Je sais, amis lecteurs, ce blog est un peu trop souvent en sommeil, mais entre l’Académie du Jazz dont la prochaine remise des prix sera cette année l’occasion d’un compte-rendu plus succinct que d’habitude, et Monsieur Michu dont la santé me préoccupe, je ne sais plus trop où donner de la tête. Tout juste remis d’une mauvaise grippe qui l’a cloué au lit pendant les fêtes, Monsieur Michu vient de faire un malaise cardiaque. Renseignements pris auprès de Madame, un disque qu’un anonyme malintentionné lui a fait parvenir en est la cause. Jean-Paul suspecte Bernard, Jean-Jacques Dugenoux ou Étienne Marcel. Par curiosité, j’ai écouté l’objet en question, non sans tremblements, fièvres et grincements de dents. Produit par le Collectif Cloaque, “Acapolca” est un catalogue de sons bruts produits par une guitare électrique et ses pédales multi-effets. Le communiqué de presse qui accompagne le CD encense une « musique inventée / découverte, comme un mécanisme secret qui cache les lois d’un monde encore inconnu, une terra incognita qui surgit d’un coin de ciel en coruscation. » Consulté, le Quillet - Flammarion m’apprend que ce nom signifie « vif éclat de lumière ». Musicien lui-même, l’auteur du texte poursuit son panégyrique, clame son admiration devant cette « sculpture sonore en jaillissement », ajoutant que « la musique semble se jouer elle-même, à l’instar d’une physique quantique abandonnée par ses observateurs. » Ce charabia me fait penser à ces « installations » sans queue ni tête qui envahissent les musées d’art moderne, réunions d’objets hétéroclites qui nécessitent des explications écrites pour être comprises. Renfermant trois courtes pièces, soit dix-huit minutes de bruits divers, “Acapolca” est à rapprocher de “Serendipity”, un disque en solo d’Olivier Benoit enregistré en 2011, une heure de turbulences, de torture auditive. On peut comprendre l'inquiétude de ceux qui aiment le jazz qui ressemble à du jazz, ce dernier ayant été nommé directeur artistique de l’ONJ (Orchestre National de Jazz), appellation au sein de laquelle le mot jazz risque de paraître pour le moins abusif. Le festival Sons d’hiver (23 janvier - 16 février) abritera son premier concert. Le free y reste majoritaire, mais la programmation peut réserver quelques (bonnes) surprises avec Bernard Lubat & Martial Solal en duo le 23, le pianiste Anthony Davis en solo le 24, le Tarkovsky Quartet le 28 et Geri Allen, elle aussi en solo à Choisy-Le-Roi, le 2 février. La pianiste y célèbrera Detroit sa ville natale et sa musique. J’y serai. Il est si rare que la banlieue soit bleue.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Eddie Daniels au Sunside le 13. Le pianiste Roger Kellaway avec lequel il a gravé trois albums ne pouvant l’accompagner à Paris, Alain Jean-Marie et Gilles Naturel (contrebasse) seront ses partenaires d’un soir. Daniels est aujourd’hui l’un des meilleurs clarinettistes de la planète jazz. Son immense technique lui assure un jeu fluide, une sonorité boisée et chantante qu’il met au service du swing et de la tradition. Il lui arrive d’en faire trop, mais le piano tranquille de Jean-Marie saura tempérer son jeu virtuose. Enregistré live à Santa Fe, “Duke at the Roadhouse”, le plus récent de ses trois opus avec Kellaway, est un important jalon de sa discographie.
-Dan Tepfer (piano) et Ben Wendel (saxophones) ont publié un bien joli disque l’an dernier. “Small Constructions” (Sunnyside) renferme une musique savante et fluide. Musiciens accomplis, les deux hommes aiment jouer et inventer ensemble, échangent et font circuler leurs idées. S’ils maîtrisent parfaitement leurs instruments, leur technique s’efface derrière un discours musical qui surprend par ses audaces. Ils reviennent au Sunside le 17 avec des compositions originales et des standards (de Thelonious Monk et de Lennie Tristano) dont ils affectionnent les musiques.
-René Urtreger les 22, 23 et 24 (20h00 et 22h00) au Duc des Lombards avec Yves Torchinsky à la contrebasse et l’incontournable et fidèle Eric Dervieu à la batterie. Il est l’invité d’honneur, le « parrain » du French Quarter Festival qui en est à sa 4ème édition. René se raconte dans une interview fleuve que publie ce mois-ci Jazz Magazine / Jazzman. Il se livre, parle avec franchise de sa vie, de ses joies, de ses goûts. Un entretien de plus de six heures qui occupe de nombreuses pages du journal. René, bientôt 80 ans, joue un piano toujours ancré dans la tradition du jazz, un piano qui enchante et se souvient, mémoire sans rides malgré le temps qui passe. S’il n’oublie pas le swing (et comment le pourrait-il avec le trio qui l’accompagne), il confie mieux jouer les ballades qu’il affectionne, bouquets de notes tendres et lyriques liés par des mélodies solides, des improvisations fertiles et lumineuses.
-Guillaume de Chassy introduit dans ses improvisations des éléments mélodiques avec lesquels il vit depuis toujours. Beethoven, Mozart parlent à son cœur, mais aussi les compositeurs romantiques et ceux de la première moitié du XXème siècle, notamment Federico Mompou qu'il interprète, reprenant des extraits de “Música Callada”, son œuvre la plus célèbre.
-Musicien sensible, Alexandre Saada séduit par ses harmonies, les couleurs de son piano, l’élégance de ses longues phrases tranquilles qui traduisent un univers aussi poétique que musical. Ils seront tous les deux au Café de la Danse le 23 pour nous jouer des extraits de leurs nouveaux albums.
-Le même soir, avec Gildas Boclé à la contrebasse et Simon Bernier à la batterie, Edouard Bineau retrouve le Sunside. On ne change pas un trio qui fonctionne, joue avec bonheur un jazz interactif qui fait des étincelles. Les trois hommes en ont produit lors du concert qu’ils donnèrent en septembre dans cette même salle. Le pianiste compose des thèmes lyriques jamais très loin du blues qui nourrit sa musique. Même musclée par la présence d’un saxophone, elle conserve un aspect chantant, une douceur angevine. Gildas Boclé impressionne toujours à l’archet, et malgré son jeune âge, le batteur rythme avec finesse et à propos, encadre un discours musical qui n’oublie jamais d’être élégant.
-Le 24, Laurent de Wilde retrouve lui aussi le Sunside. Il s’y produit souvent, joue depuis longtemps avec le même trio, Jérôme Regard à la contrebasse et Laurent Robin à la batterie. C’est dire que leur répertoire est parfaitement rôdé. Des morceaux d’“Over The Cloud”, un disque de 2012 (déjà !) enregistré avec la rythmique américaine du pianiste. Des compositions ouvertes, certaines funky, d’autres chaloupées par des métriques africaines, d’autres encore marquées par l’afro-beat, le rythme occupant une place non négligeable de sa musique. Laurent excelle aussi dans les ballades, dans le blues, et fait chanter un piano qui ruissèle de couleurs harmoniques. Les standards, riche corpus de thèmes qu’il se plait à revisiter, dansent sous ses doigts et restent pour lui une source inépuisable de création.
-Le 28, dans le cadre du festival Sons d’hiver, l’Espace Jean Vilar d’Arcueil accueille le Tarkovsky Quartet, formation dont les albums ECM célèbrent Andreï Tarkovski (1932-1986). Sur scène, son fils également prénommé Andreï, projette des photos d’archives, des extraits des films de son père qu’il peut ralentir ou sur lesquels il peut greffer d’autres séquences visuelles. François Couturier (piano), Anja Lechner (violoncelle), Jean-Marc Larché (saxophone soprano) et Jean-Louis Martinier (accordéon) improvisent sur ces images, leur apportent une bande-son narrative, méditation libre sur l’œuvre du cinéaste, musique acoustique qui privilégie la ligne mélodique, mais ne refuse pas l’atonalité, la modalité et s’ouvre ainsi au merveilleux.
-Le 31, c’est à Boulogne Billancourt qu’il faut se rendre. Avec ses musiciens américains – le trio du pianiste Aaron Diehl avec Paul Sikivie à la contrebasse et Rodney Green à la batterie – Cécile McLorin Salvant se produira au Carré Belle Feuille (60, rue de la Belle Feuille). Concert à 20h30 pour cette jeune et exceptionnelle chanteuse, révélation de l‘année 2013. Dans “WomanChild” son dernier disque, elle subjugue par sa voix, par l’émotion qui se dégage de ses interprétations. Cécile reprend des mélodies qui lui sont chères, de vieux thèmes souvent proches du blues. Elle apprécie et chante de nombreuses chansons des années 20 et 30, mais peut tout aussi bien s’exprimer au sein d’un répertoire plus moderne, son pianiste étant aussi à l’aise dans le jazz traditionnel que dans le bop.
-Sons d’hiver encore et son festival, avec un concert en solo de Geri Allen donné au théâtre Paul Eluard de Choisy-Le-Roi le 2 février. La pianiste consacre son dernier disque à Detroit sa ville natale, « Motor City » qui a vu naître le label Motown, pépinière d’artistes afro-américains. Smokey Robinson (Tears of a Clown) les Supremes (Stoned Love), Marvin Gaye (Inner City Blues, Save the Children), Stevie Wonder (That Girl), mais aussi Nancy Joe composé par Gerald Wilson, lui-aussi natif de Detroit, sont réinventés par un piano qui possède une âme. La pianiste trempe ses doigts agiles et sensibles dans le blues, le gospel et bien sûr le jazz, confie à son piano les hits d’une soul music sensible et qui parle au cœur.
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com
-Carré Belle Feuille : www.boulognebillancourt.fr
-Festival Sons d’Hiver : www.sonsd’hiver.org
Crédit Photos : René Urtreger Trio © J.F. Andreu - Edouard Bineau © Steffen Pohle – Laurent de Wilde © Sylvain Gripoix – Tarkovsky Quartet © Roberto Masotti / ECM – Geri Allen © Scott Soderberg – Eddie Daniels, Dan Tepfer & Ben Wendel, Alexandre Saada & Guillaume de Chassy, Cécile McLorin Salvant © photos X/D.R.