Rien de tel que de se promener dans Paris pour y trouver des livres auxquels on ne s’attend pas. On flâne, on musarde, on arpente les quais ou les rues du Quartier Latin qui abritent encore des librairies, petites ou grandes, provisoirement rescapées, les boutiques de mode rongeant peu à peu le paysage culturel. En longeant le jardin du Luxembourg en décembre dernier, je tombai rue de Médicis sur la librairie José Corti (l’éditeur de Julien Gracq), pour y trouver soldés plusieurs volumes de leur collection Domaine Romantique. Un certain nombre d’entre eux relèvent du fantastique, genre littéraire qui m’a toujours titillé l’imagination. Parmi les ouvrages achetés ce jour-là, je découvris un recueil de nouvelles d’Amelia B. Edwards (1831-1892), romancière à succès tombée dans l’oubli. “Dans le confessionnal et autres nouvelles“ contient sept des dix-sept récits fantastiques qu’elle nous a laissés, tous très bien écrits (le plus remarquable s’intitule Les îles au trésor) et une longue postface érudite de Jacques Finné, l’excellent traducteur de ce livre publié en 2002. Dans la même collection (je n’en ai pas acheté qu’un seul), “Les Fantômes des Victoriens“ fut rapidement dévoré. Florilège d’histoires de revenants, il contient des nouvelles de Wilkie Collins, Charles Dickens, Arthur Conan Doyle, Joseph Sheridan Le Fanu, E.M. Forster, mais aussi des auteurs moins connus, mais tout aussi capables de vous faire violemment frissonner. Il existe bien d’autres ouvrages dans cette excellente collection dont “Les fantômes des Victoriennes“ et plusieurs recueils de Sheridan Le Fanu, l’auteur inspiré d’“Oncle Silas“ et de “Carmilla“, la vampire lesbienne, livre écrit en 1871, vingt-six ans avant “Dracula“ le chef-d’œuvre de Bram Stoker. La librairie José Corti peut s’attendre à ma visite lorsque la pile de livres qui me reste à lire aura diminué.
Profitant en janvier d’un tiède rayon de soleil, je me suis laissé tenter rue des Ecoles (une occasion trouvée dans une de ces boîtes que le libraire installe à même le trottoir) par les mémoires de Pierre Belfond, grand monsieur de l’édition aujourd’hui à la retraite. Jean-Paul m’accompagnait. Il possède peu de livres, mais consulte presque tous les jours le “Goldmine’s Price Guide to Collectible Jazz Albums“ et le “Penguin Guide to Jazz“, dont il conserve précieusement les anciennes éditions. Dans “Les pendus de Victor Hugo“ (publié chez Fayard en 1994), Pierre Belfond ne parle pas de jazz, mais ce grand amateur de musique classique, ami d’Antoine Goléa, édita ou réédita les souvenirs de nombreux musiciens et pendant quatre ans maintint la revue Harmonie à flot. D’une plume vive et alerte, il nous raconte le « mystère Aguéev » (l’auteur sans visage de “Roman avec cocaïne“), brosse des portraits désopilants de Salvador Dali, Anthony Burgess, Klaus Kinski. Ne partageant pas toujours ses choix éditoriaux, j’ai peu de livres des éditions Belfond dans ma bibliothèque, mais sa collection de littérature étrangère renferme de véritables trésors. “Le monde d’hier“ de Stefan Zweig, “Tendre est la nuit“ de Scott Fitzgerald, “Les sept fous“ et “Les lance-flammes“ de Roberto Arlt, en sont quelques fleurons.
Contrairement à Jean-Paul, Phil Costing lit beaucoup. Il m’a offert à Noël “L’équilibre du monde“ (Albin Michel également publié en poche), un gros roman écrit en anglais par Rohinton Mistry un écrivain indien. On y suit les pérégrinations d’Ishvar et Omprakash, des intouchables au sein d’une société corrompue et violente. Appartenant à la caste des tanneurs et des travailleurs du cuir, ils ont quitté leur village pour la grande ville et y exercent le métier de tailleurs. Une multitude de personnages pittoresques défilent dans ce récit largement consacré à la misère quotidienne de l’immense peuple des bidonvilles. L’auteur porte un regard désabusé sur les institutions de son pays dans lequel, il n’y a pas si longtemps, des hommes nés sur le même sol mais de religion différente s’entretuaient. Il donne du poids et de l’épaisseur à ses personnages dont on suit leurs aventures, parfois drôles, mais le plus souvent pathétiques, lutte permanente pour survivre dans un environnement hostile, un pays dans lequel on n’a guère envie de se rendre une fois refermé ce roman-fleuve dont la lecture et les péripéties fascinent.
Les éditions Zulma poursuivent la réédition de la saga du docteur Fu Manchu. On avait quitté ce dernier une balle dans la tête, le corps enseveli sous les pierres de son repaire. On le retrouve vivant et plus dangereux que jamais dans “Les mystères du Si-Fan“, marchant péniblement avec des cannes, le crâne recouvert d’un épais bandage, hémiplégique du côté droit. Pas pour longtemps. Sir Baldwin Frazer, le meilleur chirurgien de Londres qui est à sa merci, lui extrait le projectile qui « ayant traversé le tiers gauche du lobe frontal au niveau de la convolution postéro pariétale » s’y trouve encore. A nouveau en pleine possession de ses moyens, le sinistre docteur peut reprendre ses activités criminelles et son principal adversaire, l’agent spécial Nayland Smith, lui redonner la chasse. Sax Rohmer (de son vrai nom Arthur Henry Sarsfield Ward) introduit dans le récit de nouveaux personnages parmi lesquels Zarmi, une Eurasienne belle et féline à la chevelure de jais et le mandarin Ki-Ming, chinois de belle prestance au puissant pouvoir hypnotique. Le livre s’achève par la disparition provisoire de Fu Manchu, noyé lors d’une terrible tempête. A moins que Zulma décide d’interrompre la publication de la série. L’éditeur n’annonce pas d’autres volumes et si la typographie de celui-ci reste tout aussi soignée, le papier moins épais, moins volumineux pour un même nombre de pages, ne présage rien de bon.