Avril: il pleut des disques en pagaille, des
bons et surtout des moins bons. Parmi ces derniers, un enregistrement en solo d’Olivier Benoît, guitariste très prisé par une avant-garde intellectuelle affranchie de toute
tradition. Il faut en effet prêter une oreille plus qu’attentive pour découvrir de la musique dans trois longues plages avares de notes, les sons perceptibles n'étant que frôlements, grincements, frottements et effets de larsen « vocabulaire timbral large n’utilisant que très peu d’ustensiles et peu d’effets
» précise le communiqué de presse. Armand Meignan souhaite paraît-il programmer le phénomène au Mans, ville habituée aux tremblements de terre culturels. J’ai fait entendre le
disque à Bernard, cet ami de Jean-Paul qui après avoir vainement essayé de faire jouer de la musique par des robots (voir mes éditos de mars et avril 2010) se lance dans un jazz conceptuel
beaucoup moins onéreux. Le musicien installe son instrument sur scène, mais n’y touche pas. Il se contente d’annoncer les titres des morceaux. Au public d’en imaginer la musique. Rendu sourd par
la cacophonie de ses machines déréglées, Bernard se bat pour imposer le silence, la plus belle des musiques. Si la beauté du silence est effectivement préférable aux grattements sonores
d’Olivier Benoît, les bons disques qui renferment de la musique procurent un bonheur indicible. Parmi ceux qui sortent en avril, “Excelsior” de Bill Carrothers
(Out Note Records, parution le 14) émerveille par ses inventions mélodiques, la nostalgie poignante de ses improvisations. J’en réserve la chronique au numéro de mai de Jazz Magazine / Jazzman.
Le pianiste rêve d’Excelsior, petite bourgade du Minnesota dans laquelle il a vécu sa jeunesse. La musique de son album, Bill l’a fait jaillir spontanément de lui-même, imprégnant de son âme ses
souvenirs les plus chers.
Jean-Paul qui vient de relire ce texte me demande d’annoncer que le prochain Jazz à Fip de Philippe
Etheldrède, le Tarzan des ondes, est le dimanche 17 avril. J’en profite pour vous prévenir que Laurent Mignard donne une conférence le lundi 4 au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy 75005 Paris. Son thème : "Duke Ellington manager". Dans le même somptueux bâtiment, François Theberge en donnera une le 2 mai sur les trombones
ellingtoniens.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Le retour de Prysm mis en sommeil en 2001, peu après l’enregistrement de son quatrième album. Pierre de Bethmann (piano et fender
rhodes), Christophe Wallemme (contrebasse) et Benjamin Henocq (batterie) se
sont retrouvés en 2009 pour des concerts à l’opéra de Lyon, Rosario Giuliani (saxophone alto) et Manu Codjia
(guitare) les rejoignant sur scène. Leur nouveau disque en renferme les meilleurs moments, des relectures inventives des grands titres de leur ancien
répertoire. Ils espéraient en fêter tous ensemble la sortie au Duc des Lombards les 4, 5 et 6 avril, mais handicapé par une double fracture de l’épaule, Pierre de Bethmann ne pourra assurer au
piano. La guitare de Manu Codjia aura mission de suppléer son absence, tâche délicate mais non point impossible. La musique du groupe
sera de toute manière différente avec Rosario Giuliani également présent les trois soirs, Prysm se transformant pour la première fois de son histoire en quartette sans piano.
-Vijay Iyer et Thirtha (passage, traversée en sanscrit) son trio indien le 5 à Clichy-sous-bois (20h30, Espace 93 Victor Hugo) dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Après le très abouti
“Historicity” enregistré en trio et un album en solo presque aussi convaincant, le pianiste propose une musique plus proche de ses origines. Ouvertes au tumulte comme à l’émotion mais ancrées
dans une approche occidentale de la musique, ses recherches harmoniques et rythmiques se voient confrontées aux subtilités de la musique carnatique. Avec lui, deux musiciens indiens qui vivent
comme lui en Amérique : le guitariste Prasanna et le joueur de tablas Nitin Mitta. Sur le plan rythmique et mélodique, leur musique emprunte beaucoup à la musique carnatique, mais Iyer joue son propre piano, ce qui génère de passionnants moments
musicaux.
-L’ONJ au Blanc-Mesnil le 6 (20h30, Le Forum,
salle Barbara) dans le cadre de Banlieues Bleues. Au programme, le répertoire de “Shut up and Dance” son dernier album, compositions sur le thème du mouvement et de la danse que l’on doit
à John Hollenbeck, batteur new-yorkais qui, à la tête de son Large Ensemble,
a enregistré plusieurs disques novateurs. Ne manquez pas ce concert, le dernier de l’ONJ avant que l’orchestre ne s’envole fin avril
pour les Etats-Unis. Guillaume Poncelet son trompettiste cède sa place à Sylvain Bardiau (La compagnie des Musiques à Ouïr, Journal Intime)
et Daniel Yvinec a été reconduit pour trois ans dans ses fonctions de directeur artistique. Souhaitons-lui plein d’idées
mirifiques.
-Antoine Hervé à la maison des pratiques artistiques amateurs
(auditorium St. Germain) le 11 à 19h30 pour une leçon de jazz consacrée aux deux quintettes « historiques » de Miles Davis.
Pour l’illustrer, oncle Antoine réunit Eric Le Lann (trompette), Stéphane Guillaume (saxophones), Michel Benita (contrebasse) et Philippe Garcia (batterie). Beau programme, belle formation dont Antoine est bien sûr le pianiste.
-Le trompettiste Dave Douglas
le 12 à la Cité de la musique (20h00) pour un hommage au Brass Fantasy de Lester
Bowie dont faisaient partie Vincent Chancey au cor et Luis Bonilla
au trombone. On les retrouve dans Brass Ecstasy, la formation de Douglas. Marcus
Rojas au tuba, Nasheet Waits à la batterie complètent ce quintette très cuivré qui rappelle
les vieux brass bands de la Nouvelle-Orléans.
-Du 12 au 16 avril inclus, Kurt
Rosenwinkel occupe le Sunside avec un quartet comprenant Aaron Parks au piano,
Eric Revis à la contrebasse et Justin Faulkner à la batterie. Kurt est l’un des plus excitants guitaristes de la scène jazz
actuelle. Il joue des intervalles inhabituels, possède une façon très personnelle d’assembler ses notes, de les faire sonner et respirer. Un phrasé unique qu’il met au service de phrases simples
et mélodiques. Remarqué par John Scofield, Pat Metheny et
Joshua Redman dont il emprunte l’actuel pianiste, ce natif de Philadelphie, ancien élève de la Berklee School a enregistré une dizaine d’albums
sous son nom, notamment pour Verve, les trois derniers pour le label Wommusic.
-Le 17, un dimanche, Dave Holland, l’un des meilleurs
contrebassistes de la planète jazz présentera Salle Pleyel son Overtone Quartet, formation réunissant de grands spécialistes de leurs
instruments respectifs. Au piano Jason Moran n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’exprime comme sideman. Saxophone puissant et
véloce, Chris Potter est également un arrangeur très compétent. Enfin Eric Harland rythme le jazz comme nul autre derrière sa batterie. Difficile donc d’ignorer de telles pointures en France pour seulement deux concerts, le Festival de Jazz de Berne les
réclamant le 19. Dernière minute : Concert et tournée annulés.
-Steve Turre en quartette au Duc des Lombards les 18 et 19 avec Nico Menci
au piano, Marco Marzola à la contrebasse et Dion Parson à la batterie. On a un peu perdu de vue ce tromboniste qui a joué avec Ray Barreto, Tito
Puente, Ray Charles, Woody Shaw, Dizzy Gillespie, les Jazz Messengers et
Roland Kirk, son maître, qu’il accompagna fidèlement jusqu’à sa disparition en 1977. Ce dernier lui dévoila l’importance du blues et du gospel
et lui apprit comment utiliser conques et coquillages avec lesquels il enregistra ses plus beaux disques. Parmi eux, l’inoubliable “Rhythm Within” (1995), joyau de sa discographie.
-Le Clayton Brothers Quintet au Duc
des Lombards les 21, 22 et 23 avril. Jeff et John Clayton sont frères et leur
combo existe depuis 1977. Le premier joue du saxophone alto. Le second de la contrebasse. John compose et arrange les morceaux de la formation. Avec le batteur Jeff
Hamilton, il co-dirige le Clayton / Hamilton Jazz Orchestra qui accompagne
Diana Krall dans plusieurs de ses disques. Gerald Clayton le pianiste est le fils de
John. Sur EmArcy, il publie un nouvel album en mai, “Bond”, enregistré au studio de Meudon. Terrell Stafford, le trompettiste du groupe
que complète Obed Calvaire à la batterie, est également un musicien accompli. De l’excellent jazz en perspective.
-Le 23, à 17h30, le Studio Charles Trenet de Radio France accueille le
trio de Céline Bonacina. D’un long séjour de sept ans à la Réunion, Céline y a rapporté une musique à la fois personnelle et dansante,
énergique et tendre. Elle joue des saxophones alto et soprano, mais utilise surtout le baryton, donnant ainsi du poids à ses notes percussives, à ses phrases graves et chantantes, matière sonore
qu’elle sculpte de son souffle. Kevin Reveyrand (basse électrique) et le fidèle Hary Ratsimbazafy (batterie et percussions) accompagnent un discours musical toujours cohérent, des compositions structurées qui accordent une large place à
l’improvisation.
-Anne Ducros au Sunside les 22 et 23 pour chanter la grande Ella
Fitzgerald dont elle reprend partiellement le répertoire dans son dernier disque “Ella…My Dear” publié l‘an dernier et enregistré avec le
« Coups de vents » Wind Orchestra. Au Sunside, Anne choisit Benoît de Mesmay au piano, Gilles Nicolas à la contrebasse et Bruno Castellucci à la batterie pour accompagner sa voix chaude et puissante, l’une des plus vertigineuses du jazz français. La fluidité de ses scats traduit son métier. Elle sait rythmer
les mots qu’elle chante, en tenir ses notes, et les faire respirer. Ses concerts sont toujours de grands moments, car Anne aime son public, communique avec humour avec lui et prend toujours
plaisir à lui offrir le meilleur de son chant.
-Henri Texier et son Nord Sud Quintet au Duc des
Lombards les 25 et 26. Fourre-tout rassemblant des thèmes simples arrangés avec soin, “Canto Negro” le dernier disque du groupe puise son inspiration dans les musiques des terres chaudes de la
planète. Le contrebassiste voyageur nous livre ses impressions d’Afrique, d’Amérique du Sud, de Louisiane. Sa musique métissée évoque parfois le Liberation Music Orchestra
de Charlie Haden. La section rythmique qu’il constitue avec Christophe
Marguet à la batterie est suffisamment souple pour que les solistes puissent s’y glisser. Sébastien Texier et Francesco Bearzatti mêlent très judicieusement les timbres de leurs instruments (saxophones et clarinettes),
la guitare parfois très rock de Manu Codjia (Mucho Calor) se faisant miel dans des ballades solaires qui constituent la
majeure partie d’un répertoire le plus souvent mélodique.
-Duc des Lombards :
http://www.ducdeslombards.com
-Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
-Cité de la Musique : www.cite-musique.fr
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Salle Pleyel : www.sallepleyel.fr
-Maison de Radio France : www.radiofrance.fr
Photos : Prysm © Christophe Charpenel -
Thirtha © Alan Nahigian - Dave Douglas © Laura Tenenbaum - Céline Bonacina © Sylvain Madelon - Anne Ducros © Jean-Baptiste Millot
- Daniel Yvinec, Antoine Hervé, Henri Texier © Pierre de Chocqueuse - Kurt Rosenwinkel, Overtone Quartet,
Steve Turre, The Clayton Brothers : photos X / DR.