Chaque année en mars les
banlieues sont bleues, un drôle de bleu si l’on examine attentivement le programme du festival du même nom. Pour sa 28e édition, ce dernier s’écarte une fois encore de la scène jazz pour brasser
toutes les cultures du monde. Combo marteau, rhizome musical haïtien, hip-hop tribal, rap urbain, funk stratosphérique, nu-soul, ka labouré rythmiquement, zouk, salsa alternative, cuivres des
Balkans, borborygmes improvisés, aventuriers de musiques perdues, musiciens guérisseurs gnaouas, fanfares néo-orléanaises et musiques à ouïr sont attendus du 11 mars au 8 avril dans quinze villes
du département de la Seine-Saint-Denis. Copieux et éclectique, l’absence des derviches pasteurs étant fort regrettable, le festival laisse peu de place au jazz.
Emile Parisien, Tony Malaby, Aldo Romano, l’ONJ de Daniel Yvinec,
Bernard Lubat avec Michel P et sa clarinette B, le
Caratini Jazz Ensemble avec Alain Jean-Marie, Vincent
Courtois, Vijay Iyer et Laïka Fatien sont toutefois à
l'affiche. On peut bien sûr contester ces choix artistiques. Ils ne plaisent pas à Jean-Paul qui
attend impatiemment le dimanche 13 mars, pour écouter Jazz à Fip présenté par Philippe Etheldrède, le Tarzan des ondes,
assisté de Jane Villenet. Peu de concerts de Banlieues Bleues éveillent ma curiosité, interpellent l’amateur de jazz, de piano, et de
musique de tradition classique que je suis. Il faut toutefois saluer la dizaine de résidences musicales que le département de la Seine-Saint-Denis soutient chaque année, les quarante-deux écoles
de musique, de danse et d’art dramatique qu’il accompagne, son action pour « la culture et l’art au collège » afin de favoriser la création artistique, même si cette dernière tient
rarement ses promesses. La programmation de Banlieues Bleues a également le mérite de ne pas ressembler à celles des autres festivals qui se battent à coup de cachets pharaoniques pour faire
venir les mêmes stars médiatiques, comme s’il fallait nécessairement être dans le coup, monter dans le train du jazz à très grande vitesse qui ne laisse guère le temps de regarder en arrière.
Poussé par de nouvelles avant-gardes, le jazz post-moderne appartient déjà à l’âge de pierre. Il faut sans cesse applaudir de nouveaux artistes que quelques journalistes influents portent aux
nues, des musiciens branchés qui bénéficient de campagnes de presse, de panneaux publicitaires dans les Fnac et les mégastores. Les autres se débrouillent comme ils peuvent pour sortir de
l’ombre. Ce blog qui applaudit Jackie Terrasson, Tord Gustavsen et
Geri Allen a aussi pour vocation de faire connaître de nouveaux talents. Le label Black & Blue dont le grand timonier
Jean-Pierre Tahmazian possède de grandes oreilles, m’a récemment fait parvenir deux excellents disques, “Bleu outre mémoire” du
PG Project, formation du tromboniste Pierre Guicquéro, et “Take it Easy”, premier
enregistrement de Philippe Pilon, saxophoniste et compositeur talentueux. Tous deux pratiquent un jazz moderne ancré dans la tradition.
Ils ne cherchent pas à innover, certains morceaux de leurs albums sont plus réussis que d’autres, mais leur musique conviviale aux notes blues et bleues n’oublie jamais de swinguer.
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Laurent de Wilde ose Géraldine Laurent.
Avec Yoni Zelnik à la contrebasse et Luc Insemann à la batterie, leur
quartette prend plaisir à jouer les standards du passé, mais donne peu de concerts. La formation se produit au Sunside les 3 et 4 mars. Le club de la rue des Lombards l’avait déjà accueilli en
février 2009, dans un programme largement consacré aux compositions de Wayne Shorter. Un retour au bercail attendu.
-Enrico Pieranunzi (piano) et Rosario Giuliani
(saxophone alto) au Sunside le 7, 8 et 9. Les deux hommes y ont joué en septembre dernier. Ils reviennent en quartette avec Darryl Hall
(contrebasse) et André Ceccarelli (batterie), section rythmique qu’Enrico apprécie. Chaque visite
qu’il nous fait est un événement. Je le préfère en solo ou en trio avec une contrebasse et une batterie, mais quelle que soit l’instrumentation, on ne peut ignorer le maestro
romain.
-Chaud le Duc des Lombards, les 7, 8 9 et 10 mars ! David Murray et les dix musiciens de
son Cuban Ensemble l’investissent pour un Nat “King” Cole « en español », relecture de “Cole Español” et de“More Cole
Español”, deux best-sellers du crooner. L’album de Murray n’est qu’à moitié réussi, mais il en va tout autrement en concert. Les solistes pallient l’absence de la voix, les thèmes étant
développés par les instruments mélodiques de l’orchestre et par Murray lui-même. Saxophoniste au jeu expressif et lyrique, ce dernier semble suivre à rebours l’histoire du jazz, Coleman Hawkins et les grands de l’instrument se faisant entendre dans son
ténor.
-Philippe Pilon au Sunset le 8 mars. Ce saxophoniste nourri de blues et de tradition a donc eu la bonne
idée de me faire parvenir son disque. On y découvre un jeune amoureux de Lester Young dont le ténor est ancré dans le swing. Philippe ne révolutionne pas le jazz, mais en souffle avec bonheur les
notes généreuses. Les musiciens qui jouent sur son premier opus seront tous présents. Le pianiste en est Pierre Christophe.
Raphaël Dever à la contrebasse et Guillaume Nouaux à la batterie assurent la
rythmique. Deux trompettistes, Julien Alour et Jérôme Etcheberry se partagent
quelques chorus. On ne peut qu’applaudir l’album. Il donne envie d’en écouter les musiciens sur scène, d’en goûter autrement les morceaux qu’il contient.
-Du 8 au 12 mars, en duo avec Alain
Debiossat à la guitare, Elisabeth Caumont assure la première partie des concerts de
Michel Jonasz au Casino de Paris. Sept chansons pour retracer son parcours avec ses propres textes, des histoires du quotidien, avec un
humour espiègle et une voix de velours. Comme elle, Michel Jonasz entretient un rapport complice avec le jazz. Il sort un nouvel album
“Les hommes sont toujours des enfants”, s’entoure de jazzmen (Guillaume Poncelet, Stéphane Edouard, Jim Grancamp et deux choristes) pour chanter le blues, de nouveaux morceaux et ses chansons fétiches.
-Ne manquez pas le concert que Ronnie Lynn
Patterson donne le 12 à 17h30 au Studio Charles Trenet de Radio France. On ne le voit pas assez dans les clubs, Ronnie Lynn se montrant trop discret
dans un paysage jazzistique passablement encombré. Le piano de cet autodidacte reste pourtant l’un des plus touchants qui soit. En trio avec François et Louis Moutin (contrebasse et batterie), il met sa technique au service du lyrisme. “Music”
son dernier disque, un recueil de standard, mérite de figurer dans toute bonne discothèque.
-Joe Lovano au New Morning le 15 avec Us Five, quintette ouvrant de nouvelles perspectives à sa musique. Petar Slavov qui joue régulièrement de la contrebasse
au sein du trio du pianiste cubain Alfredo Rodriguez remplace Esperanza Spalding pour cette tournée. James Weidman (piano), Otis Brown III et Francisco Mela (Batterie et percussions) complètent la formation du saxophoniste. Elle vient d’enregistrer un
album consacré à Charlie Parker, non un hommage mais une relecture moderne et inventive de son monde musical. Le disque s’intitule “Bird
Nest”. EMI France se décide enfin à le sortir deux mois après l’Amérique. Mieux vaut tard que jamais.
-Les quelques râleurs qui n‘apprécient pas le saxophone de Joe
Lovano pourront écouter le même soir Thomas Enhco au Sunside dont il est désormais
« résident », Stéphane Portet lui ouvrant les portes de son club une fois par mois. Joachim Govin
à la contrebasse et Nicolas Charlier à la batterie accompagnent le jeune pianiste qui prépare un
nouveau disque. Car Thomas prend son temps pour peaufiner standards et compositions originales, mettre en valeur les mélodies qu’il entend dans sa tête. Son piano a acquis sûreté et profondeur,
la technique étant judicieusement mise au service du lyrisme.
-Quatre soirs de suite, les 16, 17, 18 et 19 mars, le Duc des
Lombards accueille Brian Blade et ses musiciens : Kelly Jones (chant et
guitare), Goffrey Moore (guitare), Chris Thomas (basse électrique) et
Steve Nistor (batterie). Tous sauf le batteur l’accompagnent dans “Mama Rosa”, recueil de chansons dignes des sixties et que le label Verve
publia en 2009. Sideman impliqué dans de nombreuses séances d’enregistrements, et membre régulier du quartette de Wayne Shorter, Blade
met ici le jazz de côté et nous dévoile une autre facette de son talent. Il chante ses propres compositions et joue de la guitare. Mélange de folk et de country music, sa musique évoque
Neil Young et David Crosby. Puristes s‘abstenir. Concerts à 20h00 et
22H30.
-Lauréat des trophées du Sunside en 2008 (premier prix de groupe et premier prix de soliste au pianiste
Alexandre Hererqui en est le leader) OXYD est une formation de cinq jeunes musiciens
qui mélangent avec bonheur jazz, rock et sonorités contemporaines. Outre, Alexandre Herer au fender-rhodes, OXYD
comprend Olivier Laisney à la trompette, Julien Pontvianne au saxophone ténor, Matteo Bortone à la basse et Thibault Perriard à la batterie. Difficile de décrire précisément leur musique forte de tension et d’énergie que le disque ne reflète qu’imparfaitement. On l’écoutera au Sunset le 19 sans
pour autant bouder “Oblivious” leur deuxième album dont la sortie est imminente (Juste Une Trace/Socadisc).
-Toujours le 19, le théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis accueille
Laïka Fatien dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Je dis grand bien dans ce blog de son dernier disque. Des compositions de
Stevie Wonder y côtoient des grands standards de jazz auxquels la chanteuse a confié ses propres paroles. Les musiciens qui l’accompagnent sur
scène - El Indio (trompette), Robert Irving III (piano),
Jaribu Shahid (contrebasse) - ne nous sont pas inconnus. De même que le tromboniste Craig Harris chargé de la direction artistique du concert.
Attendons-nous à de nouvelles orchestrations, à d’autres couleurs pour habiller les thèmes, Laïka posant sa voix douce et troublante sur un répertoire audacieux.
-Les 25 et 26 mars, le théâtre Jean Vilar de Suresnes programme Le jazz & la java, nouvelle création pour quintette de jazz
d’Antoine Hervé. La bonne chanson française y est à l’honneur avec la voix de Mélanie Dahan pour faire swinguer A bicyclette, Les feuilles mortes, La chanson des vieux amants, la javanaise et Le jazz et la java qui prête son nom à un projet dont
la poésie inspire la musique. Confiée à la trompette d’Eric Le Lann, à la contrebasse de Michel Benita, à la batterie
de Philippe Garcia et bien sûr au piano d’Antoine, cette dernière interpelle sérieusement. Ce même théâtre de Suresnes propose également
quatre leçons de jazz de l’oncle Antoine les mardi 8, 15, 22 et 29 mars (consacrées respectivement au Blues côté piano, Louis Armstrong, Antonio Carlos Jobim et
Keith Jarrett). Quant à sa leçon de jazz « parisienne » qui portera sur Keith Jarrett, oncle Antoine la
donnera le 21 à 19h30, toujours à la maison des pratiques artistiques amateurs (auditorium Saint-Germain).
-Kneebody revient jouer au Duc des Lombards le 26. Ce groupe de jazz électrique, l’un des plus convaincant de
la grande Amérique, gomme les frontières des genres. Grand spécialiste du Fender Rhodes, le pianiste Adam Benjamin est aussi membre
de Keystone, la plus excitante des formations de Dave Douglas. Le trompettiste Shane Endsley joue régulièrement à New York avec Tim Berne et Ralph Alessi. Ben Wendel (saxophone ténor), Kaveh Rastegar (basse
électrique) et Nate Wood (batterie) complètent une jeune formation qui a enregistré quatre albums d’une musique colorée et foisonnante
au tissu rythmique serré et à la mise en place précise et rigoureuse.
-Laurent Mignard et son Duke Orchestra le même soir (26 mars) à l’Alhambra. Laurent m’a récemment surpris par la modernité de son jeu de trompette au sein du sextette du pianiste Mico
Nissim (un disque consacré à Ornette Coleman et Eric Dolphy
sur le label Cristal). Ses mignardises conservent toutefois une saveur ellingtonienne. Avec François Biensan, Philippe Chagne, Nicolas Montier,
André Villéger, Philippe Milanta, Pierre-Yves
Sorin, Julie Saury (pour ne pas citer les autres musiciens de l’orchestre, tous aussi
brillants), il possède le meilleur big band ellingtonien de la planète. A l’Alhambra, grâce à un mixage d’images d’archives sur écran géant, Laurent fera revivre le Duke qui racontera et dirigera
sa musique. Un événement à ne pas manquer.
-Double concert le 29 au New Morning : Didier Malherbe au doudouk (hautbois arménien en bois d'abricotier) se produira en duo avec le guitariste Eric Löhrer. Les deux
hommes fêtent la sortie de “Nuit d’ombrelle” (Naïve), double CD mêlant improvisations, compositions originales et standards de jazz, compositions de Thelonious Monk
étant particulièrement à l’honneur. Didier qui joue aussi de la flûte, du Khen, et du saxophone soprano rejoindra ensuite ses deux complices du
Hadouk Trio, Loy Ehrlich (claviers,gumbass, hajouj, kora) et Steve
Shehan (batterie, djembe, hang, percussions) pour la musique métissée et aérienne dont ils ont le secret. “Air Hadouk” leur dernier disque contient une
version de Friday the 13th (Monk toujours) dans laquelle se fait entendre la guitare de Löhrer. Lomsha, Yillah
et Soft Landing en sont les titres forts. Rendez-vous rue des Petites-Ecuries pour les redécouvrir avec des
pièces plus anciennes de leur répertoire, Suave Corridor et Dragon de Lune comptant parmi les
plus belles.
-Entouré du WDR Big Band de Cologne placé sous
la direction de Michael Abene (mais aussi par l’orchestre symphonique de la même radio sur quelques titres), Fay
Claassen parvient facilement à convaincre. Elle possède un solide métier, une voix fraîche et juvénile, scate sans aucun maniérisme et choisit bien son
répertoire, des thèmes de Louis Jordan, Betty Carter, Billy
Strayhorn, Miriam Makeba, Björk et Joni Mitchell qui révèle son éclectisme artistique. Son nouveau disque s’intitule “Sing ! ”. Elle nous
l’interprétera le 30 à 19h30 dans le Grand Foyer du théâtre du Châtelet avec un quartette comprenant Olaf Polziehn au piano,
Christophe Walemme à la contrebasse et Stéphane Huchard à la batterie. Entrée
gratuite dans la mesure des places disponibles. Un second concert est prévu le 31 mars au Sunside.
-Banlieues Bleues : www.banlieuesbleues.org
-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : http://www.ducdeslombards.com
-Casino de Paris : www.casinodeparis.fr
-Maison de Radio France : www.radiofrance.fr
-New Morning : www.newmorning.com
-Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis : www.theatregerardphilipe.com
-Théâtre Jean Vilar, Suresnes : www.theatre-suresnes.fr
-Auditorium St Germain : www.mpaa.fr
PHOTOS : Petite fille avec masque, Laurent de Wilde &
Géraldine Laurent Quartet, Enrico Pieranunzi & Rosario Giuliani, David Murray, Elisabeth Caumont,
Ronnie Lynn Patterson © Pierre de Chocqueuse - Philippe Pilon © Roger Perrotin - Joe Lovano © Jimmy Katz - Brian
Blade © Megan Holmes - Laïka Fatien © Daniel Garcia-Bruno - OXYD © Jean-Jacques Barbet - Didier Malherbe & Eric
Löhrer © Julien Mignot / Naïve - Fay Claassen © John Abbott.