Fort de 170.000 exemplaires vendus, le livre devient aujourd’hui un film, un premier long-métrage pour Jean Achache qui fut l’assistant de Georges Lautner, Robert Enrico (“Le vieux fusil“), Bertrand Tavernier (sur “Un Dimanche à la campagne“ et “Un coup de torchon“) et qui a signé de très nombreux documentaires. Le réalisateur s’est enthousiasmé pour le livre et ses personnages : « Ils se sont installés dans ma vie, dans mon quotidien. Ils ont pris leur place au milieu de mes obsessions, de mes désirs, de mes amis. Ils n’étaient plus les personnages d’un roman beau et captivant, ils étaient trois personnes qui vivaient près de moi et dont j’avais entrepris de raconter l’histoire. »
Lors d’un déplacement en province, Simon Nardis, célèbre pianiste qui s’est écarté de la scène du jazz pour raison d’alcoolisme, franchit les portes d’un club. Une envie irrésistible de se mettre au piano, des verres de vodka, la voix de Debbie la propriétaire du lieu qui l’accompagne, Simon se laisse emporter. Sa passion pour le jazz, l’alcool, l’ivresse amoureuse, ce qui constituait son ancienne vie le rattrape.
Enregistré live et confié à Michel Benita, le jazz y tient une place très importante. Recrutés lors d’une audition à Brest, Gaetan Nicot (piano), Xavier Lugué (contrebasse) et Marc Delouya (batterie), le trio du club, improvisent sur des compositions de Michel. Ce dernier a également écrit plusieurs chansons pour Elise Caron qui tient le rôle de Debbie. Chanté par Elise, Whispering, le très beau générique fin de l’album devient The Sound of Memory. Thierry Hancisse est Simon Nardis. Ce n’est pas lui que l’on entend au piano mais Antoine Hervé. L’acteur pose ses doigts sur les notes retranscrites par Antoine et donne vraiment l’impression que c’est lui qui les joue. Amoureux du livre, Jean Achache en livre une adaptation fidèle. Son film conserve l’aspect envoûtant de ses pages et les deux actrices (Elise Caron et Marilyne Canto) sont parfaites. Le choix de Thierry Hancisse est plus contestable. L’acteur joue un musicien moins sympathique que celui du roman. Le film est surtout porté par les deux femmes. Elles lui donnent sa crédibilité et le rendent attachant. Séduit par le charme qu’il distille et persiste longtemps après sa vision, j’ai contacté Elise Caron qui répond ici à mes questions.
Elise, avais-tu lu “Un soir au club“ avant que Jean Achache te propose le rôle de Debbie ?
-Je n’avais pas lu le livre. C’est Michel Benita qui a pensé à moi pour le rôle. Il m’a mis en contact avec Jean. J’avais rencontré Michel à la Réunion en 1988. Il donnait une série de concerts avec Andy Emler, François Jeanneau et Joël Allouche et j’étais en vacances. Andy animait un stage de jazz et j’y ai participé. Nous sommes restés ensemble trois semaines et nous nous sommes très bien entendus.
Qu’est-ce qui t’a séduit dans le personnage de Debbie ?
-Ce quelque chose de légèrement sulfureux qu’elle possède sans en avoir l’air. Ce n’est pas une femme froide et calculatrice. Elle profite des situations, mais tombe quand même amoureuse ; elle provoque, mais elle est prise à son propre piège. Dans une scène supprimée, elle explique qu’avant de rencontrer Simon, elle pouvait avoir des aventures avec des musiciens de passage. Mais avec Simon, il ne se passe pas la même chose. Elle est admirative. Je n’ai donc pas eu besoin d’insister sur le côté provoquant du personnage. Un grand trouble réciproque saisit au même moment ces deux êtres qui vivent une rencontre exceptionnelle.
Comment s’est effectué le tournage ? Quels souvenirs en gardes-tu ?
-Le tournage a duré un peu plus d’un mois, une petite semaine à Paris et le reste à Brest. Le temps était très mauvais. Il faisait froid. La ville dégage une atmosphère particulière que le film traduit bien. Il n’y a pas grand monde dans les rues. Elles sont très larges et le vent s’y engouffre. Le film a été tourné dans un club mythique, l’Espace Vauban. Nous y sommes restés une semaine entière. La toute dernière scène du film, celle dans laquelle Debbie se rend au club et découvre Simon au piano, est la dernière qui a été tournée au Vauban. Ça a été un moment fort, très chargé sur un plan émotionnel, une scène qui a eu des répercussions sur la suite du tournage, qui ancre l’esprit du film. Nous avons eu une journée pour répéter la musique et tout a été filmé en direct. Les prises devaient être bonnes à la fois pour l’image et le son. La musique commandait. Je n’ai pas trop l’habitude de chanter des standards de jazz. Il fallait les chanter avec un maximum de naturel tout en surveillant constamment ses expressions et ses gestes à cause de la caméra.
Tu as même composé un petit morceau de musique, un Haïku…
-Il y avait un piano dans l’appartement qu’occupe Debbie et je voulais faire un truc un peu mystérieux, jouer une courte pièce. J’ai proposé un de mes morceaux. Ayant l’intention d’en écrire d’autres, je l’ai intitulé Haïku 1. J’ai dans l’idée d’en faire plus tard une chanson. D’un autre côté, composer reste pour moi difficile. Je suis très lente. Je n’ai jamais suivi de cours d’harmonie, de composition. Je fais tout à l’oreille. Je pianote et, parfois après des heures, il en sort quelque chose, une mélodie sur laquelle il va me falloir trouver des paroles.
As-tu eu du mal à rentrer dans la peau de ton personnage ?
-A force de tourner des scènes les unes après les autres, on arrive à imaginer et à devenir le personnage. Cela se passe petit à petit. Une des scènes culminantes du film est celle qui se déroule sur la plage, une scène d’amour très pudique qui a été plutôt drôle à tourner. Certaines scènes intermédiaires ont été plus difficiles à jouer. Je ne savais pas ce que je devais ressentir à ces moments-là, je n’avais pas d’avis. Après les avoir tournées, je me suis rendue compte que je ne les avais pas maîtrisées, qu’elles m’avaient échappées. Peut-être par inexpérience, car cela faisait longtemps que je n’avais pas joué un rôle aussi important au cinéma. Je me sens plus à l’aise avec le théâtre. On profite jour après jour de son travail, de ce que l’on a fait la veille et les jours précédents. Une expérience théâtrale est pour moi apaisante. On se sent beaucoup plus légère. On dispose de davantage de temps pour répéter. Le cinéma est un autre travail. Il demande un regard encore plus aiguisé sur soi-même. Un film est définitif. L’image fige le moindre faux-pas. Sa dimension macroscopique oblige à rentrer davantage dans les détails, à toujours garder un œil sur soi.
“Un soir au club“ de Jean Achache. Scénario : Guy Zilberstein et Jean Achache. Avec Thierry Hancisse, Elise Caron et Marilyne Canto. Durée : 88 minutes. Musique : Michel Benita. Durée : 88 minutes. Sortie le 18 novembre. La B.O. du film est également disponible (Le chant du Monde/harmonia Mundi).Photos X/DR