16 juin 2011
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Né à New York, Richie
Beirach réside à Leipzig, mais aime le Japon, sa culture raffinée, l’extrême politesse de ses habitants. Il s’y est souvent rendu (vingt-six visites depuis les années 70) et affectionne
Tokyo, lieu de rencontre du passé et du futur dont il livre ses impressions intimes sous la forme d’Haïkus, courts poèmes visant à cerner l’évanescence des choses par l’ellipse et l’allusion. La
musique, le plus immatériel de tous les arts, relève du domaine du sensible, de l’émotion qui déforme et trahit la mémoire. Infidèle, celle de Beirach embellit et transcende ses visions
pianistiques. Le regard affectueux qu’il porte sur le Japon est celui d’un improvisateur imprégné de musique classique européenne. Il passa des années à l’étudier avant de découvrir le jazz,
accompagner Stan Getz, Chet Baker et devenir le pianiste du groupe Quest. Il possède suffisamment de métier pour éviter les rapsodies jazzistiques dont raffolent les habitants du pays du soleil
levant. Le Japon lui inspire des mélodies magnifiques qu'il s'amuse parfois à faire danser, mais aussi de
courtes pièces abstraites comme si à travers l’épure, il cherchait à saisir l’essence de ce pays qu’il admire. Ses phrases ne sont jamais chargées de notes inutiles, et si ses doigts courent sur
le clavier dans Bullet Train, c’est pour nous transmettre l’impression de vitesse du Shinkansen, le TGV nippon. Dans Cherry Blossom Time dont il égraine les accords cotonneux,
les cordes métalliques de la table d’harmonie du piano répondent aux arpèges qu’il fait pleuvoir comme les étincelles d’un feu de Bengale. Ses visions peuvent être de pures sensations musicales.
Comment approcher autrement que par l’abstraction le kabuki, la forme épique du théâtre japonais traditionnel ? Comment traduire autrement que par des clusters martelés dans les
graves du clavier la tragédie qui frappa récemment la ville de Sendaï ? Richie Beirach introduit son album par une pièce très brève (trente-sept secondes) censée décrire les
néons qui, la nuit, éclairent Tokyo comme en plein jour. Il les réduit à quelques notes diaphanes, à la lumière blanche que le prisme n’a pas encore dispersé en spectre coloré. Les couleurs, le
pianiste les réserve aux mélodies exquises qu’il invente et qui traduisent l’aspect romantique et lyrique de sa musique. Butterfly s’envole, porté par les ailes fines et légères du
lépidoptère. Dédiée à Toru Takemitsu, le plus grand compositeur « classique » japonais du XXe siècle, Takemitsu San traduit la science harmonique du pianiste
qui éblouit dans une pièce grave et poignante. Lament for Hiroshima and Nagasaki met les larmes aux yeux, mais Shibumi reste pour moi le joyau de ce disque inoubliable.
Bénéficiant d’harmonies raffinées, sa simplicité, sa tranquillité émouvante me touchent profondément.
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8 juin 2011
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Le trio habituel
du pianiste augmenté de Julian Argüelles aux saxophones ténor et soprano dans une suite commandée en 2007 par la British University de Yolk
qui s’inspire des livres de l’écrivain Kurt Vonnegut disparu en 2007. Pas besoin d’avoir lu “Abattoir 5”, “Le Berceau du chat”, ni de
connaître le personnage de Kilgore Trout, auteur de science-fiction raté que l’on retrouve dans plusieurs livres de Vonnegut, notamment dans
“Le Breakfast du Champion”, pour rentrer dans ce disque. Si John Taylor aime éclairer d’une lumière tamisée les paysages sonores que décline
son piano, il n’est pas seul et les instruments qui l’accompagnent le poussent à adopter un jeu plus rythmique, le contraignent à des improvisations pleines de swing aux couleurs harmoniques non négligeables. Batteur puissant et carré, Martin France pousse le pianiste introspectif à
l’action. La contrebasse ronde et attentive de Palle Danielsson l’encourage à multiplier les échanges avec son saxophoniste, son
interlocuteur privilégié dans cet album. Plus bavardes que d’habitude, ses improvisations témoignent d’une grande connaissance du bop et de son vocabulaire. Taylor ne manque toutefois pas
d’effleurer ses notes pour les rendre légères et aériennes. Car tout en les sculptant fiévreusement dans l’urgence d’une conversation à quatre, il n’oublie jamais de colorer la ligne mélodique de
ses phrases souvent abstraites, le recours fréquent à des accords de substitution à des tensions parfois dissonantes apportant une certaine ambiguïté harmonique à sa musique, notamment dans
Unstuck in Time. Le pianiste sensible et délicat se fait surtout entendre dans la longue introduction de Requiem for a
Dreamer, dialogue entre Kurt Vonnegut et Kilgore Trout son alter ego fictif transposé pour piano et saxophone. John Taylor joue dans “Phaedrus” un disque de 1990, le premier
que Julian Argüelles enregistra sous son nom en quartette. Les deux hommes se connaissent depuis de nombreuses années ce qui explique la
belle interaction qu’ils développent et la fraîcheur de cet album.
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25 mai 2011
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Après plusieurs disques en trio ou en
double trio avec deux contrebasses et deux batteries dans lesquels Joshua Redman improvise librement une musique austère, le saxophoniste change de cap et aborde en quartette des
rivages plus souriants et mélodiques. Sous le nom de James Farm qui est aussi le titre de l’album, il se produit depuis 2009 avec Aaron Parks au piano,
Matt Penman à la contrebasse et Eric Harland à la batterie. Le groupe fit ses débuts au festival de Montréal et joua l’année suivante à Paris, Salle Pleyel.
Redman, Penman et Harland ont travaillé ensemble au sein du SF Jazz Collective et Parks utilise la section rythmique de James Farm dans “Invisible Cinema” son
premier disque Blue Note. La formation a donc eu le temps de peaufiner sa musique en concert avant de l’enregistrer en studio, quatre jours pour en soigner les détails, la sonorité d’ensemble.
Outre le piano, Parks utilise des claviers électriques (Prophet et Rhodes), de l’orgue Hammond ou à pompe, du célesta et même un tack piano (piano préparé) dans Coax, composition de
Penman qui ouvre l’album. On y découvre une musique arrangée comme peut l’être un enregistrement de pop music. Une attention particulière est ainsi accordée aux mélodies, Eric
Harland vocalisant discrètement pour les mettre en valeur. Avant de suivre une carrière de jazzman, Joshua Redman né en 1969 a découvert la musique avec James Brown,
Earth Wind & Fire, Led Zeppelin et les Beatles. Il aime le funk et la soul, musiques dont le groove prépondérant fait battre le
coeur. L’amateur de jazz pur et dur risque pourtant d’être déstabilisé à l’écoute d’une section rythmique souvent binaire qui, bien que fortement imprégnée de blues et de soul, porte et colore
des thèmes simples et chantants qui relèvent du rock et du folk. Parfaitement intégrées à l’écriture musicale dont elles ne sont pas que le simple prolongement, les improvisations qui s’y
rattachent font corps avec les thèmes. Avec son Fellowship Band, le batteur Brian Blade adopte un peu la même démarche : incorporer dans une seule et même
musique les influences multiples de ceux qui la créent pour la fondre dans un creuset sonore parfaitement identifiable, une musique relevant de si nombreux genres qu’elle en fait tomber les
barrières. Tous ici composent, chaque membre du quartette apportant avec lui l’expérience culturelle que sous-entend sa musique. Bijou et Unravel d’Aaron Parks
sont deux belles mélodies, mais c’est probablement Low Five de Matt Penman, la dernière plage, qui reste le thème le plus marquant. Piano et contrebasse y chantent de
magnifiques harmonies, Joshua Redman au soprano nous conduisant au septième ciel.
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16 mai 2011
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Après “Houria” dans
lequel le saxophoniste Tony Malaby se joint à son trio pour largement improviser une musique tribale et instinctive comme on n’en a jamais
entendue, Stéphane Kerecki change radicalement d’univers musical. Associé à John Taylor, le plus subtil pianiste de jazz d’outre-Manche, il prend son temps pour peindre des paysages dont les couleurs harmoniques révèlent leurs secrets à condition de se
laisser glisser doucement sur l’autre versant, celui de la beauté cachée des choses. Le contrebassiste se rapproche ainsi de ses premiers amours jazzistiques, Keith
Jarrett et Bill Evans qu’il n’a jamais reniés. Il s’associe d’ailleurs périodiquement au
pianiste Guillaume de Chassy pour aller à la rencontre du chant intérieur qui est l’essence, l’alpha de toute musique. Au cours d’un
récent blindfold test accordé à Jazz Magazine / Jazzman, il a confié à Franck Bergerot qu’inscrit par sa mère dans une chorale à l’âge
de huit ans, il avait découvert l’importance de la voix par la pratique du Requiem de Gabriel Fauré et du O Sacrum
Convivium d’Olivier Messiaen qu’il reprend dans “Houria”. On comprend donc mieux pourquoi sa contrebasse chante des notes si justes
et si profondes auprès d’un piano qui laisse constamment ouvert le discours musical, refuse de le figer, comme si, en quête de la plus belle lumière, les deux instruments cherchaient à donner à
leurs notes voilées par les brumes de leur rêve le meilleur éclairage possible. Dès le Prologue, le son, les couleurs du piano répondent au glissement de l’archet sur les cordes.
Une contrebasse à la sonorité épaisse fait résonner le bois musical dans lequel elle est construite, un bois dont on en entend les vibrations harmonieuses de ses fibres. Dans
Manarola, le prolongement naturel du Prologue, l’instrument esquisse de timides pas de danse avant de
marquer solidement la cadence par de grands claquements de cordes. Ecrit par Stéphane Kerecki (toutes les compositions sont de lui à l’exception du
Prologue, de l’Interlude, de l’Epilogue qui sont des
improvisations collectives, et d’une reprise de Jade Visions de Scott LaFaro), ce même Manarola permet de découvrir le langage introspectif et poétique de John Taylor, dont le piano, caisse de résonance percussive, devient progressivement un
instrument raffiné auquel il confie ses savantes constructions harmoniques. Si les échanges rythmiques ne manquent pas, surtout dans Kung Fu ou
Bad Drummer, les deux complices privilégient l’harmonie, la couleur, au sein du discours mélodique, notamment dans Gary dédié à Gary Peacock, Patience ou le très beau Luminescence, mêlent constamment leurs notes dans des danses féériques (La Source en partie joué à l’archet) et racontent ensemble des
histoires intimistes, des magnifiques musiques qu’il fait bon écouter.
En concert le 22 juin au Duc des Lombards.
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6 mai 2011
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Ils se connaissent
depuis une dizaine d’années. Olivier Hutman accompagnait Denise King à La Villa,
club de la rue Jacob dont s'occupait Dany Michel. C’est conduit par ce dernier au Duc des Lombards en octobre 2009 que j’ai découvert la
chanteuse dans un répertoire éclectique au sein duquel jazz, blues et soul faisaient bon ménage. Denise King n’est pas la première venue. Native de Philadelphie, elle s’y est
imposée comme un talent incontournable du « Philly Sound » dont les représentants les plus illustres sont Billy Paul,
Harold Melvin, Teddy Pendergrass, Patti LaBelle et les O’Jays.
Sa voix puissante et chaude vous transporte dans un bain de miel fortement aromatisé. Cannelle et girofle anesthésient les émotions trop fortes que donne un chant trempé dans le gospel et la
tradition du chant d’église. Outre un phrasé et une diction impeccables, Denise possède et transmet un feeling énorme. Les frissons vous saisissent et avec eux cette chair de poule que le froid ou l‘émotion provoquent. Aucune comparaison
possible avec ces trop nombreuses voix blanches venues du Nord qui envahissent depuis quelques années le paysage jazzistique et laissent de marbre. Denise, il faut la voir sur la scène d’un club
mettre le public dans sa poche bien chaude, le prendre par la main pour lui faire chanter des onomatopées, le faire plonger dans sa musique. Je l’ai revue au Duc en juin 2010, toujours avec
Olivier, un des rares pianistes français chez qui le blues est parfaitement naturel. Ensemble, ils tournèrent tout l’été, rôdant les morceaux de cet album, leur premier. Les standards qu’il
contient - I Got Rhythm, Besame Mucho, That Old Black Magic - vous sont probablement familiers. Nos deux complices proposent aussi des compositions originales aux couleurs et aux harmonies éclatantes. Je pense surtout à
Naalaiya, morceau superbement arrangé qui renferme un admirable chorus de ténor d’Olivier Temine. Notre époque décadente produit
rarement de vraies mélodies. Sur des textes de Denise ou de Viana, sa charmante épouse, Olivier Hutman y parvient. L’auteur de la magnifique “Suite Mangrove” a depuis longtemps
compris que la musique n’est pas une histoire de vitesse, de virtuosité tapageuse et tape à l’œil. Olivier joue avec le cœur dans la tête. On y entend palpiter une musique de chair et de sang,
non des suites d’accords abstraits et abscons produits par nos neurones. Elle possède une large palette de couleurs afro-américaines, comme si elle avait été composée là-bas, près du grand fleuve
Mississippi. Olivier a le blues dans la peau. Ses notes swinguent, se trémoussent comme des danseuses virevoltant sur le parquet d’un vieux ballroom. September Song est à écouter toute l’année. Ballade rêveuse co-signée avec Denise, Remember est un must d’élégance pianistique et
dans Two On the Plane les notes tendres et bleues du piano sont délicatement placées sur une mélodie délicieuse. Modeste, Olivier laisse souvent
jouer son saxophoniste, plus convaincant que dans sa propre musique. Denise et lui peuvent sans crainte se reposer sur la contrebasse assurée et rassurante de Darryl Hall
qui tient une place importante dans Nuages, l’instrument s’accordant idéalement avec la voix. Batteur au drumming précis et efficace très apprécié des
vocalistes, Steve Williams complète une section rythmique on ne peut mieux choisie. Denise King et
Olivier Hutman nous offrent un disque plein de joie, de mélodies heureuses qui réaffirment que le jazz est à la fois un art et un plaisir.
Souhaitons leur de travailler longtemps ensemble.
Concerts au Duc des Lombards, les 6 et 7 juin.
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28 avril 2011
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Pour jouer ses compositions, Tineke Postma possède son propre quartette depuis 2006. Marc van
Roon en est le pianiste. Frans van der Hoeven (contrebasse) et Martijn
Vink (batterie) complètent le groupe. Avant de les réunir, la jeune hollandaise avait joué séparément avec eux. Ensemble, ils constituent la formation
idéale pour porter la musique, la rendre plus ouverte. Ce cinquième album est le plus enthousiasmant de la saxophoniste (alto et soprano) qui laisse désormais la musique respirer, économise son
souffle pour poser les notes essentielles des mélodies qui l’habitent. Contrebasse et batterie tissent autour des musiques une toile rythmique d’une grande souplesse qui enveloppe délicatement le
chant de son saxophone. Souvent modales, les compositions très ouvertes permettent de nombreux changements de tempo. The Observer en bénéficie. Marc van Roon
qui joue un piano sensible aux harmonies délicates lui rajoute de discrètes couleurs de synthétiseur. A l’écoute les uns des autres, les musiciens pratiquent un
jeu interactif et font circuler leurs idées mélodiques et rythmiques. Tineke fait chanter son saxophone dans Before the Snow, une composition élégante aux contours brumeux et
oniriques. Son adaptation de Canção de Amor, un extrait d’un poème symphonique de Heitor Villa-Lobos met en lumière son thème
inoubliable. Elle prend le temps de le décliner et espace beaucoup ses notes dans le mélancolique Newland, une des deux compositions de son
contrebassiste. Le funk baigne et épaissit les rythmes de la seconde, Beyond Category, mais le groupe évite toute lourdeur et privilégie la
fluidité du discours collectif. The Man who Stared at Coats, génère un swing léger et aérien.
Me a Place Underground, un poème de Pablo Neruda mis en musique, tranche avec les autres morceaux de l’album. Tineke l’a confié
à Esperanza Spalding. Je n’aime pas trop ses disques, mais elle possède une jolie voix et nous offre quelques mesures de
scat qui ne sont point ridicules. Off Minor de Thelonious Monk un duo fiévreux pour saxophone et piano, permet
de se rendre compte de la grande maîtrise technique de la saxophoniste. Une conversation brillante et bavarde entre deux pièces lyriques. Car Tineke Postma souffle surtout des notes paisibles qui font autant de bruit qu’une pluie de feuilles un jour de grand vent. Leur bleu éclatant se confond avec celui du ciel.
Tineke Postma se produira avec son quartette les 16 et 17 mai au Duc des Lombards
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20 avril 2011
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La première plage
s’intitule Confessions to My Unborn Daughter. Ambrose Akinmusire vingt-huit ans l’introduit en solo et fascine par la justesse
de ses longues notes détachées, ses tutti, ses phrases mélodiques parfaitement ciselées. Son complice Walter Smith III les prend au vol et les
commente au ténor. Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la
batterie apportent une trame rythmique souple et musclée à leurs échanges. Gerald Clayton intervient peu dans ce morceau. Beaucoup plus
présent dans Jaya dont il s’empare du thème pour improviser, il tempère souvent le jeu fiévreux des souffleurs par de tendres harmonies. Dans Henya, son piano rejoint le Fender Rhodes de Jason Moran, co-producteur de l’album pour ajouter des couleurs, offrir un tapis de notes oniriques à un
trompettiste qui met de l’amour dans ses notes et n’exhibe jamais gratuitement sa technique. Ce feeling est bien sûr davantage perceptible dans les ballades de l’album. Outre
Henya, le frémissant Regret (no more), un duo piano trompette, déborde de lyrisme et Tear
Stained Suicide Manifesto avec Moran au piano possède l’intensité émotive d’un requiem. « Humide et frais, le cœur est comme un miroir » affirme Akinmusire qui pleure parfois à travers sa trompette.
C’est le cœur dans la tête qu’il compose et s’exprime, faisant ainsi passer les difficultés techniques et métriques que présente sa musique. Un véritable groupe de musiciens avec lesquels il se
produit régulièrement l’accompagne. Ensemble, ils explorent un jazz moderne imprégné de tradition. La formation expérimente, prend des risques, emprunte aux musiques urbaines environnantes. Le
trompettiste aime varier les combinaisons instrumentales. Far But Few Between le fait entendre en trio avec sa rythmique. What’s
New, seule reprise de l’album, est un autre moment de tendresse qu’il partage avec Clayton. Plus surprenant, Akinmusire utilise sa voix dans My
Name is Oscar, morceau dédié à Oscar Grant tué en 2009 à Oakland par un policier alors qu’il n’était pas armé. Cette tragédie, le
trompettiste la met en scène le cœur saignant. Un simple accompagnement de batterie en transmet la violence.
Concert le mardi 17 mai (20h30) à la Maison des Cultures du Monde, 101 bd Raspail 75006 Paris, dans le cadre du
festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés.
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16 avril 2011
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François Couturier a longtemps joué du jazz avec des musiciens cherchant comme lui à faire tomber les barrières cloisonnant les genres
musicaux. Une longue collaboration avec Anouar Brahem l’a conduit à se rapprocher de la mélodie, du silence. Ouvert aux musiques de son
temps, le pianiste s’intéresse moins au swing qu’à l’élaboration d’une musique ouverte dépassant le cadre du jazz. François a ainsi étudié et déchiffré de nombreuses partitions
tant classiques que contemporaines, et a récemment enregistré un album entier d’œuvres du compositeur catalan Federico Mompou. Les trois albums
ECM qu’il consacre à Andreï Tarkovsky, son cinéaste préféré, sont parfaitement représentatifs de sa démarche esthétique, le choix d’une
musique acoustique qui privilégie la ligne mélodique, mais ne se refuse pas l’improvisation, l’atonalité, la modalité, et affirme haut et fort sa liberté. Comme les deux précédents opus de cette
trilogie - “Nostalghia” et “Un jour si blanc” - , ce “Tarkovsky Quartet” aurait pu sortir sur le label ECM New Series qui rassemble de nombreuses œuvres contemporaines de qualité.
S’il échappe à toute classification, il contient mélodie, harmonie, rythme et nous fait passer de l’autre côté du miroir où la musique se rêve et fait voir des images. S’inspirant de celles,
inoubliables, de Tarkovsky, mais aussi de son journal, François Couturier a composé neuf pièces musicales illustratives et féeriques,
s’autorisant quelques emprunts à Pergolèse, Bach,
Chostakovitch, nourrissant sa musicalité auprès des maîtres. Trois improvisations collectives offrent des moments d’attente (San
Galgano), d’abstraction suspendue (Sardor), les instruments déployant majestueusement leurs ailes entre ciel et terre (La main et
l’oiseau). Bien que bénéficiant d’une instrumentation identique à celle de “Nostalghia”, la musique est plus orchestrale, davantage pensée pour les quatre
instruments du quartette. Le violoncelle d’Anja Lechner, l’accordéon de Jean-Louis Matinier, le saxophone soprano
de Jean-Marc Larché et le piano de François font chanter leurs timbres, déploient une large palette de couleurs. Portée par les
magnifiques ostinato du piano (Tiapa, Mychkine), constamment enrichie de notes délicates, la ligne mélodique frémit d’aise et s’envole.
Les yeux clôts, on la suit dans son voyage, périple peuplé de visions, de souvenirs qui se mêlent aux nôtres pour nous toucher profondément.
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9 avril 2011
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Enregistré au Vanguard de New York en décembre
2010, ce concert de Fred Hersch ne possède pas l’intensité de celui qu’il donna en solo au Sunside en octobre dernier devant un public clairsemé, un moment de grâce comme les
musiciens sont capables d’offrir lorsqu’ils sentent le public en osmose avec eux. Hersch joue pourtant un piano inspiré, une musique si fluide que l’on ne perçoit pas l’immense technique qu’elle
nécessite. Son disque est le dernier set d’un engagement d’une semaine dans le club new-yorkais. Le pianiste y exprime ses sentiments, habille de superbes couleurs harmoniques les standards qu’il
reprend et transforme. Le son est malheureusement un peu écrasé ce qui ne facilite pas son écoute. Il faut passer outre et se laisser porter par une musique qui ne dévoile pas d’emblée sa
richesse. Fred commence son set par une version romantique d’In the Wee Small Hours of the Morning que des notes perlées enveloppent d’un baume apaisant. Il flatte la belle ligne
mélodique de Memories of You d’Eubie Blake par des fioritures exquises, et nous fait tourner la tête avec Echoes qui ruisselle de tendresse. Rythmiquement, le
pianiste fascine par son sens du tempo, sa conception très souple du rythme qui lui permet de passer du stride au boogie dans Down Home et Lee’s Dream, ou de jouer une bossa
(Doce de Coco) avec un brio sans pareil. Héritant de nouvelles harmonies et d’une cadence inhabituelle, Work de Thelonious Monk devient un morceau presque neuf,
et l’on peine à reconnaître Doxy de Sonny Rollins dans une progression d’accords labyrinthiques qui s’achèvent sur un blues. Certaines compositions furent interprétées à
Paris : Work dans une version plus monkienne que celle proposée ici, et Pastorale, pièce contrapuntique dédiée à Robert Schumann dans laquelle cohabitent
plusieurs lignes mélodiques, morceau aux accords de rêve et au feeling miraculeux.
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6 avril 2011
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Marc Copland s'entend fort bien avec le saxophoniste Greg Osby qui aime les risques et les
rencontres. Les phrases fluides et lyriques du saxophone alto soulignent et complètent le discours hypnotique de son piano cristallin. Je préfère Marc en solo ou en trio, mais il a enregistré
deux albums en duo avec Greg dans les années 90, connait sa musique, sa manière de phraser, et anticipe parfaitement ses réactions. Plus discrète que celle de Gary Peacock ou de
Drew Gress, la contrebasse de Doug Weiss apporte au groupe une solide et régulière assise rythmique. Construit sur des accords de bop, son Ozz-Thetic
(un clin d’œil musical à George Russell qui composa Ezz-Thetic), fait entendre une walking bass aux lignes mobiles calée sur un chabada presque
classique. On le doit à Victor Lewis qui donne consistance à la musique par une frappe un peu lourde, très variée sur le plan des timbres. Le tissu rythmique peut se trouver
distendu, comme dans Diary of the Same Dream, pièce abstraite de Greg Osby enrichie par les harmonies magnifiques qu’apporte le piano, il n’en reste pas moins que la
contrebasse et la batterie servent avec imagination les solistes. Apportant trois compositions dont Talkin’Blues précédemment enregistré en duo avec Peacock, Copland donne de
l’importance à la couleur et à la dynamique de ses notes scintillantes, construit ses morceaux sur des ostinato qui libèrent la rythmique. Son fameux jeu de pédales confère des teintes délicates
et brumeuses à ses harmonies bohémiennes dont profitent les ballades de l’album, Slow Hand qu’il a écrit et Tenderly, un standard qu’il fait bon écouter. Très bonne version de
Minority, un thème de Gigi Gryce que l’on joue beaucoup ces temps-ci. Une réussite.
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