit pas d’éloges : « Avec un son d’une rare cohérence, les quatre musiciens savent guider comme dérouter, rassurer comme surprendre, affirmer comme suggérer, ensemble avant tout. » Un trop plein de dithyrambes me rend méfiant. Néanmoins j’écoute et découvre un quartette proposant une musique parfaitement cohérente, des compositions originales bien arrangées, du jazz moderne et ouvert qui ressemble à du jazz, chose rare aujourd’hui. Le groupe s’articule autour des frères Sanchez, Maxime et Adrien, des jumeaux. Maxime tient le piano et compose la plupart des thèmes, des mélodies accessibles à des oreilles de toutes tailles. Reprendre le thème de Tintin (celui de la série d’animation télévisée de 1991), lui apporter swing et chorus est une formidable idée. Adrien joue du saxophone alto et fait chanter de bien belles histoires à son instrument. Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie complètent avec bonheur une formation mature dont la musique, influencée par le jazz qui couvre les années 60 à nos jours, reste néanmoins personnelle.

Jazz : the French Touch

Nicolas Folmer : “Sphere” (Cristal / Harmonia Mundi)

Nicolas Folmer aime les rencontres et la scène est pour lui un espace de jeu et de liberté propice à la création. Après avoir rejoint le quintette de René Urtreger et invité Bob Mintzer à enregistrer un disque avec lui au Duc des Lombards, le trompettiste travaille depuis 2012 avec Daniel Humair, musicien qui refuse le confort et apprécie les situations inédites. Avec Laurent Vernerey à la contrebasse, le batteur offre au groupe une section rythmique d’une rare souplesse, propose de nouvelles métriques, d’autres pistes, la musique ne restant jamais statique. Après un premier album en quartette, paraît aujourd’hui “Sphere” enregistré live à l’Opéra de Lyon par une formation quelque peu modifiée. Emil Spanyi remplace au piano Alfio Origlio et deux souffleurs la rejoignent, Michel Portal et Dave Liebman ne jouant toutefois pas dans les mêmes morceaux. Bien qu’écrite, la musique s’ouvre à l’interaction, prend constamment des chemins qui bifurquent. Les musiciens mêlent spontanément leurs timbres, se parlent, se répondent, improvisent des dialogues et racontent des histoires. Toujours à l’écoute de propositions nouvelles tant mélodiques que rythmiques, les solistes mettent de côté leur ego et privilégient le jeu collectif. Ici point de notes superflues, mais des chorus inventifs qui réjouissent et surprennent. Le trompettiste assure les siens avec un naturel confondant.

Jazz : the French Touch

Paul Lay : “Mikado” (Laborie / Abeille Musique)

Qui, enfant, ne s’est pas essayé à dégager ces baguettes de bois enchevêtrés, à les retirer une à une sans faire bouger les autres ? Paul Lay donne à son second disque le nom de ce jeu très ancien. “Unveiling”, son premier, m’avait laissé perplexe, malgré un piano aux harmonies attachantes. La faute à des compositions pas toujours convaincantes. “Mikado” me séduit bien davantage. J’apprécie modérément Ka et Workaholic qu’alourdissent des métriques inutilement complexes. Awake est également trop heurté pour mes vieilles oreilles. Les autres morceaux pèsent leur poids de bonne musique. Bénéficiant d’un piano inspiré, Let Me Tell You My Secret, la troisième plage, révèle l’arrangeur derrière le pianiste. Voices, un duo avec Antonin-Tri Hoang à la clarinette basse, confirme ce goût pour la forme. Excellent lecteur, Paul a d’ailleurs tenu le piano l’an dernier au Châtelet dans “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky”, un « songplay » de John Adams. Les meilleurs titres de son album sont pour moi Dolphins, morceau au balancement délicat qui contient une partie d’archet envoûtante (Clemens Van Der Feen à la contrebasse) et Chao Phraya, ballade onirique aux harmonies exquises, démarquage subtil du I Love You Porgy que composa Gershwin. Autre ballade pleine d’atmosphère, Beyond met en valeur le saxophone alto d’Antonin-Tri Hoang. Youth s’organise autours de la batterie sautillante de Dré Pallemaerts. Superbe relecture en solo de Luiza, un thème romantique d’Antonio Carlos Jobim.

Jazz : the French Touch

Alexandre Saada : “Continuation to the End” (Bee Jazz / Abeille Musique)

Second disque en solo d’Alexandre Saada, “Continuation to the End” renferme quatorze pièces improvisées et enregistrées au domicile même du pianiste sur son propre instrument. Alexandre les a conservées tel qu’il les a jouées, les rassemblant en deux suites, la seconde, la plus courte, faisant entendre une musique plus dense, le piano devenant presque orchestral dans One Lame Dog et Of Heights and Space. Pièces lentes et austères, les autres morceaux privilégient l’impact poétique au détriment du swing et du blues. Paysages sonores mélancoliques aux phrases dépouillées et tranquilles, ils relèvent d’une approche européenne du piano, voire du domaine classique (Harpsiway). L’influence d’Erik Satie, de Claude Debussy se fait entendre dans leurs mélodies qui vont et viennent au gré des ostinato qui les portent. Avec une grande économie de moyens, des accords aux couleurs travaillées, mais sans façons ni maniérisme, Alexandre Saada nous confie ses rêves, ses visions, ébauches imparfaites et sensibles qui méritent une écoute attentive.

-Pour fêter la sortie de son disque Nicolas Folmer donnera un concert au Duc des Lombards le 28 février et le 1er mars.

 

Photo : Paul Lay © Jean-Baptiste Millot.

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 10:57
Chronique gourmande

Février : pluie et vent à tous les étages pour l’homme du XXIème siècle que l’on rencontre casqué dans les lieux et les transports publics, relié à son téléphone par des fils ou des oreillettes, porte ouverte sur le monde qu’il conserve en main comme un double de lui-même. Exit les Poissons, une nouvelle ère a commencé, celle du Verseau, de la communication par le net. Le temps filant comme un spoutnik, on préfère acheter en ligne que faire les magasins, et ce, malgré les soldes, pain béni pour la femme qui, pressée de cacher le squelette ou l’embonpoint sous l’habit, recherche l’accessoire : cache-nez en soie de phacochère, soutien gorge en peau de zèbre, corsages pigeonnants en velours de coton, chaussures tour de Babel. Monsieur n'est pas en reste. L’apparence le travaille moins. Il collectionne les Dinky Toys, préfère les disques, les films qu'il entasse, les joujoux technologiques, la bonne cuisine de Madame qu’il savoure en buvant des vins fins.

Et puis, il y a les livres, surtout les livres. J’en termine un, inoubliable, un roman de Jean Giono, feu d’artifice de bons mots, de dialogues savoureux. Un chef d’œuvre. Relié en demi chagrin rouge, mon exemplaire, un des deux cent cinquante-cinq exemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre après soixante sur vélin de Hollande van Gelder, porte le n°171. J’écris cela à l’attention de Jean-Louis Wiart, auteur d’une nouvelle remarquable sur la manie bibliophilique dans le n° 32 de la revue Rue Saint Ambroise (3 livraisons par an). “L’Iris de Suse” se passe en montagne. La neige succède à la bise noire mais la nourriture, frugale, n’empêche pas de mettre les petits plats dans les grands : boudin cuit à la poêle, pommes de terre de chair rose, truffe crue croquée comme une pomme accompagnée par des dés de pain trempés dans de l’huile d’olive... on a envie d’y goûter.

Chronique gourmande

Que dire alors du menu dont se régale Philippe Adler, grand reporter de la revue trimestrielle 3 étoiles, en visite chez Paul Bocuse, collation que n'aurait point dédaignée Alexandre Dumas : lobe de foie gras poêlé, soupe aux truffes, rouget en écaille de pommes de terre, poularde de Bresse aux morilles ! On en a les larmes aux yeux, l’eau (de vie) à la bouche. Car Adler, la plume gourmande, raconte Monsieur Paul, sa vie (un roman), son œuvre et ses hors-d’œuvre, pose de bonnes questions, reçoit de grandes réponses. « Le coq tatoué sur votre bras gauche ? C’est mon copain ! Lorsque quelqu’un m’enquiquine, je lui parle à voix basse ». Philippe Adler sait écrire. Sept romans chez Balland, des articles pour l’Express et Jazz Hot dont il assura avec humour et compétence la rédaction en chef. De 1987 à 2003 il conçut et présenta Jazz 6 sur M6. Puis le silence, un retrait sur la pointe des pieds, le monde du jazz le perd de vue. Il ressuscite en pleine cuisine. Normal : comment oublier nos déjeuners pantagruéliques Chez Marcel, rue St-Nicolas, quand le jazz était Hot !

Pas de nouvelles de Monsieur Michu qui, surveillé par Madame, se repose dans le Midi de son infarctus. Certaines musiques sont plus dangereuses qu’une nourriture trop riche. Le festival Sons d’Hiver présentait au même programme à Arcueil le Tarkovsky Quartet (une merveille) et un duo Roscoe Mitchell / Wadada Leo Smith. Je suis parti à temps. Je n’avais pas atteint la gare que les sirènes des ambulances, bruissement strident d’insectes étranges, trouaient déjà un silence apprécié.

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

Chronique gourmande

-Le pianiste Rémi Toulon au Sunside le 6 avec son trio habituel, Jean-Luc Aramy (contrebasse) et Vincent Frade (batterie), mais aussi Stéphane Chausse (clarinettes) qu’il invite sur quelques morceaux. On retrouve ce dernier dans “Quietly”, le nouvel album de Rémi qui contient de nouvelles compositions aux mélodies attachantes et quelques reprises bien choisies.

Chronique gourmande

-Carte blanche à la saxophoniste Céline Bonacina au Sunside les 7, 8 et 9 février. On consultera le programme du club. Le concert du 8 surtout m’interpelle (à 21h30), avec Michel Benita à la contrebasse et le pianiste britannique Gwylim Simcock, grand technicien de son instrument, musicien raffiné au toucher magnifique dont l’incontestable bagage classique impressionne.

-Le 8 est également la date choisie par le saxophoniste Jean-Pierre Debarbat pour la première prestation parisienne de son Dolphin Orchestra. Le groupe s’était illustré dans les années 70 et 80, publiant plusieurs disques chez RCA. Il revit aujourd’hui avec deux des musiciens de la formation originale – Olivier Hutman au piano et Jacques Vidal à la contrebasse – et Stéphane Huchard à la batterie. Concert au Caveau des Légendes, 22 rue Jacob 75006 Paris.

Chronique gourmande

-Hommage à Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736), l’album “Il Pergolese” réunit Maria Pia De Vito (voix), François Couturier (piano), Anja Lechner (violoncelle) et Michele Rabbia (percussions). Pour le jouer, la formation sera le 10 au Café de la Danse (20h00). Le répertoire du compositeur napolitain (originaire de Jesi, province d’Ancône), offre quantité de mélodies permettant d’improviser. Le groupe propose ainsi son propre Pergolèse, retravaille les arias d’opéra du maître, son Stabat Mater, ajoute des compositions personnelles et parfois même nous livre ces pièces telles qu’elles ont été écrites.

Chronique gourmande

-Aaron Diehl au Duc des Lombards les 10, 11 et 12 février avec Warren Wolf (vibraphone), David Wong (contrebasse) et Peter Van Nostrand (batterie). Natif de Columbus (Ohio), il joue très bien Scott Joplin et Jelly Roll Morton mais pratique aussi un piano plus moderne, ancré dans la tradition du blues et du bop. A la Julliard School, ses professeurs furent Kenny Barron et Eric Reed et il n’en a pas oublié les leçons. Diehl qui a joué avec Benny Golson, et Wynton Marsalis accompagne Cécile McLorin Salvant dans “Woman Child”, Prix du Jazz Vocal 2013 de l’Académie du Jazz.

Chronique gourmande

-Après avoir rendu hommage à Chet Baker en décembre au Sunside, Philip Catherine retrouve la rue des Lombards et le Sunset le 12 et le 13 pour promouvoir “New Folks”, disque enregistré avec Martin Wind, bassiste allemand installé aux Etats-Unis. Au programme, des compositions originales et des standards afin de titiller la verve mélodique du guitariste. Wind possède un son de contrebasse acoustique et une bien belle sonorité à l’archet. Catherine use et abuse du lyrisme sans jamais nous lasser. Belle soirée en perspective.

Chronique gourmande

-Sachal Vasandani est un habitué du Duc des Lombards. Il en occupera la scène le 14 et le 15. Avec lui Buster Hamphill (contrebasse), Jeremy Dutton (batterie) et Taylor Eigsti, pianiste dont j’apprécie les albums, “Let it Come to You” particulièrement. Très varié, le répertoire du chanteur comprend des compositions personnelles, des standards et des thèmes empruntés à la pop. Son dernier disque reste toujours “Hi-Fly”, mais Sachal prépare un nouvel album déjà très attendu.

Chronique gourmande

-Don Menza au Sunside le 19 et le 20 avec Alain Jean-Marie (piano), Michel Rosciglione (contrebasse) et Bernd Reiter (batterie). La carrière de ce saxophoniste né en 1936 est impressionnante. Il travailla comme soliste et arrangeur pour Maynard Ferguson, puis dans l’orchestre de Buddy Rich (sa Channel One Suite reste fameuse) et Woody Herman. Saxophoniste puissant, il excelle dans les ballades, écrit et arrange de bonnes compositions (Groovin’Hard, Time Check) et fut aussi un musicien de studio réputé.

Chronique gourmande

-Le saxophoniste transalpin Francesco Bearzatti sur la péniche l’Improviste le 22 et le 23 pour un hommage à Dewey Redman (1931-2006) qui joua et enregistra avec Keith Jarrett, Pat Metheny, fut membre du Liberation Music Orchestra et de Old and New Dreams. Pour célébrer la musique de Redman, un quartette dont trois des membres furent ses compagnons de route. Rita Marcotulli fut sa pianiste de 1995 et 2002. Michel Benita (contrebasse) enregistra deux albums avec lui dans les années 90 et John Betsch (batterie) l’accompagna sur plusieurs tournées européennes. L’Improviste est temporairement amarrée 36 quai d’Austerlitz, 75013 Paris.

Chronique gourmande

-Un grand nom du piano, Larry Willis, au Duc des Lombards le 26 et le 27 avec Steve Novosel (contrebasse) et Williams Billy (batterie). Son bagage technique lui permet d’aborder bien des genres. On l’a entendu avec Jackie McLean, Stan Getz, Carla Bley et beaucoup d’autres et les enregistrements auxquels il a participé constituent une discothèque à elle seule. Apprécié pour ses voicings, pour ses combinaisons harmoniques qui donnent des couleurs inhabituelles à sa musique, il peut tout jouer sans jamais perdre de vue le swing généreusement associé à son instrument.

Chronique gourmande

-Nicolas Folmer retrouve le Duc des Lombards le 28 février et le 1er mars. Avec lui, Daniel Humair, co-leader du Nicolas Folmer / Daniel Humair Project, groupe qui naquit au Duc et enregistra un album en 2012. Avec Humair, Laurent Vernerey assurant toujours la contrebasse, le trompettiste publie “Sphere”, disque enregistré live avec une formation quelque peu différente. Emil Spanyi remplace Alfio Origlio au piano. Michel Portal et Dave Liebman qui officient aux anches ne sont pas conviés à ce concert de sortie. Toutefois, avec Daniel pour favoriser l’interaction, les compositions mélodiques de Nicolas accueillent l’inattendu dans le jeu collectif.

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com  

-Caveau des Légendes : www.jeanpierredebarbat.com

-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr

 

Illustration : Alexandre Dumas concoctant une bouillabaisse de ses personnages par Cham.

Photos : Philippe Adler © Pierre de Chocqueuse -  Rémi Toulon © Amélie Gamet – Céline Bonacina © DocMac - Maria Pia De Vito, Anja Lechner, François Couturier, Michele Rabbia © Paulo Seabra / ECM – Aaron Diehl © John Abbot – Philip Catherine & Martin Wind © Dean Bennici / ACT – Francesco Bearzatti, Daniel Humair & Nicolas Folmer © Philippe Marchin – Larry Willis © Maple Shade Records – Sachal Vasandani, Don Menza © Photo X/D.R.  

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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 12:22
L'Académie fait sa Grand Messe

Mardi 14 janvier

Corps électoral, officiels du Ministère de la Culture, représentants des sociétés civiles, responsables de compagnies de disques, attachés de presse, journalistes et pique-assiettes, tous se pressent à la Grand Messe de l’Académie du Jazz qui se tient une fois l’an au foyer du Châtelet. Vénérable institution – elle fêtera en 2015 son soixantième anniversaire –, l’Académie que préside François Lacharme y remet ses prix. Malgré la longueur des sermons, les cantiques furent plus réjouissants que d’habitude. Les prix aussi, bien qu’étant difficile de satisfaire les anciens et les modernes, de réconcilier des chapelles dont les affiliés n’écoutent pas le même jazz, musique plurielle et américaine qui, transplantée en Europe, souffre aujourd’hui d’un problème aigu d’identité. Qu’est-ce que le jazz ? Avec la surmultiplication des genres musicaux, la réponse semble encore plus difficile à donner qu’elle ne l’était. Pourtant, à l’issue d’un vote et de discussions passionnées, une cinquantaine de journalistes  parviennent chaque année en toute indépendance à établir un palmarès qui reflète bien son dynamisme et sa diversité.

L'Académie fait sa Grand Messe
L'Académie fait sa Grand Messe

Remis par Jean-Luc Choplin, directeur du théâtre du Châtelet, à Adeline Regnault (Éditions 13ème Note), le Prix du Livre de Jazz, le premier à être décerné, couronna “Lâchez-moi !”, autobiographie du pianiste Hampton Hawes (1928-1977) écrite en collaboration avec Don Asher, musicien et auteur de six romans. La vie de Hawes en fut un également. Junkie, ses mésaventures souvent hilarantes le menèrent à toucher le fond et à tâter de la prison. Gracié par le président Kennedy en 1963, il se consacra sérieusement au jazz et devint le pianiste préféré des musiciens californiens. Publié en 1972, “Lâchez-moi !” (“Raise Up Off Me : A Portrait of Hampton Hawes”) n’avait jamais été traduit en français.

L'Académie fait sa Grand Messe

Récompensé pour l’ensemble de son œuvre, Tomasz Stanko obtint le Prix du Musicien Européen. Retenu à Varsovie, il fit parvenir à l’Académie un petit film dans lequel il remercie cette dernière en musique. Invisible en France depuis plusieurs années, scandaleusement oublié des festivals de l’hexagone qui préfèrent remplir leurs grandes surfaces au détriment de la qualité, le trompettiste polonais a pourtant signé avec “Wislawa” le plus beau disque de l’année 2013.

L'Académie fait sa Grand Messe

Donald Byrd, Herb Geller, Mulgrew Miller, Chico Hamilton, Cedar Walton, Yusef Lateef, ils furent nombreux à passer de l’autre côté en 2013. Avec eux, Jim Hall, le plus subtil des guitaristes de jazz disparu le 10 décembre. En guise d’hommage, Christian Escoudé et Alain Jean-Marie interprétèrent Careful, un blues de 16 mesures, son cheval de bataille.

L'Académie fait sa Grand Messe

Décédé en 1983, Earl Hines doit swinguer comme un fou au paradis des jazzmen. On oublie aujourd’hui l’importance de ce pianiste et chef d’orchestre qui rompit avec le stride, imposa son propre jeu de piano et l’adapta aux bouleversements du be-bop. Le Prix du Meilleur Inédit ou de la Meilleure Réédition revint à un florilège de ses œuvres, à un coffret Mosaïc de 7 CDs regroupant des enregistrements effectués entre 1928 et 1945, l’Académie primant aussi la qualité du travail éditorial d’un label dont Michael Cuscuna et Scott Wenzel sont les deux responsables.

L'Académie fait sa Grand Messe

Le Prix du Jazz Vocal revint à “Woman Child” disque de Cécile McLorin Salvant, également en lice pour un Prix Django Reinhardt qui lui échappa de peu. Convaincu par son timbre de voix admirable, Jean-François Bonnel fut l’un des premiers à reconnaître son talent. Répondant aux questions de François Lacharme, il nous confia son admiration pour cette artiste exceptionnelle, « la chanteuse de jazz du XXIème siècle » selon ses propres termes. Assurant un concert à New York, Cécile ne put venir chercher son prix, mais fit parvenir une vidéo à l’Académie, un petit film dans lequel, outre ses remerciements, elle nous régala de son chant.

L'Académie fait sa Grand Messe

Chet Baker nous quittait en 1988, il y a 25 ans. Il n’en avait pas soixante, jouait alors beaucoup, soufflant sans vibrato de longues phrases délicates, douloureuses, comme si sa vie dépendait de ces moments intimes qu’il nous invitait à partager à ses concerts. Pour le saluer, François Lacharme appela sur scène Riccardo Del Fra et Alain Jean-Marie. Pour nous gratifier d’une version sensible de I’m a Fool to Want You.

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Le bassiste céda sa place à Rachel Gould, chanteuse qui, en 1979, enregistra avec Chet un “All Blues” inoubliable. En duo avec Alain, I Remember You et Everything Happens to You, nous fit regretter la trop grande discrétion d’une voix qui n’a rien perdu de son éclat.

L'Académie fait sa Grand Messe

François Lacharme confia à Philippe Faure-Brac, Meilleur Sommelier du Monde, le soin de remettre le très attendu Prix Django Reinhardt. Associant jazz et grands crus, l’auteur de “Comment goûter un vin” (Éditions du Chêne) fut pour le moins surpris lorsque Vincent Peirani, le lauréat, déclara ne pas boire d’alcool. Saint Vincent (de Saragosse), le saint patron des vignerons, n’inspire donc pas l’accordéoniste dont les 2,05 mètres impressionnent. Sa technique aussi. Youn Sun Nah, qui chante peu de jazz mais possède une voix qui interpelle, a été bien avisée de le prendre avec elle. Vincent ajoute de la mélancolie à sa musique. La sienne touche à tout. Au jazz aussi, et la belle mélodie d’Abbey Lincoln qu’il reprit ne dérangea personne.

L'Académie fait sa Grand Messe

Auteur de “Casque d’or”, de “Touchez pas au grisbi” et de “Rendez-vous de juillet”, film particulièrement apprécié par les amateurs de jazz, Jacques Becker fut un grand supporter de l’Académie. Egalement cinéaste (“L’été meurtrier”, “Les enfants du marais”), son fils Jean aime aussi le jazz. “Échappement libre” (musique de Martial Solal) et son invisible et mythique “Pas de caviar pour tante Olga” (du bon Jacques Loussier) en témoignent. Jean Becker évoqua ses souvenirs et remit le Prix du Jazz Classique au Tuxedo Big Band pour leur album “Lunceford Still Alive !”.

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Très disputé et remis par la très charmante Ann d’Abboville de la fondation BNP Paribas, le Prix du Disque Français qui couronne le meilleur disque enregistré par des musiciens français échut à l’Amazing Keystone Big Band pour son adaptation de “Pierre et le Loup” (Le Chant du Monde), une commande du Festival Jazz à Vienne. Arrivé second et pourtant favori, Ping Machine ne parvint pas à se hisser sur la première marche du podium. Il faut dire que les thèmes de Prokofiev, le sérieux et la qualité des arrangements de la jeune formation lyonnaise firent la différence.

L'Académie fait sa Grand Messe

C’est une version réduite de l’orchestre – David Enhco (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Jon Boutellier et Jean-Philippe Scali (saxophones), Fred Nardin (piano), Patrick Maradan (contrebasse) et Romain Sarron (batterie) – qui monta sur scène pour nous en livrer des extraits.

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Charles Bradley reçut le Prix Soul pour son album “Victim of Love” et Eric Bibb le Prix Blues pour “Jericho Road” publié sur le label Dixiefrog. Bibb réside à Londres et est le neveu de John Lewis, le pianiste du Modern Jazz Quartet aujourd’hui disparu. Ayant fit le voyage, il reçut le prix des mains de Nicolas Teurnier (membre de l’Académie) et en compagnie de Glen Scott, son producteur (et pianiste), nous présenta sa musique qui relève aussi du folk et du gospel. Son hommage à Nelson Mandela fut très apprécié.

L'Académie fait sa Grand Messe

Pour remettre le Grand Prix de l’Académie du Jazz (le meilleur disque de l’année), François Lacharme appela Pierre Richard et lui fit la surprise d’un petit film dans lequel il assure une chorégraphie mimée pendant que les Double Six de Mimi Perrin y interprètent Au bout du fil (Meet Benny Bailey).

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Le Prix revint à “Duke at the Roadhouse”, album réunissant Eddie Daniels et Roger Kellaway, pianiste récompensé par l’Académie pour “Heroes” en 2007. Eddie Daniels avait fait le voyage de Santa Fe pour recevoir son prix. La veille, avec Alain Jean-Marie et Gilles Naturel (contrebasse), il avait donné un concert exceptionnel dans un Sunside affichant complet. Peu de journalistes (hélas), mais Phil Costing et un public enthousiaste pour saluer le meilleur clarinettiste de la planète jazz, qui, au saxophone ténor, est également impressionnant. Retrouvant Alain au Châtelet et n’utilisant que sa clarinette, il joua avec aisance, fluidité et virtuosité deux morceaux de l’album primé dont Duke at the Roadhouse, son titre éponyme qu’il a lui-même écrit.

L'Académie fait sa Grand Messe

Un palmarès 2013 à la hauteur de l’institution incontournable qui chaque année le décerne et mérite d’être saluée. Toutefois, la durée de la cérémonie, presque trois heures, écourta le cocktail et sa dégustation de vins de Saint-Emilion. Au grand regret de tous ceux qui ne manquent jamais ce grand rendez-vous académique, moment d’échanges, de découvertes musicales, de surprises et d'émois.

L'Académie fait sa Grand Messe

LE PALMARÈS 2013

Prix Django Reinhardt :

Vincent Peirani

Grand Prix de l’Académie du Jazz :

Eddie Daniels & Roger Kellaway « Duke at the Roadhouse » (IPO)

Prix du Disque Français :

Amazing Keystone Big Band « Pierre et le loup » (Le Chant du Monde/Harm. Mundi)

Prix du Musicien Européen :

Tomasz Stanko

Prix de la Meilleure Réédition ou du Meilleur Inédit :

Earl Hines « Classic Earl Hines Sessions 1928-1945 » (Coffret 7CDs Mosaïc)

Prix du Jazz Classique :

Tuxedo Big Band « Lunceford Still Alive ! » (Jazz aux Remparts)

Prix du Jazz Vocal :

Cécile McLorin Salvant « Woman Child » (Mack Avenue/Universal)

Prix Soul :

Charles Bradley « Victim of Love » (Daptone/Differ Ant),

Prix Blues :

Eric Bibb « Jericho Road » (Dixiefrog/Harmonia Mundi)

Prix du livre de Jazz :

Hampton Hawes avec Don Asher « Lâchez-moi ! » (13E Note Editions)

L'Académie fait sa Grand Messe

CREDIT PHOTOS :

Eddie Daniels, Le Foyer du Châtelet, Jean-Luc Choplin & Adeline Regnault, Christian Escoudé, Riccardo Del Fra, Rachel Gould, Jacques Becker, Ann d’Aboville et François Lacharme, L’Amazing Keystone (Big) Band, Pierre-Richard & François Lacharme), Eddie Daniels & Alain Jean-Marie, Saint-Emilion sur table, Lauréats & Remettants © Philippe Marchin.

Earl Hines © Mosaïc Records

Cécile McLorin Salvant © John Abbott

Vincent Peirani, Eric Bibb © Pierre de Chocqueuse

Tomasz Stanko © Photo X/D.R.

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