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19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 08:47

Humair--recto-cover.jpgTrompettiste véloce et virtuose, Nicolas Folmer aime prendre des risques, faire des rencontres inattendues. Co-leader avec Pierre Bertrand du Paris Jazz Big Band, il trempe ses phrases fiévreuses et bien sculptées dans le bop. Très à l’aise au sein du quintette de René Urtreger, on l’a entendu diversifier son art au Duc des Lombards auprès du saxophoniste Bob Mintzer, de la pianiste Junko Onishi. Dans ce même club s’est constitué le présent quartette que co-dirige Daniel Humair, association à priori surprenante, le batteur frayant depuis plusieurs années avec de jeunes musiciens aventureux qui jouent leurs propres compositions, ouvrent de nouvelles voies à l’improvisation, inventent un autre jazz. Auprès d’eux, Nicolas Folmer fait figure de musicien classique. Ses pièces structurées et mélodiques ont toutefois séduit Daniel qui y introduit des métriques souples et ouvertes, la musique, souvent modale et jamais figée, favorisant interaction et jeu collectif. Le trompettiste reste toutefois le principal soliste de ce groupe né sur scène, mais enregistré ici en studio. Soignée, la prise de son restitue fidèlement les timbres des instruments. Faite de peau, de bois, et de métal, la batterie donne relief et épaisseur à la musique, Daniel Humair, peintre de la mesure, ajoutant de la couleur à ses rythmes. Sans cesse à l’écoute, la contrebasse de Laurent Vernerey anticipe le discours musical, propose lignes de force et points d’appui. S’il ne prend que de rares chorus, Alfio Origlio structure et cadre le discours musical, l’ancre dans une harmonie élégante et subtile. Nicolas Folmer peut à loisir moduler de longues phrases lyriques. Une rythmique réactive, un piano prompteur assurent ses arrières, apportent un mouvement inattendu à un flux sonore toujours surprenant. Les compositions, de Nicolas pour la plupart, bénéficient toutes d’une approche originale. Daniel confie au quartette Gravenstein et Galinette. Alfio apporte River Calme, pièce lumineuse dans laquelle brille son propre piano. Un vrai groupe est né. Souhaitons lui d’autres disques et de nombreux concerts.  

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6 septembre 2012 4 06 /09 /septembre /2012 09:00

J.-Terrasson---gouache--cover.jpgAoût 2012 : C’est au studio Recall, un mas en pierre de taille au cœur d’un ancien domaine vinicole de cinq hectares aux portes des Cévennes, que Jacky Terrasson me fait découvrir les quatorze morceaux qu’il y a enregistrés. “Gouache” n’en contient que dix. Un onzième, D-ling, est disponible sur I Tunes. Le trompettiste Stéphane Belmondo est là aussi. Comme Jacky, un habitué des lieux, il y passe ses vacances, profite de l'été pour se détendre. Sur la photo ci-dessous, Stéphane et Jacky boivent à la santé de leur hôte, Philippe Gaillot. Stéphane vient de finir des prises destinées à un disque que prépare ce dernier, une tuerie dans laquelle, outre Jacky, jouent Mike Stern, Olivier Ker Ourio et Dominique Di Piazza. Musicien, arrangeur et ingénieur du son aux très grandes oreilles, Philippe a enregistré et assuré le mixage du nouveau disque du pianiste, un opus multicolore, Jacky passant parfois du Steinway au Fender Rhodes équipé d’une pédale wah wah, procédé utilisé dans la composition qui donne son nom à l’album. Outre Stéphane qui apporte les timbres magiques de son bugle et de sa trompette, Michel P brille à la clarinette b dans Try to Catch Me, le morceau d’ouverture. Construit sur un ostinato, il concilie rythmes latins et tempo décoiffant relevant du hip-hop. Bénéficiant d’une section rythmique superlative – Burniss Earl Travis à la basse électrique et à la contrebasse, Justin Faulkner à la batterie, Minino Garay aux percussions – “Gouache” fait la part belle au groove et contient des reprises aussi heureuses qu’inattendues. Les puristes qui n'affectionnent que les Ph.-Gaillot--S.-Belmondo--J.-Terrasson-c-P.-de-Chocqueuse.jpgstandards qu'ils connaissent se consoleront avec une version enlevée de Valse Hot que signa le grand Sonny Rollins. Car il fallait oser jazzifier Baby,méga tube récent (2010) de Justin Bieber, jeune chanteur canadien dont les photos tapissent les murs des chambres des ados. Plus surprenante encore, cette version de Rehab de la regrettée Amy Winehouse. Épurée et ralentie, elle devient ici un blues, une nouvelle création. Jacky n’hésite pas non plus à reprendre de très vieux morceaux telle cette version sensuelle de Je te veux, crée en 1903 par la chanteuse Paulette Darty. Son pianiste, Erik Satie, en composa la musique. Récipiendaire en 2011 de la prestigieuse Thelonious Monk Competition, Cécile McLorin Salvant, dont on apprécie pleinement le grain de voix dans un tel contexte, la chante ici magnifiquement. Associée à Oh My Love, composition de John Lennon extraite d’“Imagine”, son plus bel opus en solo, elle sera pour beaucoup la révélation de cet enregistrement. Autre surprise, cette modernisation de C’est si bon, une chanson du pianiste Henri Betti, longtemps accompagnateur de Maurice Chevalier qui, largement confiée aux percussions, relève ici de la musique des îles. Le morceau le plus émouvant de l’album reste toutefois Mother, composition de Jacky dont les harmonies de toute beauté enthousiasment, le pianiste véloce et virtuose laissant ici parler son cœur. Varié et inspiré, “Gouache” reste l’un de ses meilleurs albums, l’un de ses plus heureux. Le long et lumineux chorus qu’il s'accorde dans Happiness en témoigne.

 

Concert avec tous les musiciens de l’album le 6 septembre (20h00, Grande Halle de la Villette) dans le cadre du festival Jazz à la Villette.

 

Photo: Stéphane Belmondo et Jacky Terrasson en vacances au Studio Recall. A gauche, Philippe Gaillot © Pierre de Chocqueuse

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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 10:48

ECMDernières chroniques de disques avant la mise en sommeil de ce blog. Peu d’albums sont mis en vente en cette période estivale. Profitant de l’accalmie, quelques éditeurs malins mettent en circulation des enregistrements de jazzmen célèbres qui complètent avec bonheur leur discographie. Des concerts inédits de Bill Evans et de Keith Jarrett, des extraits de la dernière tournée de Return to Forever en son et en images accompagneront bains de mer, siestes, excursions en montagne et visites touristiques. J’ai rajouté John Taylor à cette sélection. Les disques de ce grand pianiste, le meilleur d’Angleterre, sortent sans aucune couverture médiatique et passent inaperçus. Dommage. Je vois bien les harmonies lumineuses de son nouvel opus éclairer notre été.

 

Keith JARRETT : “Sleeper” (ECM / Universal)

K.-Jarrett-Sleeper-cover.jpgCet enregistrement inattendu nous replonge dans les années 70, lorsque Keith Jarrett travaillait avec deux quartettes dont un européen, Jan Garbarek (saxophones ténor et soprano), Palle Danielsson (contrebasse) et Jon Christensen (batterie) étant alors de l’aventure. Cette dernière commença par “Belonging”, un enregistrement studio de 1974 qui donna son nom à la formation.  Elle se poursuivit avec “My Song“ en 1977. Deux ans plus tard, en mai 1979, le groupe se produisit au Village Vanguard de New York, prestation qui généra un double album live, “Nude Ants”. Auparavant, le Belonging Quartet s’était rendu au Japon, Tokyo l’accueillant pour plusieurs concerts en avril. La musique de l’un d’entre eux ressuscita en 1989, lorsque la firme ECM publia “Personal Mountains” à l’occasion de ses vingt ans d’existence. Une discographie réduite pour un groupe dont l’importance fut considérable dans l’histoire du jazz. On se réjouira d’autant plus de la parution de ce double CD, un “Dormeur”  (“Sleeper” ) qui se réveille après des années de mise en sommeil sur une étagère. Son enregistrement date du 16 avril 1979. Le lieu : le Nakano Sun Plaza de Tokyo. Cela explique que son répertoire recoupe les contenus de “Personal Mountains” et de “Nude Ants”. Avec “Sleeper”, nous possédons aujourd’hui trois versions d’Oasis et d’Innocence, deux de Personnal Mountains, Chant of the Soil, Prismet New Dance. On s’amusera bien sûr à les comparer pour découvrir qu’elles sont toutes différentes malgré les mélodies qu’elles possèdent en commun. Le seul « inédit » est ici So Tender que Jarrett reprendra avec Gary Peacock et Jack DeJohnette dans “Standards, Vol.2”. Le même trio nous donnera aussi une autre version de Prism en 1983. Ces morceaux ont toutefois été spécifiquement écrits par Jarrett pour son quartette européen. Ils n’ont pas pris de rides, semblent même avoir été joués hier, leur modernité les rendant intemporelles. On la doit à une formation soudée autour de son leader qui fait chanter un piano aussi intense que lyrique. Avec lui, capable de jouer des notes brûlantes et d’en souffler des tendres, Jan Garbarek fait entendre sa sonorité âpre et expressive qui influencera de très nombreux saxophonistes. Sa complicité avec Jarrett est particulièrement évidente dans leur interprétation de Personnal Mountainsdont la partie de piano semble décalée par rapport au thème que joue le saxophone. Vers sa quinzième minute, après une danse tribale confiée à une section rythmique très enveloppante que renforce Jarrett aux percussions, le morceau bascule avec l’apparition inattendue d’un second thème plus lyrique que le premier. La transition avec le morceau suivant, Innocence, étonne tout autant. Elle se fait de façon naturelle et se remarque à peine. Le tempo ralentit imperceptiblement. Palle Danielsson qui, un peu plus tard dans Chant of the Soil, va prendre un chorus rythmique époustouflant, fait sonner les harmoniques de sa contrebasse derrière un piano et un saxophone en parfaite osmose. La longueur de certains morceaux ne doit pas vous inquiéter. Introduit par Garbarek à la flûte, Oasis, une pièce modale incantatoire, dépasse les 28 minutes. Fermons les yeux : nous sommes dans une salle de concert, la musique suggère des images et fait monter au ciel.

 

Bill EVANS “Live at Art D’Lugoff’s Top of the Gate” (Resonance / Codaex)

bil-evans--Top-cover.jpgMême s’ils n’y sont jamais allés, les amateurs de jazz ont entendu parler du Village Gate, club de New York situé au sous-sol du 160 Bleeker Street à Greenwich Village. Il ouvrit ses portes en 1958 et les ferma en 1993, tout comme la salle du rez-de-chaussée baptisée Top of the Gate que le propriétaire des lieux, Art D’Lugoff, avait transformé en club en 1964. Bill Evans s’y produisit quatre semaines en 1968 avec son trio. Eddie Gomez est son contrebassiste attitré depuis 1966. Un nouveau batteur, Marty Morell, l’a rejoint depuis peu. Bill ne lui demande pas de prendre de solos, mais d’assurer le swing et le tempo. Il a des problèmes avec ses batteurs, les souhaite discrets et a choisi Morell pour la délicatesse avec laquelle il caresse sa caisse claire, ponctue le flux musical aux balais, comprend et anticipe ses désirs. Nonobstant certaines escapades, Gomez restera onze ans à ses côtés et Morell sera pour lui une force d’entraînement jusqu’en 1975. Tous les trois participeront aux enregistrements de “What’s New” (en quartette avec Jeremy Steig), “Montreux II”, “The Tokyo Concert”, “But Beautiful” (avec Stan Getz). Toutefois lorsque le 23 octobre 1968 le jeune George Klabin enregistre au Top of the Gate deux sets complets du pianiste pour la WKCR-FM, radio de l’Université de Columbia, Morell connaît encore mal les compositions d’Evans, ce qui explique que Turn of the Stars soit la seule pièce de Bill au sein d’un répertoire de standards. La prise de son est remarquable pour l’époque. Klabin disposait d’un magnétophone deux pistes, une table de mixage stéréo et de quatre excellents micros dont un Neumann U67. Il effectua le mixage en direct ce qui explique la qualité moindre des deux premières plages, Emily et Witchcraft, morceaux au cours desquels il dut effectuer certains réglages. Ces inédits sont également d’un grand intérêt historique. Bill Evans reprend Witchcraft que contient “Portrait in Jazz”, un disque de 1959. On ne connaît pas de version plus ancienne de Here’s That Rainy Day qu’il interprète ici, et c’est le premier enregistrement en trio de Yesterdays, My Funny Valentine et Mother of Earl, une composition d’Earl Zindar dont il affectionne les thèmes. Evans joue un piano nerveux aux notes abondantes, articule avec nuance de longues phrases dont chaque segment semble prendre le temps de respirer. Sa frappe se conjugue à un toucher qui donne de la grâce à sa musique. En trio, il explore de nouveaux territoires harmoniques, applique au jazz un vocabulaire hérité du classique et s’efforce de présenter ses idées dans un langage musical clair et sensible. La présence d’Eddie Gomez à ses côtés est la garantie d’y parvenir. Digne héritier de Scott LaFaro, ce dernier impose sa contrebasse virtuose et chantante. Ses chorus nombreux le voient solliciter les harmoniques, les notes aiguës qui sonnent difficilement et que l’on va rarement chercher. Doublant fréquemment les lignes du piano, il invente ses figures mélodiques, rassure et enrichit un discours evansien en quête de perfection esthétique. 

 

RETURN TO FOREVER : “The Mothership Returns” (Eagle Records / Naïve)

RTF-mothership-return-cover.jpgAnnoncé sans tapage médiatique comme tant d’autres disques qui nous tombent dessus en cette saison des pluies, cet enregistrement live de Return to Forever (2 CD et 1 DVD) est loin d’être anodin. Il fait suite à la tournée mondiale qu’assura l’an dernier une formation plusieurs fois remise sur pied depuis sa dissolution officielle en 1977. Chick Corea, Stanley Clarke et Lenny White qu’assistent Frank Gambale et Jean-Luc Ponty reprennent de larges extraits de leurs albums “Hymn to the 7th Galaxy” et “Romantic Warrior” dont la Medieval Overture, introduit leurs concerts au sein desquels abondent les passages acoustiques. Bien que jouant du piano électrique et de nombreux synthés, Chick Corea improvise fréquemment au piano, notamment dans The Romantic Warrior dont il masque longuement le thème. C’est encore au piano qu’il dialogue avec Jean-Luc Ponty, The Shadow of Lo et l’introduction du Concerto de Aranjuez consacrant leur entente. Car le violoniste n’a pas intégré la formation pour y faire de la figuration. Return to Forever IV reprend Renaissance, morceau que Ponty écrivit dans les années 70. Occasion pour lui de multiplier les échanges avec le piano et la guitare, de prendre de brillants chorus, d’apporter au groupe les couleurs uniques de son violon. Mêlé à la guitare électrique de Frank Gambale, son instrument donne du poids aux morceaux, Sorceress, Beyond the Seventh Galaxy, et School Days héritant d’une épaisseur sonore digne du rock. School Days reste bien sûr étroitement associé à Stanley Clarke, son créateur. Il y fait fièrement claquer les cordes de sa basse électrique, exhibe un jeu virtuose et un peu vain passant mieux en concert que sur disque. Les amateurs de jazz préféreront Renaissance et The Romantic Warrior, deux plages largement acoustiques. Le DVD contient d’autres versions bien filmées de After the Cosmic Rain et The Romantic Warrior, ainsi que deux documentaires sur le groupe, des interviews (sous-titrées) des musiciens se mêlant à des extraits de concerts.

 

John TAYLOR : “Giulia’s Thursdays” (Cam Jazz / Harmonia Mundi)

John-Taylor-Giulia-s-cover.jpgNe partez pas en vacances sans avoir écouté “Giulia’s Thursdays”, nouvel album du pianiste John Taylor consacré à Carlo Rustichelli (1916-2004) compositeur attitré du réalisateur Pietro Germi. Une commande de Cam Jazz, firme italienne qui possède les droits de nombreuses musiques de film et les fait jouer par les jazzmen qui sont en contrat avec elle. On trouve ainsi à son catalogue Ennio Morricone par Enrico Pieranunzi (deux volumes), Armando Trovajoli par Antonio Faraò, et Fiorenzo Carpi par Edward Simon. Morricone est mieux connu que les autres, mais ce que les interprètes font de leurs musiques importe davantage que les partitions elles-mêmes. Celles de Rustichelli furent souvent destinées à des péplums tels que “Le fils de Cléopâtre” (Il Figlio Di Cleopatra) ou à des comédies pas toujours réussies. L’une des plus célèbres est “Divorce à l’Italienne”. Taylor donne une version neuve et méconnaissable de sa bande-son, recouvrant la mélodie de ses propres harmonies, la musique devenant aérienne et fluide. Avec lui, ses musiciens habituels, Palle Danielsson dont on retrouve avec plaisir la contrebasse, et Martin France à la batterie, un trio qui nous plonge dans un jazz fin et subtil malgré les tonalités souvent semblables des morceaux.

Keith Jarrett Belonging Quartet © Terje Mosnes / ECM Records

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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 09:52

Christian-Scott-CD-cover.jpgCinquième enregistrement de Christian Scott, sans nul doute son plus ambitieux, “Christian aTunde Adjuah” (2 CD) rassemble 23 compositions originales, soit près de 2 heures de musique. En costume traditionnel des indiens noirs de la Nouvelle-Orléans, les « mardi gras indians » de sa ville natale, le trompettiste explore de nouveaux territoires musicaux tout en exploitant son propre héritage culturel. Les noms « aTunde » et « Adjuah » qui complètent aujourd’hui son patronyme sont ceux de deux cités de l’ancienne nation ouest-africaine du Bénin. On retrouve Matthew Stevens à la guitare, Kris Funn à la contrebasse et Jamire Williams à la batterie déjà présents dans “Yesterday You Said Tomorrow”, son opus précédent. Lawrence Fields, remplace Milton Fletcher Jr. au piano et si l’album bénéficie de quelques invités, les couleurs de la musique en sont peu modifiées, la trompette occupant une large place au sein d’une instrumentation qui la met presque constamment en valeur. Insolent, tendre, fiévreux, Scott séduit par un jeu cuivré aussi puissant que lyrique. Influencé par le rock, le funk et le hip-hop, son jazz repose sur des inventions rythmiques, des métriques inattendues qui placent le groove au cœur de sa musique.

 

Guitare et piano participent à cette mise en rythme et prennent peu de chorus dans le premier disque occupé par une trompette omniprésente dans New New Orleans (King Adjuah Stomp), Of Fire (Les filles de la Nouvelle-Orléans) construit sur un rythme hypnotique, Dred Scott une pièce modale, et Kiel, superbe ballade mélancolique dédiée au réalisateur Kiel Scott le frère jumeau de Christian. L’instrument qu’utilise ce dernier, une Getzen Katrina, lui permet d’obtenir une sonorité d’une grande douceur, mais aussi de souffler des notes furieuses dans l’agressif Pyrrhic Victory of aTunde Adjuah scandé par une guitare électrique au son très travaillé. Matthew Stevens s’offre un vrai chorus dans vs. the Kleptocratic Union, morceau au sein duquel le piano improvise également. À Lawrence Fields se voient confier les trois interludes de l’album, brèves phrases répétitives d’un piano préparé que portent des rythmes sophistiqués.

 

Concord-Records.jpgLe CD 2 s’ouvre par les accords rageurs de guitare de The Berlin Patient, l’un des titres les plus rock de ce répertoire. Stevens improvise avec beaucoup d’effets dans Jihad Joe, Away – titre qui fait entendre Corey King au trombone – , Tray Von et Bartlett, une ballade dont l’instrument expose le thème, Scott se contentant de quelques tuttis. Le piano se fait aussi davantage entendre dans ce deuxième disque. Répondant aux questionnements de la trompette dans le funky Alkebu Lan, très présent dans Liar Liar et Bartlett, Fields égraine les notes subtiles de I Do, pièce lente et majestueuse composée par Scott à l’occasion de ses fiançailles dans laquelle le saxophone ténor de Kenneth Whalum III assure de magnifiques contre-chants. Le piano enfin pour conclure magnifiquement avec Cora, une pièce modale lente, limpide, lumineuse composée par Scott pour sa mère, la conversation pudique et tendre de deux instruments inspirés.

 

Christian Scott et son groupe se produiront à l’Olympia le dimanche 8 juillet (19h00) en première partie de George Benson, et au New Morning le samedi 21 juillet.

 

Photo © Kiel Adrian Scott / Concord Records        

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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 09:24

B. Carrothers Family Life coverCe nouvel album solo de Bill Carrothers, une séance de juin 2009, est presque aussi attachant qu“Excelsior”, enregistré seize mois plus tard dans le même studio (La Buissonne) et chroniqué par mes soins dans Jazz Magazine / Jazzman (Choc) en mai 2011. Un disque dans lequel le pianiste se penche sur son passé, fait appel à sa mémoire, se souvient de la petite ville du Minnesota naguère célèbre pour son parc d’attraction dans laquelle il passa sa jeunesse. Improvisée en studio, sa musique nostalgique émeut profondément. Tout aussi sensible, celle de “Family Life” baigne dans une autre lumière. Aux couleurs automnales d’“Excelsior” se substitue le blanc qui encadre les nombreuses photos de famille qui ornent sa pochette. Comme son nom l’indique, le disque est un portrait musical de Bill et de sa famille dans leur environnement actuel, une petite ville du Michigan recouverte l’hiver par un blanc manteau de neige. Lyrique, mais pudique et économe dans le choix de ses notes comme pour nous en livrer les plus précieuses, le pianiste décrit en musique sa maison (Our House) et ses occupants. Il se fait tendre avec Eddie et Ellie (Bud and Bunny), ses jeunes enfants. Le thème de Peg, sa femme, est introduit par la mélodie de Scarborough Fair, une chanson anglaise de la fin du Moyen Âge dont le thème lui est spontanément revenu en mémoire au cours de l’enregistrement. C’est la seule reprise de l’album. Avec Harbor Lights, composé en 1937 par Hugh Williams et Jimmy Kennedy et qui fut chanté par Bing Crosby, Elvis Presley et Connie Francis. Bill l’a intégré à son répertoire car près de sa maison, à l’intersection de la rivière Ontonagon et du Lac Supérieur, se dresse un phare que lui et sa femme affectionnent. Le nom indien du lac, Gitchee Gumee, est aussi le titre de la plage la plus longue du disque. Avec Peg, Snowbound et News from Home, c’est l’un des quatre morceaux écrits qu’il contient. Tout le reste est improvisé. Snowbound (bloqué par la neige), mais aussi On the Sled (sur la luge) font référence à la blancheur des mois d’hiver. D’une grande douceur, le thème du premier possède des harmonies majestueuses. Le second est un blues, une pièce vive et zigzagante dont le pianiste possède le secret. Elle se conclut par un clin d’œil à la vieille Amérique, Bill Carrothers puisant son inspiration dans les vieux hymnes profanes et religieux du pays qui est le sien. Forefathers (les aïeux) ressuscite ainsi les airs d’un autre temps, My Old Kentucky Home de Stephen Foster, le "père fondateur", et Battle Cry of Freedom. Il fait de même dans “Excelsior”, disque qui grâce à des thèmes et des harmonies inoubliables - Wild Rose Lane, Lake Minnetonka, Excelsior in a Dream - , conserve d’une courte tête ma préférence.

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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 08:00

J. Abercrombie, coverDans cet enregistrement en quartette, John Abercrombie se penche sur son passé de guitariste, revient sur l’époque où son intérêt pour le jazz détermina sa vocation artistique. Né en 1944, il joue d’abord du rock and roll, le jazz entrant un peu plus tard dans sa vie avec Barney Kessel et Tal Farlow. Élève de la Berklee School of Music dans les années 60, il découvre Jim Hall qui deviendra sa principale influence. Celui-ci joue alors avec Sonny Rollins. Après une retraite de près de deux ans, le saxophoniste a fait paraître “The Bridge”, album de la sérénité retrouvée, Hall répondant par de petites phrases élégantes et raffinées à la force tranquille du ténor. Une révélation pour Abercrombie qui reprend ici les deux premiers titres de ce disque mythique : Where are you, une ballade somptueuse que Joe Lovano illumine, et Without a Song, un thème lui inspirant Within a Song qui donne son titre à l’album. L’ombre tutélaire de Jim Hall plane constamment sur ce disque. Il contient Sometime Ago qu’il jouait souvent avec Art Farmer lorsqu’il était le guitariste de son quartette, un thème inclu dans “Interaction”, un album Atlantic du trompettiste. Abercrombie et Lovano en donnent une version délicate, ce dernier prenant le temps de faire chanter à son saxophone ténor des phrases chaleureuses et mélodiques. Autre pièce associée à Jim Hall, Interplay, un blues en mineur, donne son titre à un célèbre disque de Bill Evans dans lequel Hall tient la guitare. Les années 60 pour John Abercrombie, c’est aussi la découverte tardive de “Kind of Blue”, occasion de relire de manière très originale Flamenco Sketches, de lui apporter une progression harmonique différente. Ornette Coleman et John Coltrane comptèrent également beaucoup dans son évolution. Du premier, il reprend Blues Connotation, un extrait de “This is Our Music” qui permet une grande liberté avec les barres de mesures, Abercrombie choisissant d’installer un tempo flottant avec sa section rythmique – Drew Gress à la contrebasse et Joey Baron à la batterie, tous deux excellents. Du second, Wise One a sa préférence. On le trouve dans “Crescent”, disque moins connu que “Ballads” ou “A Love Supreme”, mais qui reste l’un des fleurons de la période Impulse ! de Coltrane. John l’étudia à Boston. Il lui donne des couleurs modales, le ténor y développant un chorus magnifique. Easy Rider, une valse, un hommage au film que Dennis Hopper réalisa en 1969 complète cet album new-yorkais du guitariste, l’un de ses plus attachants.         

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9 mai 2012 3 09 /05 /mai /2012 08:35

Girolamo-dai-Libri--detail-.jpgAvril ne te découvre pas d’un fil. Cette vieille maxime s’est une fois encore vérifiée. Il a même plu abondamment. Les champignons prolifèrent sous les arbres qui bourgeonnent et sortent leurs premières feuilles. Les disques ne fleurissent pas sur nos prés verdoyants, mais se parent eux aussi de couleurs printanières. Ceux dont je souhaite vous entretenir ne présentent aucun danger, se consomment sans appréhension. Comme promis, j’ai goûté pour vous ces nourritures célestes. Vincent Bourgeyx, Carlos Maza, Laurent de Wilde, Philippe Le Baraillec ont des choses à dire et le disent bien. Je ne sais trop s’ils écoutent les invisibles anges gardiens qui les inspirent, mais leurs albums me remplissent de joie. Puissent-ils agir sur vous comme de puissants viatiques et réchauffer notre printemps.

 

Vincent BOURGEYX : “HIP” (Fresh Sound New Talent / Socadisc)

vincent-bourgeyx-hip.jpgJ’ai découvert tardivement la musique de Vincent Bourgeyx. Le pianiste avait publié deux albums, lorsque  “Again“, son troisième, fit battre mon cœur et mes oreilles. Ses relectures de standards témoignaient de choix harmoniques judicieux et ses thèmes marqués du sceau de la tradition révélaient un compositeur habile. En trio avec Pierre Boussaguet à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie, il publie aujourd’hui un nouvel album qui m’enchante. L’écouter, c’est ouvrir une grande fenêtre sur des parterres de fleurs odorantes. On y découvre des versions inventives de Daahoud, Prelude to A Kiss et de plusieurs standards, le pianiste balayant l’histoire du jazz dont il possède une réelle culture. Diplômé du fameux Berklee College of Music de Boston, il trempa son piano dans le blues et le swing auprès du tromboniste Al Grey et l’écoute des disques d’Oscar Peterson fut déterminante sur sa vocation. Ses compositions soulèvent également l’enthousiasme. Shoes Now doit beaucoup à Monk. Le thème de Blue Forest nourrit une improvisation raffinée pleine de swing et de surprise. Dans sa jeunesse, Vincent prit des leçons de piano classique avec Françoise Hougue, une élève d’Yves Nat, et sa musique est également marquée par la tradition européenne du piano – For Françoise, Renaissance et In the Wee Small Hours of the Morning dans lesquels Pierre Boussaguet s’offre de beaux chorus mélodiques. Car Vincent Bourgeyx est aussi un musicien romantique qui fait danser ses notes, fussent-elles abondantes. Ne manquez pas la pièce cachée, une version émouvante de Over the Rainbow

 

Carlos MAZA : “Descango Del Saltimbanqui” (La Buissonne / Harmonia Mundi)

Carlos-Maza-Descango--cover.jpgRiche d’une quinzaine d’albums depuis “Donde Estoy ?”, son premier en 1993, la discographie de Carlos Maza n’est pas parvenue à le faire connaître à un large public. La France, Cuba (sa seconde patrie), l’Espagne, le Portugal l’ont tour à tour accueilli. Né au Chili dont il a fui enfant la junte militaire, Maza est un voyageur qui ne sait trop où se poser. De nombreux labels abritent sa musique, mélange de classique, de jazz, synthèse de plusieurs cultures que nourrissent les traditions populaires de l'Amérique latine. Compositeur, orchestrateur et poly-instrumentiste (il joue de la flûte, du charango, des percussions), Maza stupéfie surtout par une guitare (10 cordes) et un piano inouïs, une virtuosité qui, loin d’être gratuite, est l’expression même de sentiments profonds. Dans “Descango Del Saltimbanqui”  (le repos du saltimbanque), Maza ne joue rien d’inutile. Gérard de Haro qui a enregistré plusieurs de ses disques, a merveilleusement saisi ses instruments, comme si, vivants et autonomes, ils parlaient cordes et âmes. Ce n’est pas la première fois qu’il enregistre en solo. Pour OWL Records, Jean-Jacques Pussiau lui fit graver le très beau “Nostalgia” en 1994, disque influencé par Egberto Gismonti dans lequel il utilise les deux mêmes instruments. Ici, Maza éblouit davantage par la richesse de sa musique (harmonies, couleurs, jeux d’ombres et de lumières) que par sa technique et son art se fait plus personnel. Le concertiste met une bonne dose de tendresse dans ses notes abondantes et exprime l’essentiel.

 

Laurent de WILDE : “Over the Clouds” (Gazebo / L’Autre Distribution)

Laurent-de-Wilde-Over-cover.jpgLaurent de Wilde n’avait pas enregistré du jazz acoustique en trio depuis 2006. Préférant confier sa musique à diverses machines, il nous a fait attendre, donnant toutefois de nombreux concerts derrière les murs de la rue des Lombards. Dans “Over the Clouds”, il retrouve Ira Coleman, bassiste déjà présent dans plusieurs de ses disques. A la batterie Clarence Penn, muscle la musique, le rythme occupant une place non négligeable dans les nouvelles compositions de Laurent. Celle qui donne son nom à l’album est une des plus réussies. Son thème est superbe. Son balancement aussi. Préparé à la patafix, le piano sonne comme un balafon et donne un aspect africain à sa musique, la pare de couleurs inédites. “Over the Clouds” contient des morceaux très variés. J’ai mes préférences, mais le disque regorge de bonnes idées, de trouvailles, tant rythmiques que mélodiques. Dans Irafrica co-écrit par Laurent et Ira, ce dernier joue un ostinato de basse avec une croche de retard ce qui lui donne un rebond rythmique. Il utilise une basse électrique dans le très chaloupé Fe Fe Naa Efe, Jérôme Regard à la contrebasse et Laurent Robin à la batterie s’ajoutant au trio. Prelude to a Kiss d’Ellington bénéficie d’un traitement délicatement funky bien que le rythme se renforce dans la partie centrale du morceau. Le pianiste sait lui aussi jouer le blues. Il aère alors ses notes et les fait magnifiquement sonner. Pas besoin d’en produire trop pour faire chanter un piano. Contre la déprime, et le mal aux oreilles, il nous propose Le bon médicament, une ballade toute simple et très belle. Et ça marche, n’en déplaise aux amateurs de pilules vendues sur ordonnance. Nous connaissons le pianiste, nous découvrons un bon prescripteur de médecines douces. Qu’il en soit remercié.

 

Philippe LE BARAILLEC “Involved”  (Out Note / Harmonia Mundi)

Avec la permission de Jean-Jacques Pussiau, je reproduis des extraits du texte de pochette de l’album. Un emprunt certes, mais à moi-même puisque j’en suis l’auteur.

Philippe-le-Baraillec---Involved--cover.jpgPhilippe Le Baraillec enseigne, mais fait peu de concerts et de disques. “Involved » est donc un cadeau qu’il nous offre. On y retrouve ce qui rend précieux sa musique : un toucher élégant dont les ondes pénètrent et se propagent au plus profond de l’âme, un sens de l’espace qui permet la surprise, mélodie, rythme et harmonie habitant ses silences. Mauro Gargano à la contrebasse et Ichiro Onoe à la batterie échangent et dialoguent, interaction féconde née de l’écoute, du désir d’embellir, de rendre palpable les idées de l’autre. Avec eux rêve un saxophoniste avec lequel Philippe tenait beaucoup à partager. Originaire de Saint-Louis (Missouri), Chris Cheek laisse intensément respirer la phrase musicale. Ténor à la sonorité suave, il affirme son lyrisme dans War Photographer (dédié à James Nachtwey) et souffle de petites notes arc-en-ciel qui pigmentent son discours onirique. On est frappé par la sensualité des chorus qui illuminent 10th of September et Iceberg, deux ballades dans lesquelles resplendit l’art d’un pianiste qui peint avec les doigts. Symphonie de couleurs subtilement agencées qu’offrent toutes sortes de bleus, du plus pâle à celui de minuit, les visions de Philippe Le Baraillec s’écoutent aussi avec les yeux. Reflets d’une sensibilité vive, à fleur de peau, ses lignes mélodiques n’oublient jamais le blues et traduisent une fêlure, une blessure invisible qui confère de la grandeur à une musique dont les harmonies sont d’une profonde acuité poétique. En témoigne La Toupie, seule pièce en solo de l’album, celle qui semble le mieux traduire la vérité de son chant intérieur.

Peinture de Girolamo dai Libri (1474-1555) : "Madonna and Child with Saints" (détail). Metropolitan Museum of Arts (NYC).

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19 avril 2012 4 19 /04 /avril /2012 12:03

R.-Fiorentino---Ange-Musicien.jpgMalgré le manque de pluie, les disques poussent comme des champignons, le printemps nous en apportant autant qu’en automne. Leur cueillette n’est pas sans dangers. On les écoute avec prudence, de la musique vénéneuse pouvant vous expédier fissa à l’hôpital. Monsieur Michu en fit les frais en décembre. On ne prend aucun risque avec les nouveaux opus de Brad Mehldau et Ahmad Jamal, musiciens confirmés qui font le plein de concerts. Moins médiatisés, Marc Copland, Guillaume de Chassy, Carlos Maza, Laurent de Wilde, Vincent Bourgeyx, Philippe Le Baraillec remplissent de moins grandes salles, mais leurs disques, aussi comestibles que les cèpes et les bolets royaux du Bon Dieu, se consomment sans modération. Le blogueur de Choc qui a goûté avec ses oreilles ces nourritures célestes préfère vous en rendre compte en deux temps. Deuxième service courant mai. Bon appétit !

 

-Ahmad JAMAL : “Blue Moon” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

A Jamal J’ai failli oublier cet album du pianiste publié à peu près à la même date que le dernier concert qu’il donna au Châtelet (lire “Des visiteurs très attendus”, mis en ligne le 13 février). Il est pourtant très réussi, meilleur que “A Quiet Time”, un bon disque dont la musique ronronne un peu. “Blue Moon” ne la renouvelle pas, mais Ahmad Jamal change de bassiste et lui donne une dynamique nouvelle qui la rend plus excitante. Attentive, sa section rythmique comble les silences de son piano orchestral, installe une tension qui profite à jeu félin. Omniprésent aux percussions, Manolo Badrena y occupe un poste clef. Reginald Veal le nouveau bassiste et Herlin Riley le batteur officient avec la précision d’un métronome. Les morceaux plus longs favorisent l’hypnose rythmique et c’est en toute quiétude que Jamal joue des cascades d’arpèges, plaque des accords inattendus ou de gracieuses notes perlées. Si I Remember Italy tourne un peu en rond, Blue Moon et Invitation s’imposent dans la durée. Gypsy, une des nouvelles compositions du pianiste, semble bien difficile à jouer, mais Jamal reprend avec bonheur Autumn Rain, un de ses anciens morceaux, et démontre avec Laura qu’il est toujours capable d’apporter un nouveau souffle à un standard, fut-il le plus rabâché.

 

-Guillaume DE CHASSY : “Silences” (Bee Jazz / Abeille Musique) 

Guillaume de Chassy De la musique de chambre jouée par un trio réunissant Guillaume de Chassy au piano, Thomas Savy à la clarinette et Arnault Cuisinier à la contrebasse. Au programme, quelques compositions collectives, mais aussi des adaptations de pièces écrites par Francis Poulenc, Serge Prokofiev , Franz Schubert, Dmitri Chostakovitch, le trio parvenant à faire le lien entre le jazz et l’héritage européen de la musique. Pour des raisons acoustiques (la réverbération importante du lieu), les musiciens ont évité de trop charger de notes les pièces qu’ils interprétaient, cette contrainte leur donnant une grande respiration. Bien que partiellement improvisées, ces "extensions mélodiques" ne relèvent pas vraiment du jazz ce qui ne leur empêche pas d’être profondes et créatives. Enregistrée dans le vaste réfectoire de l’abbaye de Noirlac, cette musique apaise par ses nombreux silences, ses notes rares et précieuses. On y entend un piano aussi économe qu’inspiré, une clarinette chantante, une contrebasse aussi discrète que bienvenue. On y trouve certes des cadences, mais sans pesanteur, aussi légères qu’un pollen printanier. En solo, Guillaume magnifie la musique d’“Adieu Chérie”, un film léger et amusant de Raymond Bernard (1945). Il est sans doute le seul pianiste de jazz à connaître Wal Berg (Voldemar Rosenberg) qui en signa la partition.

 

-Brad MEHLDAU : “Ode” (Nonesuch / Warner)

B.-Mehldau-Trio--Ode--cover.jpgDonnant de nombreux concerts en solo ou en duo, Brad Mehldau (attendu en juin à Paris avec Joshua Redman) a fait peu d’albums avec Larry Grenadier à la contrebasse et Jeff Ballard à la batterie, ce dernier remplaçant depuis 2005 Jorge Rossy batteur de son premier trio. “Day is Done”, un disque en studio de 2005, et un double live gravé au Village Vanguard l’année suivante, se voient aujourd’hui complétés par “Ode”, un recueil de compositions originales enregistrées en novembre 2008 et en avril 2011. Il est toutefois difficile de distinguer quelles sont les plus récentes de ces pièces qui bénéficient d’une même unité stylistique. S’il innove moins que lors de ses concerts en solo, le pianiste s’accommode parfaitement d’une contrebasse mobile qui impose ses propres lignes mélodiques et d’une batterie haletante qui précipite le rythme de la musique. Avec Ballard, on est loin du chabada traditionnel, mais plus près du rebond, son jeu foisonnant donnant relief et souplesse à la phrase musicale. C’est donc sur un tapis rythmique très fourni que le pianiste tire parti de son jeu ambidextre, trempe ses improvisations dans le blues – 26, Bee Blues – ses thèmes, parfois très simples, nourrissant d’amples développements. De quelle manière improviser à partir d’une structure mélodique ? C’est à cette question que répond collectivement le trio qui invente une musique vivante, ouverte, et parvient à la rendre constamment passionnante.

 

-Marc COPLAND : “Some More Love Songs” (Pirouet / Codaex)

Marc-Copland--Some-More-Love-Songs--cover.jpgSept ans après avoir enregistré sept morceaux sous le titre de “Some Love Songs”, Marc Copland en reprend sept autres dans “Some More Love Songs”, et les joue avec Drew Gress à la contrebasse et Jochen Rückert, section rythmique déjà présente à ses côtés en 2005. Émergeant de sa mémoire, ces pièces se sont imposé naturellement au pianiste, comme si elles avaient choisi leur interprète. Ce dernier traduit avec ses propres harmonies les sensations qu’elles lui suggèrent et nous en offre des versions très personnelles. Il diffracte ses notes, les rend liquides, aussi transparentes que du verre. Un soin extrême est apporté à leurs couleurs, à leur résonance. Le pianiste les allonge ou les contracte, apporte les plus subtiles nuances à ses harmonies flottantes. Sa version onirique de I’ve Got You Under My Skin n’a pas grand chose à voir avec celle de Frank Sinatra. My Funny Valentine et I Remember You que reprit Chet Baker sont abordés sur des tempos inhabituellement rapides. La contrebasse ronde, enveloppante de Drew Gress y fait merveille. Les autres thèmes sont des ballades. Marc Copland enregistre souvent les mêmes thèmes et I Don’t Know Where I Stand de Joni Mitchell apparaît dans “Alone”, un disque en solo de 2009, son meilleur album avant celui-ci.

Bandeau : Rosso Fiorentino (1495-1540) "Ange Musicien" (détail) - Florence, musée des Offices.   

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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 10:27

Chick-Corea.jpg

Trois enregistrements de Chick Corea ont été publiés récemment. Œuvre ambitieuse et en partie écrite, “The Continents” rassemble un quintette de jazz et un orchestre de chambre. Enregistré live au Blue Note de New York en 2010, “Further Explorations” fait entendre le pianiste avec le bassiste Eddie Gomez et le batteur Paul Motian. Enfin “Hot House” marque le 40ème anniversaire de son association avec le vibraphoniste Gary Burton.

 

Si certaines compositions de Chick Corea sont aujourd’hui célèbres, ses arrangements sont loin de toujours faire l’unanimité. Le pianiste a écrit des œuvres très variées, se laissant parfois aller à la facilité pour plaire à un large public. Ses orchestrations révèlent toutefois un musicien habile à associer les diverses sections d’un orchestre, à donner à sa musique des couleurs chatoyantes. Enregistrés dans les années 70 et malgré des arrangements soignés, “The Mad Hatter”  et “My Spanish Heart – son disque le plus personnel – , furent mal accueillis par la critique. Plus près de nous, “The Ultimate Adventure” qui combine habilement espagnolades et flamenco passa inaperçu. Certes, Corea s’égare parfois. Son “Concerto pour piano et orchestre“ en trois mouvements relève de la musique classique européenne, tout comme son “Septet” gravé pour ECM en 1984.

 

Chick Corea Le pianiste en a tiré les leçons. Dans “The Continents” que publie le label Deutsche Grammophon, il a la bonne idée de faire jouer un quintette de jazz avec l’orchestre de taille moyenne auquel il confie sa musique. Ce dernier est parfois trop présent dans ce concerto en six mouvements d’une durée supérieure à soixante-dix minutes. Les velléités du compositeur classique se manifestent surtout dans Africa, pièce clinquante qui introduit brièvement les musiciens du quintette, Antartican’évitant pas certaines lourdeurs orchestrales. Mieux équilibré, Australia met en valeur la section rythmique – Hans Glawischnig (contrebasse), Marcus Gilmore (batterie) – , et Asia, une belle page d’écriture pour cordes, contient des chorus stimulants. Tim Garland (saxophone soprano, clarinette basse, flûte) et Steve Davis (trombone) improvisent à tour de rôle dans Europe et America, le continent américain inspirant au pianiste une musique latine aux rythmes chaloupés, aux arrangements légers et élégants. Se réservant de nombreuses parties de piano, Corea dialogue avec l’orchestre dans Australia, et avec une étonnante clarinette basse dans Antartica. Les quatre premières plages du second disque ont été jouées spontanément en studio. Lotus Blossom, Blue Bossa et Just Friends fournissent un matériel thématique conséquent. Des improvisations en solo les complètent. Chick fait alors ses gammes, virevolte de note en note tel un papillon qui ne sait trop où se poser. Ces pièces abstraites, sans réelles directions mélodiques, lassent un peu.

 

Chick-Corea-Trio--Further-Explorations-.jpgOn leur préférera sans hésiter “Further Explorations” avec Eddie Gomez et Paul Motian. Un choix qui n’est pas dû au hasard. Gomez fut pendant onze ans (1966-1977) le contrebassiste de Bill Evans et Motian le batteur du prestigieux trio qu’Evans constitua avec le bassiste Scott LaFaro. Dans cet enregistrement live consacré aux compositions du pianiste mais aussi à son répertoire, Chick Corea joue son meilleur piano et nous livre l’un de ses albums les plus réjouissants. Il en a déjà consacré des albums à des pianistes qui l’ont influencé – Thelonious Monk dans “Trio Music”, Bud Powell dans “Remembering Bud Powell” – , mais Evans a notablement marqué son jeu pianistique et reste le modèle incontournable. Enregistré en 1968, “Now He Sings, Now He Sobs”, son premier disque, témoigne de son écoute. Proche d’Evans par ses choix harmoniques, son tempérament romantique, il l’est aussi de Powell, par son piano vif et percussif, les accords qu’il frappe avec une précision toute rythmique. Difficile ici de mettre en avant un morceau plus qu’un autre, les meilleurs moments de deux semaines de concerts nous étant proposés. En grande forme, Corea joue des harmonies recherchées, introduit They Say That Falling in Love is Wonderful par un délicat rubato. Gloria’s Step fascine par son approche non linéaire. Les notes mélancoliques de Laurie, morceau composé par Evans quelques mois avant sa mort, ruissellent de tendresse. Lorsqu’il n’improvise pas ses propres lignes mélodiques derrière le piano, Eddie Gomez dialogue avec Chick, commente, répond à ses questions. La prise de son écrase un peu les rondeurs de l’instrument dans Peri’s Scope, mais le bassiste virtuose fait chanter ses harmoniques, notamment dans Alice in Wonderland, Diane, Hot House, prend quelques mirifiques chorus (Very Early), et utilise l’archet dans Turn Out the Stars, But Beautiful et Mode VI, une pièce lente, onirique de Paul Motian. Le batteur colore, assure des tempos souples à métrique variable, le groupe vagabondant souvent dans des chemins de traverse. Corea apporte plusieurs compositions dont Bill Evans, une pièce aux harmonies évanescentes, son hommage personnel au pianiste.

 

C.-Corea_G.-Burton--Hot-House-.jpgL’amitié qui unit Chick Corea à Gary Burton remonte au début des années 70 lorsque Manfred Eicher, le directeur d’ECM suggéra à Corea l’idée d’un duo avec Burton. Chick avait remplacé Gary dans le quartette de Stan Getz et appréciait son travail polyphonique novateur au vibraphone. Enregistré à Oslo, “Crystal Silence”, le plus fameux de leurs disques, date de 1972. Depuis, nos duettistes se sont souvent retrouvés pour des concerts et des enregistrements. Ils se connaissent si bien qu’ils parviennent à anticiper les accords qu’ils vont jouer, leur musique atteignant ainsi une fluidité remarquable. Si leurs six albums précédents contiennent surtout des compositions du pianiste, “Hot House” ne renferme presque exclusivement que des standards, pain béni pour les deux hommes qui aiment coller leurs propres harmonies sur les thèmes qu’ils affectionnent. On trouvera donc affranchis de toute pesanteur et revêtus d’habits cristallins Light Blue de Thelonious Monk, Chega de Saudade et Once I Loved d’Antonio Carlos Jobim, Strange Meadow Lark de Dave Brubeck, nos complices faisant preuve d’éclectisme en ajoutant Eleanor Rigby à leur répertoire. Il s’offrent même les cordes du Harlem String Quartet dans Mozart Goes Dancing, composition de Corea qui nous donne un avant-goût de la musique que les deux hommes comptent jouer en concert en 2013.

 

-Chick COREA : “The Continents, concerto for jazz quintet & chamber orchestra” (Deutsche Grammophon / Universal)

-Chick COREA, Eddie GOMEZ, Paul MOTIAN : “Further Explorations” (Concord / Aurélia Distribution)

-Chick COREA & Gary BURTON : “Hot House” (Concord / Universal)

 

Chick Corea et Gary Burton se produiront en duo à Pleyel le 17 avril.

 

Photo Chick Corea © Pierre de Chocqueuse.

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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 09:58

Viji-Iyer-Trio-c-Jimmy-Katz.jpgTrois disques en trio. Celui de Vijay Iyer accorde une place prépondérante au rythme. Aaron Golberg privilégie le blues et la tradition dans le sien. Sans piano, mais accompagné par la contrebasse de Michel Benita et la batterie de Sebastian Rochford, le saxophoniste britannique Andy Sheppard fait constamment chanter sa musique.

 

Vijay IYER trio “Accelerando” (ACT / Harmonia Mundi)

Vijay-Iyer-Trio--Accelerando-cover.jpgProlongeant “Historicity » enregistré en 2009 par le même trio, “Accelerando” offre à nouveau des relectures de standards, des reprises inventives de Duke Ellington, Herbie Nichols, mais aussi des tubes de la soul – The Star of a Story d’Heatwave, Mmmmhmm de Flying Lotus, alias Steve Ellison producteur de hip hop, Human Nature popularisé par Michael Jackson et gravé en solo par le pianiste en 2010. “Accelerando” n’est pas pour autant un album funky. Sa palette rythmique beaucoup plus large, intègre les rythmes du jazz, de l’Inde, de l’Afrique, le groove surgissant de métriques complexes. Au sein du trio, la notion de soliste s’estompe au profit de l’énergie collective des trois instruments qui, ensemble et spontanément, façonnent une matière sonore épaisse, une musique physique, une houle brûlante de rythmes réduite à un battement rudimentaire dans Mmmmhmm. Comme son nom l’indique, le morceau intitulé Accelerando bouge, accélère sous les ruades des tambours. Il reprend le mouvement final d’une suite écrite par Iyer pour la chorégraphe Karole Armitage, ce disque s’écoutant aussi avec le corps. Principal instrument mélodique, le piano de Vijay harmonise les thèmes, dialogue avec la contrebasse de Stephan Crump, la batterie de Marcus Gilmore, tous trois travaillant sans filet. Dans The Star of a Story le rythme semble constamment freiner la mélodie, le pianiste finissant par faire tourner un ostinato et se caler sur la batterie. Wildflower d’Herbie Nichols est joué à la Monk. Derrière le piano, la contrebasse commente, double le temps. C’est probablement dans Little Pocket Size Demons, une pièce d’Henry Threadgill destinée à une formation comprenant deux tubas, deux guitares et un cor que les musiciens vont le plus loin dans l’abstraction. Le morceau est vif, d’une verticalité turbulente. Stephan Crump y utilise beaucoup l’archet. Heurtés, saccadés, martelés, les rythmes naviguent, se soulèvent, s’abaissent sur les vagues de notes d’un piano inspiré.     

 

Aaron GOLDBERG, Omer AVITAL, Ali JACKSON : “Yes !” (Sunnyside / Naïve)

Aaron-Goldberg-Trio--Yes-cover-.jpgAaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson se connaissent depuis si longtemps qu’ils n’ont pas eu besoin de se concerter avant d’enregistrer ce disque dont la musique semble avoir jailli spontanément. Une seule journée de studio pour réunir neuf morceaux miraculeux, la première prise étant souvent la bonne. Au programme, des compositions de Duke et Mercer Ellington, de Thelonious Monk. Proche du stride, l’ostinato rythmique qui l’introduit et le conclut le rendant méconnaissable, Epistrophy se dévoile grâce à son thème. Aaron y greffe une improvisation particulièrement brillante. Maraba Blue, la composition bleue d’Abdullah Ibrahim qui ouvre l’album, place le rythme au cœur de la musique. Un simple balancement, un souple et subtil déhanchement pour l’installer en douceur, poser dessus un thème, et le blues s’affirme avec le piano de Goldberg qui en chante les notes, les claquements de doigts de Jackson, le batteur, pour en marquer les temps. Car ici les trois musiciens s’expriment en toute simplicité, et accordent la priorité au feeling. Profondément ancrée dans le blues qui l’irrigue, leur musique sonne constamment authentique, comme façonnée par les leçons d’un passé qu’ils n’ont pas oublié. Mis à part, Manic Depressive un blues du saxophoniste Eli Degibri, un copain, les autres thèmes, lyriques, sont d’Avital et de Jackson. Batteur du Lincoln Center Jazz Orchestra ce dernier est aussi un fin mélodiste comme en témoigne El Soul, une ballade aux couleurs délicates. Dans Aziel Dance qu’il apporte également, un piano solaire déploie des harmonies rayonnantes sur un rythme de samba. D’une précision métronomique, la contrebasse boisée d’Avital sait aussi émouvoir. Homeland, sa composition en recèle les notes nostalgiques.

 

Andy SHEPPARD, Michel BENITA, Sebastian ROCHFORD : “Trio Libero”

(ECM / Universal)

A-Sheppard--Trio-Libero-cover.jpgUn trio sans piano, mais à sa tête un saxophoniste fait constamment chanter ses instruments (ténor et soprano), cisèle des notes exquises et profondes. Andy Sheppard, Michel Benita et Sebastian Rochford s’étaient plusieurs fois rencontrés sans toutefois jouer tous ensemble. Ils le firent en 2008 à Coutances. L’année suivante, en résidence à Aldeburgh dans le Suffolk, ils mirent au point à un répertoire original, improvisant des pièces entières, les retravaillant pour leur donner une forme, « improviser, transcrire, développer et puis les rejouer en improvisant de nouveau – d’où le nom de Trio Libero. » En juillet 2011, les trois hommes se retrouvent en studio à Lugano pour les enregistrer, les laissant ouvertes pour y déposer d’autres idées, se donnant la liberté de questionner, répondre, créer. À tout moment, ils font sonner leurs instruments, mettent leurs timbres en valeur. Même le cri devient musique, prolonge naturellement la note, la sanctifie. Le saxophone la laisse s’épanouir, en prolonge le son. On y perçoit le souffle qui la fait naître et l’organise. Contrebasse et batterie font de même, remplissent l’espace sonore sans jamais le charger et c’est miracle de les entendre dialoguer, harmoniser et colorier les mélodies qu’ils inventent. Les pièces sont brèves, souvent co-signées par le trio. La plus longue ne dépasse pas les six minutes, car nul besoin ici d’étaler sa virtuosité, de répandre des notes inutiles. Bien les choisir, les faire respirer, chanter importe davantage. On a du mal à croire que cette musique si lyrique est largement improvisée. Magnifique reprise instrumentale de I’m Always Chasing Rainbows, une chanson de 1917 inspirée par une Fantaisie-Impromptu de Chopin, popularisée à Broadway par les Dolly Sisters.

 

Photo Vijay Iyer Trio © Jimmy Katz / ACT

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