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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 10:03
Kris BOWERS : “Heroes + Misfits” (Concord / Universal)

Perméable à de nombreux styles musicaux, ce premier disque captive de bout en bout, ce qui n’est pas banal. Kris Bowers puise allégrement dans la soul et le hip hop, provoque la surprise en variant sans cesse ses orchestrations. Arrangé avec soin, son disque fourmille de bonnes idées, de mélodies attachantes. Stevie Wonder aurait pu signer celle de Wonderlove, un thème digne de ses grands albums des années soixante-dix. Kris a baigné dans cette musique, celle de ses parents qui appréciaient aussi Marvin Gaye et Earth, Wind and Fire. Mais Kris Bowers est aussi un remarquable pianiste. En 2011, il remportait la prestigieuse Thelonious Monk International Jazz Piano Competition devant un jury comprenant Herbie Hancock, Jason Moran, Danilo Pérez et Renee Rosnes. S’il prend bien sûr quelques chorus, affiche un lyrisme, une facilité insolente à faire chanter l’instrument, il laisse beaucoup s’exprimer les musiciens qui l’entourent. Jouée par Adam Agati, une guitare électrique branchée sur des pédales d’effets occupe ainsi l’espace sonore de Wake the Neighbors, un des nombreux morceaux à tiroirs de l’album. Casey Benjamin et Kenneth Whalum se partagent les saxophones et plusieurs plages en bénéficient. Chris Turner, José James et Julia Easterlin assurent les parties vocales. Chanté par cette dernière, Forget-er fait penser à du Björk. Avec ferveur, José James plonge Ways of Light dans un bain de gospel. Soutenu par une section rythmique très souple privilégiant groove et rebonds, Burniss Earl Travis II à la basse électrique et Jamire Williams à la batterie, Kris Bowers utilise divers claviers. Piano acoustique, Fender Rhodes, synthétiseurs offrent une large palette de couleurs à ses compositions, les instrumentaux du disque se révélant très cinématographiques. A New York, à la Julliard School, le pianiste s’était aussi spécialisé dans la composition de musique de films. Avec une équipe réduite, le re-recording permettant de doubler les voix, de multiplier les saxophones, il parvient ainsi à créer une bande-son aux climats variés et inattendus. On ne sait jamais ce qu’il va advenir d’un morceau. Il bifurque, redémarre avec une mélodie nouvelle, hérite d’autres rythmes, fait de grands écarts. La surprise est totale. Cet album qui s’ouvre sur des gazouillis d’oiseaux mérite mieux que les quelques lignes négatives que lui consacre Jazz Magazine / Jazzman. Il est recommandé de l’écouter fort. Le choc en est d’autant plus grand.

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18 février 2014 2 18 /02 /février /2014 09:10
Jazz : the French Touch

Quelques disques made in France pour changer, se démarquer de bien tristes Victoires de la Musique. Du jazz de qualité que l’on doit à de jeunes musiciens qui demain assureront la relève. Des coups de cœur au sein d’une production pléthorique et inégale. Le meilleur, c’est aussi Nicolas Folmer qui nous l’offre. Grâce à Daniel Humair et les musiciens du groupe épatant qui l’entourent. Daniel qui n’est plus un jeunot impressionne par sa capacité de renouvellement. Avec lui, la musique de Nicolas s’ouvre sur tous les possibles et c’est tant mieux. Le jazz bouge, changez vos habitudes.

Jazz : the French Touch

Flash Pig : “Remain Still” (Plus Loin Music / Abeille Musique)

Flash Pig : Drôle de nom pour un groupe. La pochette, très rock’n’roll, n’est pas non plus terrible. Ce ne pourrait être qu’un disque de plus, un de ceux que l’on range dans la pile d’un placard, tout en haut d'une étagère. Une fois ôté le film plastifié qui le recouvre, un texte de Pierre de Bethmann qui donne envie de l’écouter s'offre à la lecture. Pierre, un excellent pianiste dont j’ai du mal à pénétrer la musique ne tarit pas d’éloges : « Avec un son d’une rare cohérence, les quatre musiciens savent guider comme dérouter, rassurer comme surprendre, affirmer comme suggérer, ensemble avant tout. » Un trop plein de dithyrambes me rend méfiant. Néanmoins j’écoute et découvre un quartette proposant une musique parfaitement cohérente, des compositions originales bien arrangées, du jazz moderne et ouvert qui ressemble à du jazz, chose rare aujourd’hui. Le groupe s’articule autour des frères Sanchez, Maxime et Adrien, des jumeaux. Maxime tient le piano et compose la plupart des thèmes, des mélodies accessibles à des oreilles de toutes tailles. Reprendre le thème de Tintin (celui de la série d’animation télévisée de 1991), lui apporter swing et chorus est une formidable idée. Adrien joue du saxophone alto et fait chanter de bien belles histoires à son instrument. Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie complètent avec bonheur une formation mature dont la musique, influencée par le jazz qui couvre les années 60 à nos jours, reste néanmoins personnelle.

Jazz : the French Touch

Nicolas Folmer : “Sphere” (Cristal / Harmonia Mundi)

Nicolas Folmer aime les rencontres et la scène est pour lui un espace de jeu et de liberté propice à la création. Après avoir rejoint le quintette de René Urtreger et invité Bob Mintzer à enregistrer un disque avec lui au Duc des Lombards, le trompettiste travaille depuis 2012 avec Daniel Humair, musicien qui refuse le confort et apprécie les situations inédites. Avec Laurent Vernerey à la contrebasse, le batteur offre au groupe une section rythmique d’une rare souplesse, propose de nouvelles métriques, d’autres pistes, la musique ne restant jamais statique. Après un premier album en quartette, paraît aujourd’hui “Sphere” enregistré live à l’Opéra de Lyon par une formation quelque peu modifiée. Emil Spanyi remplace au piano Alfio Origlio et deux souffleurs la rejoignent, Michel Portal et Dave Liebman ne jouant toutefois pas dans les mêmes morceaux. Bien qu’écrite, la musique s’ouvre à l’interaction, prend constamment des chemins qui bifurquent. Les musiciens mêlent spontanément leurs timbres, se parlent, se répondent, improvisent des dialogues et racontent des histoires. Toujours à l’écoute de propositions nouvelles tant mélodiques que rythmiques, les solistes mettent de côté leur ego et privilégient le jeu collectif. Ici point de notes superflues, mais des chorus inventifs qui réjouissent et surprennent. Le trompettiste assure les siens avec un naturel confondant.

Jazz : the French Touch

Paul Lay : “Mikado” (Laborie / Abeille Musique)

Qui, enfant, ne s’est pas essayé à dégager ces baguettes de bois enchevêtrés, à les retirer une à une sans faire bouger les autres ? Paul Lay donne à son second disque le nom de ce jeu très ancien. “Unveiling”, son premier, m’avait laissé perplexe, malgré un piano aux harmonies attachantes. La faute à des compositions pas toujours convaincantes. “Mikado” me séduit bien davantage. J’apprécie modérément Ka et Workaholic qu’alourdissent des métriques inutilement complexes. Awake est également trop heurté pour mes vieilles oreilles. Les autres morceaux pèsent leur poids de bonne musique. Bénéficiant d’un piano inspiré, Let Me Tell You My Secret, la troisième plage, révèle l’arrangeur derrière le pianiste. Voices, un duo avec Antonin-Tri Hoang à la clarinette basse, confirme ce goût pour la forme. Excellent lecteur, Paul a d’ailleurs tenu le piano l’an dernier au Châtelet dans “I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky”, un « songplay » de John Adams. Les meilleurs titres de son album sont pour moi Dolphins, morceau au balancement délicat qui contient une partie d’archet envoûtante (Clemens Van Der Feen à la contrebasse) et Chao Phraya, ballade onirique aux harmonies exquises, démarquage subtil du I Love You Porgy que composa Gershwin. Autre ballade pleine d’atmosphère, Beyond met en valeur le saxophone alto d’Antonin-Tri Hoang. Youth s’organise autours de la batterie sautillante de Dré Pallemaerts. Superbe relecture en solo de Luiza, un thème romantique d’Antonio Carlos Jobim.

Jazz : the French Touch

Alexandre Saada : “Continuation to the End” (Bee Jazz / Abeille Musique)

Second disque en solo d’Alexandre Saada, “Continuation to the End” renferme quatorze pièces improvisées et enregistrées au domicile même du pianiste sur son propre instrument. Alexandre les a conservées tel qu’il les a jouées, les rassemblant en deux suites, la seconde, la plus courte, faisant entendre une musique plus dense, le piano devenant presque orchestral dans One Lame Dog et Of Heights and Space. Pièces lentes et austères, les autres morceaux privilégient l’impact poétique au détriment du swing et du blues. Paysages sonores mélancoliques aux phrases dépouillées et tranquilles, ils relèvent d’une approche européenne du piano, voire du domaine classique (Harpsiway). L’influence d’Erik Satie, de Claude Debussy se fait entendre dans leurs mélodies qui vont et viennent au gré des ostinato qui les portent. Avec une grande économie de moyens, des accords aux couleurs travaillées, mais sans façons ni maniérisme, Alexandre Saada nous confie ses rêves, ses visions, ébauches imparfaites et sensibles qui méritent une écoute attentive.

-Pour fêter la sortie de son disque Nicolas Folmer donnera un concert au Duc des Lombards le 28 février et le 1er mars.

 

Photo : Paul Lay © Jean-Baptiste Millot.

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19 décembre 2013 4 19 /12 /décembre /2013 12:55
Disques : mes 13 Chocs de 2013

Décembre : le temps des récompenses, des 13 Chocs du Blogueur de Choc, douze nouveautés et un inédit. Cette sélection a été moins difficile à établir que lors des années précédentes. Les bons disques se sont fait plus rares au sein d’une production moins pléthorique. Plusieurs chanteuses figurent dans ce palmarès, à commencer par Cécile McLorin Salvant dont 2013 est l'année de la reconnaissance. Dans “Love and Longing”, Bill Carrothers chante et révèle une voix inattendue. Bill est d'abord un pianiste, comme Gerald Clayton qui dans “Life Forum” arrange avec finesse sa musique. Inconnu au bataillon, le jeune Nick Sanders crée la surprise avec un piano moderne, inventif, de solides compositions originales, et une réelle connaissance du jazz et de son histoire. Le jazz américain est également à l’honneur avec Ralph Alessi, Terence Blanchard, Bill Mobley (le quatrième trompettiste, Tomasz Stanko, est polonais, mais son disque a été enregistré à New York avec une section rythmique américaine), et la « batteuse » Terri Lyne Carrington. Le CD de Mobley fait ici l’objet d’une première chronique. J’ai choisi d’écarter “Trilogy” (Stretch Records / Universal Japan), triple CD de Chick Corea enregistré au Japon et seulement disponible via internet. Bonne écoute à tous et à toutes.

 

Douze nouveautés…

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Ralph ALESSI : “Baida” (ECM / Universal). Chroniqué dans le blogdechoc le 16 octobre.

Premier disque de Ralph Alessi pour ECM, “Baida” est l’un de ses meilleurs, le plus lyrique de ses trop rares enregistrements. Le trompettiste retrouve ici les musiciens qui l’accompagnent dans “Cognitive Dissonance” publié en 2010. Jason Moran, toujours plus convaincant lorsqu’il met son piano au service des autres, Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie travaillent ici sur une musique ouverte qui demande précision et rigueur. Auteur des compositions, Alessi laisse ses musiciens la parfaire collectivement, lui apporter leurs propres inventions, tant mélodiques que rythmiques. Tous prennent des risques et créent ensemble une musique souvent modale rêveuse et aérée, le groupe appréciant aussi des tempos énergiques.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Terence BLANCHARD : “Magnetic” (Blue Note / Universal). Chroniqué dans Jazz Magazine / Jazzman n°654 - octobre (Choc)

Le meilleur album de Terence Blanchard depuis longtemps. Car ici le trompettiste innove et modernise sa musique tout en gardant intact son plaisir de jouer. Connaissant bien ses musiciens – Lionel Loueke (guitare), Fabian Almazan (piano) et Kendrick Scott (batterie) l’entourent dans “Choices” qu’il enregistra en 2009 et Brice Winston est depuis treize ans le saxophoniste de sa formation – , Blanchard peut pleinement se concentrer aux arrangements de son album. Modifiant la sonorité de sa trompette par des effets d’électronique, il propose des compositions aux climats étranges et aux tempos fluctuants. La frappe sèche et tranchante de son batteur donne beaucoup d’épaisseur à un jazz solide et sous tension auquel participent Ron Carter et Ravi Coltrane, deux invités de marque.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Terri Lyne CARRINGTON : “Provocative in Blue” (Concord / Socadisc). Chroniqué dans le blogdechoc le 14 mars.

Duke Ellington enregistra “Money Jungle” avec Charles Mingus et Max Roach en 1962. Il contenait sept morceaux. Six autres, dont deux alternates, furent commercialisés en 1987. “Provocative in Blue” en est une relecture décalée. Rem Blues est méconnaissable de même que Backward Country Boy Blues. Confié au piano de Gerald Clayton et à la contrebasse de Christian McBride, on reconnaît toutefois Very Special et Wig Wise deux des thèmes du “Money Jungle” original. Car Terry Lyne Carrington n’aborde pas seulement ce répertoire en trio. Lizz Wright y assure des vocalises et les arrangements très soignés font appel à d’autres instruments, à la trompette de Clark Terry dans une adaptation très réussie de Fleurette Africain(e). Dialoguant avec les percussions d’Arturo Stable (A Little Max), la batteuse ré-habille le répertoire ellingtonien sans jamais le trahir.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Bill CARROTHERS : “Love and Longing” (La Buissonne / Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 23 juin.

Improvisé à la fin d’une séance d’enregistrement, “Love and Longing” contient quatre morceaux en solo et neuf chansons populaires américaines que Bill chante en s’accompagnant au piano. Elles sortent spontanément de sa mémoire. Mis à part The L&N Don’t Stop Here Anymore que popularisa Johnny Cash, les morceaux de ce disque sont des standards que l’amateur de jazz connaît bien. A Cottage for Sale inspire au pianiste des harmonies digne de son disque “Excelsior”. Il fait de même avec Three Coins in the Fountain dont il ré-harmonise la ligne mélodique. Bill chante Skylark avec une tendresse peu commune et en siffle les dernières mesures. Sans aucun maniérisme, il pose sa voix très juste sur la mélodie, phrase comme un instrumentiste, se lâche, confie à son piano ses harmonies rêveuses, les quatre instrumentaux de l’album servant d’intermèdes aux chansons.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Gerald CLAYTON : “Life Forum” (Concord / Universal). Chroniqué dans le blogdechoc le 19 avril.

Attaché au blues et à la tradition du jazz, Gerald Clayton défriche de nouveaux espaces rythmiques relevant du funk et du hip-hop, apporte un autre swing, un rebond dont profite son piano. Son phrasé aux harmonies élégantes épouse les métriques impaires qu’inventent Joe Sanders et Justin Brown, ses musiciens habituels. Après deux albums avec eux, Clayton étoffe sa formation et donne du poids à sa musique toujours plongée dans le groove. La trompette d’Ambrose Akinmusire, les saxophones de Logan Richardson et de Dayna Stephens, les vocalises discrètes de Gretchen Parlato et de Sachal Vasandani apportent d’autres couleurs à ses compositions mélodiques. Le fils de John Clayton nous offre ainsi un disque aux tons chauds et suaves, une suite de séquences fluides qui bousculent nos habitudes jazzistiques et apportent au genre des perspectives nouvelles et passionnantes.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Denise KING & Olivier HUTMAN : “Give Me the High Sign” (Cristal / Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 9 avril.

Après “No Tricks”, disque de 2011 mêlant compositions personnelles et standards, le tandem Denise King / Olivier Hutman fait des étincelles avec “Give Me the High Sign”, un album plus fort et plus soul dans lequel un forgeur de merveilles impose son écriture, ses arrangements et son piano. Hutman a trouvé une voix chaude et bleue pour chanter les mélodies qui l’habitent, une voix puissante et généreuse qui caresse et enveloppe. Il offre du sur mesure à sa chanteuse, des mélodies entêtantes dignes des meilleurs tubes des années 60 et quelques reprises bien senties. Darryl Hall (contrebasse) et Steve Williams (batterie) assurent la rythmique. Stéphane Belmondo (trompette et bugle) et Olivier Temime (saxophone ténor) se surpassent, donnent du tonus à une musique d’une suavité indécente.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Cécile McLORIN SALVANT : “WomanChild” (Mack Avenue / Universal). Chroniqué dans le blogdechoc le 27 mai.

Elle se nomme Cécile McLorin Salvant et subjugue par sa voix unique, une de celles dont la découverte inespérée relève du miracle. Le jury de la prestigieuse Thelonious Monk Competition ne s’est pas trompé en lui décernant en 2010 son 1er prix. Attendu depuis longtemps, ce disque, le premier réellement produit que la chanteuse enregistre, renferme des thèmes anciens qui parlent à son cœur et s’ouvre sur St. Louis Blues que chantait Bessie Smith. Une simple guitare ou un dobro (James Chirillo) une contrebasse (Rodney Whitaker), une batterie ( Herlin Riley impérial dans You Bring Out the Savage in Me, un piano (Aaron Diehl, musicien jouant aussi bien du jazz traditionnel que du bop), l’instrumentation minimaliste de l’album convient parfaitement à son chant. A “star is born” assurément.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-René MARIE : “I Wanna Be Evil” (Motéma / Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 22 novembre.

Troisième album de René Marie pour le label Motéma et le dixième de sa carrière, “I Wanna Be Evil” reprend des morceaux du répertoire d’Eartha Mae Kitt (1927-2008), « the most exciting woman in the world » clamait Orson Welles. Outre sa section rythmique habituelle – Kevin Bales au piano, Elias Bailey à la contrebasse et Quentin Baxter à la batterie –la chanteuse est ici entourée par Adrian Cunningham au saxophone ténor, flûte et clarinette, Etienne Charles à la trompette et auteur des arrangements et Wycliffe Gordon, tromboniste que Wynton Marsalis fit beaucoup travailler. On y trouve bien sûr une version de C’est si bon qu’Eartha Kitt popularisa en 1953, mais aussi Santa Baby un grand classique que la chanteuse enregistra à New York en 1953. Le disque se referme sur une émouvante composition de René en quartette.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Bill MOBLEY : “Black Elk’s Dream” (Space Time / Socadisc).

Difficile d’innover avec des cordes. Le modèle reste “Focus”, un album de Stan Getz qu’arrangea Eddie Sauter, car les jazzmen qui les utilisent noient trop souvent trop la musique sous des violons racoleurs. Pas ici. Auteur de deux remarquables albums pour Space Time Records en 1998 (“Live at Small’s Vol.1 & 2”), Bill Mobley a trop de métier pour jouer la carte de la séduction facile. Les cordes de l’Orchestre d’Auvergne soulignent mais répondent aussi aux solistes qui se font longuement entendre. Enregistré en 2012 au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand, ce concert réunit une fine équipe franco-américaine. Billy Pierce, Stéphane Guillaume, Manuel Rocheman et Maud Lovett enthousiasmante au violon, en sont les principaux acteurs. Donald Brown tient le piano dans une de ses compositions. Portée par une rythmique superlative – Phil Palombi (contrebasse) et Billy Kilson (batterie) – ce disque plein de vie est une grande réussite.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Stephan OLIVA : “Vaguement Godard” (Illusions). Chroniqué dans le blogdechoc le 12 novembre.

Si Martial Solal composa la musique d’“A Bout de souffle”, Jean-Luc Godard la retravailla, la mixa avec des bruits du quotidien, les répliques des acteurs, pour mieux la fondre dans ses images. Stephan Oliva fait de même dans ce “Vaguement Godard”, un pense-bête servant à organiser, à imaginer d’autres pistes musicales. Il en décline les thèmes, mais suscite tensions et dissonances au sein desquelles surgissent des notes plus claires, des bribes de mélodies qui écartent les ombres et le noir de la nuit. Comme Godard, Oliva pratique la rupture de rythme, le collage, la discontinuité narrative. Une séance studio à La Buissonne suivie le soir même d’un concert ont livré le matériel sonore de ce disque, des mélodies de Michel Legrand, Antoine Duhamel, Georges Delerue, Paul Misraki, mais aussi des improvisations libres de Stephan qui imagine et invente.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Nick SANDERS Trio : “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve). Chroniqué dans le blogdechoc le 16 septembre.

Je ne connaissais pas Nick Sanders, pianiste né à la Nouvelle-Orléans d’une mère cubaine et d’un père batteur avant de recevoir ce disque. Produit par Fred Hersch, il fait entendre un piano plus blanc que noir, bien que Sanders soit parfaitement capable de jouer le blues. Le pianiste fascine par sa rigueur, par la logique d’une pensée active qui s’amuse à prendre des sentiers de traverse, des chemins qui bifurquent. Sanders apprécie les ruptures, les lignes mélodiques éclatées, les brusques et surprenants changements de rythme, la cohérence perçant toujours sous la malice. Henry Fraser (contrebasse) et Connor Baker (batterie) ont été ses condisciples au New England Conservatory of Music. Ils assurent la rythmique de ce premier album, ma découverte de l’année.

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Tomasz STANKO New York Quartet : “Wislawa” (ECM / Universal). Chroniqué dans Jazz Magazine / Jazzman n°648 - avril (Choc).

Double CD inspiré par les poèmes de Wislawa Szymborska, lauréate du prix Nobel de littérature en 1996 et décédée l’an dernier “Wislawa” a été enregistré à New York par un quartette américain. Tomasz Stanko y passe désormais une partie de son temps. Il a toujours su bien choisir ses pianistes et s’acoquine ici avec David Virelles prodige au toucher miraculeux dont les notes sont des couleurs qu’il pose sur la musique. Ses compositions nouvelles et modales, le trompettiste les habille d’improvisations aussi délicates qu’expressives. Les tempos lents favorisent leur déroulement mélodique. Les musiciens prennent leur temps, restent longtemps sur le même accord, la musique ouvrant sur un espace de liberté constamment inventif. La contrebasse de Thomas Morgan et le drumming de Gerald Cleaver diversifient le flux rythmique. Quant à Stanko, il fait gémir, pleurer et chanter sa trompette comme si elle prolongeait sa voix. Mon disque de l‘année.

…Et un inédit

Disques : mes 13 Chocs de 2013

-Michel GRAILLIER : “Live au Petit Opportun” (Ex-tension/Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 24 mars.

Dix ans après la mort de Michel Graillier nous tombe du ciel « une musique de braise et de brume » pour citer Pascal Anquetil, auteur du texte du livret d’un inédit inespéré enregistré entre 1996 et 1999 au Petit Opportun. Un lundi par mois, sur le piano droit de sa cave biscornue, il pouvait y jouer ce qu’il voulait, les standards qu’il aimait. Ce disque en contient onze. Les ballades nombreuses expriment l’intériorité du pianiste qui s’appuie sur de beaux thèmes, mais possède une façon bien à lui d’en faire chanter les mélodies. Compte tenu de l’exigüité du lieu, on aurait put craindre une prise de son étouffé. Il n’en est rien. Elle restitue fidèlement le toucher, le phrasé élégant du musicien, ses notes légères et tendres qui par l’oreille gagnent le cœur. Mickey ne jouait pas seulement du piano, il créait de la musique.

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22 novembre 2013 5 22 /11 /novembre /2013 10:07
On peut saluer Marie...

Troisième album de René Marie pour le label Motéma, le dixième de sa carrière démarrée tardivement, “I Wanna Be Evil (With Love to Eartha Kitt)” reprend des morceaux du répertoire d’Eartha Mae Kitt (1927-2008), « the most exciting woman in the world » pour Orson Wells qui, au théâtre, lui fit jouer Hélène de Troie dans une adaptation du “Docteur Faustus” sur une scène parisienne, ville dans laquelle elle séjourna au début des années 50.

Chanteuse, danseuse et actrice, membre de la Women’s International League for Peace and Freedom, cette femme courageuse s’opposa à la guerre du Vietnam et fut contrainte de s’exiler à l’étranger entre 1968 et 1974 pour y travailler sans censure.

On peut saluer Marie...

René Marie a 10 ans lorsqu’elle la remarque dans une série télévisée. Eartha Kitt est la femme chat, la Catwoman sensuelle et envoûtante de quelques épisodes de Batman. Ce n’est qu‘en 1999, au Carlyle Hôtel de Manhattan, qu’elle découvre la chanteuse, qui, comme elle, est aussi une actrice. Bien que mal distribués, les premiers disques de René séduisirent l’Académie du Jazz, notamment “Vertigo” (MaxJazz) qui reçut en 2002 le Prix du Jazz Vocal. Elle était à Paris le 12 novembre pour y chanter son disque.

Très à l’aise sur scène, elle sut mettre dans sa poche le public exigeant du Duc des Lombards (1). Sa voix chaude, sa mobilité féline, son sourire solaire furent les autres atouts de son tour de chant. Il débuta avec I’d Rather Be Burned as a Witch qui ouvre ce nouveau disque que je vais détailler.

René MARIE : “I Wanna Be Evil (With Love to Eartha Kitt)”

(Motéma / Harmonia Mundi)

On peut saluer Marie...

Ses musiciens sont bien sûr étroitement associés à cette réussite. Outre sa section rythmique habituelle – Kevin Bales au piano, Elias Bailey à la contrebasse et Quentin Baxter à la batterie – René bénéficie de trois souffleurs, dont une vieille connaissance, le tromboniste Wycliffe Gordon que Wynton Marsalis fit beaucoup travailler. Avec lui, Adrian Cunningham au saxophone ténor, flûte et clarinette. Etienne Charles assure les parties de trompette et signe les arrangements. Pris sur un tempo rapide, I’d Rather Be Burned as a Witch révèle son habileté : les trois souffleurs mêlent leurs timbres et font couler le swing. C’est si bon : la voix se fait sensuelle et gourmande. Composée en 1947, Suzy Delair l’interpréta l’année suivante au premier Festival de Jazz de Nice. Présent au concert, Louis Armstrong en acquit les droits et l’enregistra. Eartha Kitt le popularisa en 1953. La version qu’en donne René Marie ruissèle d’élégance grâce à une clarinette chantante qui improvise avec goût. Avec Oh, John, la sensualité est toujours au rendez-vous. René puise en elle-même l’émotion avec laquelle il convient de chanter cette chanson. Wycliffe Gordon y prend un chorus inventif et multiplie les effets de growl. Introduit par le piano, puis porté par l’ostinato qu’assure la contrebasse, Let’s Do It de Cole Porter se prête aux nombreuses interventions du trombone. Dans Oh, John, ce dernier y excelle, répond à la chanteuse qui instaure avec lui un saisissant dialogue. Joué en quartette, la contrebasse assurant un solo à l’archet, Peel me a Grape fascine par un scat combinant murmures et cris. La clarinette s’envole à nouveau sur un My Heart Belongs to Daddy à l’arrangement très soigné. Des riffs de cuivres efficaces le ponctuent et font de même dans I Wanna be Evil qui lui succède.

Come-on-a my House est un duo voix / percussions qui plonge loin dans les racines africaines du jazz (2). René reprend bien sûr Santa Baby qu’Eartha Kitt enregistra à New York en 1953, un grand classique. Etienne Charles assure magnifiquement chorus et obbligatos. Le disque se referme sur une émouvante composition de René en quartette qui fait tourner la tête. Au piano, Kevin Bales joue des accords mélancoliques, prend enfin un solo. Discrètement, par petites touches, il pose de belles notes aux bons moments, apporte à cet enregistrement, l’une des grandes réussites vocales de cette année 2013, un accompagnement aussi raffiné que discret.

(1) Franck Amsallem (piano), Sylvain Romano (contrebasse) et Karl Jannuska (batterie) l’accompagnaient. Le pianiste se montra particulièrement inspiré.

(2) Au Duc, le morceau fit l’objet d’un duo voix et batterie très réussi.

 

PHOTOS : René Marie © MaryLynn Gillaspie – Eartha Kitt © Photo X/ D.R.

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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 13:55
Godard : vaguement mais sûrement

Après deux disques consacrés à un compositeur de musiques de film (Bernard Herrmann) et à un genre cinématographique (le film noir), le pianiste Stephan Oliva consacre un album solo au cinéaste Jean-Luc Godard - “Vaguement Godard” (Illusions / www.illusionsmusic.fr) - et achève par là-même une passionnante trilogie musicale autour du cinéma.

Godard : vaguement mais sûrement

Godard : il nous a tous interpellé à des moments de notre vie. La découverte d’“A Bout de souffle” sur le petit écran dans les années 60 reste pour moi mémorable. Composée par Martial Solal, sa musique ne m’avait pas particulièrement frappé. Le film oui. Sa caméra portée à l’épaule pour lui donner du mouvement, Jean Seberg délicieuse, ce cinéma vif, moderne, aux dialogues improvisés me plut infiniment. Solal, 32 ans, venait de terminer la musique de “Deux hommes dans Manhattan” de Jean-Pierre Melville, le mentor de Jean-Luc. Tombé sous le charme du film, Martial fut plus réservé sur le montage sonore que le cinéaste fit subir à sa musique. Godard la retravailla, la mixa avec des bruits du quotidien, les répliques des acteurs, pour mieux la fondre dans ses images.

Godard : vaguement mais sûrement

Stephan Oliva fait de même dans ce “Vaguement Godard”, un disque pas toujours fidèle aux partitions, plutôt un pense-bête servant à organiser, à imaginer d’autres pistes musicales. Il en décline les thèmes, mais suscite tensions et dissonances au sein desquelles surgissent des notes plus claires, des bribes de mélodies qui écartent les ombres et le noir de la nuit. Comme Godard, Oliva pratique la rupture de rythme, le collage, la discontinuité narrative. Son disque est également le résultat d’un montage. Une séance studio à La Buissonne suivie le soir même d’un concert en ont livré le matériel sonore, des mélodies de Michel Legrand, Antoine Duhamel, Georges Delerue, Paul Misraki, mais aussi des improvisations libres qui ont pour titres des phrases entendues dans des films dont Stephan repense et réinvente les musiques.

Godard : vaguement mais sûrement

Dans “Le Mépris” l’adéquation de la bande-son aux images est parfaite. Georges Delerue, musicien souvent associé aux films de François Truffaut, en signa la partition, « une musique très ample, avec des cordes, très romantique dans un esprit brahmsien » confia-t-il à Jean-Luc Douin en 1983. Une musique que Stephan rend grave et hiératique, le thème de Camille n’en étant que plus lumineux. Dans la version italienne, tronquée, une musique jazzy de Piero Piccioni remplace la partition originale de Delerue. La fameuse scène entre Bardot (nue) et Piccoli n’était pas prévue. Les producteurs obligèrent Godard à la tourner. On ne souvient surtout du dialogue coquin imaginé par Godard de même que l’on retient les images superbes que Raoul Coutard filma sous le soleil de Capri. Sans parler de la musique, chef-d’œuvre de son auteur, qui aide à faire passer les longueurs d’un scénario très mince. Ce film, je l’ai découvert au début des années 80. Grâce à Frédéric Mitterand qui, pour le générique de son émission Étoiles et toiles, en utilisa la bande-son ainsi que des images.

Godard : vaguement mais sûrement

C’est aussi à la télévision que je vis “Pierrot le fou”. Godard le tourna en 1965. Le montage heurté du film, ses couleurs (le bleu, le rouge et le blanc : liberté, violence, pureté), Stephan les décline dans la noirceur de ses accords, sa liberté de ton. Il épure la musique d’Antoine Duhamel, expose avec tendresse le thème inoubliable de Ferdinand / Pierrot (Jean-Paul Belmondo). Jean-Luc fait porter à Marianne (Anna Karina) une robe rouge. Elle chante Ma Ligne de Chance, une chanson de Serge Rezvani alias Boris Bassiak, l’auteur du Tourbillon de la vie.

Godard : vaguement mais sûrement

Anna Karina est à l’honneur dans cet enregistrement. Godard la rencontra en 1959 et la fit souvent tourner. Celle qui devient son épouse en 1961 aime chanter. Cette année-là, le cinéaste lui offrit le rôle principal de “Une Femme est une femme”, « pas vraiment une comédie musicale, pas non plus un film parlé, un regret que la vie ne soit pas en musique » dira Godard qui, après avoir vu “Lola” de Jacques Demy, commanda à Michel Legrand une partition. Stephan Oliva joue plusieurs thèmes de ce film. Blues chez le bougnat est si réussi que Godard le reprit dans “Les Carabiniers” qui fut très mal accueilli. Oliva pose délicatement les notes de La Chanson d’Angela, presque une comptine, dans son Portrait d’Anna Karina, pot-pourri de plusieurs thèmes de Legrand contenant le mélancolique “Bande à part”, un film de 1964 aux dialogues écrits au jour le jour, au budget modeste, et au scénario adapté d’un livre de la Série noire.

Godard : vaguement mais sûrement

Deux ans plus tôt, toujours avec Anna Karina et Michel Legrand pour la musique, Godard réalisait “Vivre sa vie”. Vendeuse dans un magasin de disques, Nana (Anna Karina) se prostitue la nuit. De toute beauté, la musique accompagne quelques scènes inoubliables. Anna pleure à une projection de la “La Passion de Jeanne d’Arc” de Dreyer qu’interprète Falconetti. Godard rapproche les visages des deux actrices et nous émeut profondément.

Godard : vaguement mais sûrement

Anna Karina toujours, mais dans “Alphaville”, Ours d’or à Berlin en juillet 1965, film de science-fiction dans lequel Eddie Constantine déambule dans une architecture futuriste. Tournage de nuit à la Défense en construction, à la Maison de la Radio, la pellicule très sensible donnant aux images un noir et blanc très contrasté. Godard aimait beaucoup la musique que lui livra Paul Misraki. Faisant rouler les notes graves du clavier, le piano devenant surtout instrument percussif, Oliva traduit l’angoisse d’une ville froide et hostile. Le noir domine dans cette Valse triste dont le thème ne surgit que quelques mesures avant la coda, mais aussi dans une improvisation autour du “Petit Soldat” (1960), film politiquement incorrect chahuté par une critique et un public hostiles. Oliva enchaîne avec l’Agnus Dei de Gabriel Fauré, musique qu’utilise Godard dans “Passion” (1982), les dernières plages du disque, sereines, apaisées, tendant vers la lumière, vers cette joie toujours voilée de tristesse qu’incarne Raymond Devos déclamant devant Jean-Paul Belmondo dans “Pierrot le fou”, Est-ce que vous m’aimez ?, sketch mi chanté, mi dialogué dont le piano habité de Stephan restitue la magie.

Godard : vaguement mais sûrement

Jean-Luc Godard © Franz Christian Gundlach

 

Concert de sortie au Sunside le mercredi 13 novembre (piano solo).    

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 10:09
Ralph ALESSI : “Baida” (ECM / Universal)

Ce disque, le premier de Ralph Alessi pour ECM, est l'un de ses meilleurs. Ceux d'entre vous qui s'intéressent à la scène new-yorkaise connaissent ce musicien qui enregistre de trop rares albums sous son nom avec des partenaires exigeants. Craig Taborn ou Andy Milne auraient pu tenir le piano de cette séance supervisée par Manfred Eicher. Le trompettiste leur a préféré Jason Moran, plus convaincant que jamais lorsqu'il accompagne, se met au service des autres. Avec la même équipe - Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie -, Alessi et Moran ont enregistré "Cognitive Dissonance" pour le label CAM Jazz en 2010, un disque moins abouti que ce nouvel opus. Car, travaillant ici sur une musique ouverte et fluide qui demande précision et rigueur, les quatre hommes la façonnent collectivement, lui apportent un surplus d'invention, tant mélodique que rythmique. Auteur de toutes les compositions, le trompettiste n'est donc pas seul à prendre des risques, à sauter dans le vide, à éprouver le vertige qu'offre une musique aérée qui, entre des mains virtuoses s'abstenant d'en faire trop, trouve naturellement sa place dans l'espace. C'est d'ailleurs une plage modale et rêveuse qui ouvre l'album, morceau repris in fine, ultime pirouette musicale pour clore des moments intenses et de grande beauté. Trompette et piano rivalisent souvent de délicatesse mélodique. A cet égard, Sanity, une ballade, apparaît comme l'un des sommets lyriques de l'album. La contrebasse chante, la trompette s'envole, le piano assure un contrepoint de notes lumineuses et rares. Le mélancolique I Go, You Go est de la même veine. Une semblable respiration mélodique traverse Throwing Like a Girl, morceau porté par une contrebasse ronde et précise, un drive d'une rare souplesse, mais aussi Maria Lydia dont le thème s'inspire d'un lieder d'Igor Stravinsky. Ailleurs, le groupe explore des tempos plus énergiques. Le discours reste toujours cohérent, même lorsque le pianiste fait feu de dissonances (Chuck Barris), adopte un langage plus abstrait. Une réussite incontestable.

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 08:22
Ahmad JAMAL : “Saturday Morning” (Jazz Village / H. Mundi)

Après “Blue Moon” enregistré à New York en octobre 2011 et publié l’an dernier, Ahmad Jamal a choisi le Studio La Buissonne pour de nouvelles compositions et un nouvel album aussi excitant et jubilatoire que le précédent. On ne change pas un groupe qui fonctionne comme les rouages d’un chronomètre, surtout lorsque les musiciens qui entourent le pianiste constituent peut-être sa meilleure formation. Avec Israel Crosby à la contrebasse et Vernell Fournier à la batterie, Jamal, né en 1930, eut certes le bonheur d’avoir à ses côtés une rythmique qui servit son piano de manière exemplaire, mais Reginald Veal (contrebasse), Herlin Riley (batterie) et Manolo Badrena possèdent une technique bien plus grande et jouent mieux une musique que Jamal partage étroitement avec eux. Elle a peu changé, mais le pianiste l’aborde depuis quelques années de manière plus orchestrale, donne du volume, de l’épaisseur à des notes dont il a longtemps été avare. Ses silences sont parfaitement intégrés à sa musique. Jamal la bâillonne, la met sous tension pour mieux la faire jaillir. Ce sont alors des cascades d’arpèges et de trilles, de joyeuses notes perlées, des gerbes d’accords sèchement plaqués qui la libèrent après une longue attente.

Ahmad JAMAL : “Saturday Morning” (Jazz Village / H. Mundi)

Dans Back to the Future, le groupe fait longuement tourner un riff funky puis, par deux fois, décolle en ternaire, la contrebasse menant la danse. L’instrument est la principale assise rythmique de Saturday Morning qui donne son nom à l’album, une pièce d’une dizaine de minutes construite sur le même principe que Poinciana, le cheval de bataille du pianiste qui active un second thème après une longue mise en boucle du premier. Edith’s Cake envoûte par son introduction flottante, ses bouquets de notes colorées. Contrebasse, batterie et percussions encadrent souplement un piano espiègle qui saupoudre son chant de dissonances.

Ahmad reprend aussi d’anciens thèmes de son répertoire, décline leurs mélodies avec parcimonie, ces dernières, visions sonores fugitives, surgissant de trames rythmiques répétitives et prêtes à rompre, comme la corde d’un arc trop tendu. One et The Line héritent également d’un traitement funky. Dans Firefly, Jamal musarde, papillonne, tourne autour d’un riff dont s’emparent ses mains virevoltantes. Le disque contient quelques standards qu’il aborde avec une nonchalance calculée. I’ll Always Be With You et I’m in the Mood for Love, une chanson de 1935 que Nat King Cole et Frank Sinatra interprétèrent, bénéficient de relectures élégantes, d’une ornementation au petit point. I Got it Bad and That Ain’t Good introduit brièvement un autre thème ellingtonien celui de Take the A Train. Le pianiste connaît ses classiques. Styliste, il leur offre d’autres couleurs, celles d’un orchestre qu’il incarne à lui seul. Et c’est ainsi qu’Ahmad est grand !

Ahmad Jamal & Reginald Veal, Photo © Pierre de Chocqueuse

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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 09:10
Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

Je ne savais rien de Nick Sanders avant de recevoir ce disque. Une belle photo d’Alejandro Cartagena - “Fragmented Cities, Apodaca” -, en emballe la musique. Une seule écoute m’a suffit pour me rendre compte que ce pianiste ne jouait pas comme les autres. Rentrer dans sa musique demande pourtant une écoute attentive. Il faut la suivre avec attention pour en saisir la logique car elle s’amuse à prendre des sentiers de traverse, des chemins qui bifurquent. Et pourtant elle fonctionne, sa cohérence perçant sous la malice.

Né à la Nouvelle-Orléans d’une mère cubaine et d’un père batteur, Sanders s’est très tôt mis au piano, mais aussi à la batterie, la précision rythmique étant une des qualités de son jeu pianistique. Il se destine à devenir concertiste classique. Danilo Perez qu’il rencontre lui conseille de suivre les cours de jazz que propose le New Orleans Center for Creative Arts. Sanders est doué pour le rythme et les tours de passe-passe harmoniques. Il jouera du jazz et, dès 2005, se produit régulièrement dans les clubs de sa ville natale. Il poursuit également ses études à Boston, au New England Conservatory of Music. Outre Ran Blake, ses professeurs vont être Danilo Perez, Jason Moran et Fred Hersch.

Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

C’est grâce à ce dernier que ce disque voit le jour. Produit par Hersch, il fait entendre un piano plus blanc que noir – bien que le blues nourrisse ses voicings et que Sanders soit parfaitement capable de le jouer – qui bouscule nos habitudes. Le pianiste fascine par sa rigueur, la propre logique de son jeu. Pour Ludovic Florin, auteur de la chronique de l’album dans le numéro de septembre de Jazz Magazine / Jazzman, « ses idées défilent parfois davantage par rebonds que par déduction logique ».

Quoiqu’il en soit et bien qu’il cultive « des lignes mélodiques éclatées », apprécie les ruptures, les brusques changements de rythme, Sanders, la pensée inventive, anticipe et aime surprendre. Prenez Chamberlain, Maine qui ouvre l’album. Ça ressemble à une fugue, mais le tempo ralentit et les notes se font abstraites tout en conservant une cohérence indéniable. New Town est tout aussi étonnant : un amas de notes frémissantes sort tout droit d’un piano bastringue et introduit une mélodie tendre et chaloupée. Sanders fait chanter des harmonies aussi exquises que mystérieuses, les organise avec aisance tout en choisissant soigneusement leurs couleurs. On peut citer d’autres morceaux : avec Row 18, Seat C défile devant nos yeux la bande-son d’un vieux film muet, un thème riff générant des variations anguleuses et dissonantes.

Outre celle de Brad Mehldau, Sanders a subit l’influence de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols et il leur rend hommage. Du premier il reprend Manganese mieux connu sous le nom de We See. Monk l’enregistra pour Prestige le 11 mai 1954 avant de le reprendre à Paris, pour Vogue, un mois plus tard en solo. Du second, il choisit de relire ‘Orse at Safari, un morceau peu connu, un blues cubique et monkien composé pour Floyd « Horsecollar » Williams, un saxophoniste alto avec lequel Nichols s’était produit au Safari, un club de jazz de Harlem. Nichols l’enregistra le 7 août 1955 avec Al McKibbon et Max Roach dans une version plus rapide. Celle de Sanders est riche en dissonances. Son tempo fluctuant recèle des accélérations aussi soudaines qu’inattendues.

Je ne vous l’ai pas encore dit, mais Sanders n’est pas seul à jouer sa musique, ou celle des autres – son disque se referme sur I Don’t Want to Set the World on Fire, un vieux tube des Ink Spots de 1941 qu’il joue presque en stride. Trois années de suite (2010, 2011 et 2012) il a remporté le Marion and Eubie Blake International Piano Award, possède une main gauche solide et souple dont il sait utiliser les ressources. Une section rythmique aussi efficace que discrète l’accompagne donc dans un opus que l’on ne se lasse pas d’écouter. Henry Fraser (contrebasse) et Connor Baker (batterie) ont été ses condisciples au New England Conservatory of Music. Le premier se fait trop brièvement entendre à l’archet dans Sandman à la mélodie aérée, presque évanescente. Davantage présent dans Manganese, il introduit longuement en solo Simple, une pièce lyrique et simple comme son nom l’indique, une bouffée d’oxygène avant Motor World, morceau à tiroirs dont le prologue chantant ne laisse pas deviner le chaos sonore organisé qui le conclut. Penchez vous sur ce disque, le premier d’un jeune pianiste à la maturité stupéfiante dont la musique devrait combler les oreilles avisées.

Nick SANDERS Trio “Nameless Neighbors” (Sunnyside / Naïve)

PHOTOS : "Fragmented Cities, Apodaca" © Alejandro Cartagena - Nick Sanders & Fred Hersch : Photo X / D.R.

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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 10:34
Repêchages d'été

Trois disques à emporter sur une île déserte, en haute montagne, ou dans les cavernes que prisent spéléologues et vacanciers, leur fraîcheur étant particulièrement recherchée en cette période de canicule. Sur la route des vacances, n’oubliez pas de bien hydrater le Papy et la Mamy qui voyagent avec vous, de faire boire le petit qui vous casse les pieds. Vous avez bien sûr rechargé la batterie de votre iphone ou celle de votre ordinateur portable dont vous ne pouvez plus vous passer. Vous en aurez besoin pour découvrir ces albums que vous téléchargerez de manière parfaitement légale car vous êtes tous des gentlemen. Ce sont mes dernières chroniques avant la mise en sommeil de ce blog. Il n’y aura pas d’édito en août. Les Michu se reposent. Moi aussi. Bonne écoute estivale !

Repêchages d'été

Chick COREA : “The Vigil”

(Concord Jazz / Universal)

Après plusieurs disques intéressants en 2012, notamment “Further Explorations” hommage à Bill Evans enregistré avec Eddie Gomez et Paul Motian, Chick Corea revient à la fusion avec un nouvel orchestre comprenant Tim Garland (saxophones ténor et soprano), Charles Altura (guitares acoustiques et électriques), Hadrien Feraud (guitare basse), Marcus Gilmore (batterie) et Pernell Saturnino (percussions). Avec eux, Chick fait un malheur cet été dans les festivals.

Bien que n’étant pas aussi prenant que ses concerts, le disque reflète bien la musique que propose le pianiste, du jazz fusion au sein duquel le piano acoustique tient une place importante (écoutez le lumineux chorus qu’il prend dans Portals to Forever). Gayle Moran, son épouse, chante malheureusement dans Outer of Space, seul bémol d’un disque proche des opus de Return to Forever et de l’Elektric Band. On goûtera les espagnolades chères au pianiste qui saupoudrent Planet Chia, pièce influencée par le flamenco. On découvrira aussi une formation différente dans Pledge for Peace, longue plage dédiée à John Coltrane et enregistrée avec Stanley Clarke et Ravi Coltrane.

Repêchages d'été

Joshua REDMAN :

“Walking Shadows”

(Nonesuch / Warner)

Réalisant un vieux rêve, Joshua Redman a enregistré une grande partie de ce disque avec des cordes. S’il a arrangé lui-même plusieurs thèmes, il en a confié d’autres à Dan Coleman (qui dirige aussi l’orchestre), Patrick Zimmerli et Brad Mehldau. “Walking Shadows” possède pourtant une réelle unité. Redman a choisi de s’exprimer sur des ballades, et décline au plus près leurs mélodies.

Son saxophone ténor s’enroule ainsi avec chaleur autour de Lush Life, Easy Living, Stardust, Infant Eyes (qu’il joue au soprano), mais aussi autour de Let It Be dont l’interprétation semble moins réussie. Avec lui, une section rythmique souple, fluide et d’une grande discrétion : Brad Mehldau au piano (et au vibraphone, notamment dans Last Glimpse of Gotham qu’il a composé), Larry Grenadier à la contrebasse et Brian Blade à la batterie. On appréciera bien sûr Dol Is Mine et Stardust, pièces dans lesquelles Brad s’offre des chorus, mais le pianiste accompagne avec une rare musicalité, fait constamment chanter son instrument, le saxophone restant toutefois l’instrument roi de cette séance marquée par le lyrisme.

Repêchages d'été

Michel MARRE :

“I Remember Clifford”

(Hâtive ! / Believe)

En quartette, le trompettiste Michel Marre se penche lui aussi sur des ballades qu’il affectionne. On est vite sous le charme de la musique de cet album, promenade au cœur d’un jazz qui ne manque ni de swing ni de souffle. Round About Midnight, I Remember Clifford, Body and Soul ne vous sont certainement pas inconnus.

Au bugle ou à la trompette, Michel rend légères et aériennes leurs mélodies immortelles, les fait planer dans le bleu du ciel. De courtes improvisations collectives structurées et cohérentes s’intercalent entre les pièces écrites d’un répertoire comprenant aussi quelques compositions originales. Chess and Mal et Espera se fredonnent sans peine. La contrebasse ronde et chantante d’Yves Torchinsky, la batterie attentive et foisonnante de Simon Goubert en caressent les musiques heureuses. Avec eux, jouant un piano d’une élégance rare, Alain Jean-Marie accompagne en poète. Espera profite de la couleur de ses notes ; We Will Be Together Again aussi. Introduit par les harmonies subtiles et délicates du piano, une trompette rêveuse en décline le thème et le rend inoubliable.

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20 juillet 2013 6 20 /07 /juillet /2013 09:30
Mellow SwallowMellow Swallow

Affichant un rare plaisir de jouer, proposant une musique fraîche, heureuse qui n’oublie jamais de swinguer, en un mot jubilatoire, le nouveau quintette de Steve Swallow (avec Carla Bley que l’on reconnaît sans peine sur cette photo) s’est produit au New Morning le 18 juillet devant un public clairsemé, les vacances, la vague de chaleur dans la capitale contribuant à la vider. Au programme : “Into the Woodwork”, le nouvel album du bassiste. Le concert fut meilleur que le disque. Ce dernier reste toutefois très attachant. Je ne peux mettre ce blog en sommeil sans vous en proposer la chronique. Bonne lecture et bonnes vacances à ceux qui en prennent.

Mellow Swallow

The SWALLOW Quintet : “Into the Woodwork” (XtraWATT / Universal)

Les disques qu’enregistre Steve Swallow sous son nom ne sont pas légion. Le bassiste consacre beaucoup de temps aux différents orchestres que dirige Carla Bley sa partenaire, moins à ses propres albums. Il apparait parfois sur ceux des autres. On peut ainsi l’entendre dans “Wisteria”, un enregistrement en trio de Steve Kuhn. Des concerts en ont résulté, puis Steve a retrouvé Carla et avec elle l’envie de se consacrer à nouveau à sa musique.

Pour la jouer et avant même de l’écrire, il a imaginé un nouvel orchestre avec cette dernière à l’orgue, Steve Cardenas à la guitare et Chris Cheek au saxophone. Steve joua souvent avec eux dans les groupes à géométrie variable mis sur pied par Paul Motian. Il n’avait pas prévu de batteur, mais Jorge Rossy sut le convaincre de l’intégrer à la formation. Guitare électrique, basse électrique, orgue, saxophone, batterie, une telle instrumentation pourrait être celle d’un groupe de fusion. Il n’en est rien. Riche sur le plan des couleurs, essentiellement mélodique, la musique déploie au contraire une grande variété de timbres. Reliés les uns aux autres, une douzaine de morceaux s’enchainent et constituent une suite orchestrale dans laquelle les musiciens improvisent avec simplicité et lyrisme. Unnatural Causes prolonge ainsi Grisly Business et The Butler Did It leur succède de manière parfaitement naturelle. Introduite par la guitare, Sad Old Candle, l’ouverture du disque, évoque Nino Rota. Orgue et saxophone assurent le riff de cette pièce très simple basée sur un ostinato. Relevant du bop comme la plupart des morceaux rapides de cet opus, Into the Woodwork qui vient ensuite est beaucoup plus rythmée. L’orgue apporte un riche contrepoint sonore aux instruments solistes, au saxophone de Chris Cheek qui prend le dernier chorus pour introduire From Whom It May Concern, une ballade sensuelle qui lui permet de faire chanter son instrument. Steve Swallow s’offre un long et élégant solo dans Small Comfort et Exit Stage Left qui conclut l’album met également en valeur les lignes de basses fluides et si personnelles de Swallow. Quant à Carla, son orgue caracole fièrement dans Still There. Plein de citations inattendues, son solo humoristique reflète bien l’humeur joyeuse de cet album dont la musique moelleuse et veloutée ne peut qu’accompagner vos soirées estivales.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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