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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 08:22
Ahmad JAMAL : “Saturday Morning” (Jazz Village / H. Mundi)

Après “Blue Moon” enregistré à New York en octobre 2011 et publié l’an dernier, Ahmad Jamal a choisi le Studio La Buissonne pour de nouvelles compositions et un nouvel album aussi excitant et jubilatoire que le précédent. On ne change pas un groupe qui fonctionne comme les rouages d’un chronomètre, surtout lorsque les musiciens qui entourent le pianiste constituent peut-être sa meilleure formation. Avec Israel Crosby à la contrebasse et Vernell Fournier à la batterie, Jamal, né en 1930, eut certes le bonheur d’avoir à ses côtés une rythmique qui servit son piano de manière exemplaire, mais Reginald Veal (contrebasse), Herlin Riley (batterie) et Manolo Badrena possèdent une technique bien plus grande et jouent mieux une musique que Jamal partage étroitement avec eux. Elle a peu changé, mais le pianiste l’aborde depuis quelques années de manière plus orchestrale, donne du volume, de l’épaisseur à des notes dont il a longtemps été avare. Ses silences sont parfaitement intégrés à sa musique. Jamal la bâillonne, la met sous tension pour mieux la faire jaillir. Ce sont alors des cascades d’arpèges et de trilles, de joyeuses notes perlées, des gerbes d’accords sèchement plaqués qui la libèrent après une longue attente.

Ahmad JAMAL : “Saturday Morning” (Jazz Village / H. Mundi)

Dans Back to the Future, le groupe fait longuement tourner un riff funky puis, par deux fois, décolle en ternaire, la contrebasse menant la danse. L’instrument est la principale assise rythmique de Saturday Morning qui donne son nom à l’album, une pièce d’une dizaine de minutes construite sur le même principe que Poinciana, le cheval de bataille du pianiste qui active un second thème après une longue mise en boucle du premier. Edith’s Cake envoûte par son introduction flottante, ses bouquets de notes colorées. Contrebasse, batterie et percussions encadrent souplement un piano espiègle qui saupoudre son chant de dissonances.

Ahmad reprend aussi d’anciens thèmes de son répertoire, décline leurs mélodies avec parcimonie, ces dernières, visions sonores fugitives, surgissant de trames rythmiques répétitives et prêtes à rompre, comme la corde d’un arc trop tendu. One et The Line héritent également d’un traitement funky. Dans Firefly, Jamal musarde, papillonne, tourne autour d’un riff dont s’emparent ses mains virevoltantes. Le disque contient quelques standards qu’il aborde avec une nonchalance calculée. I’ll Always Be With You et I’m in the Mood for Love, une chanson de 1935 que Nat King Cole et Frank Sinatra interprétèrent, bénéficient de relectures élégantes, d’une ornementation au petit point. I Got it Bad and That Ain’t Good introduit brièvement un autre thème ellingtonien celui de Take the A Train. Le pianiste connaît ses classiques. Styliste, il leur offre d’autres couleurs, celles d’un orchestre qu’il incarne à lui seul. Et c’est ainsi qu’Ahmad est grand !

Ahmad Jamal & Reginald Veal, Photo © Pierre de Chocqueuse

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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 09:10
Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

Je ne savais rien de Nick Sanders avant de recevoir ce disque. Une belle photo d’Alejandro Cartagena - “Fragmented Cities, Apodaca” -, en emballe la musique. Une seule écoute m’a suffit pour me rendre compte que ce pianiste ne jouait pas comme les autres. Rentrer dans sa musique demande pourtant une écoute attentive. Il faut la suivre avec attention pour en saisir la logique car elle s’amuse à prendre des sentiers de traverse, des chemins qui bifurquent. Et pourtant elle fonctionne, sa cohérence perçant sous la malice.

Né à la Nouvelle-Orléans d’une mère cubaine et d’un père batteur, Sanders s’est très tôt mis au piano, mais aussi à la batterie, la précision rythmique étant une des qualités de son jeu pianistique. Il se destine à devenir concertiste classique. Danilo Perez qu’il rencontre lui conseille de suivre les cours de jazz que propose le New Orleans Center for Creative Arts. Sanders est doué pour le rythme et les tours de passe-passe harmoniques. Il jouera du jazz et, dès 2005, se produit régulièrement dans les clubs de sa ville natale. Il poursuit également ses études à Boston, au New England Conservatory of Music. Outre Ran Blake, ses professeurs vont être Danilo Perez, Jason Moran et Fred Hersch.

Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

C’est grâce à ce dernier que ce disque voit le jour. Produit par Hersch, il fait entendre un piano plus blanc que noir – bien que le blues nourrisse ses voicings et que Sanders soit parfaitement capable de le jouer – qui bouscule nos habitudes. Le pianiste fascine par sa rigueur, la propre logique de son jeu. Pour Ludovic Florin, auteur de la chronique de l’album dans le numéro de septembre de Jazz Magazine / Jazzman, « ses idées défilent parfois davantage par rebonds que par déduction logique ».

Quoiqu’il en soit et bien qu’il cultive « des lignes mélodiques éclatées », apprécie les ruptures, les brusques changements de rythme, Sanders, la pensée inventive, anticipe et aime surprendre. Prenez Chamberlain, Maine qui ouvre l’album. Ça ressemble à une fugue, mais le tempo ralentit et les notes se font abstraites tout en conservant une cohérence indéniable. New Town est tout aussi étonnant : un amas de notes frémissantes sort tout droit d’un piano bastringue et introduit une mélodie tendre et chaloupée. Sanders fait chanter des harmonies aussi exquises que mystérieuses, les organise avec aisance tout en choisissant soigneusement leurs couleurs. On peut citer d’autres morceaux : avec Row 18, Seat C défile devant nos yeux la bande-son d’un vieux film muet, un thème riff générant des variations anguleuses et dissonantes.

Outre celle de Brad Mehldau, Sanders a subit l’influence de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols et il leur rend hommage. Du premier il reprend Manganese mieux connu sous le nom de We See. Monk l’enregistra pour Prestige le 11 mai 1954 avant de le reprendre à Paris, pour Vogue, un mois plus tard en solo. Du second, il choisit de relire ‘Orse at Safari, un morceau peu connu, un blues cubique et monkien composé pour Floyd « Horsecollar » Williams, un saxophoniste alto avec lequel Nichols s’était produit au Safari, un club de jazz de Harlem. Nichols l’enregistra le 7 août 1955 avec Al McKibbon et Max Roach dans une version plus rapide. Celle de Sanders est riche en dissonances. Son tempo fluctuant recèle des accélérations aussi soudaines qu’inattendues.

Je ne vous l’ai pas encore dit, mais Sanders n’est pas seul à jouer sa musique, ou celle des autres – son disque se referme sur I Don’t Want to Set the World on Fire, un vieux tube des Ink Spots de 1941 qu’il joue presque en stride. Trois années de suite (2010, 2011 et 2012) il a remporté le Marion and Eubie Blake International Piano Award, possède une main gauche solide et souple dont il sait utiliser les ressources. Une section rythmique aussi efficace que discrète l’accompagne donc dans un opus que l’on ne se lasse pas d’écouter. Henry Fraser (contrebasse) et Connor Baker (batterie) ont été ses condisciples au New England Conservatory of Music. Le premier se fait trop brièvement entendre à l’archet dans Sandman à la mélodie aérée, presque évanescente. Davantage présent dans Manganese, il introduit longuement en solo Simple, une pièce lyrique et simple comme son nom l’indique, une bouffée d’oxygène avant Motor World, morceau à tiroirs dont le prologue chantant ne laisse pas deviner le chaos sonore organisé qui le conclut. Penchez vous sur ce disque, le premier d’un jeune pianiste à la maturité stupéfiante dont la musique devrait combler les oreilles avisées.

Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

PHOTOS : "Fragmented Cities, Apodaca" © Alejandro Cartagena - Nick Sanders & Fred Hersch : Photo X / D.R.

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 13:44
Vacances gourmandes

Peu de concerts m’intéressent en septembre. Le programme de Jazz à la Villette (du 3 au 15) qui consacre beaucoup de place à ce farceur de John Zorn n’a rien pour me plaire si ce n’est son concert de clôture (le 14) avec Kenny Garrett, le trio de Laurent de Wilde assurant la 1ère partie. Il y a aussi Gregory Porter qu’apprécie beaucoup Monsieur Michu. Mieux produit que ses deux disques précédents, “Liquid Spirit” (Blue Note / Universal), son nouvel album, s’écoute au moins avec plaisir. On ne manquera pas au Duc des Lombards le 4 septembre la formation de Sébastien Texier qui porte le même nom que son disque, “Toxic Parasites”. Du 12 au 14 s’y produit le pianiste Antonio Faraò dont le nouvel opus enregistré avec Joe Lovano confirme le talent du pianiste. Le 19, Virginie Teychené est l'invitée du festival de Rueil-Malmaison. On ne peut rester indifférent. Pourtant, peu de concerts m’interpellent et ce blog sommeillera quelques semaines de plus sans que la vie jazzistique en soit tourneboulée. Quelques chroniques de disques auront toutefois droit à ma plume. Edouard Bineau se produisait l’autre soir en trio au Sunside. J’apprécie depuis longtemps ce pianiste lyrique dont le blues nourrit souvent la musique. Gildas Boclé, toujours impressionnant à l’archet, et Simon Bernier, un jeune batteur, l’accompagnaient. Une réussite.

Vacances gourmandes

Votre blogueur ne peine donc pas à quitter son lit comme peut le faire croire cette photo prise à la mi août chez Dame Marceline, épouse de l’ami Phil Costing qui m’hébergeait alors au pied du Cézallier, un des sommets de l’Auvergne, 1.551 mètres au Signal du Luguet que l’on atteint en cheminant à travers prés et bois.

Vacances gourmandes

Par beau temps, on peut y rencontrer Xavier « plume au vent » Felgeyrolles, responsable de la programmation du festival Jazz en Tête. Du 15 au 19 octobre, les clermontois auront la chance de pouvoir écouter un « Saxophone Summit » réunissant Joe Lovano, Dave Liebman et Ravi Coltrane (le 15), Catherine Russell et Gonzalo Rubalcaba en solo (le 16), le nouveau groupe de Dave Holland (le 17), le Kenny Garrett Quintet (le 18), Irving Acao et Essiet Okon Esset (le 19).

Vacances gourmandes

Les Michu logeaient de même tout près du Cézallier, dans une petite pension de famille au cœur d’un village aux rares habitants. Madame pensait avoir à l’œil son incorrigible mari. Quelques heures de marche en montagne leur feraient le plus grand bien. Elle n’avait pas prévu que le seul commerce du patelin était un café, l’un des seuls d’une région quasi-désertique et que, rappelée à Paris pour des raisons familiales, son mari désœuvré allait y faire bombance, goûter à l’Aveze et à la Salers, prendre goût aux spécialités locales, se gaver d’assiettes du boucher, de tartes aux myrtilles et de tartiflettes au Saint-Nectaire. Pour les faire passer, des côtes d’Auvergne : Boudes, Chanturgue, Châteaugay, Madargue et Corent, un rosé riche et complexe aux légères notes d’agrumes qui se boit sans effort.

Vacances gourmandes

Lorsqu’elle revint une semaine plus tard, Madame Michu expédia dare-dare son époux et ses kilos de trop en Savoie, à Brides-les-Bains, le village pour maigrir. Elle n’imaginait pas que ses nombreux restaurants ne proposent pas que des menus allégés aux curistes. Monsieur Michu ne résista pas longtemps aux fondues savoyardes, raclettes, saucisses de couenne, charcuteries séchées – lard, noix de jambon, saucissons au serpolet –, et gratins de crozets aux fromages. Affamé par sa cure amaigrissante, Monsieur Michu s’est offert quelques kilos de plus. Invité dans cette belle région par Tonton Manu et Tata Cathy, j’ai pu constater de visu l’ampleur du tour de taille.

Vacances gourmandes

Condamné par Madame à de longues promenades en montagne avec Tonton Manu, un vrai bouquetin, et à prolonger son séjour à l’eau minérale, Monsieur Michu ne pourra donc pas découvrir avant octobre les nouveautés discographiques de cette rentrée : “Vaguement Godard” (Illusions), un enregistrement de Stéphan Oliva en solo produit par l’infatigable Philippe Ghielmetti ; “I Wanna Be Evil” de l’excellente chanteuse René Marie (Motéma) ; “Black Elk’s Dream” disque du trompettiste et arrangeur Bill Mobley enregistré live à Jazz en Tête avec Billy Pierce, Stéphane Guillaume, Manuel Rocheman et les cordes de l’Orchestre d’Auvergne (Space Time Records, sortie prévue le 25 octobre), et “Baida”, opus en quartette largement improvisé du trompette Ralph Alessi (ECM).

Vacances gourmandes

À propos d'ECM, la firme munichoise a signé le pianiste Marc Copland. Un enregistrement en trio est prévu l’année prochaine. Marc tient le piano dans “39 Steps”, un disque du guitariste John Abercrombie qui sort le 30 septembre. Le nouvel album d’Ahmad Jamal sur le label Jazz Village s’intitule “Saturday Morning” et sera en vente le 24. Des concerts sont prévus en novembre. C'est en import ou via internet que vous devrez vous procurer “Magnetic”, album Blue Note de Terence Blanchard qu'Universal France ne sortira pas. C'est le meilleur du trompettiste depuis longtemps.

Produit par Fred Hersch, “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve), premier disque d’un jeune pianiste américain, mérite attention. Nick Sanders (c’est son nom) fascine par l’originalité de son langage pianistique et la maîtrise de son instrument. Ludovic Florin (co-auteur d’une biographie de Carla Bley à paraître prochainement) en livre une chronique pertinente dans le numéro de septembre de Jazz Magazine / Jazzman. La mienne ne tardera pas. Merci de patienter.

PHOTOS © Pierre & Bénédicte de Chocqueuse

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5 août 2013 1 05 /08 /août /2013 09:38
Summertime

Summertime : Clara chante cette berceuse dans le premier acte de "Porgy and Bess" pour endormir son enfant. George Gershwin la composa en 1935. On n'en compte plus les versions qu'en ont données les jazzmen. Summertime, c'est aussi le temps de se passer d'ordinateur, de prendre le temps sur le boulevard des vacances et pas seulement au crépuscule. Cette année, un peu plus tard que les autres années, et ce depuis bientôt cinq ans, votre Blogueur de Choc met son blog en sommeil. Rendez-vous courant septembre avec les Michu, des disques et des concerts. Bonnes vacances à tous et à toutes.

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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 10:34
Repêchages d'été

Trois disques à emporter sur une île déserte, en haute montagne, ou dans les cavernes que prisent spéléologues et vacanciers, leur fraîcheur étant particulièrement recherchée en cette période de canicule. Sur la route des vacances, n’oubliez pas de bien hydrater le Papy et la Mamy qui voyagent avec vous, de faire boire le petit qui vous casse les pieds. Vous avez bien sûr rechargé la batterie de votre iphone ou celle de votre ordinateur portable dont vous ne pouvez plus vous passer. Vous en aurez besoin pour découvrir ces albums que vous téléchargerez de manière parfaitement légale car vous êtes tous des gentlemen. Ce sont mes dernières chroniques avant la mise en sommeil de ce blog. Il n’y aura pas d’édito en août. Les Michu se reposent. Moi aussi. Bonne écoute estivale !

Repêchages d'été

Chick COREA : “The Vigil”

(Concord Jazz / Universal)

Après plusieurs disques intéressants en 2012, notamment “Further Explorations” hommage à Bill Evans enregistré avec Eddie Gomez et Paul Motian, Chick Corea revient à la fusion avec un nouvel orchestre comprenant Tim Garland (saxophones ténor et soprano), Charles Altura (guitares acoustiques et électriques), Hadrien Feraud (guitare basse), Marcus Gilmore (batterie) et Pernell Saturnino (percussions). Avec eux, Chick fait un malheur cet été dans les festivals.

Bien que n’étant pas aussi prenant que ses concerts, le disque reflète bien la musique que propose le pianiste, du jazz fusion au sein duquel le piano acoustique tient une place importante (écoutez le lumineux chorus qu’il prend dans Portals to Forever). Gayle Moran, son épouse, chante malheureusement dans Outer of Space, seul bémol d’un disque proche des opus de Return to Forever et de l’Elektric Band. On goûtera les espagnolades chères au pianiste qui saupoudrent Planet Chia, pièce influencée par le flamenco. On découvrira aussi une formation différente dans Pledge for Peace, longue plage dédiée à John Coltrane et enregistrée avec Stanley Clarke et Ravi Coltrane.

Repêchages d'été

Joshua REDMAN :

“Walking Shadows”

(Nonesuch / Warner)

Réalisant un vieux rêve, Joshua Redman a enregistré une grande partie de ce disque avec des cordes. S’il a arrangé lui-même plusieurs thèmes, il en a confié d’autres à Dan Coleman (qui dirige aussi l’orchestre), Patrick Zimmerli et Brad Mehldau. “Walking Shadows” possède pourtant une réelle unité. Redman a choisi de s’exprimer sur des ballades, et décline au plus près leurs mélodies.

Son saxophone ténor s’enroule ainsi avec chaleur autour de Lush Life, Easy Living, Stardust, Infant Eyes (qu’il joue au soprano), mais aussi autour de Let It Be dont l’interprétation semble moins réussie. Avec lui, une section rythmique souple, fluide et d’une grande discrétion : Brad Mehldau au piano (et au vibraphone, notamment dans Last Glimpse of Gotham qu’il a composé), Larry Grenadier à la contrebasse et Brian Blade à la batterie. On appréciera bien sûr Dol Is Mine et Stardust, pièces dans lesquelles Brad s’offre des chorus, mais le pianiste accompagne avec une rare musicalité, fait constamment chanter son instrument, le saxophone restant toutefois l’instrument roi de cette séance marquée par le lyrisme.

Repêchages d'été

Michel MARRE :

“I Remember Clifford”

(Hâtive ! / Believe)

En quartette, le trompettiste Michel Marre se penche lui aussi sur des ballades qu’il affectionne. On est vite sous le charme de la musique de cet album, promenade au cœur d’un jazz qui ne manque ni de swing ni de souffle. Round About Midnight, I Remember Clifford, Body and Soul ne vous sont certainement pas inconnus.

Au bugle ou à la trompette, Michel rend légères et aériennes leurs mélodies immortelles, les fait planer dans le bleu du ciel. De courtes improvisations collectives structurées et cohérentes s’intercalent entre les pièces écrites d’un répertoire comprenant aussi quelques compositions originales. Chess and Mal et Espera se fredonnent sans peine. La contrebasse ronde et chantante d’Yves Torchinsky, la batterie attentive et foisonnante de Simon Goubert en caressent les musiques heureuses. Avec eux, jouant un piano d’une élégance rare, Alain Jean-Marie accompagne en poète. Espera profite de la couleur de ses notes ; We Will Be Together Again aussi. Introduit par les harmonies subtiles et délicates du piano, une trompette rêveuse en décline le thème et le rend inoubliable.

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20 juillet 2013 6 20 /07 /juillet /2013 09:30
Mellow SwallowMellow Swallow

Affichant un rare plaisir de jouer, proposant une musique fraîche, heureuse qui n’oublie jamais de swinguer, en un mot jubilatoire, le nouveau quintette de Steve Swallow (avec Carla Bley que l’on reconnaît sans peine sur cette photo) s’est produit au New Morning le 18 juillet devant un public clairsemé, les vacances, la vague de chaleur dans la capitale contribuant à la vider. Au programme : “Into the Woodwork”, le nouvel album du bassiste. Le concert fut meilleur que le disque. Ce dernier reste toutefois très attachant. Je ne peux mettre ce blog en sommeil sans vous en proposer la chronique. Bonne lecture et bonnes vacances à ceux qui en prennent.

Mellow Swallow

The SWALLOW Quintet : “Into the Woodwork” (XtraWATT / Universal)

Les disques qu’enregistre Steve Swallow sous son nom ne sont pas légion. Le bassiste consacre beaucoup de temps aux différents orchestres que dirige Carla Bley sa partenaire, moins à ses propres albums. Il apparait parfois sur ceux des autres. On peut ainsi l’entendre dans “Wisteria”, un enregistrement en trio de Steve Kuhn. Des concerts en ont résulté, puis Steve a retrouvé Carla et avec elle l’envie de se consacrer à nouveau à sa musique.

Pour la jouer et avant même de l’écrire, il a imaginé un nouvel orchestre avec cette dernière à l’orgue, Steve Cardenas à la guitare et Chris Cheek au saxophone. Steve joua souvent avec eux dans les groupes à géométrie variable mis sur pied par Paul Motian. Il n’avait pas prévu de batteur, mais Jorge Rossy sut le convaincre de l’intégrer à la formation. Guitare électrique, basse électrique, orgue, saxophone, batterie, une telle instrumentation pourrait être celle d’un groupe de fusion. Il n’en est rien. Riche sur le plan des couleurs, essentiellement mélodique, la musique déploie au contraire une grande variété de timbres. Reliés les uns aux autres, une douzaine de morceaux s’enchainent et constituent une suite orchestrale dans laquelle les musiciens improvisent avec simplicité et lyrisme. Unnatural Causes prolonge ainsi Grisly Business et The Butler Did It leur succède de manière parfaitement naturelle. Introduite par la guitare, Sad Old Candle, l’ouverture du disque, évoque Nino Rota. Orgue et saxophone assurent le riff de cette pièce très simple basée sur un ostinato. Relevant du bop comme la plupart des morceaux rapides de cet opus, Into the Woodwork qui vient ensuite est beaucoup plus rythmée. L’orgue apporte un riche contrepoint sonore aux instruments solistes, au saxophone de Chris Cheek qui prend le dernier chorus pour introduire From Whom It May Concern, une ballade sensuelle qui lui permet de faire chanter son instrument. Steve Swallow s’offre un long et élégant solo dans Small Comfort et Exit Stage Left qui conclut l’album met également en valeur les lignes de basses fluides et si personnelles de Swallow. Quant à Carla, son orgue caracole fièrement dans Still There. Plein de citations inattendues, son solo humoristique reflète bien l’humeur joyeuse de cet album dont la musique moelleuse et veloutée ne peut qu’accompagner vos soirées estivales.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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5 juillet 2013 5 05 /07 /juillet /2013 08:39
Bop saucisse

Bernard est tout excité : Jean-Jacques Dugenoux a décidé de produire son prochain disque, du bop nourricier produit par un assortiment de saucisses reliées par des jacks à un ordinateur. Les francforts font entendre une belle gamme diatonique et la morteau des basses puissantes. La merguez et la chipolata produisent des sonorités graisseuses, des effets dignes des kits de pédales les plus sophistiquées. Découpées en tranches, elles deviennent les tambours de l’orchestre virtuel. Bernard affirme que la saucisse industrielle est plus stable, mais plus fragile que la charcutière. Il se voit déjà lauréat des prochaines Victoires du Jazz. Défendant une musique arabo-andalouse néo-rock’n’rollienne, Ibrahim Collignon vient de remporter la bataille viennoise. Pain béni pour Monsieur Michu. Mauvaise langue, il prétend que le vainqueur se nourrit depuis quelques mois de gros lézards pourpres pleins de vitamines. S’il perd l’année prochaine, Bernard pourra toujours manger ses saucisses. Un musicien qui avale ses instruments ce n’est certes pas banal. Etienne Marcel dont le cousin est pâtissier pense déjà fabriquer des trombones en nougatine. Qui pourra encore prétendre que la musique ne nourrit pas son homme !

 

Tandis que dans le sud les combats font rage entre partisans du merguezazz, du bop indo-sumérien et de la colique très phrénétique dont les infra-basses font l’objet de savants calculs, le jazz affiche sa bonne santé dans les clubs parisiens. À partir du 28 juin et jusqu’au 1er août, le Sunside organise son traditionnel American Jazz Festiv’Halles, le Duc des Lombards la troisième édition de « Nous n’irons pas à New York » (du 1er au 31 juillet) et le New Morning un festival « All Stars » pour le moins alléchant (du 4 juillet au 3 août). Avec tous ces concerts qui interpellent, les Michu resteront à Paris en juillet. On nous promet quelques jours de beau temps. Un soleil encore pâle surplombe les touristes en vadrouille. Aux terrasses des cafés germanopratins, ils s’attardent à contempler les longues jambes de gazelle épilées à la cire qu’exhibent des parisiennes aux silhouettes de déesse. La soie froufroutante des chemisiers transparents révèle des poitrines généreuses qui font rêver Monsieur Michu. Son épouse a hâte de le conduire en Auvergne. Phil Costing leur a trouvé une pension de famille dans la région peu peuplée des volcans. Monsieur Michu pourra à loisir admirer les belles cuisses des salers, vaches laitières possédant de longues cornes en forme de lyre, une robe acajou et de longs poils frisés. Vous recevrez en septembre des nouvelles de leurs vacances. Les miennes me verront mettre prochainement ce blogdechoc en sommeil. Qu’un bel été vous accompagne !

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

Bop saucisse

-Chick Corea avec sa nouvelle formation, The Vigil, au festival de Jazz de la Défense (esplanade de la Défense, 20h00) le 6 juillet. Les amateurs de Return to Forever et de l’Elektric Band apprécieront le disque que vient de publier Universal. Il réunit Chick aux claviers, Tim Garland aux saxophones, flûte et clarinette, Charles Altura à la guitare, Hadrien Feraud à la basse électrique, Marcus Gilmore à la batterie, Pernell Saturnino aux percussions et quelques invités prestigieux. Christian McBride à la contrebasse remplace Feraud pour quelques concerts sur le sol français. Écrites par Corea pour ce nouveau groupe, les compositions de l’album exhalent un fort parfum latin. On y entend surtout un piano acoustique vif et mordant dont les cascades de notes provoquent des étincelles.

Bop saucisse

-Le pianiste Aaron Diehl en trio au Duc des Lombards le 7 et le 8 avec Paul Silkvie à la contrebasse et Rodney Green à la batterie. L’Académie du Jazz lui a décerné en janvier le prix du jazz classique pour son disque “Live at the Players”. Son nouvel album en quartette s’intitule “The Bespoke Man’s Narrative”. Il y joue un jazz beaucoup plus moderne, car Diehl est tout aussi capable de jouer du bop que d’interpréter Scott Joplin et Jelly Roll Morton. A la Juilliard School of Music, il eut comme professeur Eric Reed et Kenny Barron. A l’âge de dix-sept ans, Wynton Marsalis l’engagea comme pianiste pour une tournée d’été. Il affirme pleinement sa musicalité dans “Woman Child” que la jeune Cécile McLorin Salvant a récemment publié.

Bop saucisse

-Terence Blanchard au New Morning le 11. On l’a un peu perdu de vue depuis “Choices”, un disque de 2009 ouvert aux couleurs de la soul dans lequel les instruments entrecroisent avec fluidité leurs lignes mélodiques. Fabian Almazan qui y tient le piano seconde toujours le trompettiste qu’accompagnent Robert Hurst à la contrebasse et Jeff Tain Watts à la batterie, paire rythmique prestigieuse qui fut celle de Wynton Marsalis. Autre surdoué, Brice Winston travaille avec Terence Blanchard depuis plusieurs années. Remplaçant Walter Smith III, il assure les parties de saxophone et dialogue avec la trompette dans la grande tradition du hard bop.

Bop saucisse

-Christian Scott au Duc des Lombards du 11 au 13 pour jouer un jazz influencé par le rock, le funk, le hip-hop, et dont les inventions rythmiques participent à l’exploration de nouveaux territoires musicaux. Le groupe qui accompagne le trompettiste est à peu près celui que son dernier disque paru l’an dernier, “Christian aTunde Adjuah” un double album ambitieux contenant près de deux heures de musique. On retrouve ainsi Lawrence Fields (piano), Matthew Stevens (guitare) et Kris Funn (contrebasse). Les nouveaux musiciens sont Corey Fonville à la batterie et Braxton Cook aux saxophones. Au plus près de son propre héritage culturel, Scott séduit par le jeu lyrique de sa trompette et le groove de sa musique.

Bop saucisse

-Roy Hargrove au New Morning le 15 et le 16. Découvert par Wynton Marsalis, le trompettiste poursuit depuis plus de vingt ans une carrière solo et nous offre régulièrement des albums à la tête de ses diverses formations. Au sein de The RH Factor, il croise jazz, soul, funk et hip hop. Enregistré en 2009, “Emergence” le fait entendre au sein d’un big band. Une expérience concluante qu’il ne renouvela pas. C’est le plus souvent accompagné par les musiciens d’un quintette dans lequel officie le fidèle Justin Robinson (saxophone alto et flûte) et qui comprend Sullivan Fortner (piano), Ameen Saleem (contrebasse) et Quincy Phillips (batterie) qu’il tourne et se produit en Europe, met en valeur une mélodie, improvise avec chaleur et porte le swing à ébullition.

Bop saucisse

-Ben Williams les mêmes soirs (le 15 et le 16) au Sunside. On a découvert sa contrebasse groovy et mélodique auprès de Jacky Terrasson. Bien que défendu dans ce blog, “State of Art”, le disque qu’il a publié en 2011 n’a pas été très bien reçu par la critique. Ben y invite le saxophoniste Marcus Strickland avec lequel il a souvent joué, et le guitariste Matthew Stevens (le guitariste de Christian Scott), deux des musiciens de Sound Effect, sa nouvelle formation. David Bryant (piano) et John Davis (batterie) la complètent. Le bassiste aime les vieux standards, mais aussi le jazz pluriel des années 90, le soul, le funk et le hip-hop. Laissons-nous surprendre.

Bop saucisse

-Gerald Clayton au Duc des Lombards du 15 au 17 juillet. Avec Joe Sanders (contrebasse) et Justin Brown (batterie), ses musiciens habituels, le pianiste explore de nouveaux espaces rythmiques qui épousent ses harmonies élégantes. Le jazz s’ouvre ainsi à d’autres influences, à des métriques impaires qui relèvent du funk et du hip-hop. Au Duc, Clayton invite le saxophoniste Logan Richardson, un des souffleurs de “Life Forum”, son dernier album. Les compositions qu’il contient bénéficient d’arrangements surprenants. De nouvelles couleurs mélodiques habillent une musique chaude et suave bien ancrée dans le groove.

Bop saucisse

-The Cookers au Sunside le 18. Sous ce nom opèrent de solides pointures du jazz qui n’ont pas peur d’improviser et savent chauffer une salle. Autour de Cecil McBee (contrebasse) et de Billy Hart (batterie), les musiciens se succèdent. Billy Harper joue toujours du saxophone ténor et David Weiss de la trompette mais, depuis leur passage au New Morning en 2009, Craig Handy et Bennie Maupin ont quitté le groupe. Eddie Henderson (trompette) et George Cables (piano) les remplacent, l’instrument de ce dernier apportant d’autres couleurs au hard bop modernisé que défend ce prestigieux all-stars.

Bop saucisse

-Steve Swallow au New Morning le même soir (le 18) avec les musiciens de “Into the Woodwork” son nouvel album. On y retrouve Carla Bley à l’orgue, instrument qu’elle avait quelque peu délaissé pour le piano. Chris Cheek (saxophone) et Steve Cardenas (guitare) ont beaucoup joué avec Swallow dans les orchestres de Paul Motian. Le bassiste a tenu compte de leurs timbres lorsqu’il a écrit les morceaux de son disque. Le batteur Jorge Rossy est le cinquième musicien. Tous phrasent avec économie et simplicité et pratiquent un jeu constamment mélodique.

Bop saucisse

-Produit par Ben Harper qui y assure de nombreuses parties de guitare, le dernier disque de Rickie Lee Jones “The Devil You Know” est entièrement consacré à des reprises. Rickie y chante Neil Young (Only Love Can Break Your Heart), The Band (The Weight), Van Morrison (Comfort You) et même les Rolling Stones (Sympathy for the Devil). Elle était à Paris, Salle Pleyel, en novembre 2011 pour interpréter “Pirates”, un de ses disques les plus célèbres. Sa nouvelle tournée nécessite un orchestre moins imposant. Sera-t-elle seule au piano et à la guitare ou se fera-t-elle accompagner par Jeff Pevar (guitare) et Ed Willett (violoncelle) avec lesquels elle donne fréquemment des concerts depuis 2012 ? Rendez-vous au New Morning le 20 pour le savoir.

Bop saucisse

-Cyrus Chestnut en trio au Duc des Lombards le 22 et le 23. Son père était l’organiste de son église et sa mère en dirigeait la chorale. Le blues et surtout le gospel ont nourri son piano. Adoptant une fausse nonchalance. Il est capable de surprendre par sa vitesse, son jeu fréquemment arpégé ne manquant pas de dynamique. Darryl Hall à la contrebasse et Willie Jones III à la batterie seront ses complices dans un répertoire mêlant compositions originales et standards, le pianiste ne manquant jamais l’occasion de rendre hommage aux maîtres qui l’ont précédé et dont il conserve la mémoire.

Bop saucisse

Il n’y aura pas de « concerts qui interpellent » en août. Le blogueur s’offre des vacances. Ce n’est pas une raison d’ignorer les concerts alléchants du festival Pianissimo organisé par le Sunside. On consultera le site du club pour en obtenir les détails. Il débute le 30 juillet avec Freddie Redd. Le pianiste du légendaire album Blue Note “The Connection” se produira trois soirs de suite en quartette avec le saxophoniste Tony Lakatos au saxophone. Tineke Postma pratique avec bonheur l’instrument. Associée au pianiste Cédric Hanriot, elle s’invite le 8 et compte sur vous pour l’applaudir. Egalement au programme et en trio les pianistes Baptiste Trotignon (les 2, 3 et 5 août), Jean-Michel Pilc (le 6 et le 7), Laurent Courthaliac (le 12, le 19 et le 26), Giovanni Mirabassi (du 13 au 15 et le 17) Pierre Christophe (le 16), Alain Jean-Marie (du 20 au 22), Edouard Bineau (le 27), Pierre de Bethmann (le 28), sans oublier René Urtreger (le 31) avec les fidèles Yves Torchinsky (contrebasse) et Eric Dervieu (batterie) pour battre le rythme du jazz. Certaines stars du piano ne se produisent pas que dans les grands festivals. Ils aiment retrouver l’ambiance des clubs, se sentir proche de leur public. Jacky Terrasson (le 9 et le 10) et Yaron Herman (en quartette le 23 et le 24) sont les têtes d’affiche de cette huitième édition de Pianissimo que les parisiens qui ne désertent pas la capitale auront tort de manquer.

-La Défense Jazz Festival : www.ladefensejazzfestival.hauts-de-seine.net

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

CRÉDITS PHOTOS : Roy Hargrove © Dominique Houcmant – Terence Blanchard, Ben Williams © Pierre de Chocqueuse – The Cookers © Motéma Records – Steve Swallow Quintet © Tom Mark – Aaron Diehl, Christian Scott, Gerald Clayton, Rickie Lee Jones, Cyrus Chestnut © Photos X/D.R.

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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 11:46
Fratrie pianistique

SAMEDI 22 juin

Bruno Angelini et Philippe Le Baraillec enseignent le piano à la Bill Evans Academy. Ils ont eu le même professeur, Samy Abenhaïm et revendiquent une approche mélodique et harmonique du piano. Ils donnaient un double concert sur la péniche l’Improviste amarrée pour deux mois à la hauteur du 34 quai de la Loire, le long du bassin de la Villette.

Fratrie pianistique

Souvent associé à de nombreux projets et formations, Bruno Angelini joue dans “Toxic Parasites”, le dernier album de Sébastien Texier. Au sein d’une discographie imposante, se distinguent ses albums en trio, mais aussi “Never Alone”, un excellent enregistrement en solo pour Minium. Loin de lui faire peur, l’exercice semble stimuler son imagination. Il en faut pour s’attaquer aux musiques d’Ennio Morricone, des mélodies qui inspirent les plus doués des jazzmen. Enrico Pieranunzi leur a consacré deux albums tout en évitant de reprendre les plus célèbres, celles que Morricone a composées pour Sergio Leone, son ancien camarade de classe. À “Il était une fois en Amérique”, son chef d’œuvre, Bruno préfère “Le Bon, la brute et le truand” et “Il était une fois la révolution”, deux films dont il habille les mélodies d’harmonies nouvelles, de couleurs inédites. Occupant l’espace sonore, il s’emploie à faire chanter ses notes, leur donne du poids tout en prenant soin de les faire respirer. Il en met certaines en boucle, improvise sur des thèmes que le blues et les notes bleues transforment et rendent méconnaissables. Des accords cristallins de piano électrique répondent parfois au piano. La main gauche assure des basses puissantes. La droite dessine des paysages et fait voir des images. Vaste tambour mélodique, l’instrument résonne, acquiert une ampleur orchestrale. Un ostinato envoûtant accompagne une autre mélodie. Des grappes de notes perlées se greffent sur un rythme lent et majestueux. Le pianiste se fait chaman, agite des hochets de pluie, tire mille couleurs des cordes métalliques de son instrument. La magie opère. La richesse et la variété de ses timbres vont nous bercer tout au long de la nuit.

Fratrie pianistique

Après une courte pause, Philippe Le Baraillec est au piano. On peine à le croire tant ses concerts sont rares. Il faut être un de ses élèves – et ils sont nombreux à bord – pour l’entendre au piano. Il n’aime pas se mettre en avant, enregistre peu, ce qui rend sa musique infiniment précieuse. Une grande tendresse habite ses notes frissonnantes d’émotion. Le quartier-maître Le Baraillec habite corps et âme le grand navire du jazz qu’il conduit vers des terres propices à des harmonies heureuses. Grâce à lui des standards ont encore des richesses à dévoiler, des notes rêveuses à chanter. Exposé par un toucher d’une finesse peu commune, Nardis baigne dans une lumière féérique, se pare d’un limbe de notes lumineuses. Mais voici que sur des arpèges de guitare mises en boucle, Philippe improvise, non sans rechercher des séquences plus abstraites, quelques dissonances pimentant un piano qui n’oublie pas d’être lyrique. Le phrasé serré et précis évoque parfois Lennie Tristano, mais de ces cascades de notes jouées avec une rigueur contrapuntique jaillit une musique infiniment tendre que calme un doux et pudique balancement. Le piano navigue parfois avec une guitare fantôme, mais un seul accord peut suffire à installer un climat féérique, la musique profitant d’harmonies poétiques dont Philippe a le secret. Joué en solo, Not for Lilian (to Lilian) que renferme “Involved” son dernier disque, est ainsi une invitation au rêve. Comme ses autres compositions parcimonieusement dispersées dans de trop rares albums, le morceau possède un fort pouvoir de séduction. On quitte l'Improviste hanté par ces notes raffinées et sincères qui semblent jaillir du cœur.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 09:43
Bill Carrothers : “Love and Longing”  (La Buissonne / H. Mundi)

Les disques non prémédités enthousiasment parfois davantage que les autres. Le musicien s’y livre tout entier, sans calcul. Pour un pianiste choisissant de s’exprimer en solo, cette mise à nu révèle la part la plus intime de lui-même, le piano étant capable de traduire la moindre nuance des sentiments que le musicien lui confie. Les plus beaux disques de Bill Carrothers ont été improvisés en studio. “Excelsior”, un chef-d’œuvre, vient tout de suite à l’esprit. D’autres opus de sa discographie abondante méritent une écoute attentive, mais lorsque Bill se lâche, remet à son piano ses harmonies rêveuses et se met à chanter, l’émotion devient palpable.

Bill Carrothers : “Love and Longing”  (La Buissonne / H. Mundi)

Disque inattendu improvisé à la fin d’une séance d’enregistrement, “Love and Longing” contient quatre morceaux en solo et neuf chansons populaires américaines que Bill chante en s’accompagnant au piano. La plus ancienne, Mexicali Rose, date de 1923. Bill n’en sait rien lorsqu’il l’enregistre. Elle sort tout simplement de sa mémoire. L’organiste qui lui donna ses premières leçons de piano la lui a peut-être jouée. Il peut l’avoir entendue à l’University of North Texas, sous les doigts de son professeur de piano classique qui était aussi un très bon pianiste de jazz. Qu’importe où il a appris cette chanson qu’il peut aussi avoir découvert à la radio interprétée par Bing Crosby ou Jerry Lee Lewis. L’habillant de ses propres notes, il en donne une version sensible, s’identifie par la voix à cet homme contraint d’abandonner pour un temps celle qu’il aime. The L&N Don’t Stop Here Anymore est une composition de la folk singer Jean Ritchie, souvent attribuée à Johnny Cash qui la popularisa dans les années 70. L&N désigne le Louisville & Nashville Railroad, un train de passagers qui cessa son activité à la fermeture des mines de charbon des régions qu’il traversait.

Bill Carrothers : “Love and Longing”  (La Buissonne / H. Mundi)

D’autres morceaux sont plus familiers à l’amateur de jazz. Une version sombre et mélancolique de So in Love écrit par Cole Porter pour le « musical » “Kiss Me, Kate” précède un Once in a While à l’harmonisation inhabituelle. Composé en 1937, le morceau devint la même année un tube pour Tommy Dorsey et son grand orchestre. Sarah Vaughan l’enregistra en 1947 et le chantait souvent en concert. A Cottage for Sale, une chanson de 1929 maintes fois interprétée par des jazzmen, inspire au pianiste des harmonies digne de son disque “Excelsior”. Bill en donne une version poignante parsemée de notes tendres. Il fait de même avec Three Coins in the Foutain écrit par Jule Styne pour le film du même nom. Le morceau décrocha en 1954 l’Academy Award de la meilleure chanson originale. Le pianiste en ré-harmonise la ligne mélodique et envoûte par les couleurs de ses accords. Confiée à Anita O’Day qui officiait au sein du Gene Krupa Orchestra, Skylark s’imposa comme standard de jazz dès sa création en 1941. On n’en compte plus les versions. Celle que l’on trouve ici possède toutefois quelque chose de spécial. Outre une partie de piano très développée, Bill la chante avec une tendresse peu commune et en siffle les dernières mesures. L’expression est naturelle, sans artifices ni maniérismes. Posant sa voix très juste sur la mélodie, le pianiste phrase comme le fait un instrumentiste, comme Chet Baker qui, comme Bill, reprit Moonlight Becomes You, une chanson de 1945 écrite pour le film “Road to Morocco” que le trompettiste incorpora très tôt à son répertoire. Bill chante aussi Trade Winds et sa version n’a aucun mal à surpasser celle qu’en donna Bing Crosby en 1940 avec accompagnement de guitares hawaïennes.

Les quatre instrumentaux de l’album, trois improvisations et une composition originale (Peg, précédemment enregistré en 2009 sur “Family Life”), sont bien sûr de toute beauté. Très élaborés, ils servent de prélude (Love), d’intermèdes aux chansons. Comme dans ces dernières, le piano fascine par sa riche palette harmonique, la diversité de ses couleurs. Caressant des notes qu’il fait magnifiquement sonner, imaginant des accords surprenants, parfois même dissonants, Bill Carrothers transcende le matériel thématique sur lequel il se penche. Les bonnes mélodies n’ont pas fini d’inspirer les musiciens les plus doués. Le pianiste, l’un des grands de l’instrument, est l’un d’entre eux. Quant au chanteur, il tient toutes ses promesses. Ce disque éblouissant en témoigne.

PHOTO : Konstantin Kern

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17 juin 2013 1 17 /06 /juin /2013 19:27
I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

VENDREDI 14 juin

Troisième opus lyrique de John Adams, “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky” (“Je regardais le plafond et alors j’ai vu le ciel”) est davantage un « songplay », une « pièce en chansons » qu’un opéra. Seul le long et complexe Duet in the Middle of Terrible Duress peut s’y apparenter. En l’absence de dialogues parlés pour aider à comprendre l’argument, on découvre l’intrigue à travers les chansons elles-mêmes. Le tremblement de terre qui dévasta une partie de la zone nord de Los Angeles en 1994 inspira l’œuvre qui fut composée et créé l’année suivante dans une mise en scène de Peter Sellars.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Dix-huit ans après la première parisienne de 1995 à la MC93 de Bobigny, le théâtre du Châtelet la reprend dans une nouvelle mise en scène confiée à Giorgio Barberio Corsetti. Avec le scénographe Massimo Troncanetti, ce dernier installe quatre chanteurs et trois chanteuses sur une scène qu’occupent quatre tours roulantes de différentes tailles. Fréquemment déplacées et différemment assemblées, elles constituent un hôpital, une église, un tribunal, une prison ou des immeubles de quartier. Sur les murs, ses autres collaborateurs Igor Renzetti et Lorenzo Bruno projettent des couleurs et animent des images, font naître des personnages virtuels qui accompagnent l’action.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Dû à la poétesse d’origine jamaïcaine June Jordan, le livret met en scène sept personnages aux origines ethniques et sociales diversifiés censés représenter la diversité de la Californie et le futur schéma démographique des Etats-Unis. Dewain (Carlton Ford), un délinquant noir, David (Joel O’Cangha), pasteur d’une église baptiste de quartier, Consuelo (Hlengiwe Mkhwanazi), réfugiée politique salvadorienne sans papiers, Rick (Jonathan Tan), avocat d’origine vietnamienne dont les parents sont d’anciens « boat people », Mike (John Brancy), policier blanc qui refoule son homosexualité, Tiffany (Wallis Giunta), présentatrice d’émission de télévision et Leila (Janinah Burnett), employée d’un centre de planning familial dont la tâche principale est de recommander la contraception dans les rapports sexuels.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Fracture rédemptrice non exempte de drames, le tremblement de terre qui intervient au second acte les révèlera à eux-mêmes. Bénéficiant des lumières de Marco Giusti, sa théâtralisation est impressionnante. “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky” se conclue sur des images de ciel et de nuages d’une beauté indicible. Pendant deux heures, la musique étonne, transporte, bouleverse. Comment ne pas être touché par Consuelo rêvant de vivre en paix et en sécurité avec ses enfants dans Consuelo’s Dream ? Comment ne pas être séduit par la beauté mélodique de Dewain’s Song, une ballade aux paroles émouvantes ?

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

John Adams est un musicien dont il apparaît difficile de classifier le travail. Beaucoup plus variée que celle de Steve Reich et de Philip Glass, dont les noms restent comme le sien associés à la musique minimaliste, son œuvre dont l’harmonie et le rythme furent longtemps les forces motrices se déploie aujourd’hui dans de multiples directions. Ses partitions dévoilent des lignes mélodiques lyriques et sensibles, de larges espaces acoustiques. Dans l’ouvrage qu’il consacre au compositeur chez Actes Sud, et à propos de “The Death of Klinghoffer”, le second opéra d’Adams, Renaud Machart relève « les qualités d’une écriture très fouillée où les mouvements des voix sont régis par un savant travail contrapuntique ».

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Construite sur la répétition de brefs motifs répétitifs évoluant au sein d’un langage harmonique tonal associé à une pulsation rythmique régulière, la musique minimaliste n’est pas absente de “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky”. Son prologue instrumental est même un hommage appuyé au genre dont le flux rythmique incessant traverse la partition.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Lorsqu’il entreprit de l’écrire, Adams ne cache pas avoir eu en tête “West Side Story” de Leonard Bernstein et “Porgy and Bess” de George Gershwin, des œuvres relevant de cette forme de théâtre musical américain auquel appartient le « musical ».

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

À ces modèles incontournables mais quelque peu lointains, s’ajoutent de nombreuses musiques populaires que le compositeur, né en 1947, écouta dans sa jeunesse, sa musique raffinée et savante s’ouvrant à divers métissages. Soul music (A Sermon on Romance), musique latine (Esté País) rock (Mike’s Song), jazz (Tiffany’s Solo), mais aussi blues et gospel nourrissent ses chansons, les personnages imaginés par June Jordan favorisant cette profusion de styles. Comme interprètes, John Adams a choisi des chanteurs et chanteuses d’opéra, ce qui renforce l’étrangeté de ces musiques généralement confiées à d’autres voix. Ouvertes à une large diversité de rythmes, ses chansons relèvent parfois de plusieurs genres, comme si le compositeur refusait de leur voir apposer des étiquettes trop précises.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

Leur instrumentation pour le moins singulière renforce leur l’aspect déroutant. Totalement privés de cordes, les vingt-trois numéros de la partition réunissent selon leurs besoins clarinette basse ou clarinette (Franck Scalisi), saxophone alto ou ténor (Clément Himbert), deux claviers synthétiseurs (Claude Collet et Martin Surot remplacé par Christelle Séry les 14 et 17 juin), un piano (Paul Lay), une guitare acoustique ou électrique (Jean-Marc Zvellen-Reuther), une contrebasse ou une basse électrique (Valérie Picard), et une batterie acoustique ou MIDI (Philippe Maniez). Donc rien de classique dans cet ouvrage scénique aux mélodies séduisantes. Bien qu’écrite – Alexander Briger dirige l’orchestre –, la musique laisse des espaces de liberté aux huit musiciens qui pour la plupart jouent aussi bien du jazz que le répertoire classique. Ils peuvent même improviser sur certaines mesures précises de certains morceaux. Tiffany’s Solo en est un bon exemple. De même que Dewain’s Song of Liberation and Surprise. Sa mélodie accrocheuse se voit développer par un solo de saxophone comme dans un orchestre de jazz.

I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky

John Adams rêvait de voir jouer sa « comédie musicale » à Broadway. Elle fut donnée une cinquantaine de fois à Berkeley, Montréal, New York, Édimbourg, Helsinki, Paris, Hambourg, mais la complexité rythmique et harmonique de l’œuvre et une intrigue se situant dans les milieux défavorisés de Los Angeles la rendent impossible à monter sur une scène de Broadway. Le théâtre du Châtelet la reprend aujourd’hui. Dernière représentation le mercredi 19 juin (20h00). Ne la manquez surtout pas.

Il existe deux versions de “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky”. On recherchera celle que dirige le compositeur, un disque Nonesuch de 1996. “The John Adams Earbox (coffret de 10 CD(s) en contient de larges extraits. Confié à Klaus Simon qu’entoure The Band of Holst-Sinfonietta, celle qu’a publié Naxos en 2006 reste plus facilement disponible.

PHOTOS : © Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet, sauf John Adams © Margaretta Mitchell

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