Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 09:16

Benoît DELBECQ & Fred HERSCH Double Trio : “Fun House”

(Songlines / Abeille Musique)

Delbecq - Hersch Fun House, coverThe Sixth Jump” de Benoît Delbecq et “Whirl” de Fred Hersch comptent parmi mes 13 Chocs de l’année 2010. Les deux pianistes fascinent : le premier par son sens du tempo, sa conception très souple du rythme, son toucher, ses progressions d’accords ; le second par la richesse et la singularité de son univers très personnel. On rêvait d’un disque qui les réunirait. Il existe, s’intitule “Fun House” et renferme des compositions de Delbecq spécialement écrites pour le double trio impliqué dans le projet : Jean-Jacques Avenel et Mark Helias (contrebasse) Steve Argüelles et Gerry Hemingway (batterie). Les seules reprises sont celles de Strange Loop, un des thèmes de “Pursuit”, disque enregistré par Benoît en 1999 que Fred apprécie beaucoup, et Lonely Woman d’Ornette Coleman. Les deux hommes admirent depuis longtemps leurs œuvres respectives. Benoît semble avoir été particulièrement séduit par “Chicoutimi” un album du clarinettiste Michael Moore dans lequel Fred tient le piano. Pour lui, les timbres, les couleurs ont autant d’importance que les rythmes et les mélodies. Morceaux de bois ou gommes placés sous certaines cordes de son piano en modifient la sonorité. Les graves de l’instrument sonnent parfois comme les lames de bois d’un balafon. Enregistré en deux jours, les dix morceaux de “Fun House” présentent toutefois un aspect moins africain que “The Sixth Jump”, laissent beaucoup d’espace aux musiciens qui décalent leurs phrases, en font tourner les motifs mélodiques. La section rythmique colore l’espace sonore, contrebasses aux cordes grattées, frappés, tirées, foisonnement percussif des tambours, vibrations des cymbales, glissement du bois sur du métal. Le marquage des temps est abandonné au bénéfice d’une polyrythmie que saupoudre d’électronique Steve Argüelles, la partie centrale de Tide résultant d’un montage de plusieurs prises. Le vif et rythmé Night for Day mis à part – les musiciens semblent y suivre une grille harmonique – , le rubato est de rigueur dans le jeu modal des pianistes, Fred Hersch à gauche, Benoît Delbecq à droite, qui n’exclut pas une certaine abstraction (One is Several). Difficile de reconnaître leur piano respectif dans cette musique colorée qui est bien davantage celle de Delbecq que celle que Hersch, musique liquide, symphonie de chambre aquatique dont les notes, telles les gouttes d’eau d’une cascade, conservent une fraîcheur délectable.

Partager cet article
Repost0
15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 16:47

P.-Catherine-c-Wim-Van-Eesbeek.jpegLes maisons de disques n’attendent pas qu’il pleuve et qu’il neige pour nous inonder de disques en ce début d’année. Quelques-uns d’entre eux confirment l’immense talent de leurs auteurs ou constituent des surprises à ne pas ignorer. Puisse cette première sélection hivernale réchauffer vos petons glacés.

 

Philip-Catherine--cover.jpgPhilip CATHERINE : “Côté Jardin

(Challenge / Distrart)

Il est en forme Philip Catherine. Après un bel hommage à Cole Porter en 2011, le voici entouré d’une formation comprenant deux jeunes musiciens belges prometteurs dans un disque très réussi. “Côté Jardin” nous fait découvrir Antoine Pierre, batteur au drumming aussi perspicace que subtil, et Nicola Andrioli, pianiste italien installé à Bruxelles qui signe trois des compositions de l’album. Je préfère celles de Philip, mais le piano mobile aux notes colorées complète idéalement la guitare (électrique ou acoustique) qui cisèle des mélodies chantantes. Dans cette association délicate sur un plan harmonique, les deux hommes ne se gênent pas, mais se complètent, la musique se faisant toujours fluide et élégante. Dans Misty Cliffs qui ouvre l’album, les modes de l’Inde semblent trempés dans le blues. On pense à Homecomings, une pièce que Catherine enregistra en duo avec Larry Coryell. “Twin House” un disque Atlantic de 1976, la renferme. Cette approche « indienne » du jazz se retrouve aussi dans Virtuous Woman, une autre grande réussite de l’album. Solide comme un chêne, le fidèle Philippe Aerts y tient la contrebasse. Les claviers discrets de Philippe Decock apportent les couleurs des rêves, en fixent les images. Isabelle Catherine, la fille de Philip, pose sa jolie voix sur Côté Jardin. George Brassens qu’admire tant Philip est lui aussi à l’honneur avec une reprise de Je me suis fait tout petit que Django Reinhardt aurait sûrement appréciée.

 

Bill-Carrothers-Castaways--cover.jpgBill CARROTHERS : “Castaways”

(Pirouet / Codaex)

Bill Carrothers enregistre beaucoup. Après le très beau “Family Life” en solo et le rôle essentiel que tient son piano dans “I’ve Been Ringing You”, un disque de Dave King, son nouvel opus pour Pirouet le fait entendre en trio avec Drew Gress à la contrebasse et Dré Pallemaerts à la batterie, musiciens avec lesquels il aime jouer et enregistrer. Au programme, neuf compositions originales dont une Scottish Suite en trois parties, écrite à l’occasion de sa participation à un festival de jazz en Ecosse il y a quelques années. Bill parvient à reproduire le son d’une cornemuse en grattant certaines cordes en acier de son piano dans les premières mesures de Rebellion, morceau construit sur un ostinato obsédant. Dans Oppression, le mouvement suivant, le pianiste adopte un jeu en accords, joue moins de notes et fait davantage respirer sa musique. Il procède de même dans d’autres pièces de l’album. La mélancolie de Trees et de Castaways provient de leur dénuement sonore, mais aussi des accords inattendus et parfois dissonants qui en enveloppent les thèmes. Même chose pour Araby, la troisième nouvelle de “The Dubliners” de James Joyce. La musique s’y développe dans l’espace, progresse par petites touches harmoniques, se déplace vers la lumière.

 

Nik-Bartsch-s-Ronin-Live-cover.jpgNik BÄRTSCH’S RONIN “Live”

(ECM / Universal)

Après trois disques studio pour ECM (et trois autres auparavant), Ronin sort un double album live plus excitant que jamais. La formation comprend Nik Bärtsch aux claviers, Sha à la clarinette basse et au saxophone alto, Björn Meyer à la basse électrique, Kaspar Rast à la batterie et Andi Pupato aux percussions. Un nouveau bassiste, Thomy Jordi, se fait entendre dans Modul 55, le dernier morceau. Difficile d’imaginer une musique si précise et architecturée jouée en temps réel sans overdubs et boucles préenregistrées. Pourtant, non seulement le groupe y parvient, mais encore improvise, chaque musicien apportant sa propre contribution à l’édifice sonore en association étroite avec les autres instrumentistes. Constitué en 2001, Ronin mêle habilement musique répétitive, jazz et funk, sa musique hypnotique constamment sous-tension accordant une place prépondérante au groove. Le pianiste zurichois ne donne jamais de titres aux pièces sur lesquelles il travaille. Il numérote des modules constitués par des figures rythmiques entrelaçant rythmes pairs et impairs, battement réguliers et irréguliers. Il a étudié conjointement le piano et la batterie et utilise souvent son piano comme un instrument percussif. Bien que le rythme reste la priorité du groupe, chaque pièce débouche sur des perspectives mélodiques. Enregistré entre 2009 et 2011 lors de concerts donnés dans des festivals en Allemagne, mais aussi dans plusieurs clubs européens et à Tokyo, ce double album reste très excitant. Sa dramaturgie résulte d‘un savant montage en studio. Chaque module se rattache au précédent, l’ensemble constituant une suite cohérente et logique.

 

Ludovic-de-Preissac-Sextet--cover.jpgLudovic De PREISSAC sextet : “L’enjeu des paradoxes”

(Frémeaux & Associés)

Son disque précédent, un nouvel arrangement de “West Side Story”, souffre de sa comparaison avec un enregistrement de la même œuvre par Manny Albam en octobre 1957. De grands musiciens de la Côte Est – Al Cohn, Bob Brookmeyer, Hank Jones et Eddie Costa – le servent magnifiquement. Pianiste se souciant de faire swinguer ses lignes mélodiques, Ludovic de Preissac réunit pour ce nouvel opus, son sixième, une fine équipe de musiciens talentueux. Au sextet auquel il fait jouer ses compositions s’ajoutent quelques invités parmi lesquels Sylvain Beuf qui ouvre le bal sur les rythmes fiévreux d’Ouakam’s Trip. Mais c’est surtout l’arrangeur qui nous séduit ici. Preissac mêle anches et cuivres avec bonheur, donne de belles couleurs à ses partitions. Celle qui s’intitule Les paradoxes de l’instinct enchante aussi par son thème, une mélodie qui profite aux solistes pour improviser brillamment. Sylvain Gontard à la trompette et au bugle, Michaël Joussein au trombone, Michaël Cheret aux saxophones connaissent leurs affaires et embellissent la musique par leurs chorus. Salsacerdose tourne du feu de Dieu avec des couleurs harmoniques peu courantes et une métrique inhabituelle. Trempé dans le gospel, sa structure mélodique relevant du choral, Quiet Time est fort réjouissant. Cet album, une bonne surprise, mérite une écoute attentive.

 

Omar-Sosa-Eggun--cover.jpgOmar SOSA : “Eggūn”

(World Village / Harmonia Mundi)    

Pianiste virtuose aux notes plein les doigts, Omar Sosa en fait généralement trop ou trop peu, comme dans le léthargique “Calma” enregistré en solo en 2011. Incorporant des rythmes afro-caribéens, sa musique très marquée par l’Afrique se situe en marge du jazz. Dans “Eggūn”, un hommage au “Kind of Blue” de Miles Davis, une commande du Barcelona Jazz Festival, le genre se voit dilué au sein d’un savant métissage de musiques. Bien que la trompette très présente de Joo Kraus rappelle celle de Miles et que l’introduction d ‘Alejet reste un démarquage habile de So What, “Kind of Blue” n’est qu’un prétexte pour Sosa qui invente une toute autre musique tout en incorporant certains motifs mélodiques du chef-d’œuvre de Miles. Très réussi, son disque atypique révèle un compositeur arrangeur pour une fois très inspiré. Le pianiste économise ici ses notes, pratique un jeu modal lui permettant de poser de belles couleurs sur une musique lumineuse et planante. El Alba déploie sa mélodie féérique sur un tapis sonore percussif. Introduit par une kalimba, le très africain So All Freddie s’enrichit progressivement de rythmes latins. Une basse électrique funky, un large choix de rythmes portent la transe et la béatitude. Les guitares de Lionel Loueke et de Marvin Sewell improvisent au plus près du blues, des racines africaines de la musique, et tirent des sons d’un autre monde. Confiés à Leandro Saint-Hill et à Peter Apfelbaum, saxophones, clarinette et flûte épaulent la trompette pour chanter les thèmes d’un grand voyage musical qui s’achève sur un pur moment de grâce, une prière Yoruba.

Photo de Philip Catherine © Wim Van Eesbeek  

Partager cet article
Repost0
20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 09:30
Montage-Chocs-2012.jpegDécembre : il pleut des récompenses pas toujours méritées. Mes confrères journalistes n’ont décidément pas la même écoute que la mienne, ce qui offre des prix à une large diversité de disques. Les chapelles sont en effet nombreuses dans la maison du jazz depuis longtemps parasitée par des musiques qui ne trouvent nulle part ailleurs à s’abriter. La publicité intensive et abusive de nombreux médias qui nivèlent par le bas, sortent de leurs poches de nouveaux talents experts en poudre aux yeux, en est largement responsable. Que l’on soit blanc ou noir, indien ou chinois, on ne s’improvise pas jazzman. Il faut connaître l’histoire de cette musique, son vocabulaire, Recordssa grammaire. Le jazz chemine aujourd’hui loin de la Nouvelle-Orléans qui l’a vu naître. Implanté sur d’autres terres, il s’inspire et se nourrit de nouveaux folklores, d'autres traditions musicales. La sophistication harmonique européenne peut ainsi prendre le pas sur la polyrythmie africaine. Pourquoi pas si le lien n’est pas rompu avec les racines et les règles d’une musique née il y a plus de cent ans sur le sol de la grande Amérique, si le jazz d’autres continents nous fait vibrer et ravive notre enthousiasme ! Mes palmarès n’occultent pas pour autant le jazz afro-américain. Ses musiciens baignent dans le swing et le blues leur est parfaitement naturel. L’an dernier les enregistrements en solo y étaient majoritaires. 2012 a vu de grandes réussites en trio, le piano restant toujours l’instrument roi de cette sélection forcément subjective. Choisir n’a pas été facile. D’autres albums m’ont interpellé. Ceux de Jean-Pierre Mas, de Carlos Maza (aussi remarquable à la guitare qu’au piano dans “Descanso Del Saltimbanqui”), de Dave King (avec Bill Carrothers jouant un piano inhabituel dans le fascinant “I’ve Been Ringing You”) méritaient de compter parmi mes 13 finalistes. Je vous rappelle que cette chronique est la dernière de l'année. Après vous avoir souhaité mes vœux, le blogdechoc sommeillera jusqu'à la mi-janvier pour couvrir la remise des Prix de l’Académie du Jazz, incontournable manifestation jazzistique de la nouvelle année. Puisse l'écoute de ces 13 disques vous donner autant de plaisir qu'ils m'en ont procuré.     
12 nouveautés…

Enrico-Pieranunzi-Permutation--cover.jpg-Enrico PIERANUNZI : “Permutation” (Cam Jazz / Harmonia Mundi). Chroniqué dans Jazz Magazine / Jazzman n°634 - février (Choc)

L’un de nos meilleurs pianistes européens dans une forme éblouissante grâce à Scott Colley (contrebasse) et à Antonio Sanchez (batterie) qui le poussent à jouer son meilleur piano et à renouveler sa musique. Souvent construites sur des ostinato, les nouvelles compositions d’Enrico Pieranunzi favorisent le jeu collectif, le trio sous tension apportant une réelle dynamique à la musique. On a découvert sa puissance de feu en mars dernier à Roland Garros. Le disque traduit aussi sa perméabilité au lyrisme. La polyrythmie intensive de Sanchez, la contrebasse mobile et chantante de Colley sont ici au service d’un maître de l’harmonie qui écrit des thèmes admirables.

 

Aaron Goldberg Trio, Yes cover-Aaron GOLDBERG, Omer AVITAL, Ali JACKSON : “Yes !” (Sunnyside / Naïve). Chroniqué dans le blogdechoc le 24 mars

Aaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson se connaissent depuis si longtemps qu’une seule journée de studio leur a suffi pour enregistrer neuf morceaux miraculeux, souvent en une seule prise. Ils partagent des idées communes sur la musique, sont attachés aux traditions du jazz, à son vocabulaire, accordent priorité au swing et au feeling, leur discours restant profondément ancré dans le blues. Au programme, des compositions de Duke et Mercer Ellington, de Thelonious Monk, mais aussi Maraba Blue, composition d’Abdullah Ibrahim qui place avec subtilité le rythme au cœur de la musique. Ali Jackson l’installe en douceur en claquant dans ses doigts, le blues s’affirmant dans le piano solaire et chantant de Goldberg, ici très inspiré.

 

Chick Corea Trio -Chick COREA, Eddie GOMEZ, Paul MOTIAN : “Further Explorations” (Concord / Aurelia). Chroniqué dans le blogdechoc le 10 avril

Après avoir consacré des disques à Thelonious Monk (“Trio Music”) et à Bud Powell, pianistes qui l’ont notablement influencé, Chick Corea entreprend de relire Bill Evans qui marqua lui-aussi son jeu pianistique. Proche de Powell par ses attaques, son jeu percussif, il l’est d’Evans par ses choix harmoniques, son approche romantique du clavier. Les meilleurs moments de deux semaines de concerts au Blue Note de New York nous sont proposés dans ces “Further Explorations” – le titre fait référence à “Explorations”, un disque que Bill enregistra en 1961 pour Riverside. Paul Motian y officiait à la batterie. Quant à Eddie Gomez, il fut pendant onze ans le bassiste de Bill. Tous deux donnent des ailes au pianiste qui survole avec bonheur un répertoire parfaitement adapté à son hommage.  

 

A Jamal -Ahmad JAMAL : “Blue Moon” (Jazz Village / Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 19 avril

Avec “Blue Moon”, Ahmad Jamal change de bassiste et donne une dynamique nouvelle à sa musique ce qui la rend plus excitante. Attentive, sa section rythmique qui fut celle de Wynton Marsalis comble les silences de son piano orchestral, installe une tension qui profite à jeu. Rejoignant Manolo Badrena, omniprésent aux percussions, Reginald Veal le nouveau bassiste et Herlin Riley le batteur officient avec la précision d’un métronome. Les morceaux plus longs favorisent l’hypnose rythmique et c’est en toute quiétude que Jamal joue des cascades d’arpèges, plaque des accords inattendus ou de gracieuses notes perlées dans  son meilleur album depuis “The Essence” enregistré pour Birdology en 1995.

 

Marc Copland -Marc COPLAND : “Some More Love Songs” (Pirouet / Codaex). Chroniqué dans le blogdechoc le 19 avril

Sept ans après avoir enregistré les sept pièces de “Some Love Songs”, Marc Copland en grave sept autres (six standards et une composition originale) dans “Some More Love Songs”, toujours avec Drew Gress à la contrebasse et Jochen Rückert à la batterie. Émergeant de sa mémoire, elles se sont imposées naturellement au pianiste, comme si elles avaient choisi leur interprète. Comme à son habitude, Copland diffracte ses notes, les rend liquides et transparentes, contracte ou allonge ses harmonies flottantes, apporte un soin extrême aux couleurs, à la résonnance de ses morceaux. Il enregistre souvent les mêmes thèmes et I Don’t Know Where I Stand de Joni Mitchell apparaît aussi dans “Alone”, un disque en solo de 2009, également recommandable.

 

vincent-bourgeyx-hip-Vincent BOURGEYX : “HIP” (Fresh Sound New Talent / Socadisc). Chroniqué dans le blogdechoc le 9 mai

Diplômé du fameux Berklee College of Music de Boston, Vincent Bourgeyx s’immergea dans le blues et le swing auprès du tromboniste Al Grey et l’écoute des disques d’Oscar Peterson fut déterminante sur sa vocation de pianiste. Après “Again”, album qui fit battre mon cœur et secoua mes oreilles, “HIP” son nouvel opus me fait pareillement tourner la tête. En compagnie de Pierre Boussaguet à la contrebasse et d’André Ceccarelli à la batterie, il revisite le jazz et ses standards avec dans ses bagages une bonne pratique de l’harmonie acquise lors de ses leçons de piano classique. Le disque contient des versions inventives de Daahoud, de Prelude to A Kiss, mais aussi des compositions originales dans lesquelles Vincent fait danser ses notes et soulève l’enthousiasme.

 

 Philippe le Baraillec - Involved, cover-Philippe LE BARAILLEC : “Involved” (Out Note / Harmonia Mundi). Chroniqué dans le blogdechoc le 9 mai

Un pianiste d’autant plus rare qu’il donne peu de concerts et ne sort guère de sa tanière si ce n’est pour donner des cours à la Bill Evans Piano Académie. Philippe Le Baraillec ne fait pas davantage de disques – “Involvedn’est que son troisième album depuis “Echoes from my Roomen 1996. Tous nous sont infiniment précieux car ils traduisent la sensibilité vive d’un musicien à fleur de peau qui joue des harmonies d’une grande acuité poétique. Avec Mauro Gargano à la contrebasse et Ichiro Onoe à la batterie pour habiller ses silences et les rythmer, il peint une symphonie de couleurs dans laquelle toutes sortes de bleus s’offrent à l’oreille. Il la partage avec Chris Cheek, un saxophoniste originaire de Saint-Louis, un mélodiste qui, comme lui, laisse respirer la phrase musicale pour la rendre plus élégante.

 

B.-Mehldau-Where-Do-You-Start--cover.jpg-Brad MEHLDAU Trio : “Where Do You Start ?” (Nonesuch / Warner). Chroniqué dans Jazz Magazine / Jazzman n°642 - octobre (Choc) 

Deux excellents disques de Brad Mehldau ont été publiés cette année : “Ode” en mars et “Where Do You Start ? ” en octobre. Le premier ne contient que des compositions originales et le second que des standards, le titre Jam étant une improvisation prolongeant Samba E Amor de Chico Buarque. Si tous les deux ont été enregistrés aux mêmes dates (novembre 2008 et Avril 2011) avec le même trio (Larry Grenadier à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie), “Where Do You Start ?” conserve ma préférence. Sans doute à cause du  répertoire qui mêle mélodies venant de la musique pop (Baby Plays Around d’Elvis Costello, Time Has Told Me de Nick Drake) et standards de jazz (Brownie Speaks, Airegin et Where Do You Start ?, un thème de Johnny Mandel dont Brad joue en douceur la mélodie, en livre une version sensible et émouvante) Le grand disque d’un grand trio en veine d’inspiration.    

 

Fred Hersch Trio, cover-Fred HERSCH Trio : “Alive at the Vanguard” (Palmetto / Codaex). Chroniqué dans le blogdechoc le 10 octobre

Miraculeusement sorti d’un coma profond en 2008, Fred Hersch joue depuis un piano admirable. Enregistré avec John Hébert et Eric McPherson, musiciens qui l’accompagnent aussi dans “Whirl” (Choc de l’année 2010), “Alive at the Vanguard” reste d’une musicalité exceptionnelle. Hersch aime beaucoup ce club. L’ambiance, l’intimité du lieu, ses qualités acoustiques agissent sur sa musique, sur ses improvisations qui pétillent d’intelligence. Dans les ballades qu’il aborde avec un feeling immense ou sur tempo rapide, il fascine par la fluidité de sa musique (mélange de standards et de compositions originales souvent dédiées à des proches), par sa conception très souple du rythme. Ses progressions d’accords, les couleurs harmoniques qu’il utilise révèlent la profonde intimité qu’il partage avec son piano. 

 

Laïka, cover-LAÏKA : “Come a Little Closer” (Classics & Jazz / Universal). Chroniqué dans le blogdechoc le 25 octobre

Laïka Fatien n’avait pas prévu d’enregistrer aussi vite. Un besoin urgent d’évoquer son trouble amoureux, d’exprimer ses sentiments l’a conduit en studio plus tôt que prévu. Elle le fait ici avec les mots des autres, des mélodies associées à Abbey Lincoln, Carole King et Nina Simone. Des mots qui sont les siens dans Divine, juste un piano pour souligner le velours de sa voix. Elle souhaitait un orchestre de chambre pour l’accompagner et Gil Goldstein lui a fourni des arrangements sobres qui traduisent bien son état d’âme. Pas de batterie, quelques cordes et vents, la contrebasse de Rufus Reid et trois trompettes amies – celles de Roy Hargrove (qui joue surtout du bugle) d’Ambrose Akinmusire et de Graham Haynes répondent à sa voix qui murmure, chuchote et se love au creux de l’oreille. Amoureuse, Laïka n’a jamais aussi bien chanté que dans ce disque, le plus émouvant de ses quatre albums.         

 

Elias-Swept-Away--cover.jpeg-Marc JOHNSON / Eliane ELIAS : “Swept Away” (ECM / Universal). Chroniqué dans Jazz Magazine / Jazzman n°643 - novembre (Choc)

Second disque de Marc Johnson pour ECM après “Shades of Jade” publié en 2005, “Swept Away” sort également sous le nom d’Eliane Elias, son épouse. Une carrière de chanteuse lui permet depuis quelques années d’atteindre un large public, mais c’est en tant que pianiste qu’elle dévoile ici la richesse de ses compositions et la grandeur de son art pianistique. Deux autres musiciens les accompagnent, Joey Baron (batterie) et Joe Lovano qui s’exprime au ténor dans une bonne moitié de l’album. Marc Johnson prend peu de solos mais fait sonner les notes rondes et boisées de sa contrebasse. Outre Inside Her Old Music Box, morceau fascinant qu’il co-signe avec sa femme, il apporte Foujita, une pièce impressionniste aux notes flottantes, la plus belle pièce d’un disque remarquable.

 

C. Zavalloni, cover-Cristina ZAVALLONI & RADAR Band : “La donna di cristallo” (Egea / Orkhêstra). Chroniqué dans le blogdechoc le 11 décembre

Une chronique tardive dans le blogdechoc, n’empêche nullement ce disque de faire partie des meilleurs de l‘année. Son originalité justifie sa présence. La chanteuse bénéficie d’arrangements aussi étonnants que réussis. Rassemblant huit musiciens remarquables, le Radar Band sert sa voix puissante et très souple de soprano, une voix au large ambitus ce qui lui permet de brusques sauts d’octaves. Cristina Zavalloni chante en français, en anglais et en italien ses compositions. Responsable des orchestrations étonnantes de l'album, Cristiano Arcelli son saxophoniste cosigne l’une d’entre elles. S’ils ajoutent des couleurs, trouvent d’heureuses combinaisons de timbres pour mettre son chant en valeur, les musiciens se réservent aussi des espaces d’improvisation. Leurs chorus confèrent une belle spontanéité à ce petit opéra de chambre espiègle et créatif.

 

… et un inédit

K. Jarrett Sleeper cover-Keith JARRETT : “Sleeper” (ECM / Universal). Chroniqué dans le blogdechoc le 17 juillet

En avril 1979 le Belonging Quartet de Keith Jarrett se rendit au Japon et donna plusieurs concerts à Tokyo. L’un d’entre eux fut publié dix ans plus tard sous le nom de “Personal Mountains”. ECM en exhume un second cette année. On ne peut que s’en réjouir car malgré son importance dans l’histoire du jazz des années 70, le quartette européen du pianiste nous laisse peu de disques. Retrouver le pianiste avec Jan Garbarek (saxophones et flute), Palle Danielsson (contrebasse) et Jon Christensen (batterie) constitue bien un événement. Le répertoire de “Sleeper” recoupe les contenus de “Personal Mountains” et de “Nude Ants” enregistré live un mois plus tard (mai 1979) au Village Vanguard de New York. Le seul inédit en est So Tender que Jarrett reprendra avec Gary Peacock et Jack DeJohnette. Ces morceaux n’ont pas pris de rides. Garbarek y fait entendre ses notes brûlantes, sa sonorité âpre et expressive. En osmose avec lui, Jarrett fait chanter son piano, joue avec un lyrisme, une intensité qui soulève et fait monter au ciel.

 

Photo montage © Pierre de Chocqueuse   

Partager cet article
Repost0
16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 10:50

Marc-Copland---Michel-Butor.jpegSeconde livraison, cinq disques qui méritent attention. Ils sont tous sortis cet automne. On peut s’étonner d’en trouver un d’Henri Salvador dans cette sélection, mais bien que dématérialisé (il n’est disponible qu’en téléchargement)  le document est exceptionnel pour ceux qui aiment le jazz. Dernières chroniques de l’année 2012 à vous être proposées, elles précèdent mes Chocs de l’année, en ligne autour du 20 décembre. Un peu de patience. Tout vient à point qui sait attendre.

 

M. Cpland, coverMichel BUTOR / Marc COPLAND : “Le long de la plage” (Vision Fugitive / H.M.)

Marc Copland aime la poésie. Le livret de “Poetic Motion” son plus beau disque en solo, abrite des extraits de poèmes de Jacques Prévert, Dylan Thomas, André Breton, E.E. Cummings et un poème entier de Bill Zavatsky auteur d’Elegy (For Bill Evans) reproduit au dos de la pochette de “You Must Believe in Spring”, disque testament du pianiste. Marc Copland vient d’enregistrer un disque avec Michel Butor qui apprécie depuis longtemps son piano. Cet album, Marc l’a soigneusement préparé, composant des musiques pour ces poèmes, pour les mettre en perspective. Ils ont enregistré côte à côte dans le même studio. Michel, 86 ans, récite ses textes d’une voix malicieuse ; Marc les colore de ses harmonies, de ses notes tintinnabulantes, sa musique romantique convenant parfaitement aux songes de Michel. Ils commencent doucement, très doucement, et nous font partager leurs rêves.

 

Jean-Pierre-Mas-LatinAlma--cover.jpgJean-Pierre MAS : “LatinAlma”

(Out Note / Harmonia Mundi)

Jean-Pierre Mas a l’âme latine et sa musique mélancolique trouve ici des voix sensibles pour la chanter. Dans Partir o Seguir qui ouvre cet album profondément touchant, celle d’Elvita Delgado rencontre un piano économe qui trouve toujours les notes justes pour lui répondre. Le bandonéon de Juan José Mosalini ajoute du vague à l’âme à la musique, comme dans A la Sombra de la Luna (dédié à Yun Sun Nah) et Si te Vas, deux émouvantes réussites. L’autre chanteuse, Sheyla Costa, une brésilienne, nous fait pareillement tourner la tête. Pierre Barouh récite des poèmes de Cartola (Angenor de Oliveira) et de Vinicius de Moraes. Attentif, Jean-Pierre Mas accompagne, pose de tendres couleurs sur des musiques qu’il n’a pas toutes composées. Joués en solo, Aquellos Ojos Negros et Derrière le miroir témoigne de la richesse des paysages qu’il est capable d’évoquer au piano.

 

Henri-Salvador--1958-.jpegHenri SALVADOR : “Mes Inédits”

(Body & Soul)

Ne cherchez pas à vous procurer ce disque en magasin, il n’est disponible qu’en téléchargement. La plupart des plateformes de distribution le proposent. Normal, c’est un document unique que tout amateur de jazz se doit de posséder. Henri Salvador confirme le chanteur exceptionnel qu’il était dans un répertoire conciliant jazz et humour. Nous sommes en 1958, Daniel Filipacchi fait un tabac avec son émission Pour ceux qui aiment le jazz sur Europe n°1. Sur la même radio, il en présente une seconde “Jazzons un peu” et invite régulièrement Salvador à se joindre aux musiciens qui l’enregistrent en direct le mercredi : Raymond Fol (piano), Bibi Rovère (contrebasse) et Moustache (batterie) que visitent parfois Benny Vasseur (trombone) et Barney Wilen (sax ténor). Avec eux, Henri nage comme un poisson dans un aquarium. Dans une forme éblouissante, il chante Jacques Prévert, Boris Vian et Raymond Queneau (sur I May Be Wrong). “Atomic Basie” vient de paraître et, avec l’orchestre du Count dont le disque est joué simultanément, il improvise sur Li’l Darling (qu’il enregistrera cinq ans plus tard) et sur After Supper, morceau au cours duquel il s’amuse à dialoguer avec Eddie Lockjaw Davis au saxophone ténor. Ne manquez surtout pas son désopilant tour de force vocal dans Improvisation sur une contravention, (le contrevenant est Daniel Filipacchi) sur la musique d’Embraceable You de George Gershwin, ni son Improvisation sur un article de presse (Le Blues de la Pausa). Vous l’avez compris, ces joyeux inédits méritent votre attention.  

 

Virginie TEYCHENÉ : “Bright and Sweet”Virginie-Teychne-Bright-And-Sweet-cover.jpg

(Jazz Village / Harmonia Mundi)

Au-delà de la prouesse technique (le scat employé avec aisance), cette voix naturelle chante avec son cœur, son âme. Elle ne ment pas lorsqu’elle s’exprime avec des mots et du rythme, ou qu’elle nuance une mélodie pour la rendre sensible et plus présente. Dans son art, Virginie Teychené est une magicienne. L’amour de la musique l’embrase, lui donne le feu sacré. Après deux albums très réussis, elle change de label, publie un troisième disque qui bénéficie d’une meilleure distribution, d’une meilleure promotion. Le répertoire est essentiellement un florilège de standards, hommages à des chanteurs (Eddie Jefferson, Jon Hendricks) aux chanteuses qu’elle apprécie (Billie Holiday, Betty Carter, Abbey Lincoln, Peggy Lee), mais aussi au Double Six, groupe vocal légendaire dont elle reprend l’arrangement de Rat Race. Le quartette qui l’accompagne la suit depuis longtemps. S’ajoute la trompette d’Eric Le Lann dans de splendides versions d’Angel Face et de Don’t Explain. Un must.

 

D.-Zeitlin--coverRGB.jpgDenny ZEITLIN : “Wherever You Are”

(Sunnyside / Naïve)

Chaque année, Denny Zeitlin publie un album, le plus souvent un enregistrement public, un solo. “Wherever You Are” en est un, mais Zeitlin l’a conçu en studio et joue sur un bon piano ce qui n’est pas toujours le cas. Compositeur inspiré (Bill Evans aimait reprendre son Quiet Now), il privilégie ici des standards, un florilège de ballades qu’il admire depuis longtemps. Si certaines lui sont familières, il en reprend d’autres pour la première fois. Ses improvisations ne s’éloignent jamais des mélodies qu’il respecte. Et pourtant, il les transforme, en propose des versions modernes, fait preuve d’une imagination intarissable dans des relectures sensibles et lyriques de Good-Bye ou de Last Night When We Were Young pour ne citer que ces deux thèmes. “Wherever You Are” est un de ses meilleurs albums. Mis en vente sans battage médiatique, il risque hélas sans votre coup de pouce de passer inaperçu.

 

Photo Marc Copland & Michel Butor © Pierre de Chocqueuse

Partager cet article
Repost0
11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 12:11

C.-Zavalloni-Band.jpegPas vraiment un rattrapage, pas davantage des oublis, mais des disques de 2012 dont je n’ai pas eu le temps de parler. Les fêtes approchent et avec elles des cadeaux à faire. Puissent ces dix courtes chroniques (en 2 livraisons, la seconde très prochainement) mériter votre attention.

   

C. Zavalloni, coverCristina ZAVALLONI & RADAR Band :

“La Donna di Cristallo” (Egea / Orkhêstra)

Les invités à la remise des prix 2011 de l’Académie du Jazz ont découvert sa voix lors d’un duo improvisé avec le saxophoniste Francesco Bearzatti, une voix puissante à la large tessiture, agile dans les aigus et capable de brusques sauts d’octaves. La chanteuse italienne a d’autres talents. Capable de chanter dans plusieurs langues, elle se révèle particulièrement inspirée dans ses propres compositions, des morceaux arrangés avec soin par Cristiano Arcelli le saxophoniste de son groupe. Car avec le Radar Band, Cristina Zavalloni possède huit musiciens qui apportent beaucoup à ses musiques, leur ajoutent des couleurs, trouvent d’heureuses combinaisons de timbres pour mettre son chant en valeur. La qualité des chorus (de trombone, de trompette)  est aussi un atout pour sa musique espiègle et créative qui flirte parfois avec l’opéra, avec Kurt Weill et Nino Rota comme le fait remarquer Thierry Quénum dans le numéro de décembre de Jazz Magazine.

 

Oliva, coverJean-Marc FOLTZ / Stephan OLIVA :

“Visions Fugitives” (Vision Fugitive / H.M.)

Difficile de ne pas admirer la complicité unissant le clarinettiste Jean-Marc Foltz au pianiste Stephan Oliva, de ne pas succomber à leur répertoire ouvert sur le jazz (Naïma, Lonnie’s Lament), le classique et l’improvisation. Les deux hommes se sont rencontrés à Strasbourg lorsqu’ils étaient tous les deux enseignants. Depuis, ils ont enregistré plusieurs disques ensemble dont le superbe “Pandore” pour le label Sans Bruit disponible uniquement en téléchargement. Leurs “Visions fugitives” (titre emprunté à un opus de Prokofiev) recèlent bien des merveilles. On se laisse envoûter par le souffle chaud des clarinettes (basse et si bémol), par les accords inspirés d’un piano aux basses puissantes, par la sombre beauté mélodique des compositions qui brillent d’une lumière de petit matin. Elle jaillit du clair obscur dans la Romanza, deuxième mouvement de la Sonate pour clarinette et piano de Francis Poulenc. L’œuvre fut crée le 10 avril 1963 après la mort du compositeur au Carnegie Hall de New-York par Benny Goodman et Leonard Bernstein.

 

Baptiste Herbin, coverBaptiste HERBIN : “Brother Stoon”

(Just Looking Productions / H. Mundi)

Âgé de 25 ans, Baptiste Herbin étonne par la puissance de feu jubilatoire de ses saxophones (alto et soprano) et la maturité de son écriture. “Brother Stoon”, son premier album témoigne de son savoir faire. Qu’il fasse allégeance au bop interprété à grande vitesse (Entomology, Chute libre, Cochise), danse des rythmes chaloupés des îles du Sud (Kitano-Ko, We Remember Rakotozafy) ou qu’il plonge ses notes dans le blues (Faits d’hiver, Blues for Jean pour et avec Jean Toussaint au saxophone ténor) Baptiste, très à l’aise, navigue entre les genres. Ses ballades apaisent et enchantent. Brother Stoon qui donne son nom à l’album relève du funk, Baptiste privilégiant l’héritage afro-américain, le rythme, le swing à la torture cérébro-spinale. Impérial, André Ceccarelli officie à la batterie. Au piano et très en doigts, Pierre de Bethmann nourrit la musique d’harmonies judicieuses. À la contrebasse, Sylvain Romano éblouit dans Une île, composition de Jacques Brel et seule reprise d’un disque très réussi.

 

Dave King, coverDave KING : “I’ve Been Ringing You”

(Sunnyside / Naïve)

Impossible de reconnaître le batteur sur-boosté de The Bad Plus dans ce disque intimiste enregistré en trio. Utilisant ses balais et sa charleston, jouant sur le timbre de sa caisse claire pour en tirer des couleurs, Dave King apparaît ici comme un émule de Paul Motian, un peintre qui suggère davantage le tempo qu’il ne le marque. La contrebasse de Billy Peterson assure souvent un rôle de bourdon, ou tient des ostinatos très relâchés, la musique circulant en toute liberté dans un espace sonore toujours respirable. Cet oxygène, on le doit aussi à Bill Carrothers qui joue moins de notes que d’habitude, pratique un jeu économe, presque minimaliste dans les relectures des standards qui nous sont ici proposés, des thèmes dont les trois hommes nous offrent des versions neuves et oniriques qui fascinent un peu plus à chaque écoute.

 

Bobo-Stenson--cover.jpegBobo STENSON Trio : “Indicum

(ECM / Universal)

Son dernier disque ECM date de 2008. Bobo Stenson garde le même trio pour un disque plus introspectif, à l'esthétique davantage européenne. L’influence de la musique classique prend ainsi le pas sur le blues, l’apport afro-américain se voyant ici minimisé au bénéfice d’une autre tradition folklorique. Le résultat est superbe, car nous sommes en présence de trois grands musiciens dont le premier souci reste la mélodie, point d’appui à des jeux de miroirs harmoniques, à un savant coloriage d’une riche palette sonore. Souvent à l’archet, Anders Jormin utilise toutes les ressources que lui offre sa contrebasse. Caressant les peaux de ses tambours, Jon Fält se révèle un coloriste inspiré. Quant au pianiste, il met ses harmonies surnaturelles au service d’un répertoire éclectique comprenant aussi bien une page de Carl Nielsen, un traditionnel norvégien qu’un extrait de la “Navidad Nuestra” du compositeur argentin Ariel Ramirez (Alouette popularisé par Gilles Dreu).

Cristina Zavalloni & Radar Band : Photo X/DR

Partager cet article
Repost0
22 novembre 2012 4 22 /11 /novembre /2012 08:59

Pas vraiment de jeunes talents. Tous les deux ont du métier, mais peinent à faire connaître et reconnaître leur musique. Des découvertes, des coups de cœur, de ceux qui le font battre plus vite et plus fort…

 

Jeremie-Ternoy-Bill--cover.jpgJérémie TERNOY Trio : “Bill” (Circum-Disc / MVS distribution)

Enregistré en 2007, “Bloc”, précédent disque de Jérémie Ternoy, son second, contenait des plages essentiellement rythmiques et des compositions aux mélodies évanescentes qui révélaient un riche potentiel harmonique. Le pianiste hésitait entre rythme et lyrisme. Ses différents tableaux constituant une suite, “Bill” mêle habilement les deux, les nouveaux morceaux faisant fusionner rythmes et mélodies, Jérémie tissant un discours mélodique sur de longs ostinato, sur des tourneries répétitives dignes de Philip Glass (Répétitifs) qu’il parvient à aérer, à faire respirer. Disposant d’un toucher raffiné, il improvise de longues lignes mélodiques, fait chanter ses notes avec lesquelles il nous raconte des histoires et nous tient constamment en haleine. Il y parvient grâce à la complicité de son groupe, un trio se suffisant à lui-même. Nicolas Mahieux (contrebasse) et Charles Duytschaever (batterie) l’accompagnent depuis plus de dix ans et installent un flux sonore d’une rare fluidité. Cela s’entend surtout, dans Bill morceau onirique aux harmonies surprenantes – parfois tirées des cordes du piano – qui donne son nom à l’album. Quant à Ligoté, pénultième titre de ce recueil, il révèle un musicien dans la plénitude de son art. Jérémie Ternoy a largué les amarres. Oubliant sa technique pour écouter son cœur, il nous régale de ses mélodies rythmées, d’un beau piano que l’on aurait tort d’ignorer.

 

F.-Borey-The-Option--cover.jpgFrédéric BOREY : “The Option” (Fresh Sound New Talent / Socadisc)

Au regard de sa discographie et d’une biographie témoignant de nombreuses rencontres et péripéties musicales, Frédéric Borey n’est pas ce que l’on peut appeler un « talent émergent ». Connu de certains journalistes et de ses confrères musiciens, il est toutefois ignoré par un large public. Je le découvre avec “The Option”, son cinquième album, le premier à me parvenir. Grâce à Arielle Berthoud, attachée de presse indépendante qui assure infiniment mieux que celui de Socadisc, aux abonnés absents depuis de longues années. Installé à Paris depuis septembre, après quatre ans de villégiature à Bordeaux où il enseigna le saxophone, Frédéric Borey a sans doute de meilleures chances de s’y faire connaître. Un concert est prévu le 6 décembre prochain au Sunside. L’occasion idéale d’écouter un musicien qui met sa sonorité au service de compositions témoignant d’un réel souci d‘écriture et de forme. Des années d’études classiques ont façonné l'artiste qui s’est débarrassé de tout ce que l’enseignement avait de trop scolaire pour se forger un langage propre, mélodique, en phase avec le jazz d’outre-atlantique car respectant ses traditions. Lo Zio et son thème acrobatique relève ainsi du bop et Still Raining d’une ligne de blues, mais Frédéric Borey qui se complait dans les registres médium et aigu du ténor sait aussi imaginer des mélodies « mélodieuses » et les faire swinguer. Le son clair et droit de son instrument évoque celui de Warne Marsh et plus près de nous le timbre de Chris Cheek ; à l'alto dans Still Raining, au soprano dans The Option, sa sonorité suave et moelleuse sert admirablement son chant. Une fine équipe soigne et donne du poids à sa musique. Inbar Fridman à la guitare et Camelia BenNaceur (découverte auprès de Billy Cobham) au piano et Fender Rhodes sont avec lui les principaux solistes de cet opus. Invités sur deux plages, Yoann Loustalot au bugle et Mickael Ballue au trombone rehaussent de couleurs des arrangements soignés. Confiés à Florent Nisse et à Stefano Lucchini, contrebasse et batterie n’étouffent jamais la musique, mais la portent, la rendent légère et pneumatique, Mr J.H. révélant le grand talent du bassiste. D’une grande douceur, Olinka réunit guitare, contrebasse et saxophone ténor pour un vrai moment de bonheur.

Partager cet article
Repost0
17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 09:46

Jazz-Soul-Seven--cover.jpgOn ignore la date de cet enregistrement inattendu dans lequel un "all star" de jazzmen sur-vitaminés rend hommage au regretté Curtis Mayfield (1942-1999). Co-produit et arrangé par Phil Upchurch, il est probablement ancien, son dédicataire, Master Henry Gibson, le percussionniste de la séance, ayant été emporté en 2002 par une crise cardiaque. Très demandé dans les studios de Chicago, Gibson joua dans de nombreux albums de Mayfield. Il se distingue aux roto-toms dans “Superfly”, une bande originale considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la soul que reprend la fine équipe de mercenaires qui se distingue ici. Outre Upchurch à la guitare et Gibson aux percussions, la formation réunit Wallace Roney à la trompette, Ernie Watts au saxophone ténor, Russell Ferrante au piano, Bob Hurst à la contrebasse et Terri Lyne Carrington à la batterie. Avant de démarrer une fructueuse carrière sous son nom en 1970, le chanteur fut le leader des Impressions, groupe vocal très actif dans les années 60. Avec eux pour ABC, il signa à partir de 1961 une impressionnante série de tubes inaugurée par Gypsy Woman, une ballade avec castagnettes et guitare flamenco. Cuivres sophistiqués et voix suaves pour It’s All Right (1963) que suivront I’m So Proud, Keep on Pushing, le gospellisant Amen et, en 1965, le célèbre People Get Ready que chanta Aretha Franklin. Les Jazz Soul Seven en donnent d’inventives versions orchestrales trempées dans le groove. Bien que certains morceaux soient plus particulièrement dévolus à certains instruments –Freddie’s Dead largement confié au ténor d’Ernie Watts – , les musiciens sont nombreux à se disputer des improvisations souvent musclées qui prolongent et pimentent des arrangements aux rythmes foisonnants. Le jubilatoire Move On Up en est l’exemple parfait. Guitare et ténor se partagent le thème, mais c’est la trompette qui s’en empare pour le porter, Watts reprenant la main pour conclure. On croit le morceau terminé. Il n’en est rien, car la batterie et les congas font rebondir et relancent la mélodie, Upchurch s’offrant alors un immense solo de guitare, les souffleurs assurant des riffs brûlants pour faire monter la tension. Les solistes sont tous excellents. Wallace Roney impose sa trompette mordorée dans Superfly et Ernie Watts attaque ses notes avec un lyrisme que l’on aimerait bien trouver plus souvent chez les jeunes saxophonistes. Loin des Yellowjackets, groupe dont il est le pianiste depuis les débuts des années 80, Russell Ferrante se montre capable de renouveler son jeu, apporte des couleurs aux compositions de Mayfield, leur donne même une réelle dimension harmonique lorsqu’il en assure les chorus, ceux de It’s All Right, de Check Out your Mind dans lequel il dialogue avec la section rythmique, témoignant d’un réel savoir-faire.

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2012 4 25 /10 /octobre /2012 08:15

Laika--cover.jpgLaïka Fatien chante l’amour, évoque son trouble amoureux à travers des chansons qui épousent intimement ses battements de cœur, des mélodies que rendirent célèbres Abbey Lincoln (When Love Was You and Me), Carole King (Go Away Little Boy), Nina Simone (Wild is the Wind), ou Bing Crosby (It’s Easy to Remember). Laïka n’avait pas prévu d'enregistrer ce disque aussi vite. Les méandres de sa vie sentimentale en ont décidé autrement, la chanteuse éprouvant un besoin urgent de raconter, de traduire par des mots ses propres états d’âme. Les mots des autres, mais aussi les siens, ceux de Divine que Roy Hargrove a mis en musique. Juste un piano pour accompagner, souligner le velours de la voix. Les morceaux ne sont pas tous aussi dépouillés. Laïka souhaitait un orchestre de chambre pour exprimer ses sentiments, un violoncelle, une clarinette basse pour donner de la profondeur, du poids au discours amoureux. Gil Goldstein auquel elle a confié les arrangements de l’album a ajouté violon, trombone basse, et flûte alto. Pas de batterie, de rythme trop marqué, mais la contrebasse de Rufus Reid, la musique étant parfois réduite à la seule plainte d’un violoncelle. Amoureuse, Laïka s’adresse à l’autre, aux autres incarnés à tour de rôle par trois trompettes amies. Roy Hargrove s’exprime surtout au bugle. Comme lui, Ambrose Akinmusire à la trompette et Graham Haynes au cornet assurent des commentaires mélodiques improvisés – obbligatos dont Lester Young fut coutumier auprès de Billie Holiday – , répondent par des notes très pures à une voix qui chante, pleure et tremble d’émotion (Loving You). Laïka n’a probablement jamais aussi bien chanté. Elle s’approprie ces textes, ces mélodies, les interprète avec passion comme si elle les avait écrits elle-même, comme s’ils lui appartenaient. Ce disque n’est toutefois pas facile. Il se mérite, se révèle après des écoutes attentives que le silence, l’obscurité favorisent. Les morceaux ont souvent des tonalités très proches. Les tempos uniformément lents semblent ralentir l’horloge céleste. Ici la voix est murmure, chuchotements. Elle se love au creux de l’oreille, parle le langage du cœur, s’accueille et s’abandonne au cœur même de la nuit.

Partager cet article
Repost0
16 octobre 2012 2 16 /10 /octobre /2012 09:30

ONJ Piazzolla! coverMis à part Daniel Yvinec son directeur artistique, maître d’œuvre de ce projet ambitieux, qui se doutait que le nouveau disque de l’Orchestre National de Jazz serait une si bonne surprise ? Après un projet original autour de Robert Wyatt et un double album inégal consacré à des œuvres de John Hollenbeck qui aurait pu se réduire à un simple, l’ONJ rend hommage à Astor Piazzolla, reprend ses thèmes les plus célèbres tout en les sortant de la gangue du tango, le bandonéon du Maître se voyant virtuellement confié aux timbres des instruments de l’orchestre. À eux la charge de préserver ses mélodies (celles aussi de Carlos Gardel, de Juan Carlos Cobián auteur de plusieurs tangos historiques), et de transmettre le lyrisme de sa musique. Les puristes crieront au scandale ; les amateurs de musique qui se moquent des chapelles, applaudiront des deux mains. Jazz ou pas jazz, tango ou pas tango, peu importe, car la réussite musicale de l’album reste incontestable. Homme de culture et d’ouverture, Daniel Yvinec ne manque pas d’idées. Avoir confié les arrangements du disque à Gil Goldstein se révèle en être une excellente. La musique d’Astor Piazzolla se pare de superbes couleurs, fait entendre d’autres rythmes. Daniel sait produire et peaufiner un disque en studio, lui donner du relief, le faire sonner comme les vieux vinyles de l’âge d’or de la pop qu’il affectionne et qu’il possède. Arrangeur de “Wide Angles”, l’album le plus abouti de Michael Brecker, Gil Goldstein  fut un des élèves les plus brillants de Gil Evans. De ce dernier, il semble avoir hérité l’art de créer des alliages sonores qui valorisent les instruments. Si Soledad / Vuelvo al sur et sa flûte alto dans le grave évoque bien sûr le Barbara Song d’Evans (cela n’a pas échappé à Ludovic Florin qui chronique l’album dans Jazz Magazine / Jazzman), Balada para un loco avec ses ritournelles de flûtes, sa clarinette basse, ruisselle de magnifiques couleurs orchestrales. Autres réussites, mais elles sont si nombreuses qu’il faudrait citer presque tous les morceaux, cette relecture inédite de Libertango, l’un des chef-d’œuvres de Piazzolla, qui place en avant l’ostinato rythmique sur lequel repose la mélodie, et Mi Refugio, célèbre composition de Juan Carlos Cobián pour bandonéon solo confiée aux instruments à vent de l’orchestre chargés d’en réinventer le timbre. Après s’être procuré les partitions de Piazzolla, Gil Goldstein a commencé par le plus difficile, arranger Tres minutos con la realidad, pièce fiévreuse requérant une mise en place millimétrée des sections, morceau dans lequel s’insèrent parfaitement les chorus des instruments. Pari gagné pour l’ONJ qui signe l’un des disques les plus originaux de cette rentrée.

 

Concerts à la Gaîté Lyrique (20h00), les 24 et 25 octobre.

Partager cet article
Repost0
10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 08:00

Fred-Hersch-Trio--cover.JPGFred Hersch apprécie le Village Vanguard. L’ambiance, l’intimité, les qualités acoustiques du club agissent sur sa musique. Son nouveau disque y a été enregistré. S’il fait bon s’y trouver et y jouer, l’exiguïté du lieu oblige les instruments à être près les uns des autres, ce qui rend délicate la prise de son. Ce léger handicap sonore n’empêche pas d’apprécier la réelle sensibilité musicale de Hersch qui, miraculeusement sorti d’un coma profond en 2008, ne cesse depuis de jouer son meilleur piano. “Alive at the Vanguard” – on aura compris le jeu de mot – se révèle d’une musicalité exceptionnelle. John Hébert et Eric McPherson ont gravé “Whirl” en 2010 en sa compagnie. Plusieurs tournées leur ont permis de mieux se connaître et constituer un vrai trio. Le batteur marque le tempo d’une frappe légère, construit ses solos avec une grande rigueur ; la contrebasse n’hésite pas à placer ses propres lignes mélodiques tout en instaurant une conversation quasi permanente avec le piano. John Hébert se réserve un I Fall In Love Too Easily pour faire chanter son instrument. L’album mêle standards et compositions originales. Fred Hersch a l’habitude de les dédier à ses amis, à des artistes qu’il admire. Les dédicataires sont ici Paul Motian qui lui inspire le mélancolique Tristesse, une des plus belles pages de ces concerts, Ornette Coleman dont il reprend Lonely Woman, mais auquel il offre Sartorial, magnifique composition abstraite prétexte à une improvisation pétillante d’intelligence, et Eric McPherson pour lequel il a écrit Opener habillant un solo de batterie. L’usage du contrepoint lui permet de développer plusieurs lignes mélodiques au sein d’un même morceau, ce qui n’a pas manqué d’interpeller Brad Mehldau qui le cite comme une de ses principales influences. Le pianiste excelle autant dans les pièces lentes que sur tempo rapide, et joue une musique si fluide que l’on ne perçoit pas l’immense technique qu’elle exige. Il fascine aussi par sa conception très souple du rythme, ses progressions d’accords labyrinthiques (Rising, Falling), les couleurs dont il recouvre les standards qu’il reprend, vaste répertoire qu’il réactualise, repense avec un souci permanent de la forme. Capable de jouer un bebop acrobatique et enthousiasmant (Segment de Charlie Parker), il séduit par la douceur de son phrasé, les caresses dont profitent ses notes dans les ballades, Song is You abordé sur un rythme lent, The Wind de Russ Freeman habilement couplé avec Moon and Sand d’Alec Wilder, pièces délicatement ciselées dans lesquelles se révèle la profonde intimité qu’il partage avec son piano.

Partager cet article
Repost0