Treize Chocs sur
plusieurs centaines de nouveaux enregistrements édités cette année, les choisir n’a pas été simple, même si les œuvres fortes ne sont pas si nombreuses. Ceux d’entre-vous qui me lisent
régulièrement se sont probablement rendu compte que je chronique souvent des disques de piano solo. J’aime tout particulièrement l’instrument et il m’a été difficile d’écarter de cette sélection
“Precipice” de Denny Zeitlin, “Alone” de Marc Copland, “Memories of Paris”
d’Eric Watson et les “Solo” de Vijay Iyer et de Mulgrew
Miller, ce dernier un enregistrement d’octobre 2000, à mettre entre toutes les mains. Estimant déraisonnable d’attribuer une majorité de ces Chocs 2010
à des pianistes jouant en solo, j’ai souhaité diversifier ce palmarès, y faire entrer d’excellents albums de musiciens moins médiatisés dont je suis de près la carrière. Si Edouard
Bineau semble enfin sortir de l’ombre avec son “Wared Quartet”, Choc de l’année Jazz Magazine / Jazzman, il m’a paru bon de mettre en avant les
magnifiques enregistrements de Lucian Ban et John Hébert sur
Enesco, de Patrick Favre en trio et du Marc Buronfosse Sounds
Quartet, une autoproduction méritant une large distribution. J’ai hésité à inclure le “Solo Piano at Schloss Elmau” de Vladyslav
Sendecki, musicien presque inconnu en France qui officie à Hambourg au sein du NDR Big Band.
Ce palmarès ne contient donc qu’un seul disque en solo, celui de Geri Allen. Les pianistes y restent fort nombreux, mais entre
Charles Lloyd, musicien célèbre et Tord Gustavsen, pianiste encore trop peu présent
sur les scènes françaises, (deux artistes ECM auteurs cette année d’excellents opus), le second mérite un coup de pouce, une aide supplémentaire que le premier n’a nul besoin. Je vous laisse le
soin de découvrir ces Chocs et de les commenter s’il l’envie vous en prend. Je vous rappelle également que cette chronique est la dernière de l’année. Le blogdechoc sommeillera jusqu’aux premiers
jours de janvier. Bonnes fêtes à tous et à toutes.
Douze albums dont un double…
-Geri
ALLEN : “Flying Toward the Sound” (Motema) S’inscrivant sous le triple patronage de Cecil
Taylor, McCoy Tyner et Herbie Hancock, cette suite en solo particulièrement ambitieuse en huit mouvements apparaît comme une des grandes réussites de la pianiste. Cette dernière donne corps et âme à une
musique solidement construite et structurée par un discours lyrique, virtuose et impétueux. Percussif, abstrait, polyphonique et orchestral, son jeu pianistique intense et inspiré n’a jamais
autant impressionné. Chroniqué dans le blogdechoc le 26 novembre
-Lucian BAN & John HEBERT : “Enesco Re-imagined” (Sunnyside / Naïve) Avec l’aide de six musiciens exceptionnels, le pianiste Lucian
Ban et le contrebassiste John Hébert relisent sous l’angle du jazz quelques œuvres du
compositeur roumain Georges Enesco (1881-1955). Parmi elles, deux des mouvements de sa sonate pour violon et piano “dans le caractère
populaire roumain” élargis à tous les membres de l’orchestre. Bénéficiant d’une instrumentation neuve, les délicates mélodies d’Enesco bénéficient de somptueux écrins orchestraux et revivent de
manière inattendue. Chronique en janvier 2011 dans Jazz Magazine / Jazzman (Choc)
-Edouard
BINEAU : “Wared Quartet” (Derry Dol / Socadisc) L’arrivée de Daniel Edermann aux
saxophones transformant son trio en quartette, Edouard Bineau se retrouve enfin sous les feux des projecteurs jazzistiques. Le pianiste
compose toujours des mélodies accrocheuses, reprend deux thèmes de “L’obsessioniste” et revient au blues qu’il jouait dans sa jeunesse. Musicien invité, Sébastien Texier
joue du saxophone alto dans trois morceaux et Erdmann dynamise une musique plus agressive et musclée qui conserve tout son lyrisme. Chroniqué
dans Jazz Magazine/Jazzman n°619 – novembre (Choc)
-Marc BURONFOSSE Sounds Quartet : “Face the Music” (MBSQ) Cette autoproduction disponible dans certaines Fnac parisiennes est une des meilleure surprise de l’année. On savait Marc Buronfosse excellent contrebassiste; on ignorait
son talent à composer des thèmes, à peindre des paysages oniriques avec de si belles couleurs. Encadrés par une section rythmique mobile et réactive (Marc Buronfosse
et Antoine Banville), le piano acoustique et les synthétiseurs de Benjamin
Moussay et les et saxophones de Jean-Charles Richard mêlent leurs sonorités, dialoguent et
inventent. Chroniqué dans le blogdechoc le 21 mai
-Laurent CUGNY : “La tectonique des nuages” (Signature / Harmonia Mundi) Plusieurs années de travail, un enregistrement étalé sur deux ans, le grand œuvre de
Laurent Cugny se voit enfin pérennisé par le disque plus de quatre ans après sa création. J’en ai récemment encensé la musique, saluant les
performances exceptionnelles des chanteurs (David Linx éblouissant) et de Laïka Fatien, mais aussi les superbes interventions des solistes et les magnifiques couleurs que Laurent a posées sur ses thèmes, les rendants inoubliables. Chroniqué dans le
blogdechoc le 9 décembre
-Benoit DELBECQ : “The Sixth Jump” (Songlines / Abeille Musique) Difficile de choisir entre deux albums publiés simultanément, “Circles and Calligrams” en solo et ce disque en trio, le premier que sort Benoît
Delbecq. Enregistré avec Jean-Jacques Avenel et Emile Biayenda, “The Sixth Jump” présente un
aspect très africain. Spécialiste du piano préparé, Benoît fait sonner son instrument comme un balaphon, improvise sur les métriques inhabituelles que tissent la contrebasse et la batterie, longs
fils d’une musique envoûtante primée par l'Académie Charles Cros. Chroniqué dans le blogdechoc le 15 octobre
-Patrick FAVRE : “Humanidade” (AxolOtl Jazz/Frémeaux & Associés) Trois albums en trio salués par la presse n’ont toujours pas suffi à faire connaître le discret pianiste avignonnais d’un large public. Après “Danse Nomade” (2003) et
“Intense” (2006), Patrick poursuit son inlassable et exigeante quête mélodique avec “Humanidade” enregistré avec Gildas Boclé à la contrebasse et Karl Jannuska à
la batterie. Le son, l’harmonie, l’émotion sont au cœur d’une musique sensible et profonde que les parisiens pourront découvrir au Sunside le 20 janvier prochain. Chroniqué dans Jazz
Magazine/Jazzman n°611 - février (Choc)
-Tord GUSTAVSEN Ensemble : “Restored, Returned” (ECM / Universal) Après trois albums magnifiques en trio pour ECM, le pianiste norvégien élargit sa formation et y intègre le saxophoniste Tore Brunborg et la chanteuse Kristin Asbjørnsen dont la voix chaude et éraillée fait merveille. Le gospel, le blues, les vieux
cantiques protestants nourrissent cette musique intimiste. Tord privilégie la mélodie, accorde beaucoup d’importance au silence et à la respiration de chacune de ses notes. Celles que contient
cet opus en quintette sont les grains d’or des blés d’un bel été. Chroniqué dans Jazz Magazine/Jazzman n°611 - février (Choc)
-Fred HERSCH Trio : “Whirl” (Palmetto / Codaex) Le disque d’un miraculé, le premier enregistré par le pianiste après la sortie de son coma. En trio avec John Hébert et Eric McPherson, Hersch s’abandonne et joue des phrases étonnamment fluides et poétiques, fascine par ses choix
harmoniques et les couleurs de son piano. Il n’a plus rien à prouver, a donné le plus beau concert de l’année et affirme magnifiquement son retour dans ce recueil de standards et de compositions
personnelles dédiées à des amis, des artistes qu’il admire et célèbre. Chroniqué dans Jazz Magazine/Jazzman n°617 - septembre (Choc)
-José JAMES & Jef NEVE : “For All We Know” (Impulse ! / Universal) Dans le domaine du jazz vocal, l’année qui s’achève fut un bon cru. Le disque enregistré par José James et
Jef Neve m’a toutefois particulièrement séduit. Le nom du premier n’évoque pas grand-chose à l’amateur de jazz. Ses propres albums sont plus
proches de la soul et du hip-hop. Malgré une tessiture un peu limitée, sa voix de baryton douce et suave s’accorde parfaitement au piano qui l’accompagne. Adoptant un jeu sobre, jouant des
harmonies aux couleurs délicates, Jef Neve se révèle beaucoup plus convaincant que dans ses propres disques.Chroniqué dans le
blogdechoc le 25 juin
-Paul MOTIAN Trio : “Lost in a Dream” (ECM / Universal)
Batteur inventif, Paul Motian affranchit l’instrument de sa fonction rythmique pour lui faire chanter et moduler des sons. Grand compositeur de thèmes, il en
confie les notes poétiques aux musiciens des orchestres avec lesquels il expérimente inlassablement de nouvelles combinaisons sonores. Dans ce disque enregistré au Village Vanguard en février
2009, le saxophoniste Chris Potter et le pianiste Jason Moran donnent espace
et relief à ses mélodies, les servent avec une imagination et un lyrisme qui en décuplent la beauté. Chroniqué dans le blogdechoc le 20 avril
-Junko ONISHI : “Baroque” (Verve / Universal) Pianiste virtuose et audacieuse, la japonaise Junko Onishi confirme son retour avec ce disque enregistré en
sextette à New York avec trois solides souffleurs (Nicholas Payton, Waycliffe Gordon et James Carter) et la section rythmique de ses enregistrements au Vanguard, Reginald
Veal et Herlin Riley. Baignant dans le blues et le gospel, “Baroque” est un hommage sincère
à Charles Mingus, mais aussi à Jaki Byard, Eubie
Blake, Sir Charles Thompson et Thelonious Monk. Chroniqué dans Jazz Magazine/Jazzman n°619 - novembre
Et un coffret de trois disques…
-Dave DOUGLAS & KEYSTONE : “Spark of Being” (Greenleaf / Orkhêstra) Ce coffret
contient la bande-son d’un film expérimental réalisé par le cinéaste Bill Morrison sur le mythe de Frankenstein et les recherches sonores du trompettiste Dave
Douglas autour de ce projet. Le trompettiste a beaucoup travaillé les effets sonores des trois disques, entrelaçant les sonorités électriques et les instruments acoustiques d’une musique
modale qui doit beaucoup au Miles Davis électrique de “Bitches Brew”. L’énorme travail de post-production réalisé au mixage - ajout de séquences de musique concrète et
électronique conçues sur ordinateur - parachève l’aspect novateur de cette somptueuse tapisserie de sons. Chroniqué dans le blogdechoc le 5 novembre
Photo © Pierre de Chocqueuse