En 2012, Jacky Terrasson invitait Stéphane Belmondo à participer à l’enregistrement de “Gouache” à Pompignan au Studio Recall de Philippe Gaillot. Stéphane fit de même quelques mois plus tard, conviant Jacky à jouer des claviers dans “Ever After”, un disque également enregistré à Pompignan, aux portes des Cévennes. L’endroit est particulièrement propice à la musique, surtout au printemps et en été lorsque les musiciens peuvent profiter de la piscine alimentée en eau de source. Au cœur d’un vaste domaine de cinq hectares, un grand mas en pierre de taille abrite le studio et ses larges baies vitrées. Jacky y a créé plusieurs albums. Les 88 touches du Steinway D mis à disposition n’attendent que ses doigts pour faire naître sa musique. Stéphane y a également ses habitudes. Son “Love for Chet” y a été enregistré, et lorsqu’un disque avec Jacky fut envisagé, le Studio Recall s’imposa naturellement.
Une trentaine de morceaux y furent enregistrés en trois jours. « Les ballades sonnaient particulièrement bien. Elles avaient une beauté et une atmosphère bien à elles » confie Jacky Terrasson dans le dossier de presse. Elles sont donc largement majoritaires dans cet album lumineux qui traduit constamment les états d’âme, les émotions des musiciens. “Mother” rassemble quatorze morceaux dont de nombreux standards, Pompignan et Pic Saint-Loup (un des bons vins de la région) étant de courts intermèdes improvisés. Il s’ouvre sur First Song, probablement la partition la plus jouée de Charlie Haden et se referme sur une sobre version de Que reste-t-il de nos amours, deux morceaux mélancoliques qui traduisent l’atmosphère feutrée de l’album. Le bugle et sa sonorité plus ronde, plus douce que celle de la trompette, convient bien aux ballades intimistes. Stéphane l’utilise dans La chanson d’Hélène que Jacky enrichit d’harmonies délicates et dans Mother, une des plus belles compositions du pianiste. “Gouache” en contient une version en quartette mais celle du nouveau disque est particulièrement émouvante. Il devait s’intituler “Twin Spirit” mais avec la disparition de la mère de Jacky en juin, “Mother” s’imposa comme titre d’album. Écrit par Stéphane et également jouée au bugle, Souvenirs n’est pas non plus dénué de vague à l’âme. Un piano espiègle en marque la cadence.
Ailleurs, la trompette prend le relais. Stéphane et Jackie rivalisent de virtuosité dans In Your Own Sweet Way et s’amusent à croiser leurs lignes mélodiques dans Lover Man abordé sur tempo médium. Autre grand standard, You Don’t Know What love Is brillamment harmonisé révèle le pianiste romantique qui tire des notes exquises de son instrument. Une reprise humoristique d’un thème de Stéphane Grappelli, les Valseuses, est l’occasion de rendre hommage au jazz d’antan. Jacky adopte une cadence de stride et, utilisant sa sourdine, Stéphane ajoute des effets de growl à cette musique chaloupée. La main gauche du pianiste donne son délicat balancement à Hand in Hand, morceau également joyeux et primesautier. Dans Fun Keys, un thème riff trempé dans le blues, un morceau rapide, le piano est aussi un instrument de percussion. Le blues reste également très présent dans les fermes accords de piano qui rythment You Are The Sunshine of My Life de Stevie Wonder. Sa mélodie reste longtemps masquée, le jeu très physique de Jackie se voyant tempéré par la trompette délicate de Stéphane. Deux complices assurément.
Photos : Philippe Levy-Stab