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12 juin 2013 3 12 /06 /juin /2013 09:00
Marc CARY : “For the Love of Abbey” (Motéma / Harmonia Mundi)

Curieux parcours que celui de ce pianiste élevé à Washington DC qui se fit connaître dans le go-go, mélange de rhythm’n’blues et de hip-hop popularisé par Chuck Brown, un appel à la danse. Installé à New York, Marc Cary travailla avec des jazzmen réputés. Dizzy Gillespie et Max Roach s’assurèrent ses services. Accompagner des chanteuses l’attirait. Il devint le pianiste de Betty Carter et de Shirley Horn, puis rencontra Abbey Lincoln (1930 - 2010) dont ce disque célèbre avec émotion ses chansons.

Marc les apprit en l’écoutant jouer du piano. Voisin d’Abbey à Harlem, le batteur Art Taylor avec lequel il jouait la lui fit rencontrer. Il resta douze ans avec elle, plus longtemps que Mal Waldron, Hank Jones, Wynton Kelly et Kenny Barron, qui comme lui ont servi ses musiques. Marc joue aussi la sienne, possède ses propres groupes, Indigenous People aujourd’hui rebaptisé Cosmic Indigenous et Trio Focus – avec Samir Gupta (batterie et tablas) et les bassistes Burniss Travis et Rashaan Carter. Il fait partie des musiciens qui font groover le jazz avec des rythmes africains, indiens, brésiliens qu’il mâtine de hip-hop. « Avec Abbey, il me fallait jouer différemment. Elle a complètement changé mes perspectives, m’a appris à me défaire de ce dont je n’avais pas besoin, et a été une vraie source d’inspiration ».

Marc CARY : “For the Love of Abbey” (Motéma / Harmonia Mundi)

Dans cet album, le premier qu’il enregistre en solo, Marc Cary reprend onze de ses chansons et en révèle les nuances mélodiques sans en faire entendre les paroles. Comme si Abbey était toujours bien présente avec lui, il restitue la tension dramatique de ses compositions, donne poids et amplitude à son piano orchestral. La main gauche plaque des accords graves, énergiques. Les basses sont lourdes et sonores. L’instrument retrouve sa puissance percussive, brasse des vagues de notes roulantes (Another World). La main droite ornemente, improvise sur des mélodies que l’on imagine chantées par une voix invisible. Des accords massifs en restituent la diction traînante comme si, près de lui, Abbey s’appuyait sur son piano pour chanter le mélancolique Who Used to Dance, le sombre Down Here Below ou Throw it Away que Marc interprète avec une vigueur rythmique impressionnante. Outre une reprise de Melancholia de Duke Ellington, « morceau qu’Abbey adorait m’écouter jouer », le pianiste lui dédie For Moseka (née Anna Marie Wooldridge, Abbey Lincoln prit le nom d’Aminata Moseka en 1975), pièce construite sur un ostinato tourbillonnant. Une version presque apaisée de Down Here Below (the Horizon) conclut ce disque très attachant.

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4 juin 2013 2 04 /06 /juin /2013 09:29
Festivals : ce jazz étrange qui prolifère

Rendant visite à Monsieur Michu, je lui trouve le moral en berne. Les flots d’eau qui nous tombent sur la tête depuis quelques semaines n’incitent pas à le faire sortir de son appartement. Il en profite pour consulter les programmes des innombrables festivals de l’été, non sans se faire du mal. Le moindre village fête le jazz, ou du moins imagine le fêter. Prenez Toinette-sur-Loire, 2000 habitants, 20.000 attendus pour le premier Merguezazz Festival que sa Mairie organise. En vedette Cheba Tutassoilah. Portée par des rythmes gnawa et hassani, elle mâtine de jazz son chant sahraoui. Un peu plus au sud, le paisible hameau de Cébranché prépare Mondo Jazz, méga manifestation culturelle ouverte à tous les métissages jazzistiques, comme si le jazz n’était déjà pas assez métissé. Monsieur Michu effondré m’apprend que les vertes prairies bordant la ferme de sa Tante Pétunia, verts pâturages foulés dans sa jeunesse, vont prochainement accueillir des hordes de fans venues massivement applaudir Lia et Paula, électrons libres du jazz indo-sumérien, mais aussi le très médiatisé Dan Pharacoulé auteur d’une étrange musique se situant quelque part entre raï, hip hop, house et électro jazz. Le communiqué de presse précise que « les infra-basses de son melting pot jazzistique font vibrer les tympans et trembler la terre ». Monsieur Michu en groove déjà des dents. Ce n’est pas mieux chez les bretons. Armor Jazz attend 50.000 visiteurs. Les têtes d’affiche en sont Fuck T.L. (Fuck Ta Langue) et Sam the Mad Fluo. Rasta rappeur, le premier décrit sa musique comme « de la matière vibrante, organique et percussive dont les rythmes contagieux invitent à voyager dans son for intérieur ». Follement apprécié par Jean-Jacques Dugenoux, le second distille « un jazz sans règles et sans frontières dans un alambic improvisateur », expérimente l’infinité des perspectives possibles de la harpe électro-celtique, instrument avec lequel il confronte « les confins de l’univers aux limites des fréquences perceptibles ».

 

Abusivement estampillées jazz, ces musiques venues d'ailleurs donnent envie d’écouter du jazz dans les festivals qui en proposent, à Marciac par exemple. Ailleurs, entre Kassav, Chic, The Temptations ou Earth Wind & Fire, se glissent encore quelques jazzmen. De moins en moins. Mulgrew Miller a rejoint lui aussi les étoiles. Le 29 mai, un accident vasculaire cérébral a eu raison de ce géant du piano, un homme simple, modeste, d’une grande gentillesse que Jean-Paul admirait. Il aurait eu 58 ans le 13 août. Avec lui disparaît l’un des derniers tenants d’un piano ancré dans le blues et la tradition, un musicien de jazz, chef d’œuvre en péril dénaturé par trop de métissages. Laurent de Wilde qui le connaissait depuis presque trente ans le plaçait tout près du tronc de l’arbre généalogique du jazz, « là où sa sève coule en abondance, au plus proche de sa source ». Mulgrew Miller a abondamment enregistré. Parmi les disques qu’il publia sous son nom, je conseille “The Countdown”, en quartette en 1988 avec Joe Henderson, Ron Carter et Tony Williams dont il fut le pianiste, et “Solo” enregistré live en octobre 2000 au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand, le seul album qu’il réalisa sans soutien rythmique. Philippe Etheldrède lui a consacré dimanche 2 juin une heure de son Jazz à FIP. On peut réécouter l’émission en podcast. Il pleut. Ruisselante d’eau, la terre répand une odeur molle. Les escargots laissent de longs sillages d’humidité sur les sols détrempés. Orphelin de l’un de ses meilleurs pianistes, le jazz pleure des larmes de pluie.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Ernie Watts au Duc des Lombards les 4, 5 et 6 juin. Avec lui, les Melody Players, groupe comprenant Bernard Vidal à la guitare, Peter Giron à la contrebasse et Tony Match à la batterie. On ne présente plus le saxophoniste, un musicien de studio recherché qui fut aussi membre du Liberation Music Orchestra puis du Quartet West, deux formations de Charlie Haden. Au ténor, il possède une sonorité personnelle aisément reconnaissable. On peut l’entendre dans le dernier album de Kurt Elling “1619 Broadway, the Brill Building Project”. Ses chorus de ténor donnent de l'épaisseur à I’m Satisfied et à So Far Away, une des chansons de “Tapestry“, disque que Carole King enregistra en 1971.

-Thomas Enhco au New Morning le 7. Aux membres de son trio habituel, Chris Jennings (contrebasse) et Nicolas Charlier (batterie) s’ajoute Kurt Rosenwinkel dont la guitare à la sonorité et aux harmonies singulières expose des phrases simples et mélodiques dont toutes les notes semblent chanter. “Fireflies” le dernier disque de Thomas révèle un pianiste sensible à la technique assurée qui se consacre sincèrement à sa musique, des compositions souvent mélancoliques qui distillent une lumière de petit matin et donnent le vague à l’âme. Il possède aussi une oreille très sûre que lui a apporté la pratique du violon. John Patitucci et Jack DeJohnette l’accompagnent dans un enregistrement new-yorkais destiné au marché japonais. Assurément l’un des espoirs de demain.

-Le mardi 11, toujours au New Morning, Philip Catherine nous rend visite dans le cadre de la tournée qu’il entreprend à l’occasion de son 70ème anniversaire. Avec lui, les musiciens de “Côté Jardin”, son dernier disque : le pianiste Nicola Andrioli qui en a composé trois des thèmes, le fidèle et indispensable Philippe Aerts à la contrebasse, Antoine Pierre, batteur au drumming aussi perspicace que subtil, et Isabelle, la propre fille de Philip pour poser sa jolie voix sur le titre qui donne son nom à l’album. Il contient une grande version de Je me suis fait tout petit. Les amateurs de George Brassens apprécieront. Fluide et élégante, sa musique témoigne de la grande forme d’un guitariste qui, au regard d’une carrière faite de rencontres et de réussites, a marqué le jazz de ces quarante dernières années.

-Après s’être produit au Duc des Lombards en février 2012 avec Steve Swallow et Billy Drummond, Steve Kuhn retrouve le club parisien le 13 à la tête d’un nouveau trio comprenant Aidan 0’Donnell à la contrebasse et Steve Johns à la batterie. On écoutera le pianiste dans deux albums de 1986 aujourd’hui réédités par Sunnyside : “Life’s Magic” et “The Vanguard Date”. Influencé par Bud Powell et Bill Evans, Kuhn peut aussi bien jouer un piano aux harmonies ancrées dans la tradition du bop que du jazz modal. Son jeu lyrique ressemble alors à celui de McCoy Tyner. Il rend d’ailleurs hommage à John Coltrane dont il fut pendant quelques mois le pianiste dans un disque ECM de 2009, “Mostly Coltrane”.

-Marjolaine Reymond le 16 à 18h00 sur la Péniche Le Marcounet, quai de l’Hôtel de Ville, prélude à la sortie de “To Be an Aphrodite or not to Be”, oratorio en trois parties dont l’orchestration varie du nonette au duo. Son enregistrement a demandé une préparation minutieuse de nombreux re-recordings. Enregistré en 2006, publié il y a cinq ans, “Chronos in USA”, opéra de poche en trois actes sur des textes empruntés à des poètes anglais et américains, révélait cette chanteuse inclassable mêlant jazz et bel canto, sprechgesang et effets électroniques. Avec elle pour ce concert, Julien Pontvianne (saxophone ténor) David Patrois (vibraphone et marimba), Xuan Lindenmeyer (contrebasse) et Yann Joussein (batterie). Sa voix qui escalade trois octaves, Marjolaine l’engage dans une nouvelle aventure, une féérie vocale consacrée à Emily Dickinson (1830-1886) qui, recluse dans sa demeure d’Amherst, jardinait, s’habillait en blanc et publia de son vivant quelques 1800 poèmes.

-Sachal Vasandani au Duc des Lombards les 17, 18 et 19 juin. Il est présent dans “Life Forum”, nouveau disque du pianiste Gerald Clayton chroniqué dans ce blog. Le père de ce dernier, le contrebassiste John Clayton, a produit “Hi-Fly”, le disque le plus récent du chanteur qui bénéficie de la trompette d’Ambrose Akinmusire. Sachal prépare le prochain et en rode sur scène le répertoire. Il possède une voix charmeuse de ténor léger et donne chaque année quelques concerts au Duc, y aborde un répertoire très varié, des compositions personnelles, des standards et des thèmes empruntés à la pop. Il travaille depuis longtemps avec Jeb Patton (piano), David Wong (contrebasse) et Peter Van Nostrand (batterie) qui, sous toute réserve, seront avec lui au Duc.

-Bruno Angelini et Philippe Le Baraillec sur la péniche l’Improviste amarrée pour deux mois 34 quai de la Loire (M° Jaurès) le 22 à 21h30. Les deux pianistes se succèderont en solo sur le même instrument. Ils eurent tous deux comme professeur Samy Abenaïm qui avec Bernard Maury fonda la Bill Evans Piano Academy. Bruno et Philippe en ont charge aujourd’hui. Ils aiment organiser les sons, sont férus d’harmonies, de notes élégantes et tendres dont ils tirent une grande diversité de couleurs. Plus extraverti, Bruno Angelini multiplie projets et enregistrements. Il a rejoint le groupe de Sébastien Texier et joue dans “Toxic Parasites”, son nouveau disque. Philippe Le Baraillec donne peu de concerts et fait peu de disques. Exigeant avec sa musique, poète autant que musicien, il caresse ses notes avec douceur, sensualité et va à l’essentiel. Harmonie, rythme et mélodie habitent ses silences. Ses apparitions sont rares. On ne manquera pas son récital parisien.

-On parle beaucoup de Ken Berman, pianiste new-yorkais remarqué par la critique américaine qui occupera la scène du Sunside le 27. Influencé par Bill Evans et Keith Jarrett, cet ancien étudiant du Berklee College of Music dont le mentor fut Barry Harris, apporte des compositions originales bien structurées. Sa formule de prédilection reste le trio, combinaison instrumentale interactive qui offre de nombreuses possibilités d’échange et de création. Avec Darryl Hall (contrebasse) et Rémi Vignolo (batterie), il jouera des extraits de son troisième album “Sound Poetry” dont la sortie est prévue cet été.

-Billy Childs au Sunside les 28 et 29 à la tête d’un quartette de vedettes comprenant Steve Wilson aux saxophones, Scott Colley à la contrebasse et Kendrick Scott à la batterie. Naguère pianiste de Freddie Hubbard et de J.J. Johnson, Childs est l’auteur de nombreuses pièces orchestrales, certaines destinées à des orchestres symphoniques, d’autres à des orchestres de jazz, tel le Lincoln Center Jazz Orchestra. Il écrit pour le Kronos Quartet et a composé un concerto pour violon et orchestre. Regina Carter en était la soliste. Au Sunside, c’est le jazzman que l’on écoutera dans ses œuvres. “Autumn : in Moving Pictures” son dernier disque réunit le saxophoniste Bob Sheppard, les batteurs Antonio Sanchez et Brian Blade, mais aussi Scott Colley dont la contrebasse est capable de donner des ailes à la musique.

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Péniche Le Marcounet : www.peniche-marcounet.fr

-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

CREDITS PHOTOS : Ernie Watts © Philippe Etheldrède – Steve Kuhn, Sachal Vasandani © Pierre de Chocqueuse – Marjolaine Reymond © Bernard Minier – Mulgrew Miller, Philip Catherine, Ken Berman, Billy Childs : Photo X/D.R.

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27 mai 2013 1 27 /05 /mai /2013 09:52
Cécile

Cécile McLORIN SALVANT :

“WomanChild”

(Mack Avenue / Universal Music)

Elle se nomme Cécile McLorin Salvant et subjugue par une voix rare, une de celles dont la découverte inespérée relève du miracle. Comment ne pas songer à Billie, Sassy, Ella, mais aussi à Abbey Lincoln que Cécile a bien évidemment écoutée tant le timbre en est suave et chaud. Cette voix si belle, nous faillîmes la manquer.

Cécile ne se destinait pas à une carrière de chanteuse, mais effectuait une prépa à Aix en Provence pour entrer à Sciences Po. Elle rêvait de devenir chanteuse lyrique, mais la musique n’était pour elle qu’un simple hobby. Née à Miami de mère française et de père haïtien, elle y a étudié le piano classique et chanté dans une chorale d’enfants. À Aix, elle rencontre le saxophoniste Jean-François Bonnel qui dirige la classe de jazz du Conservatoire Darius Milhaud. Il la convainc de chanter, de donner des concerts. En 2010, elle participe sans trop y croire au Concours Thelonious Monk dans la grande salle du Kennedy Center de Washington et, à la surprise générale, en remporte le 1er prix. Jacky Terrasson qui l’admire lui donne un sérieux coup de main en lui confiant deux titres de “Gouache”, et sa présence aux côtés du pianiste au Festival de Jazz de la Villette la place sur la sellette. Plusieurs dates avec Wynton Marsalis et le Lincoln Center Orchestra l’an dernier, une tournée prévue en décembre au sein du même orchestre, sacrent ce début de règne.

Mais d’abord ce disque attendu depuis longtemps, le premier réellement produit que la chanteuse enregistre après un opus mal distribué et passé inaperçu. Certains seront sans doute frappés par son classicisme. Cécile s’empare de quelques thèmes anciens qui parlent à son cœur, à sa mémoire, en exprime le blues de manière naturelle, les fait revivre par une diction et un phrasé impeccables. Elle est aussi la première à reprendre You Bring Out the Savage in Me depuis que Valaida Snow l’enregistra en 1935. “WomanChild” s’ouvre sur St. Louis Blues que chantait Bessie Smith. Une simple guitare (James Chirillo) accompagne une voix qui d’emblée enthousiasme. Une instrumentation réduite lui suffit. Une contrebasse assurée par Rodney Whitaker, une batterie confiée à un Herlin Riley impérial dans You Bring Out the Savage in Me, un piano élégant tenu par Aaron Diehl, musicien jouant aussi bien du jazz traditionnel que du bop, Cécile trouve là l’écrin idéal pour son chant. Avec Nobody et son piano honky tonk, nous nous voyons transportés dans un barrelhouse de la grande Amérique. Modernisé, le tonique John Henry dans lequel le dobro remplace la guitare relève du folk. Quant au blues Baby Have Pity on Me que l’on doit à Clarence Williams, il possède un aspect rural appréciable. Plus actuel, WomanChild révèle le talent de Diehl, pianiste vif et prompt à réagir avec lequel Cécile dialogue, étire ses notes, théâtralise son chant avec gourmandise, ce qu’elle fait aussi dans un décoiffant What a Little Moonlight Can Do croqué à pleines dents. Chanté en français avec beaucoup d’émotion, Le front caché sur tes genoux, un poème haïtien des années 30 dont elle a composé la musique remet bien sûr en mémoire Je te veux, morceau d’Erik Satie qu’elle interprète dans le disque de Terrasson. La chair de poule perdure longtemps après son écoute. "A star is born" assurément.

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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 09:05
Nuit tropicale

Il peut faire très chaud à Paris lorsque, cuivrée par le soleil, la musique rythme des mélodies, lui donne des effluves tropicales. Fêtant la parution de son nouveau disque par un concert au Châtelet, Chucho Valdés et sa formation knock-outèrent le mauvais temps pour quelques heures, leur maelström de vibrations colorées et joyeuses plongeant le baromètre dans l’affolement d’une ivresse éthylique.

 

LUNDI 6 mai

Dans un théâtre du Châtelet archi plein et à la tête de ses Afro-cuban Messengers, formation dont le nom évoque bien sûr les défunts Jazz Messengers d’Art Blakey – que, curieusement, personne n’a encore songé à remettre sur pied à des fins mercantiles – Chucho Valdés présentait le répertoire de “Border Free”, son nouvel opus. Sur sa pochette sépia, il apparaît en chef indien, coiffé d’une parure de plumes du plus bel effet. Chucho créa naguère Irakere, le plus international des orchestres cubains. Loin de rester cantonné dans un style, il aime ouvrir sa musique à d’autres influences.

Nuit tropicale

Afro-Comanche, un des morceaux du nouvel album, est ainsi dédié aux descendants des Comanches qui, déportés à Cuba au cours du XIXe, y fondèrent des familles. Introduit par un piano nerveux et orchestral, le tempo rapide met en valeur la section rythmique, un batteur solide (Rodney Barreto Illarza) et deux percussionnistes, Yaroldy Abreu Robles aux congas et Dreiser Durruthy Bombalé aux tambour batá, mais aussi à la clave. Bâtonnets cylindriques en bois très dur que l’on frappe l’un contre l’autre, ils produisent une phrase rythmique également baptisée clave, 5 notes divisée en deux mesures et jouée en 3/2 ou en 2/3 qui marquent le temps de la musique cubaine.

Nuit tropicale

Cette clave, Chucho n’hésite pas à en assouplir le rythme. Il recherche une plus grande liberté rythmique, mélange mesures paires et impaires dans des compositions aux couleurs féériques. Pour Afro-Comanche, il souhaitait des flûtistes, de vrais indiens comanches. Ne pouvant en disposer, il préféra l’enregistrer avec sa seule section rythmique. Après l’impressionnant solo d’une contrebasse chantante, celle de Gastón Joya titulaire de l’instrument, Chucho se lance dans une fugue de Bach inattendue. Il n’ignore pas l’influence de la musique classique européenne sur la musique cubaine, cite souvent Debussy et Ravel.

Nuit tropicale

Dans Tabú, un thème écrit par Margarita Lecuona, sœur d’Ernesto Lecuona (1895-1963), pianiste et compositeur de La Comparsa souvent reprise par Valdés, une petite section de cuivres comprenant Reinaldo Melián Alvarez à la trompette et deux invités, Irving Acao (saxophone ténor) et Roy Hargrove (bugle et trompette), occupent la scène. Irving impressionne au ténor. Utilisant une sourdine, Roy subjugue le public par l’élégance de son style, la pureté de ses notes. La pièce se termine sur une improvisation collective très applaudie. La sono laisse pourtant à désirer. Alors que le théâtre du Châtelet est réputé pour sa bonne acoustique, un son trop sourd sort des haut-parleurs.

Nuit tropicale

Autre grand moment, Bebo, pièce au thème limpide et tendre écrit pour son père récemment disparu. Par un long et éblouissant chorus, Chucho en hisse la musique au sommet. Composé à l’occasion du carnaval de Las Palmas, Santa Cruz accueille la chanteuse de flamenco Buika, dont la voix particulière, proche du cri et de la transe, a du mal à passer. Je préfère celles des musiciens de l’orchestre qui se répondent, alternance d’un soliste et d’un chœur au rythme de tambours hypnotiques. Son incursion vers la musique arabo-andalouse avec la présence sur scène d’un chanteur surprise ne fut pas non plus très convaincante.

Nuit tropicale

LE DISQUE :

“Border-Free” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

Nuit tropicale

Enregistré à La Havane et à Malaga avec les musiciens présents au Châtelet et un seul invité, Branford Marsalis, il mêle toutes sortes de musiques, l’afro-cubaine se voyant ainsi autrement métissée. Certains genres musicaux sont mieux intégrés que d’autres, mais Chucho invente, expérimente. Il repense les rythmes de la clave, joue un merveilleux piano orchestral aux notes chaudes et ruisselantes. Trompette et saxophone ajoutent de la couleur, se livrent avec les tambours de l’orchestre à de passionnantes improvisations collectives, la rythmique tournant à plein régime, comme un guéridon visité par des esprits. Branford Marsalis étonne au saxophone ténor dans Tabú et Bebo, mais déconcerte dans Abdel, une pièce moins heureuse qu’il arabise au soprano. “Border-Free” est aussi un hommage à ses parents et à ses maîtres qui forgèrent sa musique. Il s’ouvre avec Congadanza, un hommage à María Cervantes, la fille d’Ignacio Cervantes (1847-1905), créateur de nombreuses danzas pour piano. Certaines d’entre-elles doivent beaucoup à Chopin. Caridad Amaro, prénom de la grand-mère de Chucho contient un passage célèbre du concerto de piano de Rachmaninov qu’elle aimait écouter. Pilar porte le nom de sa mère. Elle appréciait Bach, mais aussi Blue In Green. Le morceau y fait référence. Bebo, son père, son premier professeur, lui inspire un thème magnifique. Il mérite à lui seul d'acquérir cet l'album.

Photos concert © Pierre de Chocqueuse

 

DERNIÈRE MINUTE :

Nuit tropicale

Ne manquez pas les concerts que donneront les 31 mai et 3 juin prochains dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, 47 rue des Écoles, 75005 Paris (20h00), le sextette de Stéphane Guillaume dans une relecture de “Cityscape”, concerto pour saxophone ténor et orchestre symphonique écrit par Claus Ogerman pour Michael Brecker qui l’enregistra en 1982. “L'Attente” (“Waiting for an Answer”), une commande pour chœur et piano passée à Carine Bonnefoy avec Hervé Sellin au piano, mais aussi les Chichester Psalms et les Danses Symphoniques de West Side Story de Leonard Bernstein complèteront le programme. Les mêmes jours à 18h, Laurent Cugny, désormais responsable du Chœur et Orchestre Sorbonne Universités, donnera une conférence sur l’improvisation et l’écriture, sujets passionnants pour tous les mélomanes.

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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 10:21
Au-delà du miroir...

Susanne ABBUEHL : “The Gift” (ECM / Universal)

Difficile de définir la musique intimiste de Susanne Abbuehl. La chanteuse suisse mène sa carrière avec discrétion et donne peu de concerts. “The Gift” est seulement le troisième album qu’elle enregistre pour ECM en douze ans. Publié en 2001, comprenant des compositions de Carla Bley (Closer, Ida Lupino) auxquelles elle ajoute ses propres paroles et des poèmes d’Edward Estlin Cummings qu’elle met en musique, “April” nous révéla la voix pure et aérienne d’une artiste inclassable. Paru cinq ans plus tard et partiellement consacré à des poèmes de James Joyce, “Compass” confirmait la singularité de sa démarche : mettre en musique des poèmes, les chanter pour saisir leur rythme intérieur, traduire leurs plus infimes nuances.

Au-delà du miroir...

Contrairement à “Compass”, la quasi totalité des musiques de “The Gift” sont ses propres créations. Elles servent de support à des poésies d’Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale et Wallace Stevens, auteurs plus familiers aux lecteurs de langue anglaise qu’aux français. On a lu bien sûr “Les Hauts de Hurlevent” (“Wuthering Heights”) d’Emily Brontë, son unique roman, mais qui connaît la poétesse Sara Teasdale (1884- 1933) ou Wallace Stevens (1879- 1955), l’un des précurseurs de la poésie moderne américaine?

Si ce dernier travailla comme conseiller juridique pour une compagnie d’assurances, les trois autres furent des solitaires. De constitution fragile, Sara Teasdale vécut longtemps chez elle protégée par sa famille et Emily Dickinson ne s’est jamais beaucoup éloignée de la propriété familiale d’Amherst (Massachussetts), une immense maison où elle vécut confinée, répugnant même à sortir de sa chambre. L’aspect confidentiel de leurs poèmes, la vibration des mots qui n’expliquent pas mais invitent chacun à rêver inspirent Susanne Abbuehl qui nous invite à pénétrer de l’autre côté du miroir, à parcourir des paysages sonores épurés au sein desquels le verbe devient images, tend la main à d’autres mondes. Constitués de vers très courts, les poèmes qu’elle reprend ont souvent des rimes imparfaites. Peu conventionnelle, leur ponctuation permet à Susanne de les explorer au mieux. La voix allonge certains mots, étire ou contracte les syllabes pour donner un balancement à la phrase.

Avec elle, trois musiciens dont le fidèle Wolfert Brederode, son pianiste depuis vingt ans. Il choisit judicieusement ses notes, les fait sonner et respirer. Wild Nights se revêt ainsi d’harmonies magnifiques. Dans Fall, Leaves Fall et This And My Heart qui conclut le disque, il joue également d’un harmonium indien, instrument que Susanne rapporta de Bombay. Découvert auprès du trompettiste Tomasz Stanko, le batteur finnois Olavi Louhivuori suggère les tempos, apporte des touches de couleur à une toile percussive aux mailles desserrées. Forbidden Fruit résonne ainsi de bruits sourds inquiétants. A Slash of Blue n’est que bruissements, frémissements féériques. This and My Heart, In My Room et Fall, Leaves Fall sont les seules plages dont il marque le tempo. Seconde voix mélodique, le bugle de Mathieu Michel – trompettiste suisse né à Fribourg en 1963 – commente et souligne la voix, chante les rares notes d’émouvantes improvisations modales. À mi-chemin entre la musique indienne et le jazz, l’approche musicale de l’album reste bien sûr minimaliste. Susanne Abbuehl étudia le chant classique au Conservatoire Royal de la Haye et fut une élève de Jeanne Lee avant de se plonger dans la musique du nord de l’Inde à Amsterdam, puis à Bombay. Sa voix très pure envoûte. Chantant avec son âme, elle l’insuffle dans des poésies qui font corps avec elle. Le pouvoir de la grâce.

Pour fêter la sortie de “The Gift”, Susanne Abbuehl et les musiciens qui ont participé à l’album donneront un concert exceptionnel au Sunside le 16 mai.

Photo de Susanne Abbuehl © Martin U.K. Lengemann         

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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 09:07
Plaisirs champêtres

Mai : le printemps traine les pieds, fait peu d’efforts pour montrer le bout de son nez sous les pluies, les nuages et le froid. Paris défile beaucoup. Sous des averses et les pieds dans l’eau, les mécontents arpentent les trottoirs. Prudents et malins, les vrais râleurs restent à l’écart. Prenez Bajoues Profondes : il ne lui viendrait pas à l’idée de grossir les rangs des manifestants, de reprendre les slogans éructés par des tribuns juchés sur des sonos montées sur des véhicules aux moteurs polluants et nauséabonds. Installé à la terrasse d’un café lorsque le temps le lui permet, il préfère voir passer les jolies filles, poser ses yeux sur leurs longues jambes amincies aux bains de moutarde qui se réservent pour d’autres défilés. Étrange ce besoin qu’éprouve l’homme de se fondre dans une foule, de faire corps avec elle pour défendre des idées qui sont rarement les siennes. Il déserte toute l’année les clubs de jazz pour rejoindre l’été des méga festivals, perdre son identité au sein de foules immenses qui ne partagent pas forcément ses goûts. Les exigences économiques conditionnent les programmes. L’amateur de jazz ne pouvant remplir seul stades et amphithéâtres, le festival de jazz s’ouvre à d’autres musiques, attire un autre public, aménage des soirées, soul, blues, africaines, réserve des espaces à la chanson française, au rap, au funk. On a beau apprécier le poisson, trouver du thon dans une boîte de sardines ne fait pas très plaisir. Échaudés, les Michu désertent ces grandes kermesses dont raffolent les Dugenoux attachés au plein métissage, à la « ressemblance évitée » érigée en dogme qui fait le bonheur d’Etienne Marcel, bruiteur arc-bouté sur ses propres inventions, et de Bernard dont la dernière œuvre relève du tremblement de terre ce qui ne nous change guère des tempêtes, de la grêle et des vents violents qui tombent sur nos têtes. Monsieur Michu ne sait trop ou donner de la sienne. Il espère l’arrivée du beau temps pour étendre son vieux corps sur les prés de Saint-Germain qui depuis treize ans en mai accueillent un festival à l’échelle humaine. Je n’en partage pas toujours les choix artistiques, mais il apporte chaque année un supplément d’âme et de vie à un quartier longtemps associé au jazz et à son histoire. Du 16 mai au 3 juin le jazz vous y donne rendez-vous. Tâchez d’entendre son appel.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

Plaisirs champêtres

-Chucho Valdès et ses Afro-Cuban Messengers au Théâtre du Châtelet le 6 mai (20h00), la veille de la sortie d’un nouvel album intitulé “Border-Free”. Dans ce dernier, le pianiste fait tomber les barrières des genres, expérimente différents rythmes, de nouvelles variations harmoniques, et revient à l’improvisation collective. Sa pochette le représente en chef indien, référence aux Black Indians de la Nouvelle-Orléans, mais aussi à ces Comanches qui déportés à Cuba ont fondé des familles. Chucho leur a dédié un morceau. A la tête d’une formation qui peut sonner comme un grand orchestre, il élargit son métissage musical aux musiques d’Amérique du Nord et arabo-andalouse et invite le trompettiste Roy Hargrove et la chanteuse Buika à partager sa quête, cette passerelle entre les mondes que jette sa musique.

Plaisirs champêtres

galement le 6, mais à l’Olympia, Madeleine Peyroux présentera son nouveau disque “The Blue Room” largement consacré au répertoire de deux albums de Ray Charles : “Modern Sounds in Country and Western Music, Vol.1 & 2”. S’y ajoutent des morceaux de Léonard Cohen, Randy Newman, Warren Zevon. Produit par Larry Klein auquel on doit “My One and Only Thrill” enregistrement qui fit connaître Melody Gardot, il contient des plages avec des cordes arrangées par Vince Mendoza. Elles seront présentes à l’Olympia derrière la chanteuse et ses musiciens habituels.

Plaisirs champêtres

-Kat Edmonson au Duc des Lombards le 7. Un premier album autoproduit en 2009, la place sur la sellette. La chanteuse se produit alors régulièrement à l’Elephant Room, un club d’Austin. Elle assure les premières parties des concerts de Lyle Lovett avec des chansons originales souvent proches de la country music. On peut les écouter dans “Way Down Low” un second disque toujours financé par ses soins qui vient de paraître. Al Schmitt et Phil Ramone en ont assuré l’enregistrement. Il fait un tabac aux Etats-Unis, renferme des morceaux commerciaux, mais aussi quelques trésors capables de séduire l’amateur de jazz exigeant, sa voix juvénile ressemblant beaucoup à celle de Blossom Dearie. On jugera sa vraie valeur sur scène, l’endroit de vérité.

Plaisirs champêtres

-Aaron Goldberg au Sunside le 10 et le 11 avec Reuben Rogers (contrebasse) et Gregory Hutcherson (batterie), des musiciens avec lesquels il a l’habitude de jouer un jazz moderne inventif et exigeant. L’ancien pianiste de Joshua Redman est depuis longtemps une valeur sûre de l’instrument. Il s’est fait récemment remarqué dans “Bienestan”, un album enregistré en sextette avec Guillermo Klein et “Yes !”, enregistré en trio avec Omer Avital et Ali Jackson, est un de mes Chocs de l’année 2012. C’est toutefois un autre répertoire qu’il jouera avec Rogers et Hutcherson. Outre des compositions originales, Aaron aime relire les standards de la grande Amérique. Il possède une vaste culture, un jeu nerveux et mobile et apprécie le risque ce qui rend ses concerts passionnants.

Plaisirs champêtres

-Sébastien Texier au Sunside le 14. Avec lui les musiciens de “Toxic Parasites” dont la chronique a été très récemment publiée dans ce blog. Alain Vankenhove (trompette, bugle), Bruno Angelini (piano), Frédéric Chiffoleau (contrebasse) et Guillaume Dommartin (batterie) entourent le saxophoniste (alto et clarinettes) dans un répertoire constitué de compositions originales soigneusement arrangées. Ils se réservent de nombreux espace de liberté et approchent les thèmes de façon mélodique, ce qui rend leurs improvisations particulièrement attrayantes. Utilisant au mieux l’instrumentation dont il dispose, Sébastien Texier colore habilement sa musique rendue goûteuse et accessible.

Plaisirs champêtres

-Le même soir le grand Roy Haynes se produit au New Morning à la tête de son Fountain of Youth Band. Son grand âge le contraint à s’économiser un peu, mais il reste le gardien du tempo, possède toujours cette sonorité très mate de caisse claire qui est l’une des caractéristiques d’un jeu varié riche en sonorités contrastées. Les membres de son groupe travaillent avec lui depuis longtemps et le bop moderne qu’ils proposent reste d’une grande efficacité. Au saxophone alto, Jaleel Shaw que l’on a entendu récemment au Sunside souffle de longues phrases mélodiques et logiques. Dans l’ombre du batteur, Martin Bejerano le pianiste est une pointure à découvrir. Quant à David Wong, le bassiste, on trouve souvent son nom associé à l’excellent chanteur Sachal Vasandani.

Plaisirs champêtres

-Susanne Abbuehl au Sunside le 16 pour nous présenter son nouvel album ECM, “The Gift” sorti trois jours plus tôt. Un disque événement car la chanteuse suisse en fait peu, prend son temps pour les peaufiner, mettre des poèmes sur des musiques, et les chanter avec son âme pour en faire vibrer les mots, les napper de douceur. Contrairement à ses deux disques précédents, “April” et “Compass”, elle a préféré écrire toutes les musiques – à l’exception de Soon (Five Years Ago) – rendant ainsi plus personnelles encore ses interprétations, Susanne enveloppant de ses propres mélodies un choix de poèmes de Sara Teasdale, Emily Dickinson, Emily Brontë et Wallace Stevens (In My Room). Avec elle Wolfert Brederode son pianiste habituel, et deux nouvelles recrues appréciables : le trompettiste Matthieu Michel dont le bugle assure une seconde voix mélodique et le batteur finnois Olavi Louhivuori, découvert sur “Dark Eyes”, un album ECM de Tomasz Stanko.

Plaisirs champêtres

-La 13ème édition du Festival de Jazz de Saint-Germain-des-Prés se déroulera du 16 mai au 3 juin. Le batteur Stéphane Huchard ouvre le bal avec un concert le 16 au Café de la Danse. Publié récemment sur le label Jazz Village, “Panamerican” son dernier album apparaît comme le plus intéressant de sa discographie. Stéphane Huchard l’a enregistré à New York avec Chris Cheek (saxophones ténor et soprano), Jim Beard (claviers), Nir Felder (guitares) et notre argentin de Paris, Minino Garay aux percussions. Ils seront avec lui sur scène pour interpréter les compositions débordantes de groove qu’il renferme. Au Sunset, le tremplin Jeunes Talents départagera les 19 et 20 mai six formations dont celle de la chanteuse Lou Tavano dont je pense grand bien. Le 24, dans l’amphithéâtre Binet de l’Université Paris Descartes, le guitariste Biréli Lagrène invite Philippe Catherine et Boulou Ferré à rejoindre son trio. Le 29, l’Eglise de Saint-Germain-des-Prés accueille le trompettiste sarde Paolo Fresu et le guitariste de son Devil Quartet, Bebo Ferra. Le même soir, mais à partir de 22h30, le trio de Paul Lay se produit non loin de là au Madison Hôtel. Avec Clemens Van der Feen à la contrebasse et Dré Pallemaerts à la batterie, le pianiste jouera quelques morceaux d’un nouvel album très attendu. Une programmation que Donatienne Hantin et Frédéric Charbaut, co-fondateurs du festival ont souhaité éclectique. Grâce à eux, Saint-Germain-des-Prés vit une fois par an au rythme du jazz. Qu’ils soient ici remerciés.

Plaisirs champêtres

-Omar Sosa à l’Alhambra (20h00) le 23 et au Théâtre du Vésinet le 24 dans le cadre du Jazz Métis Festival. Compositeur, arrangeur et pianiste, le pianiste trempe depuis longtemps dans le jazz les racines africaines de sa musique afro-cubaine et parvient à créer une world music originale. Hommage au “Kind of Blue” de Miles Davis, “Eggūn” son dernier disque, une commande du Barcelona Jazz Festival, apparaît ainsi comme une œuvre personnelle, les emprunts au trompettiste se voyant dilués au sein d’un savant métissage de musiques. Le large choix de rythmes qu’offrent ses compositions colorées en fait un grand voyage musical. Un piano modal y déploie des mélodies féériques. Joo Kraus (trompette), Peter Apfelbaum (saxophones), Leandro Saint-Hill (saxophones et flûte), Childo Tomas (basse) et Marque Gilmore (batterie) portent avec lui transe et béatitude.

Plaisirs champêtres

-Tom Harrell au Duc des Lombards du 23 au 25 pour six concerts (deux par soirée). Ne manquez pas cette légende vivante de la trompette, qui naguère encore jouait avec les plus grands. Dizzy Gillespie, Horace Silver, Bill Evans, Gerry Mulligan ont bénéficié de sa sonorité moelleuse, de son phrasé toujours mélodique. Harrell travaille avec les mêmes musiciens depuis plusieurs années. Avec Wayne Escoffery au saxophone ténor, Danny Grissett au piano, Ugonna Okegwo (contrebasse) et Johnathan Blake (batterie), il peaufine les arrangements de ses propres compositions. Cinq albums de ce quintette ont vu le jour depuis 2007. Le dernier s’intitule “Number Five” et sur scène Tom en reprend de larges extraits.

Plaisirs champêtres

-Christian Escoudé présente son nouveau disque au Sunset les 24 et 25 mai. “Saint-Germain-des-Prés” rassemble des compositions du pianiste John Lewis qui nous sont bien sûr familières. Django, Afternoon in Paris, Concorde, Skating in Central Park, un thème composé pour le film de Robert Wise “Odds Against Tomorrow” appartiennent à l’histoire du jazz et ne seront jamais oubliés. Le guitariste reprend ces mélodies avec finesse, en cisèle les contours, les fait revivre avec une fine équipe de musiciens. Présents lors de son enregistrement, Lew Tabakin, Stéphane Belmondo, Thomas Bramerie et Billy Hart cèdent saxophone, trompette, contrebasse et batterie à David Sauzay, Yann Loustalot, Pierre Boussaguet et Bruno Ziarelli. Christian conserve toutefois la seconde guitare de l’album confiée à Jean-Baptiste Layla. On ne peut que s’en réjouir.

Plaisirs champêtres

-Installé à Paris depuis 2008 et auteur de trois albums aux harmonies luxuriantes qui témoignent de l’influence prépondérante de la musique classique européenne sur ses compositions, le pianiste Nicola Sergio et ses invités donneront deux concerts le 26 au Sunside (18h00 et 20h30) au profit de l’association Partage dans le Monde afin de financer une mission médicale et la rénovation d’une école au Népal. Sofie Sorman et Adrien Néel (chant), Yuriko Kimura (flûte), Christophe Panzani (saxophone), Yoni Zelnik (contrebasse) et Luc Isenmann (batterie) participeront à cette soirée de soutien humanitaire qui nécessite votre présence.

Plaisirs champêtres

-Dans le cadre des manifestations organisées à l’occasion du 90ème anniversaire de la naissance du saxophiste Dexter Gordon, l’Espace Daniel-Sorano de Vincennes lui rend hommage le même jour avec à 14h30 la projection du film “Autour de Minuit” suivie à 17h00 d’une table-ronde autour du film en présence de son réalisateur, le cinéaste Bertrand Tavernier, et de Maxine Gordon, l’épouse de Dexter. Enfin, à 18h30, le saxophoniste ténor Lew Tabackin épaulé par Vincent Bourgeyx au piano, Pierre Boussaguet à la contrebasse et Mourad Benhammou à la batterie, reprendra le répertoire d’un des plus célèbres albums que Dexter enregistra pour le label Blue Note : “Our Man in Paris”.

Plaisirs champêtres

-C’est un quartette interpelant qu’a mis sur pied le batteur californien Willie Jones III pour rendre hommage à Max Roach dont il partage la précision rythmique et à Clifford Brown, météorite de la trompette jazz trop tôt disparu. Avec lui au Sunside le 27 : Jim Rotondi, trompette reconnu qui fit ses armes auprès du grand Ray Charles, le pianiste Anthony Wonsey, musicien discret naguère associé à Nicholas Payton et à Wallace Roney, et la contrebasse solide de Chris Thomas. Après avoir joué avec Milt Jackson, Willie Jones III a été membre du groupe d’Arturo Sandoval et du quintette de Roy Hargrove. Pimenté de grooves latins, son drumming bien trempé dans le swing et le bop moderne ne manque pas de finesse.

Plaisirs champêtres

-Jazzman impénitent, René Urtreger s’offre Roland Garros le 29. Non le Central qui demande d’autres ressources que celles incontestables que possède le pianiste, un combattant et serviteur du jazz depuis son plus jeune âge, mais le Musée de la Fédération Française de Tennis dont la vaste salle accueille des concerts. Cette flamme qui le rend toujours jeune, René l’entretient avec des musiciens qui partagent sa passion pour un jazz qui n’oublie pas son histoire. Pour reprendre la musique d’ “Ascenseur pour l’Echafaud”, film de Louis Malle qui l’a rendu célèbre en 1957, René conserve sa section rythmique habituelle – Yves Torchinsky à la contrebasse et le fidèle Eric Dervieu à la batterie – mais fait appel à la trompette d’Eric Le Lann auteur d’un nouvel opus dont on dit grand bien, et le saxophone ténor d’Olivier Temime, récemment entendu en forme au Sunside auprès de Denise King et d’Olivier Hutman. Un ascenseur pour Roland Garros avec René, c’est approcher le paradis.

Plaisirs champêtres

-Un autre pianiste occupe le Sunside trois soirs de suite, les 30, 31 mai et 1er juin. Laurent de Wilde est en effet incapable de garder longtemps les mains dans ses poches. Il les pose sur des claviers, petits ou grands, en fait sortir des notes et pas n’importe lesquelles. Il aime les tremper dans le blues, leur confier des ballades, les faire sonner comme un balafon. L’afro-beat, l’électro, l’Afrique lui inspirent des musiques. Publié l’an dernier, “Over the Clouds”, déborde d’idées musicales et de bons médicaments contre la déprime. Jérôme Regard joue de la contrebasse et Laurent Robin de la batterie sur Fe Fe Naa Efe un morceau de Fela Kuti. Ce sont eux qui vont accompagner Laurent au Sunside. Ils connaissent son répertoire et sont prêts à nous surprendre. J’en profite pour vous signaler la réédition sur le label Gazebo (l’Autre Distribution) de deux albums de Laurent : “The Back Burner” (1995), et “Spoon-a-Rhythm” (1997), disque renfermant la première version enregistrée d’Edward K. Merci à Hélène Lifar qui me les a fait parvenir.

-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com

-Olympia : www.olympiahall.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Théâtre de l’Alhambra : www.alhambra-paris.com

-Théâtre du Vésinet : www.vesinet.org

-Espace Daniel-Sorano : www.espacesorano.com

-Festival de Jazz de Saint-Germain-des-Prés : www.festivaljazzsaintgermainparis.com

 

Crédits Photos : Chaises du Jardin du Luxembourg © André Kertész – Chucho Valdès, Roy Haynes © Philippe Etheldrède – Madeleine Peyroux © Rocky Schenck – Kat Edmonson © Sacks & Co. – Aaron Goldberg, René Urtreger, Laurent de Wilde © Pierre de Chocqueuse – Susanne Abbuehl © Pia Neuenschwander – Omar Sosa © Ron Jones – Tom Harrell © Angela Harrell – Christian Escoudé © Jean-Baptiste Millot – Nicola Sergio © Marcel van den Broek / Challenge Records – Sébastien Texier, Willie Jones III © X/DR.

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30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 09:02
Sébastien TEXIER : “Toxic Parasites” (Cristal / Harmonia Mundi)

Enregistré en 2008, “Don’t Forget You Are an Animal”, son disque précédent, m’avait laissé de marbre. Sébastien Texier ne manque pourtant pas de personnalité. Chose devenue rare aujourd’hui, il possède même un son, une manière bien à lui de souffler d’articuler ses notes, et en l’intégrant à son Wared Quartet, le pianiste Edouard Bineau savait ce qu’il faisait. Le fils d’Henri Texier joue surtout du saxophone alto, un instrument qui ne se laisse pas si aisément dompter. Pas facile d’en tirer une sonorité originale, d’improviser sans lasser.

Élargissant la palette sonore de ses compositions, les rendant plus mélodiques, Sébastien y parvient. Pour ce faire, il lâche son trio pour un quintette avec piano. Confié à Bruno Angelini, l’instrument structure le discours musical, en renforce son assise rythmique et harmonique. Le pianiste étonne par la construction de ses voicings, ses improvisations nerveuses et brillantes qui laissent aux notes le temps de respirer. Il ne manque pas non plus d’audace dans Toxic parasites qui donne son nom à l’album et dans Le courage ne fait pas tout, une pièce étonnante. Un bref thème confié aux souffleurs ponctue son piano flirtant avec le free. Un soin particulier est ici porté aux arrangements, à la forme. Les improvisations très soignées viennent parfaire un travail d’écriture qui réserve de nombreux espaces de liberté aux solistes. Les musiciens parviennent tous à s’exprimer, à prendre des solos au sein de morceaux ouverts. On découvre ici un compositeur habile qui les habille avec des couleurs spécifiques, tire partie de diverses combinaisons de timbres, Sébastien Texier utilisant au mieux l’instrumentation dont il dispose. Sa clarinette ou son alto se mêlent ainsi au bugle ou à la trompette d’Alain Vankenhove pour exposer de nombreux thèmes à l’unisson, inventer ritournelle (Amie Nostalgie) et fanfare (Toxic Parasites), rendre hommage au blues des origines. Clarinette et trompette bouchée sont ainsi au programme d’un Mumble Blues hanté par Bubber Miley et le vétéran Clark Terry. Les morceaux, souvent des compositions à tiroirs, offrent de nombreux changements de tempo. Porté par une walking bass efficace, Are You Sure relève ainsi du bop jusqu’au chorus d’une trompette audacieuse qui marmonne et vient calmer le jeu. Dans Le jour d’après s’instaure une improvisation collective et dissonante. Le calme revient avec un long dialogue piano contrebasse, un thème mélancolique qui inspire les souffleurs. Car la réussite de ce disque tient aussi à ses mélodies, à celles magnifiques de Song for Paul Motian, sans doute la pièce la plus émouvante de l’album, et de L’insouciance, morceau élégant et lyrique fait pour les images d’un film rêveur.

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 09:22
Bandes-son aux noirs très contrastés

VENDREDI 12 avril

Invité à se produire en solo sur la péniche l’Improviste à l’occasion de la première édition du Festival International du Jazz au Cinéma, Stephan Oliva féru de 7ème Art, ne pouvait manquer l’occasion de faire entendre les nombreuses musiques de film que son piano, comme lui imbibé d’images, aime reprendre. Il y ajoute ses propres visions, laisse autant parler sa mémoire que son imagination. De courts passages illustratifs l’inspirent parfois autant que les thèmes principaux des films qu’il a vus plusieurs fois pour en relever les musiques. Les partitions posées sur le piano ne sont que des pense-bêtes, des repères, son travail relevant beaucoup de l’improvisation. Stephan coupe, modifie, effectue un remontage des séquences musicales qu’il reprend. De nouvelles images surgissent, complètent celles qui nous sont familières. Portée par les seules notes du piano, la scène de la douche dans “Psychose” s’allonge, repasse différente sur l’écran de nos yeux qui écoutent. L’oreille imagine et voit ce que Hitch s’est refusé à montrer. Un agencement de notes graves puissamment martelées nous restitue l’horreur de la scène.

Bandes-son aux noirs très contrastés

Confiées à son instrument qu’il fait sonner comme un orchestre, débarrassées des orchestrations qui permettent de trop les dater, les musiques inventées par Miklos Rozsa, David Raksin ou Bernard Herrmann se révèlent comme des créations nouvelles. Stephan a enregistré un disque entier des œuvres de ce dernier. Les plus obsédantes illustrent des films noirs, genre que Stephan affectionne et dont il a consacré un album.

Psychose”, Vertigo”, mais aussi “Taxi Driver” dont il nous offrit une version crépusculaire furent au programme de ce concert. Un accord d’une rare noirceur dont la pédale forte prolonge la résonnance introduit “Citizen Kane” et les dissonances de “La soif du mal” nous plongent au cœur même de la nuit.

Bandes-son aux noirs très contrastés

Le noir reste la couleur dominante de son piano, mais les sombres accords qu’il plaque portent une large nuance de tons, de gris, de pigments divers dont il mélange les notes pour nous faire entendre des ombres plus claires. Le noir tend vers le blanc, vers la lumière que son jeu crépusculaire fait d’autant mieux ressortir. Les tendres mélodies qu’il fait surgir sont les phares qui trouent l’obscurité et écartent la peur que provoque la profondeur abyssale de ses basses.

Vertigo” contient de délicieux passages romantiques. “Le Privé” aussi. Rythmées par un léger zéphyr, leurs notes respirent et frémissent. On fait de même, heureux de profiter de ces bouffées d’air tiède. Le noir et blanc se fait couleur dans “Les liens du Sang”, un polar de Jacques Maillot dont Stephan a composé la musique. Il la discipline autrement, l’éclaire avec les notes d’un thème admirable fixées sur la toile qu’il tend devant nos yeux.

Les bandes-son des films de Jean-Luc Godard occupèrent tout le second set. Stephan en a récemment visionné les œuvres pour les besoins de son prochain album. Produit par Philippe Ghielmetti, enregistré en mars dernier à La Buissonne, “Vaguement Godard” sortira en septembre. Parfois associées à de simples fragments de thèmes - ceux composés par Michel Legrand pour les douze tableaux qui séquencent “Vivre sa vie” - , les images du cinéaste se bousculent sous les doigts du pianiste. “Pierrot le fou” reste étroitement lié à la répétition de Ferdinand, véritable leitmotiv de cette partition d’Antoine Duhamel.

Bandes-son aux noirs très contrastés

Composé par Paul Misraki, “Alphaville” donne à Stephan l’occasion de « peindre au bitume » le froid béton des années 60. Au sein de dissonances et de clusters surgit une petite mélodie qui charme et pétille, fil conducteur orientant le très désorienté Eddie Constantine alias Lemmy Caution dans sa mission de sauvetage et de destruction.

Trois mesures d’As Tears Go By, un thème des Rolling Stones que chante a capella Marianne Faithfull dans “Made in USA”, inspirent Stephan qui improvisa aussi sur deux phrases très monkiennes d’“A Bout de Souffle” imaginées par Martial Solal.

« La guerre, c'est simple : c'est faire entrer un morceau de fer dans un morceau de chair », entend-on dans “For Ever Mozart” réalisé par Godard en 1996. “Les Carabiniers” et “Ombres et Lumières” traitent aussi de la guerre. Stephan mêle leurs musiques, fait jaillir la lumière du noir même de la nuit.

Bandes-son aux noirs très contrastés

Le Mépris” enfin, le plus beau score de Georges Delerue qui comprend l’inoubliable thème de Camille. Stephan le reprend dans “Jazz’n (e)motion”, un disque de 1997 qu’a produit Jean-Jacques Pussiau. Ses premières versions de “Touch of Evil” (“La Soif du mal”) et de “Vertigo” (“Sueurs froides”) y figurent.

La musique du “Mépris” est solaire, comme l’île de Capri où furent tournées de nombreuses scènes du film. Même abordées dans les graves, les mélodies virevoltent et décollent. Leurs notes possèdent des ailes. Avec les magnifiques images de Raoul Coutard, elles comblent les temps morts du film, compensent la minceur du scénario et lui donnent sa dimension onirique. Stephan Oliva joue Godard et la musique de son disque nous fait déjà rêver.

Bandes-son aux noirs très contrastés

Photos de Stephan Oliva © Pierre de Chocqueuse - Photos du tournage d'Alphaville © X/DR.

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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 10:16

Gerald-Clayton-Life-Forum--cover.jpegPianiste attaché au blues, aux traditions du jazz dont il connaît aussi bien l’histoire que la grammaire et le vocabulaire, perméable aussi à d’autres influences, Gerald Clayton défriche de nouveaux espaces rythmiques grâce à des métriques impaires qui relèvent du funk et du hip-hop. Elles apportent un autre swing, un rebond dont profite son piano. Son jeu n’est pas aussi abstrait et tumultueux que celui d’un Vijay Iyer qui privilégie clusters et dissonances, mais son phrasé aux notes chantantes et aux harmonies élégantes épouse les nombreuses figures rythmiques qu’inventent Joe Sanders et Justin Brown, ses musiciens habituels. En phase avec la frappe puissante de Brown, un batteur très mobile, Sanders assure une contrebasse pneumatique et réactive, joue ses propres lignes mélodiques tout en asseyant parfaitement le tempo. Après deux albums novateurs enregistrés avec eux et aidé par Ben Wendel, le saxophoniste de Kneebody qui a produit ce nouveau disque, Clayton affine sa musique par des arrangements surprenants, ajoute d’autres couleurs à ses compositions mélodiques que son trio plonge toujours dans le groove. Utilisés avec modération, la trompette d’Ambrose Akinmusire et les saxophones de Logan Richardson et de Dayna Stephens apportent d’autres sonorités à sa musique. Les vocalises discrètes de Gretchen Parlato et de Sachal Vasandani l’habillent également. La première chantonne Deep Dry Ocean à l’unisson du piano, ce qui donne à la pièce un aspect onirique. Elle rejoint le second pour des vocalises ornementant Like Water, ballade rêveuse introduite à l’archet. Dans Future Reflection et Some Always, les deux voix mêlées aux timbres des souffleurs donnent une grande légèreté à la musique. Outre le titre A Life Forum qui ouvre l’album, morceau confié à la voix grave du poète Carl Hancock Rux, seuls deux morceaux possèdent de véritables paroles : Dusk Baby confié à la voix d’ange de Vasandani et When an Angel Sheds a Feather, un duo Parlato / Vasandani, exercice vocal en apesanteur qui masque une plage cachée très ancrée dans le bop. Le fils de John Clayton, contrebassiste émérite et co-leader des Clayton Brothers, réussit là un coup de maître, un disque aux tons chauds et suaves, une suite de séquences fluides qui bousculent nos habitudes jazzistiques et apportent au genre des perspectives nouvelles et passionnantes.

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 09:01

Donald Brown, coverDonald Brown aime jouer avec les siens, réunir des amis musiciens avec lesquels il a joué et qu’il n’a pas oubliés. Après leur avoir dédié six des dix morceaux de “Fast Forward to the Past”, son disque précédent déjà vieux de cinq ans, il invite certains d’entre eux sur ce nouvel enregistrement, se tourne vers le passé du jazz, ses standards qui lui inspirent de nouveaux arrangements, une mise en couleur inédite de thèmes dont la plupart nous sont familiers. On connaît moins Daly Avenue que signe Geoff Keezer, l’un des trois pianistes compositeurs choisis par Brown pour incarner une génération, les deux autres étant McCoy Tyner et Thelonious Monk. D'emblée, “Born to Be Blue” se fait bleu avec Bye Ya, une pièce de ce dernier joyeusement portée par un piano aux dissonances subtiles, des métriques très souples, des rythmes ternaires pour le faire décoller. Monk jouait ce thème avec Coltrane et c’est son fils Ravi qui prend le relais, un bon demi-siècle plus tard. Avec lui, Kenneth Brown, le fils aîné de Donald, et le solide Robert Hurst présent dans le premier album que le pianiste enregistra sous son nom en 1987. Sa contrebasse introduit le morceau suivant, ce Daly Avenue que Ravi emballe au soprano, poussé par le drumming moderne et excitant de Marcus Gilmore, petit-fils du grand Roy Haynes. D’autres souffleurs et non des moindres se partagent les chorus de ce florilège de moments réjouissants, Donald retrouvant Kenny Garrett et Wallace Roney, ses complices des Jazz Messengers dont il fut un temps le directeur musical. Le premier brille à l’alto dans une version brûlante de Just One of Those Things. À la trompette, le second souffle de bien jolies notes dans You Must Believe in Spring et Cheek to Cheek dont il expose les thèmes. Cette réunion de famille, car c’en est une, comprend aussi la guitare de Mark Boling qui enseigne avec Brown à l’Université du Tennessee. Créateur de thèmes aux mélodies chantantes et orchestrateur émérite comme en témoigne The Innocent Young Lovers, le pianiste de Memphis, les doigts humides de blues, fait fête à toutes sortes de bleus, du cyan à l’électrique. On goûtera sans modération ses improvisations, ses commentaires toujours pertinents, véritables traits d’esprit qu’affinent l’expérience, la vaste culture que révèle sa musique. Seul bémol à mon enthousiasme, les nappes de synthé imitant des cordes n’apportent rien à Fly with the Wind, un faux pas que rachète sans mal le reste de l’album.

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