Mai - Dixième anniversaire du festival Jazz à
Saint-Germain-des-Prés, dix ans de concerts dont certains inoubliables. L’an dernier le festival a eu lieu in extremis, sauvé par les responsables de la Fondation BNP Paribas (Martine Tridde, Jean-Jacques Goron ,
Ann d’Aboville) qui l’ont remis à flot. Grâce à eux le festival existe et peut souffler ses dix bougies. Le programme de cette nouvelle édition
ne me plait pas trop, mais je persiste à défendre un festival qui pendant deux semaines donne vie à un quartier, propose conférences, débats et expositions, et organise des concerts pour les
détenus de la maison d'arrêt de Poissy, de la prison des femmes de Versailles et de la Santé qui choisissent volontairement d’y assister. Bien que les choix artistiques de
Frédéric Charbaut que je salue ici ne soient pas toujours les miens, on peut y entendre des musiciens français, ce qui n’est malheureusement
pas toujours le cas des festivals hexagonaux qui offrent des ponts d’or à des têtes d’affiches médiatisées et oublient trop souvent nos jazzmen. Qui a pensé inviter cet été Antoine
Hervé, Olivier Hutman, Bruno Angelini, Patrick Favre, Jobic Le Masson, Michel Sardaby,
François Couturier, Alain Jean-Marie, Franck
Avitabile, Edouard Ferlet, Ronnie Lynn Patterson (qui habite Paris depuis vingt ans) pour ne citer que des pianistes ? Qui a pensé programmer “La Tectonique des Nuages“, magnifique opéra jazz de
Laurent Cugny dont l’enregistrement sort à la rentrée ? A croire que dans notre société spectacle, seuls les stars trouvent du travail.
Jean-Paul ne me contredit pas. Echaudé par les bourrées serbo-croates, le swing javanais, les branles pygmées, le bop celtique, les contredanses turco-bretonnes qui sont présentés comme du jazz,
il déplore ce jazz moderne affranchi de toute tradition et préfère les valeurs sûres, les musiciens qui restent fidèles aux standards et improvisent sur leurs lignes mélodiques. Excessif,
Jean-Paul se ferme toutefois au meilleur du jazz actuel, à un jazz européen souvent inventif qui tout en respectant son vocabulaire affirme sa différence. Il apprécie Jacky
Terrasson dont il ne manquera pas le concert, mais écoute surtout les très nombreux vinyles de sa discothèque qu’il ne m’a jamais montrés. Il a
finalement découvert l’identité de Philippe Machin Chose dont il a tant aimé le Jazz à Fip du 20 mars. Il s’agit de
Philippe Etheldrède, un lointain cousin de Pierre Cressant qui naguère écrivit
quelques chroniques dans Jazz Hot. S’il attend impatiemment les 9 et 15 mai pour écouter d’autres émissions de Philippe qui n’est plus Machin Chose, Jean-Paul déplore la nullité du disque de la
semaine malgré sa découverte de Baptiste Trotignon. L’autre soir à Pleyel, mon ami Papy lui a remis trois bandes magnétiques inédites d’Art
Blakey et ses Jazz Messengers, un enregistrement au club Saint Germain de 1958 avec
Hazel Scott au piano. Cette dernière emménagea dans un appartement du 80 rue de Miromesnil en novembre 1957 et ne rentra qu’en 1960 aux
Etats-Unis. Papy s’était payé une bouchée de pain à Drouot les treize volumes de la correspondance de Voltaire dans l’édition de 1967 de la Pléiade et les bandes traînaient au fond de la panière. Etonnant ce que l’on trouve dans les boîtes à chaussures d’Albertville, dans les panières de
l’Hôtel Drouot et même dans les rues de Paris. J’ai récemment ramassé sur un trottoir un très beau tableau que je viens d’accrocher au mur de mon salon. Jean-Paul s’en fout : ce n’est pas le
portrait d’un jazzman.
QUELQUES CONCERTS EN MAI
-Bobby McFerrin au théâtre du
Châtelet le 3. Un concert initialement prévu le 18 avril, mais qui a été reporté en raison de ce nuage de cendres qui paralysa le ciel européen. McFerrin est un chanteur exceptionnel dont les
disques inclassables relèvent davantage de la world music que du jazz. Véritable symphonie vocale pour chœurs, VOCAbuLarieS, son dernier opus ambitieux, fascine par sa musicalité. Les amateurs de
chant ne manqueront pas une voix unique dans une prestation a cappella. - En trio avec Doug Weiss
à la contrebasse et Jochen Rückert à la batterie, Marc Copland, l’un des meilleurs pianistes de la planète jazz, retrouve le Sunside le même soir. Marc joue aussi avec Contact, un groupe qui réunit Dave Liebman, John Abercrombie, Drew Gress et Billy Hart. On pourra les écouter le
20 juillet prochain aux arènes de Montmartre. Leur premier album “Five on One“ , vient juste de paraître sur le label Pirouet (distribution Abeille Musique).
-Mike Stern au New Morning le 5 et le
6. Ses disques inégaux captent rarement l’énergie qu’il déploie dans ses concerts. Avec lui, Dave Weckl, batteur à la frappe puissante
et lourde, Bob Franceschini, saxophoniste au jeu agressif et aux chorus fiévreux, mais aussi un invité de marque, le bassiste et
chanteur Richard Bona. Nul doute que les quatre hommes sauront maintenir une tension extrême et nous tenir constamment en
haleine.
-Norma Winstone se produit en trio le
6 au Duc des Lombards. La chanteuse était brièvement à Paris en janvier 2009 pour se voir décerner le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz pour “Distances“ (ECM),
un des trop rares albums qu’elle a enregistré sous son nom. Un New Morning scandaleusement clairsemé avait accueilli en juin 2008 cette grande chanteuse qui a marqué l’histoire du jazz anglais.
Les musiciens de “Distances“, Glauco Venier au piano et Klaus Gesing au
soprano et à la clarinette basse, l’accompagnent au Duc. Un autre concert est prévu en juillet aux arènes de Montmartre.
-Anne Ducros au Sunside le 7 et le 8.
Elle aime chanter, possède une technique et un métier impressionnant. Très à l’aise sur scène, elle n’a aucun mal à séduire un public sensible au charme de sa voix chaude et sensuelle.
Franck Avitabile au piano et Louis Moutin à la batterie l’entourent pour ces
concerts printaniers. Ils nous permettront d’attendre “Ella My Dear“, nouveau disque arrangé par Ivan Jullien qu’elle nous promet en septembre.
-Trois concerts intéressants sont
proposés aux Parisiens le 11 mai. Valeur sûre du saxophone, Chris Potter est attendu au New Morning à la tête d’un quartette comprenant
Adam Rogers à la guitare, Fima Ephron à la contrebasse et Nate Smith à la batterie. Sa participation aux groupes de Dave
Holland, Paul Motian, Herbie Hancock l’ont fait connaître et apprécier des amateurs de jazz. Malgré quelques bons albums sous son nom (“Song for Anyone“), il brille surtout dans les disques des autres, dans
l’excellent “Damaged in Transit“ de Steve Swallow ou dans “Lost in a Dream“ le nouveau Paul Motian.
-Superbe trompettiste,
Christophe Leloil gagnerait à être mieux connu. Le Duc des Lombards nous en offre l’occasion en programmant le même soir son sextet
E.C.H.O.E.S. Il réunit Raphaël Imbert aux saxophones, Thomas Savy aux
clarinettes, Carine Bonnefoy au piano, Simon Tailleu à la contrebasse
et Cédric Bec à la batterie et sonne comme un petit big band. Vive et mobile, la musique du groupe est un plongeon dans l’histoire du
jazz. Bop, swing, blues font bon ménage au sein de compositions à tiroirs agencées sous forme de suite conciliant tradition et modernité.
- Toujours le 11, le
saxophoniste Jérôme Sabbagh revient jouer en quartette au Sunset. Avec lui Ben Monder à la guitare, Joe Martin à la contrebasse et Jochen Rüeckert à la batterie. Jérôme, Ben et Joe jouent sur “Pogo“, un disque enregistré en 2006 pour Bee Jazz dans lequel Ted Poor assure la batterie. Jérôme enregistre prochainement un nouvel album, son troisième pour Bee Jazz, avec Ben
Monder et Daniel Humair qui doit paraître à la
rentrée.
-John McLaughlin à Pleyel le 15
avec 4th Dimension, groupe constitué de Gary Husband aux claviers et à la batterie, Etienne Mbappé à la basse électrique et Mark Mondesir à la batterie. Le guitariste publie “To The One“, album contenant six
nouvelles compositions. Outre ces dernières, il reprend sur scènes des morceaux plus anciens (The Unknown Dissident, Nostalgia) et des
extraits de ses deux disques précédents.
-Chanteuse franco-américaine vivant à
Paris, Christine Flowers se produit au Sunside le 16. Avec Rick Margitza au saxophone, Jobic Le Masson au piano, Peter Giron à
la contrebasse et Jeff Boudreaux à la batterie, Christine dispose d’excellents musiciens pour rendre hommage à Oscar Brown Jr.
(1926-2005). Auteur de chansons, ce dernier collabora à la “Freedom Now Suite“ de Max Roach et mit des paroles sur Dat
Dere de Bobby Timmons et Work Song de Nat Adderley. On peut les
entendre sur “Sin & Soul“, le plus célèbre de ses albums. Christine Flowers vient d’enregistrer
un disque entièrement consacré à ses compositions. En attendant la sortie de “In a New Mood“, on l’écoutera les chanter au Sunside.
-Le pianiste Dan
Tepfer avec François et Louis Moutin au Sunside le 18. Les deux frères nous sont familiers. Ils possèdent leur propre formation, le Moutin Reunion Band, jouent fréquemment dans des clubs et accompagnent Martial Solal, Antoine Hervé
et d’autres musiciens de valeur. Né à Paris de parents américains, Dan Tepfer n’est pas aussi
célèbre. Il se fit remarquer en 2002 en terminant semi finaliste du Concours International de Piano Jazz Martial Solal. Il a travaillé avec Danilo Pérez au New England Conservatory de Boston et remporté en 2006 le Montreux Jazz Festival Solo Piano Competition. Dan habite New York et nous visite moins souvent. On ne manquera
pas son concert parisien.
-Kenny Garrett au New Morning le 19
avec Benito Gonzalez au piano, Nat Reeves à la contrebasse et
Jamire Williams à la batterie. Le saxophoniste alto n’a pas sorti d ‘album sous son nom depuis quatre ans et redouble aujourd’hui
d’activité. Ce concert parisien permettra de juger de sa forme avant une tournée d’été qui, au sein du Freedom Band, quartette comprenant également Chick
Corea, Christian McBride et Roy Haynes, le conduira à Nice, Marciac, La Roque d’Anthéron ou Marseille (Festival des Cinq Continents).
-Dans le
cadre du Festival de Jazz à Saint-Germain-des-Prés, le salon président de l’hôtel Lutetia accueille le 21 le trio d’André Ceccarelli (Diego Imbert à la contrebasse et Pierre-Alain Goualch au piano) et son invité David Linx pour un hommage à Claude Nougaro. Chroniqué dans ces colonnes en septembre dernier, “Le Coq et la Pendule“ ne contient que des chansons que Nougaro interprétait. Sur scène, David
Linx chante Il faut tourner la page, The Meeting Place of Waters, Mademoiselle
Maman, Une petite fille en pleurs, reprend Bidonville et
bien d’autres pièces qui ne sont pas sur le disque. Les morceaux s’allongent, prennent de l’épaisseur. Certains sont joués en trio, Pierre-Alain Goualch en profitant pour
improviser joliment au piano.
-Le 26 mai, la jeune et talentueuse
saxophoniste Alexandra Grimal fête au Sunside la sortie de “Seminare Vento“, disque édité sur le label Free Lance. J’ai récemment écrit
dans ce blog tout le bien que je pense de cet excellent opus enregistré avec Giovanni di Domenico au piano, Manolo Cabras
à la contrebasse et Joao Lobo à la batterie, musiciens qui l’accompagneront rue des
Lombards. On ne manquera pas d’écouter live la finesse d’une musique pure et cristalline aux mélodies souvent abstraites, pleine de trouvailles et d’ambiguïtés harmoniques.
- Le même soir, Jacky
Terrasson et les musiciens de son nouveau trio (Ben Williams à la contrebasse et Jamire Williams à la batterie) investissent
l’amphithéâtre de l’Institut Océanographique de Paris (195 rue Saint-Jacques) dans le cadre du Festival de Jazz à Saint-Germain-des-Prés. Le groupe a fait grande impression à Marciac et plus
récemment au Sunside. Jacky joue un merveilleux piano ancré dans le blues. Sa virtuosité reste toujours profondément musicale. La paire rythmique qui l’accompagne le pousse constamment à se
dépasser. Une grande soirée en perspective.
-René Urtreger jouant Thelonious Monk au Duc des Lombards les 28 et 29, on s’y précipitera. Le pianiste qui recevra dans quelques jours les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur reste en pleine
possession de ses moyens et joue toujours un piano qui fait honneur au jazz. En quintette avec ses musiciens habituels (Nicolas Folmer à
la trompette, Hervé Meschinet à la flûte et au saxophone alto, Mauro Gargano à la contrebasse et Eric Dervieu à la batterie), il saura trouver les moyens de nous séduire et nous
enthousiasmer. J’en profite pour vous signaler que “75“ son dernier disque, toujours disponible à la FNAC Montparnasse, peut aussi se commander auprès de Jeanne de Mirbeck, La Prairie, 92410
Ville d’Avray. Son mail : jdemirbeck@numericable.fr
-Le label Sans Bruit se fait son propre festival au Sunside le 31 mai. On ne trouve pas ses disques dans les bacs des disquaires,
Sans Bruit ne proposant la musique de ses artistes qu’en téléchargement (MP3 320 ou FLAC qualité CD). La visite de leur site www.sansbruit.fr est tout à fait recommandable. Au Sunside, trois concerts le même soir. La pianiste Sophia Domancich et le guitariste Pascal Maupeu animeront la soirée. On ne manquera pas le pianiste Stephan
Oliva qui, en solo, célébrera Bernard Hermann.
Théâtre du Châtelet : http://www.chatelet-theatre.com
Sunset - Sunside : http://www.sunset-sunside.com
Duc des
Lombards : http://www.ducdeslombards.com
New Morning
: http://www.newmorning.com
Salle Pleyel : http://www.sallepleyel.fr/
Jazz à Saint-Germain-Des-Prés : http://www.festivaljazzsaintgermainparis.com
Crédits Photos:
Hazel Scott © Photo X - Marc Copland, Mike Stern, Norma Winstone Trio, Anne Ducros, Christophe
Leloil, André Ceccarelli, Alexandra Grimal, Jacky Terrasson, René Urtreger, Sophia Domancich © Pierre
de Chocqueuse - Kenny Garrett © Barron Claiborne / Nonesuch Records.