Un gel à pierre fendre en février a longtemps cloîtré chez lui le brave Monsieur Michu. Sortir avec ce froid lui étant interdit, Jean-Paul lui a souvent rendu visite, lui apportant des disques qu’il a beaucoup appréciés, du jazz avec de vraies mélodies, des relectures de standards, du swing. Les Michu ne possèdent pas d’ordinateur, ne téléchargent pas. Ils s’approvisionnent chez les rares disquaires de la capitale qui survivent. Comme de nombreux amateurs, ils ne conçoivent pas de la musique sans un support physique. Un disque c’est aussi un objet, une pochette avec des photos, des notes de livret, une création graphique. Sa mort est annoncée et pourtant on réédite des vinyles à tour de bras. Certains labels misent pourtant sur le tout numérique. Bee Jazz a ainsi décidé de ne plus commercialiser de CD et de réserver la diffusion de sa musique à internet. Les Michu n'en auront plus l'accès. Circuit 24, le pilote retombé en enfance, ne se sent pas concerné. Il ne possède qu’une poignée de vinyles dont le “Stereo Drive” de Cecil Taylor. Non pour la présence de John Coltrane au ténor qui s’y dissimule sous le pseudonyme de Blue Train, mais pour sa pochette, une voiture de course qui le fait rêver. Son disque préféré reste toutefois “Auto Jazz / The Tragic Destiny of Lorenzo Bandini” de Barney Wilen. Ses pétarades de moteurs surchauffés le mettent en extase. Il en a même agrandi la pochette qui recouvre un large pan de mur de son salon. Jean-Paul n’en apprécie pas la musique. Philippe Etheldrède non plus. Mais Bernard adore. Circuit 24 la lui a fait découvrir, et ils cherchent des subsides pour mettre sur pied un concert de moteurs. Au prix où est l’essence, nos deux farceurs n’ont peur de rien. Ils comptent se rendre à Aubervilliers écouter Motor City Remix, de la soul-funk-tecno-rap made in Detroit proposée par Banlieues Bleues dont le festival débute le 16. Éclectique, rempli de musiques telluriques fortement déconseillées aux Michu, sa 29e édition déconcerte. McCoy Tyner très fatigué n'étant malheureusement plus capable de jouer son piano, un seul concert m’interpelle en mars. La programmation d’avril est plus conséquente pour l'amateur de jazz bien que John Zorn ne rendra pas nos banlieues plus bleues. Pour ou contre JZ, la bataille fait rage sous un ciel gris, une conjoncture molle. Toutes ces choses donnent à penser, ce qui fatigue beaucoup la tête.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Sachal Vasandani au Duc des Lombards le 3 (concerts à 20h00 et à 22h00). Il place subtilement sa voix de ténor léger sur les mélodies qu’il reprend et s’exprime avec une rare justesse. On a pu en juger en octobre dernier dans le même club. Des chanteurs de cette trempe ne sont pas légions, et Sachal interprète compositions personnelles, standards et thèmes empruntés à la pop avec un naturel déconcertant. Jeb Patton au piano, David Wong à la contrebasse et Peter Van Nostrand à la batterie accompagnent sa voix superbe. Produit par John Clayton,“Hi-Fly” son dernier disque est tout à fait recommandable.
-La grande et talentueuse Susi Hyldgaard au Sunside le 3 avec Jannik Jensen à la basse électrique et la batteuse blonde Benita Haastrup. Susi reprendra sûrement des morceaux de “Dansk” son nouvel album, au sein duquel quatre langues se chantent et se répondent. Jazz, pop, folk, la chanteuse danoise mélange les genres et les plie à un univers poétique qui lui appartient en propre. Bonne pianiste, elle pratique aussi la guitare et l’accordéon, trouve en elle des mélodies qui enchantent. On tombe vite sous le charme, envoûté par son chant, l’originalité de sa musique.
-Le même soir Bruno Angelini (piano) et Giovanni Falzone (trompette) donnent un concert au Triton (11 bis rue du Coq Français 93260 Les Lilas) pour fêter la sortie de “Songs Volume 2”, la suite de “Songs Volume 1” enregistré en 2006 et consacré aux compositions du trompettiste. Dans ce nouvel album du duo publié sous le nom d’IF, le pianiste nous offre les siennes, la trompette espiègle de Falzone conversant avec un piano romantique, l’humour pénétrant la musique pour lui donner un grain de folie appréciable, belles notes salies par le growl, le souffle de la vie.
-Marcus Stickland au Duc les 5 et 6 mars. Avec lui E.J. Strickland, son frère jumeau, batteur puissant et complice du jazz moderne que Marcus tisse avec bonheur avec ses saxophones (ténor, alto et soprano). Je ne sais rien des deux autres membres de ce quartette, David Bryant au piano et Ameen Saleem à la contrebasse, mais n’éprouve nul inquiétude quant à leur savoir-faire. Le saxophoniste sait très bien choisir ses musiciens et les laisse souvent jouer, construisant ainsi une véritable musique de groupe.
-Guillaume de Chassy vient de publier un nouvel album sur Bee Jazz. Le label a donc décidé de ne plus commercialiser de disques et de les proposer en téléchargement. Le disque de Guillaume est, paraît-il, le dernier à paraître en CD. Il fera l’objet d’une chronique dans ce blogdechoc, du moins si je le reçois et que j’en apprécie la musique. Dans Jazz Magazine / Jazzman, Ludovic Florin auquel j’ai confiance le trouve très beau, bien qu’éloigné du jazz « des reprises du “grand répertoire” de Schubert à Chostakovitch. » Il renferme aussi trois improvisations qui lui font penser à celles du trio que Jimmy Giuffre partageait avec Paul Bley et Steve Swallow. Je ne peux vous en dire plus, n’ayant pas écouté l’album. Vous pourrez toutefois découvrir ce jazz de chambre au foyer du théâtre du Châtelet le 8 mars à 20h00. Guillaume s’y produit avec Thomas Savy (clarinette et clarinette basse) et Arnault Cuisinier à la contrebasse, les musiciens de ce nouvel opus.
-Le 9 à 21h00, sur la péniche l’Improviste, située face au 35 quai de l’Oise, 75019 Paris, on retrouvera le pianiste Bruno Angelini avec Mauro Gargano (contrebasse) et Fabrice Moreau (batterie) pour jouer un autre répertoire, celui de leur album “So, Now ?…” disponible uniquement en téléchargement sur www.sansbruit.fr Outre quelques compositions originales, le groupe nous livre des relectures passionnantes de thèmes que l'on doit à Carla Bley, Bill Evans, Wayne Shorter, Thelonious Monk, un choix reflétant une esthétique que l'on ne peut que partager.
-Kenny Garrett à Pleyel le dimanche 11 à 20h00. Il a été le dernier saxophoniste de Miles Davis, mais crée depuis longtemps sa propre musique. On peut recommander “Songbook”, recueil de ses compositions datant de 2003. Dans “Seeds from the Underground” qui doit paraître courant en mars chez Mack Avenue (distribution Codaex), Garrett sonne parfois comme Pharoah Sanders. Il l’invite dans “Beyond the Wall”, un enregistrement de 2006 au sein duquel brillent Mulgrew Miller et Bobby Hutcherson. À Pleyel, Kenny Garrett sera accompagné par Benito Gonzalez au piano, Corcoran Holt à la contrebasse et McClenty Hunter à la batterie.
-Les lecteurs de ce blogdeChoc savent déjà que le Duke Orchestra vient de sortir un nouveau disque live plein d’inédits et de bonne musique. Comment pourrait-il en être autrement, le répertoire d“Ellington French Touch” ayant été écrit par Duke Ellington ou son fidèle alter ego Billy Strayhorn. Dirigée par Laurent Mignard, la formation offre le meilleur d’elle-même lors de ses concerts. Vous ne manquerez donc pas celui qu’elle donnera le 12 à 20h30 au Palace, 8 rue du Faubourg Montmartre 75009 Paris.
-Dress Code : je vous ai déjà parlé de ce groupe, vantant la qualité de sa musique qui n’est pas sans évoquer celle du second quintette de Miles Davis. Une bonne source d’inspiration pour les cinq membres de la formation, Olivier Lainey (trompette) Yacine Boulares (saxophones), Benjamin Rando (piano), Simon Tailleu (contrebasse) et Cédrick Bec (batterie). Leur premier album “Far Away” a enfin trouvé un distributeur et devrait être disponible dans les points de vente qui ont encore pignon sur rue. Il bénéficie d’une excellente chronique dans le nouveau numéro de Jazz Magazine / Jazzman. Un papier mérité car Dress Code affiche une stupéfiante maturité tant sur le plan de l’écriture que de l’expression. On se précipitera le 17 au Sunside pour s’en apercevoir.
-On ne change pas une équipe qui gagne. Après un premier disque remarqué en 2010 qui manqua de peu le Prix du Disque Français décerné par l’Académie du Jazz, le Wared Quartet devient un quintette et revient avec un nouvel album “Sex Toy” rempli de nouveaux morceaux. Il contient aussi des adaptations très réussies de Georges Brassens et d’Hubert-Felix Thiéfaine. Le groupe le présentera au Sunside le 22. Il comprend Edouard Bineau au piano, Daniel Erdmann aux saxophones ténor et soprano, Sébastien Texier au saxophone alto et à la clarinette, Gildas Boclé à la contrebasse et Arnaud Lechantre à la batterie.
-Comédienne ou chanteuse ? Leïla Martial mit du temps à choisir et opta pour un compromis, celui de jouer de sa voix comme d’un instrument. Le chant, elle en apprit la technique au collège de Marciac, puis au conservatoire de Toulouse. Sa passion de l’improvisation la conduisit naturellement vers le jazz. Longtemps fascinée par la virtuosité, elle apprit à s’en détacher pour mieux s’immerger dans la musique, recherchant l’émotion, la simplicité mélodique. Premier prix de soliste en 2009 au Concours de jazz de la Défense, Leïla Martial publie aujourd’hui “Dance Floor”, son premier disque officiel sur le label Out Note. Avec ses musiciens – Jean-Christophe Jacques (saxophones ténor et soprano), Laurent Charvoit (basse) et Eric Perez (batterie, sampling, voix) – , elle en fêtera la sortie le 23 au Sunside.
-Andy Sheppard (saxophones ténor et soprano), Michel Benita (contrebasse) et Sebastian Rochford (batterie) le 28 à Tremblay-en-France dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Leur trio porte le nom de leur album “Trio Libero” (ECM), car c’est en toute liberté que les trois musiciens pratiquent l’échange tout en laissant profondément respirer une musique intensément lyrique. Le groupe joue I’m Always Chasing Rainbows, quelques compositions de Sheppard, mais la plupart des morceaux du disque sont nés d’improvisations collectives et ont été peaufinés en studio. Un grand disque à découvrir sur scène, dans le feu de l’action.
-Walter Smith III fit ses armes auprès de Roy Haynes et de Terence Blanchard. Ténor puissant et volubile, il a enregistré live au Sunside en juillet 2008 un album brûlant avec le trompettiste Ambrose Akinmusire pour le label Space Time Records. C’est avec les musiciens de ce dernier que le saxophoniste retrouvera le Sunside le 31 mars (et le 1er avril). Avec Sam Harris au piano, Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la batterie, on peut s’attendre à un bop moderne et stimulant, ces musiciens-là aimant prendre des risques.
Dernière minute : le pianiste Dominique Fillon et les musiciens de son quartette - Matthieux Chazarenc, Sylvain Gontard et Kevin Reveyrand - donneront un concert de jazz à la Sacem le 12 mars prochain afin de permettre la reconstruction du parc d'instruments d'une école de musique détruite près de Fukushima lors du tsunami de mars 2011. Concert gratuit. Dons libres. Réservations obligatoire au 06 77 13 37 86.
Pour la même cause, Dominique Fillon et ses musiciens donneront
un concert au Billboard de Tokyo en avril.
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-Le Triton : www.letriton.com
-Théâtre du Châtelet : www.chatelet-theatre.com
-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr
-Salle Pleyel : www.sallepleyel.fr
-Théâtre le Palace : www.theatrelepalace.com
-Festival Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
Crédits photos : Susi Hyldegaard © Nicola Fasano – Bruno Angelini & Giovanni Falzone © Jérôme Prébois – Dress Code © Ondine Simon – Wared © Arno Fougères – Leïla Martial © Jean-Jacques Pussiau – Andy Sheppard Trio Libero © Malcolm Watson / ECM – Walter Smith III © Philippe Etheldrède – Sachal Vasandani, Marcus Strickland, Guillaume de Chassy, Fabrice Moreau avec Bruno Angelini et Mauro Gargano © Pierre de Chocqueuse Bruno – Kenny Garrett © Photos X/D.R.