Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la
vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…
LUNDI 24 novembre
“Welcome to the Voice“ au Théâtre du Châtelet. La presse n’a pas été tendre avec ce spectacle dont je donne l’argument dans le
blogdechoc du jeudi 13 novembre. Le livret est médiocre, mais on s’y rend pour la beauté du chant et de la musique. Celle de “Welcome to the Voice“ réserve de magnifiques arias (« Laissez cet
homme » chantée par Lily, la cantatrice). Le livret justifie parfaitement des emprunts à Bizet, Puccini, Bellini et le patchwork
musical assemblé par Steve Nieve reste parfaitement cohérent. L’Ensemble Orchestral de Paris lui donne une ampleur que le quatuor à cordes de l’album ne lui offre pas. Transposée
pour grand orchestre, la partition hérite d’un long prélude instrumental présentant les principaux thèmes. Sur le rideau de scène, sont alors projetées les images brûlantes d’une gigantesque
fonderie. Les lumières et les décors servent une mise en scène qui tient constamment en éveil. Trompette (Ibrahim Maalouf), violoncelle et saxophone improvisent de brefs
interludes. Et puis, il y a les voix. Celle de Sting, rauque et puissante, se marie bien avec celles des chanteuses lyriques. Sensuelle et magnifique, Sylvia
Schwartz est la reine du spectacle (la voix de Barbara Bonney, la Lily de l’album, paraît bien terne en comparaison). Elvis Costello se voit confier une
partition trop difficile pour ses capacités vocales. On regrette l’absence de Robert Wyatt, mais Joe Sumner, le fils de Sting, son remplaçant,
chante parfaitement son texte. Une belle création mondiale. Thank you to the Voice.
MARDI 25 novembre
18 heures 30. Remise des Chocs Jazzman de l’année 2008 au Café Universel, rue Saint-Jacques. Alex Dutilh (en photo) les commente devant un parterre de journalistes, de musiciens (Martial Solal, Christophe Marguet,
François Théberge, Michael Felberbaum), de responsables de maisons de disques (la jolie Marie-Claude Nouy, Patrick Schuster,
Nicolas Pflug, Daniel Baumgarten, Francis Dreyfus, Marc Sénéchal…). “Kind of Blue“ de Miles Davis gagne bien
sûr à recevoir tous les Chocs de la terre, mais j’ai comme l’impression que l’on prime davantage le coffret (par ailleurs superbe) que le disque fréquemment réédité. Des Chocs mérités pour “Live
at Belleville“ du contrebassiste Arild Andersen et “Tragicomic“ du pianiste Vijay Iyer. Les autres enregistrements primés me plaisent moins. Vous en trouverez la
liste dans le numéro de décembre de Jazzman. “Avatar“ de Gonzalo Rubalcaba, “Awake“ de Miguel Zenon, “Enrico Pieranunzi plays Domenico Scarlatti“ (bien que ce ne
soit pas du jazz), “History, Mystery“ de Bill Frisell (double CD presque trop copieux) et l’admirable “Filtros“ de Guillermo Klein, Emois 2008 de Jazz Magazine,
parlent davantage à mon cœur de blogueur.
19 heures 30 : je fonce Salle Pleyel, impatient d’écouter l’immense Chucho Valdés, 1 mètre 94 et de longues mains
fines qui l’aident à jouer des accords impossibles. Son Steinway est un peu métallique, mais quelle musique ! La chaleur et les rythmes des îles s’entendent dans ce piano qui chante
Ellington, Bach, mais aussi des boleros, des danzas, sans oublier quelques ballades tendres et émouvantes. Chucho multiplie notes perlées et citations.
Chopin, Ravel, Gershwin surgissent au détour d’une phrase et héritent de rythmes qu’ils n’auraient jamais imaginés. En quartette, contrebasse et
batterie accompagnent ce piano syncopé qui dialogue avec les percussions de Yaroldi Abreu, petit homme râblé et costaud, magicien des tambours et maître des congas. De l’émotion,
nous en eûmes lorsque Chucho présenta son père Bebo, 90
ans, doyen de la musique cubaine. Leur duo de piano fut un des grands moments de ce concert évènement. Après l’entracte, deux trompettes et deux saxes vinrent renforcer la section rythmique,
souffler des riffs incandescents et fiévreux, l’orchestre sonnant comme un véritable big band, comme Irakere, groupe phare de la musique afro-cubaine dont Chucho fut le leader.
L’ambiance devint encore plus chaude lorsque Mayra Caridad Valdés, la sœur de Chucho, monta sur scène. Sa voix forte, puissante invita à la danse, à la fête. Une onde rythmique
se propagea et fit lever la salle, la musique agissant comme un puissant tonique.
MERCREDI 26 novembre
Après une remarquable biographie du peintre Jackson Pollock, Ed Harris repasse derrière la caméra avec un sujet radicalement
différent, un western, “Appaloosa“, dans lequel le rôle principal lui convient comme un gant. Il interprète le Marshall Virgil Cole, un homme froid au regard pénétrant, au visage sévère, chargé
de faire régner l’ordre dans petite ville d’Appaloosa (Nouveau-Mexique) en 1882. Le scénario évoque un peu celui de “Rio Bravo“ d’Howard Hawks. On pense aussi à “L’homme aux
colts d’or“ d’Edward Dmytryk. Everett Hitch (Viggo Mortensen), son adjoint, la seule personne pour laquelle il éprouve une réelle amitié, est un homme aussi
taciturne que lui, ce qui permet à Harris également co-producteur et co-scénariste du film, d’économiser les dialogues. Virgil Cole parle peu, mais bouquine et cherche à améliorer son vocabulaire
défaillant. Si Jeremy Irons campe un méchant présentable, la femme tient ici le mauvais rôle. Cole n’est pas dupe de la volage et cupide Allison French (Renée
Zellweger) qui coure les cow-boys virils. Clin d’oeil à Sergio Leone, la caméra s’attarde longuement sur la poussière que le vent porte au cœur même d’Appaloosa,
bourgade entourée de paysages grandioses brûlés par le soleil. Un bon film qui se laisse voir avec plaisir.
JEUDI 27 novembre
Théâtre du Rond-Point : sur le sol, un grand cercle délimite une piste, celle du“Cirque invisible“. Deux personnages
l’animent. Sont-ils vraiment deux ? Difficile de l’affirmer. Ils apparaissent et disparaissent sans jamais être les mêmes, se métamorphosent en d’autres personnes et transforment leurs vêtements
en bestiaire féerique. Irréel mais bien visible, ce cirque ne
ressemble à aucun autre. Depuis 1990 Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin (quatrième enfant d’Oona et Charlie Chaplin et
sœur de Géraldine) peaufinent un spectacle total, plein de magie, de musique, de danse, de mime et de comique. Une fantasmagorie poétique, succession de courts tableaux dans
lesquels les objets les plus divers deviennent insectes, monstres de fer aux ailes métalliques, instruments de musique, dragons de papier… L’équilibriste funambule assiste l’illusionniste, le
clown se fait jongleur, ce dernier dresseur d’oies. Le charme opère, vous donne le rire, les yeux que vous aviez enfant.
VENDREDI 28 novembre
Je
regarde “La Charrette fantôme“ de
Victor Sjöström, magnétoscopé lundi sur Arte. Ses surimpressions épatèrent
Murnau. Tourné en 1920, ce muet influença l’expressionnisme allemand. Julien Duvivier en fit un remake en 1939 avec Pierre Fresnay et Louis
Jouvet. Son côté moralisateur le démode un peu. Le récit non linéaire constitue une nouveauté pour l’époque, et certaines images, notamment celles
de la charrette que conduit le cocher de la mort, restent inoubliables. Avant de devenir l’un des plus grands réalisateurs du muet, Victor Sjöström (1879-1960) fut acteur de théâtre. Il joua dans des pièces d’Ibsen et de Strindberg. Metteur en scène dès 1913, il s’associa trois ans plus tard avec Selma Lagerlöf, l’auteur du “Merveilleux Voyage de
Nils Holgersson à travers la Suède“, mais aussi du “Charretier de la mort“ qui chaque nuit passe
ramasser les victimes de la peste dans un village sicilien. Sjöström tient le rôle principal des “Fraises sauvages“ d’Ingmar Bergman. Il a
alors 78 ans. Dans “Lanterna Magica“, son livre de souvenirs, Bergman raconte que Sjöström n’avait jamais trouvé La "Charrette fantôme" très remarquable. « Victor était fatigué,
mal-en-point, pour travailler avec lui il fallait l’entourer de bon nombre d’égards. Je dus, entre autres, lui promettre que tous les jours, il serait chez lui exactement à quatre heures et demie
pour son traditionnel whisky ».
SAMEDI 29 novembre
Quelques chroniques de disques à rédiger pour le numéro de janvier de Jazzman. Parmi les
nouveautés, deux perles à se procurer sans plus attendre. La
première, vous la téléchargerez sur http://www.sansbruit.fr/. Il n’y a pas
d’autre moyen d'obtenir “New York City Session“ du trio Bruno Angelini, Joe Fonda, Ramon Lopez. Le site de Sans bruit fournit la pochette et si
vous choisissez le téléchargement FLAC, la musique est de bonne qualité. Le deuxième disque est un opus en trio de Philippe Le Baraillec, pianiste qui fait trop peu parler de
lui. Vous patienterez pour me lire, mais achetez dès à présent son “Invisible Wound“ (AJMI/Integral distribution), un album magnifique.
Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf Sting & Sylvia Schwartz © Marie Noëlle Robert, et “Le Cirque
invisible" © Brigitte Enguerand. Avec les aimables autorisations du Théâtre du Châtelet et du Théâtre du Rond-Point.