Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 avril 2016 5 15 /04 /avril /2016 09:06
Masabumi KIKUCHI : “Black Orpheus” (ECM / Universal)

Donné au Bunka Kaikan Recital Hall de Tokyo en 2012, ce récital en solo de Masabumi Kikuchi reste le dernier concert de sa carrière. Le pianiste devait s’éteindre à New York le 6 juillet 2015. Son loft lui permettait d’accueillir de jeunes musiciens avec lesquels il aimait improviser. Parmi eux, Thomas Morgan assure la contrebasse dans “Sunrise, un album ECM que Masabumi enregistra en septembre 2009. Également décédé, Paul Motian en est le batteur. Publié en 2012, il permit à Kikuchi de rejouer au Japon, de nous faire cadeau de ce “Black Orpheus” après une longue carrière américaine qui le vit travailler avec Gil Evans, et plus longuement avec Motian et Gary Peacock, cofondateurs avec lui en 1990 de Tethered Moon, dont le trio, trop novateur pour l’époque, resta confidentiel. Quelques disques de Motian – je pense au remarquable “On Broadway Vol.5” (Winter & Winter), un des sommets de l’œuvre du batteur – jalonnent la discographie du pianiste qui pour le label Verve, grava plusieurs disques en solo, aussi envoûtants que méconnus. L’exercice lui était depuis longtemps familier. Il lui permettait d’inventer son propre univers musical, de larguer les amarres, de tendre vers l’inconnu.

Car, avec le temps, Masabumi Kikuchi, affectueusement surnommé Poo par ses amis, avait acquis une solide expérience. Il s’asseyait derrière son instrument sans trop savoir quoi jouer et laissait la musique jaillir, son piano fendant des flots comme la proue d’un navire, bravant ses propres tempêtes, vagues de notes donnant le mal de mer à des oreilles frileuses. À la croisée de plusieurs cultures, la modernité de sa musique doit beaucoup à l’écoute des grandes œuvres pianistiques du XXème siècle. Lui reprochant son manque de swing, son piano rubato, les puristes du jazz crient bien sûr au scandale.

Masabumi KIKUCHI : “Black Orpheus” (ECM / Universal)

Intitulés Tokyo et numérotés de I à IX, les neuf morceaux improvisés de “Black Orpheus possèdent tous leur propre logique. Une pièce sur deux est sombre, abstraite, voire atonale, comme si le brouillard qui envahit parfois la capitale nippone en brouillait la lecture. Les tempos ne sont jamais rapides et les rares mélodies disparaissent sous des accords tumultueux, des flots de notes martelées qu’accompagnent de nombreuses dissonances. Au sein d’une même improvisation, tension et détente cohabitent. Le tempo y est instable, les harmonies flottantes. Un morceau très lent peut se gonfler de notes ou une pièce agitée se transformer en véritable méditation sonore, la musique se faisant alors murmure (Tokyo Part VII) pour s’évaporer comme de l’eau au soleil. C’est toutefois dans les parties lentes que le pianiste se relâche. Il abandonne alors son toucher percussif pour faire sonner délicatement les harmonies de mélodies rêveuses, un peu comme si après le noir d’un long tunnel, il accédait à la lumière.

Masabumi KIKUCHI : “Black Orpheus” (ECM / Universal)

Placée au centre de l’album, sa tendre et pudique version de Manhã De Carnaval, thème du film de Marcel Camus “Orfeu Negro (“Black Orpheus) que l’on doit à Luiz Bonfá, apparaît ainsi comme un moment de grâce, une source inattendue à laquelle s’abreuver. Posant délicatement ses notes, ses longs silences lui donnant le temps de faire sonner leurs harmoniques, révéler leurs couleurs, Kikuchi aborde le thème avec une pudeur exquise. Il fait de même avec Little Abi, une ballade qu’il écrivit pour sa fille, probablement sa composition la plus célèbre et qu’il joue en rappel. Il l’enregistra une première fois en 1977 avec Elvin Jones dans “Hollow Out un disque Philips, puis la reprit avec Tethered Moon. “Triangle, un des premiers albums du trio, nous en offre une version développée. Celle de “Black Orpheus” reste toutefois la plus sensible. Tokyo part 9, une plage lente, mystérieuse, nous y prépare. Peu à peu le toucher du pianiste se fait miel. Des doigts de velours effleurent délicatement les touches, les marches et les feintes, exposent et font chanter un thème aux couleurs lumineuses. Carguant les voiles de son piano, Masabumi Kikuchi est arrivé au port.

Photos de Masabumi Kikuchi © Hiroyuki Ito / New York Times & John Rogers.

Partager cet article
Repost0
8 avril 2016 5 08 /04 /avril /2016 09:00
Pierre PERCHAUD - Nicolas MOREAUX - Jorge ROSSY : “FOX”  (Jazz & People / Harmonia Mundi)
Pierre PERCHAUD - Nicolas MOREAUX - Jorge ROSSY : “FOX”  (Jazz & People / Harmonia Mundi)

Comment résister à cette version lyrique et raffinée de And I Love Her, une mélodie inoubliable de Paul McCartney, une des plus belles chansons de “Hard Day’s Night” que les Beatles publièrent en 1964. À la guitare, Pierre Perchaud découvert au sein de l’ONJ de Daniel Yvinec et auteur de deux albums sur Gemini Records. À la contrebasse, Nicolas Moreaux. Il joue dans les disques de Perchaud qui est aussi le guitariste de sa formation (deux albums sur Fresh Sound New Talent). À la batterie, Jorge Rossy, le batteur de Brad Mehldau avant que le pianiste ne lui préfère Jeff Ballard pour d’autres aventures. Un trio au sein duquel la guitare reste bien sûr le principal instrument soliste. Nicolas Moreaux n’aime pas trop se mettre trop en avant. Il prend bien quelques chorus, mais préfère commenter, assurer une discrète seconde voix mélodique, maintenir avec la batterie un tempo régulier. Sa contribution à l’album réside aussi dans les trois morceaux qu’il apporte, Moon Palace qui permet à la guitare de faire sonner ses harmoniques, Whisperings au sein duquel il cite brièvement un thème d’Ennio Morricone et Paloma Soñando qui interpelle par ses accords nostalgiques, sa guitare intimiste. Subtilement dosés, les effets sonores qu’il ajoute à l’instrument évoquent Kurt Rosenwinkel et John Scofield, l’influence de Jim Hall étant perceptible dans la délicatesse de son discours mélodique. Pierre Perchaud se révèle également un compositeur habile. Construit sur un riff, Fox met en valeur une guitare mobile qui alterne jeu en accords et single notes au sein d’une même improvisation. Un autre morceau, Pour Henri, séduit par sa mélodie chantante, son tempo lent que Jorge Rossy laisse pleinement respirer. Introduit par des arpèges de guitare, Paloma ouvre magnifiquement l’album. La contrebasse pose les principales notes d’un thème onirique qui donne envie d’en écouter davantage. Du jazz raffiné, en apesanteur entre ciel et terre, pourquoi s'en priver ?

PHOTO : Pierre Perchaud, Jorge Rossy, Nicolas Moreaux © Eric Garault

Partager cet article
Repost0
25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 09:44
Pâques : le blogueur Goes to Church

Peu d’amateurs de jazz français connaissent Hans Ulrik, saxophoniste danois né en 1965 très apprécié dans son pays. Son imposante discographie comprend des enregistrements avec John Scofield, Lars Danielsson et Peter Erskine (“Short Cuts” en 2000), Steve Swallow, Bobo Stenson et Ulf Wakenius (“Believe in Spring” en 2008). Gary Peacock, Adam Nussbaum et Eiving Aaset ont également travaillé avec Ulrik, musicien qui, pour Pâques, nous emmène à l’église. Avec lui, le blogueur de Choc “Goes to Church” (pour reprendre le titre d’un disque en big band de Carla Bley) et vous invite à le suivre.

Pâques : le blogueur Goes to Church

En 2015, Hans Ulrik fut invité à composer la musique d’un office religieux pour célébrer le 75ème anniversaire de l’église Grundtvig. Depuis 1940, date de son inauguration officielle, elle se dresse, majestueuse sur la colline du Bispebjerg au nord ouest de Copenhague. C’est son architecte, Peder Vilhelm Jensen Klint, qui eut l’idée de bâtir une église à la mémoire de Nikolai Frederik Severin Grundtvig (1783 - 1872), pasteur luthérien, écrivain, poète, historien et pédagogue (peint ici par Constantin Hansen) dont l’influence fut grande sur la culture danoise. À la première pierre posée en 1921, furent ajoutées six millions de briques de couleur ocre. Car l’édifice, plutôt imposant, peut accueillir 1.800 personnes. La hauteur de son campanile fait 49 mètres. Hautes de 22 mètres, ses trois nefs ont une longueur totale de 76 mètres et une largeur de 35 mètres. Si Klint s’est inspiré de l’église traditionnelle du village danois c’est pour lui donner la dimension harmonieuse d’une cathédrale gothique.

Hans ULRIK : “Suite of Time” (Stunt Records / Una Volta Music)

Pâques : le blogueur Goes to Church

Introduite par un prélude, complétée par un hymne, un sacrement et un postlude, la Suite of Time d’Hans Ulrik (saxophones ténor et soprano) comprend quatre mouvements, chacun d’eux associé à une date chapitrant un texte de l’historien Henrik Jensen que le livret de l’album reproduit. Examinant la période écoulée depuis la construction de l’église, Jensen met en avant les années 1945 (fin de l’occupation allemande le 5 mai), 1967 (le Summer of Love), 1989 (chute du mur de Berlin le 9 novembre) et 2001 (destruction des tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre).

Pâques : le blogueur Goes to Church

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la musique de ce disque n’est en rien religieuse. Faites la écouter à un mélomane averti, il vous dira que c’est du jazz à cent pour cent. Même l’hymne Min Jesus, lad mit hjerte få (Mon Jésus, laisse mon cœur te recevoir) et le sacrement O du Guds lam (O, Agneau de Dieu) relèvent du jazz. Pour le jouer, cinq excellents musiciens inconnus à nos oreilles, la sixième, Marilyn Mazur qui brille aux percussions sur trois plages, nous étant familière. La section rythmique a beau se révéler excellente avec Kaspar Vadsholt à la contrebasse (ses basses rondes, profondes et pneumatiques font danser la musique) et Anders Mogensen à la batterie, la batteuse / percussionniste apporte un foisonnement rythmique appréciable à la musique, et ce dès le Præludium (prélude) qui ouvre le disque. Ulrik le joue au soprano et en est le seul soliste. Le lyrisme de son chorus, sa sonorité volumineuse ne laissent pas insensible et l’orchestration soignée du morceau donne une idée de la qualité de ce qui va suivre.

Pâques : le blogueur Goes to Church

À commencer par la longue pièce de résistance de l'album, cette Suite of Time en quatre parties introduite par Ulrik au ténor. Confiée à Peter Rosendal qui joue aussi du piano électrique Wurlitzer, une trompette basse (une octave plus basse que la trompette habituelle) double subtilement le thème puis toujours en compagnie du ténor, ajoute des riffs derrière le solo d‘Henrik Gunde, le très actif pianiste de la séance. Porté par une section rythmique qui a adopté un confortable tempo de croisière, le morceau swingue comme aux plus beaux jours du jazz. Le ténor a repris la main avant de laisser le batteur démarrer le mouvement suivant, un thème riff au tempo encore plus rapide sur lequel Ulrik improvise de courtes phrases mélodiques. Derrière lui, la basse ronronne, la batterie assure un bon vieux ternaire et les claviers chantent. La troisième partie de l’œuvre met en valeur la contrebasse de Kaspar Vadsholt. Trompette basse (flugabone) et saxophone exposent son thème magnifique. C’est au tour du piano d’introduire la partie suivante tout aussi lyrique et captivante, pleine de swing et de souffle. Après une dernière improvisation du ténor, c’est au tour des deux pianistes de dialoguer, de mêler leurs timbres, le batteur mettant un point final à cette suite inspirée.

Pâques : le blogueur Goes to Church

Trois autres plages lui succèdent. L’hymne Min Jesus, lad mit hjerte få, une ballade, fait entendre une mélodie superbe. Le saxophone la décline, le piano la trempe dans un bain harmonique qui lui donne de tendres couleurs. Marilyn Mazur enrichit à nouveau l’espace sonore de ses percussions. Elle fait de même dans The Sacrement / O du Guds Lam, un morceau plus tendu, plus sombre, son thème hypnotique se voyant répété ad libitum. Peter Rosendal s’offre enfin un chorus de trompette basse dont le timbre évoque beaucoup celui du trombone. La tension s’estompe, remplacée par le chant apaisé du soprano. C’est sur ce dernier instrument, en duo avec son pianiste, qu’Hans Ulrik, en état de grâce, achève sa “Suite of Time par un sobre Postludium (postlude) dans lequel il reprend le thème d’ouverture et conclut magnifiquement une œuvre impressionnante.

Pâques : le blogueur Goes to Church

Photos X/D.R.

Partager cet article
Repost0
17 mars 2016 4 17 /03 /mars /2016 10:14
 Ian SHAW “The Theory of Joy” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

Un nouveau disque de Ian Shaw sur le label Jazz Village, voilà une bonne nouvelle. Les jazzmen britanniques ne traversent pas souvent la Manche pour nous rendre visite. On les voit peu, on les connaît mal, bien que certains d’entre eux nous soient familiers. Jamie Cullum qui admire Ian Shaw le considère comme le meilleur chanteur de Grande-Bretagne. Moi aussi. Le Prix du Jazz Vocal de l’Académie du Jazz qui lui échappa de peu en 2006 ne l’empêcha pas de venir chanter au foyer du Châtelet lors de la remise des prix en décembre. Vainqueur cette année-là des BBC Jazz Awards, Shaw se produisit quelques mois plus tard au Sunside. Entièrement consacré au répertoire de Joni Mitchell, “Drawn to All Things” (Linn Records) était la principale cause de cet engouement médiatique. Outre A Case of You et River qu’affectionnent les jazzmen, Shaw reprend une douzaine d’autres chansons de la songwriter canadienne, les habille de couleurs inédites et en donne des versions personnelles. Cette réussite n’empêcha pas le chanteur, célébré dans de nombreux pays, de se faire oublier dans l'hexagone.

 Ian SHAW “The Theory of Joy” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

Après plusieurs albums mal distribués, Ian Shaw fait à nouveau l’actualité avec “The Theory of Joy enregistré l’été dernier avec trois de ses compatriotes. Pianiste très demandé en studio, auteur de plusieurs disques en trio pour Moletone Records, Barry Green sert la voix de Shaw avec beaucoup d’à propos et de finesse. Brillant improvisateur, il se plait à préserver la ligne mélodique des morceaux qu’il interprète, sa parfaite connaissance du vocabulaire du jazz lui permettant aisément de swinguer. Avec lui, la contrebasse solide de Mick Hutton et le drumming précis de Dave Ohm assurent des tempos pneumatiques, un confort qui profite assurément à la musique. Bien entouré, Ian Shaw n’a pas à forcer son talent pour séduire dans un répertoire étonnamment éclectique. Car le chanteur enthousiasme constamment par sa justesse, le parfait placement rythmique de sa voix. You Fascinate Me So que chantait Blossom Dearie bénéficie de cette fluidité et dans Everything que Barbara Streisand popularisa en 1976, Shaw module longuement ses notes, trouve les intonations qui conviennent pour raconter l’histoire que contient la chanson. You’ve Got to Pick a pocket or Two, un des thèmes de la comédie musicale “Oliver ! adaptée à l’écran par Carol Reed, est tout aussi enlevé. De même que In France They Kiss on Main Street de Joni Mitchell, en partie transformé par le quartette. Une autre reprise, The Low Spark of High Heeled Boys du tandem Steve Winwood / Jim Capaldi, hérite aussi d’un nouvel arrangement. On peut toutefois lui préférer la longue version à l’instrumentation plus conséquente qu’en donna Traffic en 1971 dans l’album du même nom.

 Ian SHAW “The Theory of Joy” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

Sobrement chanté dans les deux langues, Ne me quitte pas, en anglais If You Go Away, n’égale pas la version qu’en donna Nina Simone. La voix rauque et plaintive de cette dernière fait la différence bien que Shaw chante avec émotion, ce qu’il fait très bien dans les ballades. Il parvient mieux à convaincre dans Brother, une chanson écrite à la mémoire de son frère Gareth disparu deux ans avant sa naissance. Une autre ballade, une reprise de How Do You Keep the Music Playing composé en 1982 par Michel Legrand pour le film “Best Friends (un tube pour Patti Austin un an plus tard) illumine ce disque, véritable boîte à merveilles. Where Are We Now, un extrait de “The Next Day, album que David Bowie fit paraître en 2013, en reste l’indépassable sommet. Accompagnée par une contrebasse à la sonorité ronde et pleine, un piano lyrique et enveloppant, des tambours caressés, la voix souple et agile de Ian Shaw, une voix de baryton martin, la plus élevée des voix graves, traduit pleinement la nostalgie de cette évocation berlinoise et nous touche profondément.

“The Theory of Joy” est également disponible en double album vinyle comprenant trois titres supplémentaires : Last Man Alive, The Shadow et Born to Be Blue (Mel Tormé).

 

Photos © Tim Francis

Partager cet article
Repost0
10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 09:06
Avec tambour et trompettes

Deux disques de trompettistes sortent simultanément sur ECM. Hommage à son père récemment disparu, celui d’Avishai Cohen est plus émouvant et accessible que celui de Ralph Alessi au lyrisme plus abstrait, à l'approche plus difficile. Les deux albums ont toutefois en commun de réunir le même batteur, Nasheet Waits, et de proposer des paysages mélancoliques envoûtants, une musique modale que Yonathan Avishai et Gary Versace, les pianistes de ces deux séances, font intensément respirer.

 

Ralph Alessi Quartet : “Quiver” (ECM / Universal)

Avec tambour et trompettes

Trompettiste très demandé à New York, Ralph Alessi est un peu mieux connu ici depuis la sortie de “Baida, son premier disque pour ECM en 2013. Un album en duo avec Fred Hersch, un autre plus récemment avec Enrico Pieranunzi mettent enfin en lumière un musicien qui a d’excellents disques mal distribués à son actif. Également enregistré pour ECM, “Quiverreprend la même section rythmique de “Baida, le fidèle Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie. Jason Moran cède toutefois le piano à Gary Versace sans que la musique n’en soit réellement transformée. Moins audacieux, ce dernier donne de l’élégance à ces pièces austères et largement improvisées, des compositions ouvertes, mélancoliques (Window Goodbyes), presque toujours construites sur des tempos lents ou médiums, excepté Do Over, une ritournelle fermant l’album. Énergique dans Scratch, mais souvent utilisée comme un instrument mélodique, la batterie met en avant ses timbres et apporte des couleurs au tissu musical. Comme ses collègues, Nasheet Waits participe pleinement à cette création collective, des compositions signées par Alessi dans lesquelles tous s’expriment et déposent leurs idées. La trompette de ce dernier y tient bien sûr une place prépondérante. Dès Here Tomorrow qui ouvre le disque, elle impose sa sonorité élégante et ronde, cuivrée et travaillée, s’envole sur les accords arpégés du piano. Malgré sa discrétion, Versace reste son interlocuteur privilégié. Il assoit et structure les propositions mélodiques du leader, impose ses choix harmoniques. Il faut attendre Smooth Descent, la troisième plage, pour l’entendre prendre un vrai chorus, le découvrir dans un solo si fluide qu’on le croirait écrit. Pianiste du John Hollenbeck Large Ensemble et du Refuge Trio, mais aussi organiste et accordéoniste au sein du Maria Schneider Orchestra, il pratique un jeu subtil et économe, n’hésite pas dans Heist à détacher chacune de ses notes, à les rendre rêveuses dans Gone Today, Here Tomorrow, pièce abstraite de près de dix minutes qui se tend, se détend, se transforme, et dans laquelle les musiciens rivalisent d’invention.

Ralph Alessi et les musiciens de “Quiver seront au Duc des Lombards le 19 mars (deux concerts, 19h30 et 21h30).

Avec tambour et trompettes

Avishai COHEN : “Into The Silence (ECM / Universal)

Avec tambour et trompettes

Dans ce disque, le premier que le trompettiste Avishai Cohen enregistre sous son nom pour ECM, le musicien virtuose économise ses notes, joue de longues phrases tranquilles et aérées qui ne ressemblent pas à ce qu’il fait d’habitude. Life and Death qui ouvre l’album est une pièce particulièrement émouvante. Munie d’une sourdine, sa sonorité ample et profonde évoquant Miles Davis, la trompette entonne un lamento que le piano complice de Yonathan Avishai habille des tendres couleurs du blues. Inspiré par une écoute obsessionnelle des Préludes et des Etudes de Sergueï Rachmaninov, mais aussi par “Out to Lunch d’Eric Dolphy qu’Avishai avait alors constamment en tête, le répertoire de ce disque, des morceaux qu’Avishai Cohen écrivit dans les six mois qui suivirent la mort de son père en novembre 2014, n’a pas été joué avant son enregistrement au Studio La Buissonne en juillet 2015. La seule répétition que s’accorda le trompettiste fut une mise à plat préalable des thèmes avec Yonathan au piano. La contrebasse d’Eric Revis et la batterie de Nasheet Waits fournissent de pertinents commentaires rythmiques. Avec souplesse, ils ouvrent et distendent le temps, le suggèrent. Modale, mélancolique, la musique est spontanément embellie par des musiciens réactifs qui lui offrent beaucoup d’espace. Jamais tributaire des barres de mesure, elle accueille constamment le silence. Invité inattendu, Bill McHenry double au saxophone ténor le thème de Quiescence, une pièce lente au balancement délicat, une des belles mélodies de l’album. Dans Dream Like a Child son saxophone dialogue brièvement avec la trompette et Behind the Broken Glass lui donne l’occasion de prendre un chorus affirmant son lyrisme. Quant au piano, Yonathan Avishai en caresse délicatement ses notes, en joue peu, les choisit bien et les fait merveilleusement sonner. Que se soit avec la seule section rythmique (surtout dans Dream Like a Child, la trompette réveillant tardivement sa longue méditation poétique) ou en solo dans Life and Death - Epilogue, dernière pièce de l’album, il occupe une place essentielle dans le processus créatif.

Crédits Photos : Ralph Alessi © Lena – Avishai Cohen © Catarina di Perri / ECM Records.

Partager cet article
Repost0
19 février 2016 5 19 /02 /février /2016 08:53
LIGNE SUD TRIO : “Lendemains Prometteurs” (Cristal/H. Mundi)

Toujours associé au bassiste Jannick Top né à Marseille le 4 octobre 1947 et au batteur André Ceccarelli né à Nice le 5 janvier 1946, la présence d’invités transformant souvent Ligne Sud en quartette, le compositeur, arrangeur et chef d’orchestre Christian Gaubert ici au piano, né à Marseille le 29 juin 1944, sort un nouveau disque de jazz épatant. L’une des bonnes surprises de cette nouvelle année.

LIGNE SUD TRIO : “Lendemains Prometteurs” (Cristal/H. Mundi)

Comme un espoir, la seule plage qui réunit le trio, une merveille, donne des ailes à une basse chantante qui répond à un piano élégant invitant au voyage. Christian Gaubert en a signé le thème. Il est l’auteur de la quasi totalité des compositions de cet album solaire et festif. Souvent asymétriques (des mesures à 11 et 7 temps), les rythmes n’empêchent nullement la musique de swinguer. Médiums ou médiums lents de préférence, les tempos lui apportent un balancement confortable. Seule reprise : une relecture inspirée de Green Dolphin Street en quartette. Car deux jeunes souffleurs complètent à tour de rôle la formation. Né à Caen le 10 juillet 1973, Christophe Leloil fait merveille dans les quatre thèmes qui lui sont confiés, sa prestation dans Green Dolphin Street justifiant à elle seule l’achat immédiat de ce disque. Quant à Thomas Savy, né à Paris le 11 novembre 1972, déjà présent dans Lumières Citadines, un des titres du premier album de Ligne Sud publié en novembre 2013, sa clarinette basse illumine un mouvement délicieusement obsédant et l’Humeur changeante qu’il exprime au saxophone soprano n’altère en rien le lyrisme de son chant. Christian Gaubert se réserve également deux plages en solo, l’une d’entre-elles, Mare Nostrum, étant totalement improvisée. On découvre ainsi un pianiste qui exprime avec élégance ses idées mélodiques et renouvelle son attachement au jazz. Christian Gaubert en jouait dans sa jeunesse, à la tête d’un grand orchestre puis d’un trio dont le batteur était Marcel Sabiani. Monté à Paris à l’âge de 21 ans, il devint l’arrangeur de Charles Aznavour. S'il a peu enregistré sous son nom (deux 30cm et de deux 45 tours pour Tréma), il a écrit des chansons pour Nicole Croisille et Mort Schuman, réalisé un disque de tango pour Guy Marchand et arrangé Vieille canaille pour Serge Gainsbourg et Eddy Mitchell. Très actif dans le cinéma, on lui doit les arrangements de très nombreux thèmes de Francis Lai (“Un homme et une femme” et “Vivre pour vivre” notamment), celui de “Love Story” lui faisant gagner un Oscar à Hollywood. Christian Gaubert aime le jazz. Sa longue expérience de compositeur, il la met ici au service d’une musique chère à son cœur. Ses rythmes, ses mélodies chantantes et entêtantes bénéficient d’un écrin qui les rendent inoubliables.

Photo : Didier Fontan

Partager cet article
Repost0
12 février 2016 5 12 /02 /février /2016 09:18
Charles LLOYD & The MARVELS : “I Long to See You” (Blue Note)

Enregistré avec Reuben Rogers à la basse et Eric Harland à la batterie, “I Long To See You”, le nouvel album de Charles Lloyd, célèbre le mariage du jazz, du blues et de la country music américaine. Pas de piano dans ce disque, mais la guitare inspirée de Bill Frisell et la pedal steel enveloppante de Greg Leisz, un vieux complice du guitariste.

Charles LLOYD & The MARVELS : “I Long to See You” (Blue Note)

Charles Lloyd a du sang indien par sa mère et son grand père possédait des terres et une ferme. Bill Frisell est un homme des hautes plaines de la grande Amérique. Il a passé sa jeunesse dans le Colorado, au pied des Rocheuses, ce qui fait que la musique country, omniprésente dans cette région, marque profondément la sienne. Les deux hommes se sont rencontrés en 2013. D’emblée, Lloyd a aimé sa guitare, ses glissandos, sa manière de produire du son avec une grande variété de nuances. Le saxophoniste a souvent croisé des guitaristes. À Memphis, ville dont il est originaire, il a beaucoup fréquenté Calvin Newborn, frère cadet de Phineas, et s’est lié d’amitié avec Al Vescovo, un joueur de pedal steel. Il jouera plus tard avec Gábor Szabó et Robbie Robertson du Band, l’orchestre de Bob Dylan dont il reprend ici Masters of War, son ténor se voyant porté par les nappes sonores des guitares. Il fréquentera aussi Roger McGuinn, le leader des Byrds, groupe qui comme le sien dans les années 60, étalait ses morceaux, longues et féériques explorations modales permettant l’accès des temples du rock.

Plus tard encore, Charles Lloyd engagera le guitariste John Abercrombie pour ciseler ses morceaux (Hymn to the Mother) et les pièces traditionnelles qu'il affectionne. Mais c'est ici Bill Frisell qui se charge de ce travail. Lloyd ne chôme pas. Son saxophone enroule ses notes au vibrato très ample sur la belle mélodie de Shenandoah, un grand classique de la musique folklorique américaine, sur celle de All My Trials, une délicieuse berceuse des Bahamas. Il fait de même dans La Llorona, une vieille chanson mexicaine longuement introduite par les seules guitares. Lloyd la joue dans “Mirror”, un disque ECM de 2010. Car avec ce groupe, The Marvels (Les Prodiges), Charles Lloyd revient sur d’anciennes compositions ou sur des morceaux qu’il a précédemment enregistrés. Joué à la flûte alto, Of Course, Of Course apparaît sur un album Columbia de 1965 et Sombrero Sam, que Lloyd aborde également à la flûte, figure en bonne place dans “Dream Weaver”, un disque Atlantic de 1966. “I Long To See You” renferme aussi une nouvelle version de You Are So Beautiful, un thème de Billy Preston que Joe Cocker immortalisa en 1974. “Lift Every Voice”, l’un des plus beaux albums ECM du saxophoniste le contient. Lloyd le confie ici à Norah Jones qui le chante honorablement. Également invité, Willie Nelson contribue à une bonne version de Last Night I Had the Strangest Dream, chanson antimilitariste qu'Ed McCurdy écrivit en 1950.

Longue pièce improvisée de plus de seize minutes, Barché Lamsel, une prière bouddhiste, conclut l’album. Accompagné par les guitares, Charles Lloyd joue sa partie lente, une alap, au ténor. La rythmique rentre progressivement et avec elle s’amorce l’ahora, la partie ascendante du raga. Lloyd l’introduit à la flûte, improvise sur une échelle de notes dont s’empare la guitare de Frisell. Il repasse au ténor lorsque le rythme accélère. Basse et batterie portent une musique hypnotique et fiévreuse. On songe avec nostalgie aux grandes heures de la musique psychédélique, au Dark Star des Grateful Dead, à The End des Doors, à Eight Miles High des Byrds dont les grandes envolées lyriques continuent à faire rêver.

Charles LLOYD & The MARVELS : “I Long to See You” (Blue Note)
Partager cet article
Repost0
26 janvier 2016 2 26 /01 /janvier /2016 08:18
Sorties tardives

Publiés peu avant les fêtes, ces deux albums n’ont pas bénéficié de chroniques. Le manque de temps, la mise en sommeil de ce blog en ont retardé l’écriture. Heureusement pour eux, peu de disques paraissent en janvier. Je peux donc vous en livrer mes commentaires enthousiastes.

Frédéric BOREY : “Wink” (Fresh Sound New Talent / Socadisc)

Sorties tardives

C’est en 2012 que j’ai découvert Frédéric Borey, l’année de son installation à Paris. Originaire de Belfort, professeur de saxophone à Bordeaux, il avait déjà enregistré plusieurs albums, lorsque “The Option” (Fresh Sound New Talent) parvint à mes oreilles. Je repérai un compositeur habile, un saxophoniste maîtrisant parfaitement ses instruments (ténor, soprano et alto). Dans “Wink”, point de compositions originales, mais un réel travail d’arrangeur, un souci constant de la forme dont bénéficient les standards, parfois méconnaissables, qu’il reprend, des œuvres de George Gershwin, Cole Porter (Get Out of Town), Bill Evans (Blue in Green) et quelques autres. Le guitariste Michael Felberbaum et le pianiste Leonardo Montana se partagent des chorus, mais c’est surtout le saxophone (ténor exclusivement), parfois doublé par la guitare dans l’exposition des thèmes, qui enthousiasme. Frédéric utilise des anches très dures, et joue sur un vieux Selmer de 1940. Est-ce l’écoute attentive de Joe Henderson, Stan Getz et Dexter Gordon qui a modelé sa sonorité ? J’aime le son suave et moelleux, doucettement mélancolique qu’il fait entendre dans Witchcraft, celui lyrique à souhait de sa relecture de My Man’s Gone Now. Affectionnant les tempos lents et médiums, il possède avec Yoni Zelnik à la contrebasse et Fred Pasqua à la batterie une section rythmique capable de swinguer efficacement. Elle le fait avec bonheur dans Our Love is Here to Stay et dans une reprise tonique de Boplicity. Négligeant les standards, les jazzmen se croient aujourd’hui obligés de remplir leurs albums de leurs compositions. Frédéric Borey fait ici le contraire et on ne peut que l’applaudir.

Enrico PIERANUNZI : “Proximity” (Cam Jazz / Harmonia Mundi)

Sorties tardives

Après deux albums en trio avec Scott Colley (contrebasse) et Antonio Sanchez (batterie) et un beau disque en duo avec le guitariste Federico Casagrande en 2015 (“Double Circle”), Enrico Pieranunzi change de partenaires et enregistre sans batteur avec un quartette américain. Deux souffleurs, Ralph Alessi à la trompette, au cornet et au bugle et Donny McCaslin aux saxophones ténor et soprano et la contrebasse, l’accompagnent. La contrebasse de Matt Penman s’ajoute à la formation pour assurer quelques chorus mélodiques, structurer une musique rythmiquement très libre. L’album s’ouvre sur un morceau particulièrement chantant dont le pianiste romain détient le secret. Dédié à Lee Konitz, un thème de bop tristanien introduit Sundays et sa mélodie aérienne que les musiciens reprennent à tour de rôle, Enrico sortant de son piano des notes trempées de miel. Il fait de même dans Within the House of Night, un thème exquis que déclinent avec tendresse le ténor et le bugle. Jouée au piano, une mélodie très simple et très belle accompagne leur dialogue. Mais avec eux, le pianiste renouvelle aussi son répertoire. Si les ballades sont nombreuses, les morceaux de bravoure le sont également dans la seconde partie du disque. Avec Proximity une composition de forme choral, les quatre hommes prennent des risques, plongent la musique dans un grand bain de dissonances. Le Maestro étonne par sa virtuosité espiègle dans Simul, un duo avec la trompette d’Alessi dont il assure la cadence. Five Plus Five qui conclut l’album ressemble à un thème d’Ornette Coleman. Sa ritournelle suffit à inspirer aux musiciens des improvisations abstraites mais toujours cohérentes.

Photo Frédéric Borey © Gildas Boclé

Partager cet article
Repost0
23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 15:02
Photo X/D.R.

Photo X/D.R.

Une année piano bien sûr. L’instrument me comble. Il se suffit à lui-même, remplace tout un orchestre. Les disques que Stanley Cowell, Bruno Angelini, Keith Jarrett et Brad Mehldau ont publiés cette année sont des pianos solos inoubliables, des sommets de leurs discographies. Pianistes à découvrir, Giovanni Guidi et Nick Sanders (son premier album, “Nameless Neighbors”, fut l’un de mes treize Chocs 2013) ont préféré s’exprimer en trio. De même que Michael Wollny, récipiendaire l’an dernier du Prix du Jazz Européen décerné par l’Académie du Jazz. Quant à John Taylor disparu en juillet, son disque inclassable et en quartette nous le fait encore plus regretter. Accompagnateur de Cécile McLorin Salvant dont je préfère l'opus précédent, le pianiste Aaron Diehl révèle son talent d’arrangeur dans Space Time Continuum, son piano s’accommodant très bien des saxophones de Benny Golson et de Joe Temperley. Car le jazz se joue aussi avec d’autres instruments. Les voix de Melody Gardot et de David Linx, le saxophone alto de Géraldine Laurent, la contrebasse du défunt Charlie Haden n’ont pas été oubliés.

 

Des regrets, j’en ai chaque année. Difficile de sélectionner 13 disques, de faire un choix. “Blue Interval” du pianiste suedois Magnus Hjorth pour son swing élégant et la finesse de son toucher, “Solo” de Fred Hersch pour sa version admirable de Both Side Now, “Break Stuff” de Vijay Iyer, l’un de ses meilleurs albums malgré une prise de son qui met trop en avant son piano, “Colors” du bassiste Diego Imbert qui nous enchante en quartette, “Essais / Volume 1” de Pierre de Bethmann harmonisant avec son trio un matériel thématique inhabituel (son Pull Marine donne des frissons), méritaient de figurer dans mon palmarès. En citer d’autres serait fastidieux. Je vous confie mes 13 Chocs 2015. Faites en bon usage. Bonnes fêtes à tous et à toutes.  

 

Onze nouveautés…

Bruno ANGELINI : “Leone Alone” (Illusions / www.illusionsmusic.fr)

Chronique dans le blog de Choc du 17 novembre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Une grande année pour Bruno Angelini, auteur de deux disques enthousiasmants. Enregistré en quartette avec Régis Huby aux violons, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Edward Perraud à la batterie et aux percussions, “Instant Sharings” aurait très bien pu figurer dans ce palmarès. Je lui ai préféré “Leone Alone” dans lequel Bruno Angelini au piano, avec parfois de discrètes boucles de Fender pour accentuer l’aspect onirique de sa musique, revisite les musiques qu’Ennio Morricone composa pour “Giu La Testa” (“Il était une fois la révolution”) et “Il Buono, Il Brutto, Il Cattivo” (“Le bon, la brute et le truand”), deux films de Sergio Leone. Imaginées par un pianiste au toucher délicat et sensible, les improvisations minimalistes aux harmonies colorées de cet album relèvent de l’essentiel.

Stanley COWELL : “Juneteenth” (Vision Fugitive / Harmonia Mundi)

Chronique dans le blog de Choc du 22 septembre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Réduction pour piano d’une longue pièce pour orchestre symphonique, chœur et électronique, “Juneteenth” (contraction de June Nineteenth en souvenir du 19 juin 1865, jour de l’abolition de l’esclavage dans l’état du Texas), décrit la lutte des afro-américains pour l’obtention de leurs droits civiques. Pour en raconter l’histoire, Stanley Cowell adopte un jeu sobre, fait entendre un piano trempé dans des musiques authentiquement américaines. Le blues, le gospel y sont omniprésents. Le jazz y montre ses origines, déploie ses couleurs et sa modernité. Un écho lointain du célèbre We Shall Overcome introduit l’album. Une relecture spontanée et d’une durée réduite de la Juneteenth Suite le clôture. Considéré comme une œuvre essentielle du patrimoine musical américain par le New York Times, il est bien sûr indispensable.

Aaron DIEHL :

“Space Time Continuum” (Mack Avenue / Harmonia Mundi)

Chronique dans le blog de Choc du 19 octobre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Conçu comme une suite, “Space Time Continuum” met en évidence les qualités d’arrangeur d’Aaron Diehl. Sa section rythmique – David Wong à la contrebasse et Quincy Davis à la batterie – se voit parfois complétée par de jeunes espoirs (le trompettiste Bruce Harris, la chanteuse Charenee Wade) mais aussi par des vétérans de l’histoire du jazz : les saxophonistes Benny Golson et Joe Temperley tous les deux nés en 1929. Laissant beaucoup ses musiciens s’exprimer, le pianiste intervient toujours à bon escient, relance et commente la musique. Il préfère les tempos vifs et ternaires, les notes économes trempées à même le swing. Son piano élégant chante et enchante dans un disque très réussi.

Melody GARDOT : “Currency of Man” (Decca / Universal)

Chronique dans le blog de Choc du 15 juillet

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Conseillé par Maxime Le Guil, son ingénieur du son Melody Gardot et ses musiciens ont enregistré ce disque dans les conditions du direct, à l’ancienne, avec de vieux magnétophones analogiques, de vieux micros et des amplis à lampes. Les musiciens jouent souvent avec un léger retard sur le temps, ce qui donne à la musique la coloration soul de Philadelphie, la ville natale de la chanteuse. Les plages groovy, bénéficient de choristes, d’un orgue (Larry Goldings), de cuivres arrangés par Jerry Hey. Des morceaux funky aux basses puissantes profitent de leurs riffs, chantent et pleurent le blues. Arrangés par Clément Ducol, les cordes apportent un aspect romantique aux ballades nombreuses de l’album, les rendent élégantes et rêveuses. Produit par Larry Klein, mélange heureux de jazz, de soul, de blues et de gospel, “Currency of Man” reste le meilleur album d’une chanteuse incontournable.

Giovanni GUIDI : “This Is The Day” (ECM / Universal)

Chronique dans le blog de Choc du 21 avril

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Enregistré avec Thomas Morgan qui affirme à la contrebasse un ample jeu mélodique et le batteur portugais João Lobo, tous deux présents dans “City of Broken Dreams” son disque précédent, Giovanni Guidi découvert chez Enrico Rava nous livre un album fort convaincant. Préférant éviter les tempos rapides – abstrait et dissonant, The Debate est une exception –, le pianiste privilégie ici les pièces modales et lentes qui mettent en valeur son toucher. La dynamique, la résonance, la durée de chaque note lui importent beaucoup. Influencé par la musique romantique, il apprécie les arpèges, les cascades de trilles. Jouées avec finesse et sensibilité, ses mélodies évidentes interpellent. Les quelques standards qu’il reprend confirment son enracinement dans le jazz et la valeur de son piano.

Keith JARRETT : “Creation” (ECM / Universal)

Chronique dans le blog de Choc du 25 mai

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Les meilleurs moments de six concerts que Keith Jarrett donna en solo entre avril et juillet 2014. Des pièces enregistrées à Tokyo, Toronto, Paris et Rome que le pianiste a numérotées de I à IX et placées dans un ordre précis, partant de la première pour sélectionner les huit suivantes et constituer une suite. Adoptant un jeu plus sobre que d’habitude, Jarrett soigne l’architecture sonore de ses morceaux, fait sonner son piano comme le bourdon d’une cathédrale (Part VI et IX) et parvient à donner une réelle unité à ces pièces lentes, introspectives, drapées d’austérité, malgré une acoustique et un piano différent à chaque concert. Le 9 mai (Part V), il offre aux japonais de Tokyo une des grandes pages lyriques de cet album qui progressivement tend vers la lumière. À la noirceur de la première plage fait pendant la blancheur lumineuse de la dernière, majestueux crescendo de notes chatoyantes qui progressent et se hissent au delà des nuages pour retrouver le ciel. Le meilleur disque en solo de Keith Jarrett depuis “Radiance” (octobre 2002), également enregistré au Japon.

Géraldine LAURENT : “At Work” (Gazebo / L’Autre Distribution)

Chronique dans le blog de Choc du 26 octobre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Produit par Laurent De Wilde, enregistré dans les studios Vogue de Villetaneuse, “At Work” réunit six compositions originales et trois standards dont deux classiques du bop, Epistrophy de Thelonious Monk et Goodbye Porkpie Hat de Charles Mingus. Une nouvelle aventure pour Géraldine Laurent, musicienne au jeu d’alto énergique dont le (presque) nouveau quartette – Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie) et Paul Lay (piano) – fait déjà sensation. Musicien cultivé, ce dernier éblouit par sa capacité à imaginer et à enrichir la musique par des dissonances, des accords altérés, des clusters qui la rendent singulièrement vivante. Quant à Géraldine, le jazz qu’elle joue est bel et bien moderne, en phase avec son époque, même si sa musique prend racine dans les années 50 et 60, lorsque Charlie Parker, Johnny Hodges, Paul Desmond, Stan Getz et Sonny Rollins soufflaient encore dans leurs binious.

LINX • FRESU • WISSELS / HEARTLAND :

“The Whistleblowers” (Bonsaï / Tŭk Music / Harmonia Mundi)

Chronique dans le blog de Choc du 24 novembre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Quinze après “Heartland”, disque qui réunissait David Linx, Paolo Fresu, Diederick Wissels, un quatuor à cordes et une section rythmique (Palle Danielsson et Jon Christensen), l’aventure continue avec un nouvel album encore plus fort. Christophe Wallemme (contrebasse) et Helge Andreas Norbakken (batterie) en constituent désormais la rythmique, les cordes, présentes dans cinq des treize plages de cet opus mémorable, se voyant confiées au Quartetto Alborada. Véritable florilège de mélodies qu’habillent les arrangements raffinés de Wissels et de Margaux Vranken (As One), “The Whistleblowers” (« Les donneurs d’alerte ») met du baume au cœur. David Linx a signé les paroles et la musique de ce morceau espiègle et sautillant. Il chante Le Tue Mani, une ballade, en italien. Les ballades, nombreuses, lui donne l’occasion de franchir les octaves. Paolo Fresu assure les obbligatos et prend des chorus aériens. Un must tout simplement.

Nick SANDERS Trio : “You Are A Creature” (Sunnyside / Naïve)

Chronique dans le blog de Choc du 9 avril

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Deuxième disque de Nick Sanders, “You are a Creature” se révèle encore plus fascinant et étrange que “Nameless Neighbors”, l’un des treize Chocs 2013 de ce blog de Choc. Car ce pianiste ne joue pas du piano comme les autres et sa musique ne cherche pas à plaire. Possédant une culture harmonique très développée, Sanders a subi l’influence de Thelonious Monk et de Ran Blake dont il fut l’élève. Fred Hersch, qui fut aussi son professeur a produit ses deux albums. Abstraites et dissonantes, ses compositions n’en sont pas moins structurées, ses miniatures à tiroir, souvent des ritournelles, étant le fruit d’additions, de soustractions, de mises entre parenthèses, de notes fantômes et suggérées. Adoptant une liberté métrique qui libère son phrasé, sa main gauche souple et mobile, Henry Fraser (contrebasse) et Connor Baker (batterie), ses condisciples au New England Conservatory of Music de Boston, comblent les vides et remplissent les silences qui font partie de sa musique.

John TAYLOR : “2081” (Cam Jazz / Harmonia Mundi)

Chronique dans le blog de Choc du 12 octobre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Commandée à John Taylor pour le Cheltenham Jazz Festival et enregistrée par un quartette à l’instrumentation inhabituelle – piano, voix, tuba, batterie –, la musique de ce disque illustre une nouvelle de l’écrivain américain Kurt Vonnegut Jr. publiée en 1961. Confié à Oren Marshall, un tuba rythme la partition et s’offre plusieurs chorus mélodiques, mais loin d’évoquer les débuts du jazz et ses fanfares, la musique reste résolument contemporaine avec un piano qui privilégie l’harmonique, met en valeur les mélodies mélancoliques de John et les textes d’Alex, un des fils du pianiste qui se charge aussi des parties vocales de cet opéra de poche inclassable, un mélange de jazz et de folk-rock typiquement britannique. Un autre fils de John, Leo, assure la batterie, enveloppe les compositions de son père dans des rythmes binaires qu’il rend souples et légers.

Michael WOLLNY “Nachtfahrten” (ACT / Harmonia Mundi)

Chronique dans le blog de Choc du 24 novembre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Après “Weltentraum” publié l’an dernier, Michael Wollny poursuit ses recherches esthétiques avec “Nachtfahrten” (“Trajets de nuits”), son nouvel opus, et nous surprend par un répertoire éclectique beaucoup plus sombre que celui de ses disques précédents. Enregistré avec le bassiste suisse Christian Weber et Eric Schaefer, son batteur habituel dont la puissante grosse caisse est souvent mise en avant, il rassemble des compositions originales parfois teintées de romantisme, des improvisations collectives mélancoliques, des musiques de Bernard Herrmann (“Psychose”) et d’Angelo Badalamenti (“Twin Peaks”), une ballade de Guillaume de Machaut et une composition de Chris Beier avec lequel Wollny étudia au conservatoire de Würzburg. Quatorze pièces brèves toutes chargées d’atmosphère, le pianiste affectionnant les morceaux en mineur, les tempos lents, les ambiances inquiétantes, la lumière se cachant derrière les ombres, le grand noir de la nuit que célèbre ici la musique.

… Et deux inédits :

Charlie HADEN - Gonzalo RUBALCABA :

“Tokyo Adagio” (Impulse ! / Universal)

Chronique dans le blog de Choc du 15 juin

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Nous sommes en 2005 et Gonzalo Rubalcaba et Charlie Haden se produisent au Blue Note de Tokyo. Le pianiste a canalisé sa fougue et les combinaisons d’accords, de couleurs, le préoccupent bien davantage que le rythme. La musicalité de “Tokyo Adagio”, un grand disque, en témoigne. Sa prise de son met en valeur la sonorité brillante d’un phrasé fluide qui détache toutes les notes de Solamente Una Vez, une célèbre chanson d’Agustín Lara. Le tempo est très lent. Depuis longtemps au répertoire du Liberation Music Orchestra, Sandino est tout aussi recueilli. Sollicitant le registre grave et médium de sa contrebasse, Haden cale son tempo infaillible sur les lignes de blues de When Will the Blues Leave d’Ornette Coleman et laisse son complice improviser. Il se réserve pour My Love and I, un thème de David Raksin, une de ses mélodies préférées, et semble mettre toute son âme dans les notes que font vibrer ses cordes.

Brad MEHLDAU “10 Years Solo Live” (Nonesuch / Warner)

Chronique dans le blog de Choc du 14 décembre

Chocs 2015 : 13 disques très regardés

-Dix-neuf concerts au sein desquels Brad Mehldau a extrait 32 morceaux en solo enregistrés sur dix ans. Un coffret de 4 CD(s) les contient, chacun d'eux possédant sa propre thématique. Brad isole souvent une séquence, le refrain ou le thème secondaire d’un morceau. Il peut en ré-harmoniser la mélodie ou longuement la développer, la conduire ailleurs. Dans une même plage cohabite ainsi tension et détente, les notes chantantes d’un thème pouvant se liquéfier en nappes sonores grondantes. “Dark / Light”, le premier disque fait alterner pièces sombres et moments de grâce. And I Love Her, une délicieuse mélodie des Beatles en est la pièce maîtresse. Le second reflète un concert type de Brad Mehldau en 2010-2011. Il emprunte alors ses thèmes à Nirvana, Massive Attack et Radiohead. L’amateur de jazz se rassurera avec le troisième qui comprend des compositions de Bobby Timmons, John Coltrane et Thelonious Monk. Éclectique, le pianiste ajoute aussi à son répertoire des mélodies du Pink Floyd (Hey You) des Beach Boys (God Only Knows) et de Léo Ferré (La Mémoire et la mer) Tous ces morceaux, Brad les développe et les transcende, se les approprie par son piano. Le miracle du jazz !

Partager cet article
Repost0
14 décembre 2015 1 14 /12 /décembre /2015 09:35
Coffrets forts

Une sélection de coffrets pour les fêtes. Ceux consacrés à Joe Castro (“Lush Life”) et à Erroll Garner (“The Complete Concert by the Sea”) ont fait l’objet de papiers dans ce blog. Vous en retrouverez facilement les chroniques grâce à son moteur de recherche. Celle que je consacre à Brad Mehldau est beaucoup plus longue que mes brèves sur Weather Report, Duke Ellington et la compilation “Jazz From America On Vogue”, mais j’aime trop ces inédits du pianiste pour ne pas leur consacrer une étude. Ces chroniques sont les dernières de l’année avant mes « Chocs de l’année » et la mise en sommeil de ce blog jusqu’à la mi-janvier. Patience...

Brad MEHLDAU : “10 Years Solo Live” (Nonesuch / Warner)

Coffrets forts

Un cadeau inestimable pour les uns, une musique surchargée de notes et d’une portée limitée pour les autres, les avis semblent partagés sur ce coffret de 4 CD(s) renfermant 32 pièces en solo enregistrées sur dix ans. Après avoir réécouté 40 de ses concerts, Brad Mehldau en a conservé dix-neuf au sein desquels il en a extrait ses morceaux. Il les a alors placés dans un ordre précis afin d’organiser chaque disque comme une suite, chacun d'eux possédant sa thématique.

Intitulé “Dark / Light”, le premier fait alterner pièces sombres et moments de grâce. Dans un même morceau peut aussi cohabiter tension et détente, obscurité et lumière. And I Love Her, une délicieuse et célèbre mélodie de Lennon / McCartney bénéficie de l’harmonisation splendide de son refrain. Brad isole souvent une séquence, quelques notes d’un morceau. Il peut longuement les développer ou tout aussi bien choisir d’en jouer très simplement la mélodie pour nous en révéler la beauté. Après cinq bonnes minutes, And I Love Her se transforme. Le pianiste ajoute des notes, les multiplie, adopte un jeu dur, percussif. La main gauche fait tourner un motif mélodico-rythmique obsessionnel. La droite épuise le thème jusqu’au vertige, jusqu’à le liquéfier en nappes sonores longtemps grondantes.

Le programme du second disque reflète fidèlement un concert type de Brad Mehldau en 2010-2011. La version qu’en donne Tori Amos lui a donné envie de reprendre Smells Like Teen Spirit de Nirvana. Il en martèle les notes pour les rendre hypnotiques. Brad qui a baigné dans le rock des années 90 emprunte alors ses thèmes à Massive Attack (Teardrope), Stone Temple Pilots (Interstate Love Songs) et Radiohead, des groupes que l’amateur de jazz ne connaît pas toujours bien. Composé par les musiciens de Radiohead, Jigsaw Falling into Place trouve ainsi sa place dans le CD1. Quant à Knives Out, le pianiste nous en livre deux versions. Dans la première riche en appoggiatures, la mélodie émerge de basses profondes inépuisablement martelées. Plus concise, la seconde met à rude épreuve les doigts de sa main gauche qui assure les basses d’un ostinato destiné à accompagner la mélodie.

Coffrets forts

S’offrant quelques incursions dans le blues (This Here de Bobby Timmons), Brad repense aussi des standards (I’m Old Fashioned), convie John Coltrane et Thelonious Monk à nourrir son piano. Contenant des morceaux plus courts, les plus anciens de ce coffret, le CD3 offre des versions de Countdown, Think of One et Monk’s Mood. Le pianiste ajoute aussi à son répertoire éclectique des mélodies de la pop music des années 60 et 70. Outre Blackbird des Beatles qu’il joue souvent, Hey You un extrait de “The Wall”, un disque phare du Pink Floyd, inspire ses improvisations. Brad le charge de notes jusqu’à la démesure après en avoir fait chanter le thème.

Hey You est un des six morceaux de “E Minor / E Major”, le 4ème CD du coffret, des enregistrements de 2011 pour la plupart. L’“Intermezzo en mi mineur opus 119” de Johannes Brahms mis à part, les pièces sont longues et témoignent de l’imagination inventive du pianiste. Les flots de notes qui vont et viennent dans sa version admirable de La mémoire et la mer (Léo Ferré) donnée à Paris à la Cité de la Musique traduisent l’incessant roulis des vagues, le grondement de leurs flots tempétueux. Composée par The Verve et également crédité au tandem Jagger / Richards à la suite d’un long procès, l’hypnotique Bitter Sweet Symphony débouche sur une des plus belles mélodies de Ray Davies, le leader des Kinks, celle de Waterloo Sunset. Quant à God Only Knows, une des merveilles que Brian Wilson écrivit pour les Beach Boys, Brad lui confère une architecture sonore aussi grandiose que complexe. Car s’il a enregistré de remarquables morceaux en trio, c’est bien en solo, lorsqu’il est seul aux commandes de sa musique que Brad Mehldau, concertiste iconoclaste, romantique et fougueux, innove réellement. Une somme pianistique aussi essentielle que les “Sun Bear Concerts” de Keith Jarrett ? L’avenir le dira, mais plusieurs écoutes attentives me le font déjà penser.

WEATHER REPORT : “The Legendary Live Tapes : 1978-1981”

(Columbia Legacy / Sony Music)

Coffrets forts

Les admirateurs de Weather Report vont se réjouir de ces inédits enregistrés lors de concerts du groupe en quartette en 1978, en quintette en 1980 et 1981, Robert Thomas Jr. (percussions) ayant rejoint la formation. Outre Joe Zawinul (claviers) et Wayne Shorter (saxophones), Weather Report compte alors dans ses rangs Jaco Pastorius, qui donne ses lettres de noblesse à la basse électrique et un jeune batteur (24 ans en 1978) : Peter Erskine. C’est à lui que nous devons ce coffret. Il en a sélectionné les bandes et rédigé les textes du livret. Largement emprunté à “Black Marquet”, “Heavy Weather” et “Night Passage”, le répertoire de ces quatre CD(s) offre des versions souvent très différentes des morceaux réalisés en studio. Moins sophistiqué, le matériel thématique se voit ainsi transformé par l’énergie du groupe, les longs et flamboyants chorus de Shorter, la virtuosité et la musicalité de Pastorius alors au meilleur de sa forme.

Duke ELLINGTON : “The Columbia Studio Albums Collection 1959-1961”

(Columbia Legacy / Sony Music)

Coffrets forts

Bien enregistrées, les œuvres que Duke Ellington imagina pour Columbia comptent de nombreux chefs-d’œuvre. Après un premier coffret en 2012 couvrant la période 1951-1958, Sony Music en réédite un second. Dix CD(s) accompagnés d’un livret dont la lecture est beaucoup plus facile que les pattes de mouche du dos des pochettes originales qui ont été réduites. On y entend Ellington en trio avec Aaron Bell (contrebasse) et Sam Woodyard (batterie) dans le légendaire “Piano in the Foreground”, en moyenne formation dans une “Unknown Session” de 1960 qui ne vit le jour qu’en 1979. Mais le plus souvent, signant des pages fondamentales de l’histoire du jazz, le Duke dirige son grand orchestre au sein duquel officiaient alors Johnny Hodges (Saxophone alto), Paul Gonsalves (saxophone ténor) et Harry Carney (saxophone baryton). Outre la musique du film d’Otto Preminger “Anatomy of a Murder” (“Autopsie d’un meurtre”) et le fameux “First Time”, rencontre au sommet des formations d’Ellington et de Count Basie, ce coffret indispensable contient aussi “Ellington Jazz Party” disque dans lequel plusieurs percussionnistes s’ajoutent à l’orchestre et colorent magnifiquement sa musique.

“Jazz From America On Vogue” (Vogue / Sony Music)

Coffrets forts

Ce bel objet réunit en 20 CD(s) une quarantaine de disques publiés à l’origine par des labels américains. À l’exception des “New Orleans Memories” de Jelly Roll Morton qui fut édité en 30cm, les disques Vogue qui en possédaient les licences pour le marché français les publia en 25cm ou en 45 tours, mélangeant et compilant des enregistrements, s’autorisant des montages inédits afin de les faire découvrir à un large public. Les disques que contient ce coffret reflète le réel souci d’éclectisme de Vogue qui proposait sur son label du jazz classique avec des faces d’Art Tatum, de Sidney Bechet, Kid Ory ou de Meade Lux Lewis, mais aussi de jeunes boppers qui inventaient un autre jazz, à commencer par Charlie Parker (matériel d’origine Dial), mais aussi Miles Davis alors sous contrat avec Blue Note, comme l’étaient Bud Powell et Thelonious Monk présents dans cette sélection. Une licence passée avec les disques Pacific Jazz permit également à Vogue de faire connaître à l’amateur de jazz français Chet Baker et Gerry Mulligan dignes représentants d’un jazz West Coast émergeant. Souvent dessinées par Pierre Merlin, la reproduction des pochettes originales est l’autre attrait de ce coffret préparé par Daniel Richard et François Lê Xuân, coffret dont Alain Tercinet a rédigé les notes pertinentes d’un copieux livret de 52 pages.

Photos Brad Mehldau © Michael Wilson

Partager cet article
Repost0