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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 11:50

TECTONIQUE Nuages, coverPlus de quatre ans après sa création, l’opéra jazz de Laurent Cugny est enfin disponible en CD. Son étui cartonné illustré par François Schuiten contient également un Blue Ray audio mixé en 7.1 (sept sources sonores et un caisson de basses). Il n’est toutefois pas nécessaire d’avoir chez soi un home cinéma pour s’immerger dans cette “Tectonique des nuages”, émouvante histoire d ‘amour relevant du fantastique qui emporte de bout en bout par sa musique, sa dimension poétique. Adaptée d’une pièce de l’écrivain portoricain José Rivera, presque entièrement chantée en français, cet opéra en un acte que complètent un prologue et un épilogue dure un peu moins de deux heures. Un livret de plus de cent pages en français et en anglais, permet de suivre l’intrigue et d’en situer l’action.

 

Laïka Fatien est l’envoûtante Celestina del Sol qui dérègle le temps et transforme les hommes. David Linx incarne Aníbal de la Luna, un bagagiste d’American Airlines. Grâce à elle, il va renouer avec ses racines latino-américaines, avec une langue maternelle qu’il a depuis longtemps oubliée. Peu à peu, il redécouvre le chant, prend conscience de lui-même et passe du langage parlé à la musique. Il se souvient et dans la toute dernière scène s’exprime en espagnol. Yann-Gaël Poncet, l’auteur des textes des chansons, tient le rôle de Nelson le frère cadet d’Aníbal, un militaire, un dur. Au contact de Celestina, il va s’humaniser, retrouver sa tendresse perdue. Avec eux, une dizaine de musiciens commentent et colorent l’action, le déluge de pluie qui tombe sur Los Angeles, la métamorphose du temps. La guitare de Frédéric Favarel, l’accordéon de Lionel Suarez s’ajoutent parfois à l’orchestre, ces deux instruments rappelant l’origine hispanique des personnages. Jérôme Regard tient la contrebasse, Frédéric Chapperon assure la batterie et, plus rarement, Frédéric Monino joue de la basse électrique. Confié à Laurent, le piano tisse constamment une trame harmonique de toute beauté, chante des notes très pures, pose des couleurs evansiennes du rêve. Un quintette à vents lui suffit pour faire des miracles, assembler précisément les sons qu’il recherche et les mettre en lumière. Nicolas Folmer (trompette et bugle), Denis Leloup ou Phil Abraham (trombone), Pierre-Olivier Govin (saxophones alto et baryton), Thomas Savy (clarinette, clarinette basse et saxophone ténor) et Eric Karcher (cor) en sont les musiciens.

 

Tectonique, Studio 103Les combinaisons orchestrales, nombreuses, varient d’une pièce à l’autre. On admirera l’écriture des vents dans les rares instrumentaux que contient l’opéra et dans Etrangère, pièce dans laquelle Pierre-Olivier Govin prend un beau solo de saxophone alto. Nicolas Folmer fait chanter sa trompette dans Quelle heure est-il ? La clarinette basse de Thomas Savy colore majestueusement J’ai fouillé Los Angeles. Laurent Cugny joue des notes de piano particulièrement envoûtantes à la fin d’Eva, morceau rendu inoubliable par David Linx qui s’investit totalement dans son personnage. On passe constamment du parlé au chanté, chaque chanson étant précédée d’un texte qui l’explicite. Certaines scènes se passent même de musique, les voix se suffisant à elles-mêmes. Los Angeles, le poème que Linx récite sur un accompagnement de batterie au début de l’opéra évoque la récitation de Jon Hendricks, le narrateur de “New York, N.Y.” de George Russell. Le morceau fait pendant à Los Angeles reconstruite interprétée par Laïka Fatien. Cette dernière prête sa voix chaude et chaleureuse à de très beaux thèmes : Rodrigo Cruz dans lequel le trombone de Denis Leloup assure les obbligatos, Me Pregunto chanté en espagnol avec une simple guitare comme instrument, Sorgue et Silence et Etrangère à mon propre corps, deux pièces magnifiquement orchestrées. Plus discret, son rôle le rendant moins présent, Yann-Gaël Poncet impose sa voix puissante dans La valse des Tanks et Je suis libre Aníbal, morceau de bravoure porté par l’orchestre et modulé par un piano génialement inspiré. Les thèmes les plus forts restent toutefois chantés par David Linx. L’admirable Eva, véritable performance vocale, met les larmes aux yeux. Quelle heure est-il ? avec sa mélodie lumineuse, ses timbres contrastés et J’ai fouillé Los Angeles traversé par d’étonnantes couleurs crépusculaires donnent de semblables frissons.

 

Avec ce disque événement, le plus beau de l’année, “La Tectonique des Nuages”  commence une nouvelle carrière. Souhaitons lui d’être enfin monté et mis en scène dans sa version opératique.

Photo © Pierre de Chocqueuse

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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 09:16

Geri Allen flying coverRécipiendaire en 2008 d’une bourse de la fondation Guggenheim (John Simon Guggenheim Fellowship Award for Music Composition), la pianiste Geri Allen a passé un an (entre avril 2008 et avril 2009) à préparer son quatorzième album, un enregistrement en solo particulièrement ambitieux qui risque de faire date. Il s’inscrit sous le triple patronage de Cecil Taylor, McCoy Tyner et Herbie Hancock, trois pianistes de jazz moderne qui ont ouvert des portes, donné d’autres fonctions, d’autres couleurs à l’instrument. Bien que reconnaissant sa dette envers ces maîtres qui l’ont inspirée, Geri Allen loin de rejouer leur musique, l’éclaire sous une autre lumière, à travers le prisme sonore de ses compositions. Les huit premiers morceaux du disque constituent une suite de huit réfractions. Le terme réfracter se dit d’un rayon lumineux dont la direction a été modifiée par le passage d’un milieu transparent dans un autre. Geri Allen emploie ce mot à dessein. La musique des trois hommes a jalonné son parcours artistique. Elle survit réfractée dans son piano, comme un écho. Détentrice d’un master d’ethnomusicologie, Geri Allen a étudié non seulement le jazz et ses racines, mais encore la musique de l’Inde et de l’Afrique. Sa musique pianistique est un fleuve impétueux chargé d’histoire qui brasse et réunit de nombreux styles et courants musicaux. Le titre de l’album (Volant vers le son) implique cette idée de voyage, de déplacement et doit être entendue comme une métaphore. Consacrant les trois premières pièces de sa suite à trois pianistes qu’elle affectionne, elle leur Geri Allenemprunte des éléments stylistiques et médite sur leur musique, matière première de ses propres visions. Son piano se fait percussif, abstrait et polyphonique dans Dancing Mystic Poets at Midnight dédié à Cecil Taylor. Il devient orchestral dans Red Velvet in Winter (pour Herbie Hancock) et Flying Toward the Sound pour McCoy Tyner dont elle emprunte la sonorité brillante, le jeu ornemental. D’une durée de seize minutes, GOD’s Ancient Sky reste la pièce maîtresse de l’oeuvre. La pianiste enchevêtre plusieurs thèmes, esquisse des mélodies qu’elle enrichit d’harmonies, de phrases inattendues. Sa main gauche puissante rythme ses visions musicales, donne assise à une musique dynamique et solidement charpentée. Sa main droite, joue de longues phrases fluides, pose les couleurs d’un voyage musical et spirituel. Dédié à son fils Wally, un jeune et talentueux musicien, Your Pure Self (Mother to Son) conclut la partie audio du CD. Il contient de courts extraits vidéo de trois des morceaux de l’album, des images poétiques de la réalisatrice Carrie Mae Weems qui a collaboré avec la pianiste pour créer un film sur sa vie de musicienne afro-américaine. Le texte du livret rédigé par l’universitaire Farah Jasmine Griffith, auteur de l’une des meilleures études publiées sur Billie Holiday, éclaire la démarche artistique d’une jazz woman incontournable. CD disponible sur www.motema.com

PHOTOS © Carrie Mae Weems/ Motema Records

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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 10:38

Eric Watson, coverLa discographie d’Eric Watson - et plus particulièrement ses albums en solo - reste étroitement liée aux activités du producteur Jean-Jacques Pussiau. Diplômé du Conservatoire d’Oberlin (Ohio), Watson est déjà un pianiste accompli lorsqu’il s’installe à Paris en 1978. Il joue tout aussi bien Brahms, Scriabine et Ives que ses propres compositions. Il a étudié le jazz et l’improvisation avec le pianiste John Mahegan dont il a été l’assistant en 1972 et a écrit plusieurs oeuvres pour la compagnie de la chorégraphe Wendy Shankin, "The Calck Hook Dance Theater". Certaines d’entre-elles se trouvent dans “Bull’s Blood” (1981), le premier disque qu’il enregistre en solo pour Owl Records, le label de Pussiau. Je me revois déjeunant avec Eric (barbu et exalté) et Jean-Jacques dans un troquet proche de la rue Liancourt où se trouvait le bureau de ce dernier. Nous parlions beaucoup de Charles Ives, de ses deux sonates pour piano (Eric a enregistré la première), de la bouleversante modernité de la musique d’un compositeur ignoré de son vivant. Outre “Bull’s Blood”, Pussiau produisit deux autres albums de Watson en solo. “Child in the Sky“ (1985) et “Sketches of Solitude” (2001), comptent parmi les plus beaux opus du pianiste. Il faut désormais ajouter ce “Memories of Paris” Eric Watson par J.J.Précemment paru sur Out Note, label dont s’occupe activement Jean-Jacques et au sein duquel il a récemment créé la série Jazz and the City qui associe un pianiste à la ville de son choix. Après un “New York-Love Songs” confié à Kenny Werner, Eric Watson rêve ses souvenirs de Paris et son Steinway nous en traduit les émotions intimes. Le pianiste évoque non sans gravité la rue des Martyrs, la rue de Beaujolais et la rue des Trois Frères. Ses basses lourdes et profondes donnent du poids à sa musique lyrique et tourmentée. Car l’inquiétude est perceptible dans ce piano dynamique qui sonne superbement. Watson questionne, interroge et doute sans jamais trébucher. Il martèle de sombres accords, fait tourner des thèmes obsédants qu’il révèle tardivement. S’il se plaît à dessiner les contours de l’ombre, à imaginer la musique en noir et blanc de nos nuits blanches, il ne refuse pas de nous montrer la lumière du jour. Dans Clairières, une pièce abstraite et onirique, les rayons d’un soleil matinal éclairent un Paris encore endormi et Cité des Fleurs fait entendre un piano plus paisible, à l’image de ce coin tranquille qu’il évoque, un vestige d’un autre temps au cœur d’un quartier excentré de la capitale. Le pianiste fougueux et virtuose s’exprime dans New York Moxie (qui en argot signifie vigueur) et Drop of Gold, morceau dans lequel il accélère le tempo, rythme au plus près sa pensée musicale. L’instrument gronde, emporte l’auditeur dans un maelström, un tourbillon de notes, les lumières de nos nuits.

Photo Eric Watson © Jean-Jacques Pussiau    

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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 10:37

C. Wilson, bandeauChroniquer tous les disques que je reçois étant tâche impossible, cette rubrique sélectionne les meilleurs et permet d’en parler. Beaucoup d’albums sont publiés en novembre, assez peu en décembre, mais les vraies réussites sortant du lot sont plutôt rares. La technique ne compense pas la pauvreté des idées musicales. Découvrir de la musique originale n’arrive pas si souvent, même si ma discothèque gonfle chaque année d’une trentaine d’enregistrements que je ne me lasse pas d’écouter.  

 

Abdullah Ibrahim, cover-Dans “Sotho Blue” enregistré avec les sept musiciens d’Ekaya, on retrouve les vraies couleurs de la musique d’Abdullah Ibrahim, alias Dollar Brand, musicien à nouveau inspiré. Le pianiste excelle dans les ballades (Sotho Blue), laisse improviser ses souffleurs et les rassemble pour exposer les thèmes, leur donner une forme chorale (The Wedding). Jouée par une formation réduite, la musique conserve sa dimension orchestrale. Une section rythmique, trois saxophones (alto, ténor et baryton), un trombone, l’altiste jouant parfois de la flûte, suffisent à embellir les mélodies lyriques du pianiste qui s’inspire de la musique traditionnelle de son pays, l’Afrique du Sud, pour composer une œuvre originale résolument personnelle. (Intuition / Integral Distribution. Sortie le 25 octobre) 

 

Sophia Domancich, snakes cover-Recueil de chansons aux orchestrations minimalistes, le nouveau disque de Sophia Domancich risque de surprendre l’amateur de jazz qui affectionne le trio DAG et attend de la pianiste une musique d’avant-garde. “Snakes and Ladders” (un jeu de société d’origine indienne connu sous le nom de Moskcha-Patamu) réunit dans le même album John Greaveset Robert Wyatt. Crédité aux percussions, Ramon Lopez prête également sa voix à un morceau latino totalement inattendu. D’autres invités traversent cet enregistrement fascinant de simplicité, de musicalité, et qui regorge de mélodies subtiles finement arrangées. Simon Goubert assure les parties de batterie. Jef Morin et Louis Winsberg se partagent les guitares, Sophia jouant du piano et toutes sortes de claviers. Cette suite inclassable de miniatures sonores proches du rock et de la pop anglaise des années soixante et soixante-dix risque d’être diversement accueillie. Tant pis pour les grincheux. (Cristal Records / Harmonia Mundi. Sortie le 4 novembre)

 

J. P. Viret, cover-Intitulé “Pour”, le nouvel opus du Jean-Philippe Viret trio ressemble beaucoup au précédent qu’il prolonge comme le second volet d’un diptyque. Not Yet, sa première pièce fait penser à Peine Perdue, composition ouvrant “Le Temps qu’il faut”. La barge rousse, une pièce évoquant le voyage de cet oiseau migrateur a été improvisée en studio, mais le disque est surtout un minutieux exercice d’écriture, un travail sur la forme riche de nuances et de contrastes. On retrouve avec plaisir les complices du contrebassiste, le pianiste Edouard Ferlet et le batteur Fabrice Moreau. Leur jazz de chambre délicat et tendre ne manque pas d’élégance. (Mélisse / Abeille Music. Sortie le 15 novembre)

 

C. Wilson, cover-Après “Loverly” un album moins convaincant dans sa déjà longue discographie, Cassandra Wilson revient au meilleur de sa forme dans “Silver Pony”, opus mêlant des extraits de concerts enregistrés en Europe et des titres studio. Cassandra chante le blues (Saddle up my Pony de Charlie Patton, Forty Days and Forty Nights de Muddy Waters) reprend deux extraits de “Loverly” et leur donne un tout autre souffle. Avec elle de formidables musiciens dont le fidèle Marvin Sewell à la guitare, mais aussi Reginald Veal à la contrebasse et Herlin Riley à la batterie, tous deux assurant la section rythmique de la pianiste Junko Onishi dans “Baroque“. Les grands moments abondent avec une version funky de Blackbird, Watch the Sunrise qu’elle chante avec John Legend, le saxophoniste Ravi Coltrane officiant dans Silver Moon, la pièce maîtresse de cet album. (Blue Note / EMI. Sortie le 8 novembre)

 

G. Mirabassi, cover-Le trio de Giovanni Mirabassi enregistré en public. “Live at Blue Note Tokyo” ne contient que des compositions originales. Les meilleurs morceaux sont signés par le contrebassiste Gianluca Renzi et le batteur Leon Parker, déjà partenaires du pianiste dans les albums “Terra Furiosa” et “Out of Track”. Les thèmes un peu fades de Mirabassi génèrent toutefois des improvisations qui captent l’attention. On aurait aimé entendre le pianiste interpréter quelques standards, cultiver un autre jardin que le sien, mais le groupe bien soudé se lâche davantage qu’en studio et nous offre un jazz moderne pour une fois consistant. (io! Discograph / Wagram. Sortie le 15 novembre)

 

Concert Enesco, affiche-Originaire de Cluj (Roumanie) et vivant à New York, le pianiste, arrangeur et compositeur Lucian Ban a écrit de nombreuses œuvres pour des ballets, des films et des pièces de théâtre. En 2008, il enregistre avec le saxophoniste Sam Newsome et quelques musiciens “The Romanian-American Jazz Suite” qui tente de marier la musique folklorique roumaine avec le jazz. Projet beaucoup plus ambitieux, “Enesco Re-Imagined”, réunit un casting exceptionnel. Ralph Alessi (trompette), Tony Malaby (saxophone ténor), Mat Maneri (violon alto) Albrecht Maurer (violon), John Hébert (contrebasse et co-leader de l’album), Gerald Cleaver(batterie), Badal Roy (tablas et percussions) et Ban lui-même au piano offrent de véritables écrins orchestraux à quelques-unes des œuvres du compositeur roumain Georges Enesco (1881-1955). Parmi-elles, deux des mouvements de sa sonate pour violon et piano “dans le caractère populaire roumain” élargis à tous les membres de l’orchestre. Les nouveaux arrangements de Ban et Hébert regorgent d’idées, de rythmes et de couleurs. Jouer ces œuvres en concert (le disque a été enregistré live à Bucarest) permet aux musiciens d’improviser sur des thèmes magnifiques et de les tremper dans le grand bain du jazz. (Sunnyside / Naïve. Sortie le 16 novembre)

 

A. Saada, cover-Après un disque très Flower Power non dépourvu de charme (“Panic Circus”), Alexandre Saada sort un album de piano solo, son premier. On y découvre un musicien sensible qui a choisi de nous faire partager son goût pour l’harmonie. Largement improvisé, “Present” n’a rien d’un exercice de virtuosité. Le pianiste prend même tout son temps pour décrire le paisible univers intérieur dans lequel il nous invite à entrer. Cet opus, le quatrième de son auteur, séduit par ses couleurs, ses climats impressionnistes. Il contient une délicieuse plage cachée et mérite une écoute attentive. (Promise Land / Codaex. Sortie le 25 novembre)

 

F. de Larrard, cover-Installé à Nantes, François de Larrard fait peu parler de lui. Cet ingénieur, docteur en génie civil mène de front une double carrière. Récipiendaire du prix spécial du jury du concours de la Défense en 1982, ce passionné de musique baroque auteur de nombreux albums aime aussi jouer en solo ses propres compositions, des mélodies harmonisées sur lesquelles il improvise, se plaisant par ses variations à en modifier l’éclairage. Dans “Zoo”, son troisième opus en solo, François utilise sa main gauche pour évoquer une cage dans laquelle un animal tourne en rond, la droite associée à son esprit exprimant souvenirs, rêves et désirs du captif. Chaque cage contient un animal différent. Ce sont ainsi d’autres ostinato, d’autres mélodies qui surgissent, l’auditeur se voyant offrir un certain nombre de pièces descriptives - (Rose fait des courses, Folk Song, Mayo), tout au long de sa promenade musicale. Un disque très attachant. (Yolk. Sortie le 1er décembre)

 

TECTONIQUE Nuages, cover-Opéra jazz de Laurent Cugny adapté d’une pièce de l’écrivain portoricain José Rivera, “La Tectonique des nuages” est LE disque événement de l’année. David Linx, Laïka Fatien et Yann-Gaël Poncet (l’auteur des textes des chansons) assurent toutes les voix. Autour d’eux un ensemble de dix musiciens et non des moindres (Pierre-Olivier Gauvin, Thomas Savy, Nicolas Folmer, Denis Leloup, Phil Abraham, Eric Karcher, Frédéric Favarel, Lionel Suarez, Jérôme Regard, Frédéric Monino, Frédéric Chapperon et Laurent au piano) multiplient les combinaisons instrumentales, rythment et posent de superbes couleurs sur la musique. On peut suivre les péripéties de cette histoire en un seul acte et d’une durée de deux heures dans le livret de cinquante pages qui accompagne les CD. Le son d’une exceptionnelle qualité sert des arrangements de toute beauté. Je réécoute Eva, J’ai fouillé Los Angeles, mes morceaux préférés, sans jamais m’en lasser. Le coffret renferme également un DVD audio Blue-ray contenant le mixage de la musique en 7.1 pour le home cinéma - sept sources sonores et un caisson de basses. (Signature / Harmonia Mundi. Sortie le 2 décembre)

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5 novembre 2010 5 05 /11 /novembre /2010 10:49

Spark of Being b

 

Spark of Being, BoxCoverTrilogie vendue séparément et disponible en coffret, “Spark of Being” (“L’étincelle de vie”) rassemble “Soundtrack”, “Expand” et “Burst”, trois disques comprenant la musique d’un film expérimental réalisé par Bill Morrison sur le mythe de Frankenstein et les recherches sonores de Dave Douglas autour de ce projet. Partant des éléments visuels fournis par le cinéaste, documents d’archives et rushes inédits, le trompettiste et son groupe Keystone en ont imaginé la bande-son, les musiciens s’investissant beaucoup dans le processus créatif, apportant et donnant vie à leurs propres idées.  Film et musique furent démarrés en même temps. Disposant du studio d’enregistrement du Centre de Recherche Informatique de l’Université de Stanford, Douglas a d’abord longuement travaillé les effets sonores de l’album avec DJ Olive et Adam Benjamin (également membre du groupe Kneebody) qui assure les claviers. Ces  entrelacs de sonorités électriques très colorées se sont Sountrackmélangés à des instruments acoustiques, à la trompette de Dave Douglas, au saxophone ténor de Marcus Strickland, à la batterie de Gene Lake (le bassiste Brad Jones joue sur une Ampeg Baby Bass, un instrument électrique). Au terme de cinq jours d’enregistrement au cours desquels de nombreuses versions de chaque morceau ont été travaillées, des improvisations toujours nouvelles apportées, un énorme travail de post-production réalisé au mixage a parachevé l’aspect novateur du projet. L’ajout de séquences de musique concrète et électronique conçues sur ordinateur apporte une dimension onirique à une musique modale, influencée par le second quintette de Miles Davis et sa première période électrique (“Bitches Brew” et les séances de novembre 1969 et janvier 1970 qui voient naître Great Expectations et Lonely Fire). Les deux versions de ExpandPrologue sont d’une grande force poétique. Surtout celle que renferme “Soundtrack”. Confiées aux synthés, de longues plages planantes parsèment les trois albums. Dans Creature Discomfort (“Burst”), le thème de la créature joué à la trompette se fait entendre derrière une somptueuse tapisserie de sons enregistrés ou réalisés par synthèse. Dans Creature Theme, l’ouverture de “Soundtrack”, la section rythmique émerge progressivement d’une brume de sons électroacoustiques. Bien que bénéficiant d’une technologie de pointe, cette musique fabriquée à l’aide de machines n’en reste pas moins porteuse de groove et de rythmes entraînants. Contenant moins d’ajouts sonores, “Expand”  le second disque reste plus proche d’un jazz contemporain qui nous est familier. Les sonorités électriques proviennent essentiellement du Fender Rhodes de Benjamin. BurstLes thèmes sont confiés au saxophone ténor de Strickland et à la trompette de Douglas, parfois aux deux instruments jouant à l’unisson. Tous deux se parlent, se répondent, improvisent collectivement dans Observer. Des riffs funky encadrent leurs chorus dans Tree Ring Circus et Travelogue. “Burst” est un peu une synthèse des deux disques précédents. Il renferme des morceaux écartés du film, certains très travaillés sur le plan sonore, mais aussi d’autres versions du matériel rassemblé dans les autres albums.

Photo © Jason Chuang/Greenleaf Music 

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 11:22

C. Lloyd Enregistré en public en avril 2007, “Rabo de Nube” , le précédant disque de Charles Lloyd,  reflète imparfaitement la valeur des musiciens qui l’entourent. Depuis peu avec le saxophoniste, Jason Moran, Reuben Rogers et Eric Harland connaissent encore mal sa musique. Bien différent est “Mirror”, un album studio dans lequel ils développent un solide jeu collectif et interactif. Lloyd joue souvent les mêmes morceaux dans des versions toujours différentes et les enregistre plusieurs fois. Il reprend ici des thèmes qui nous sont familiers pour les relire différemment. Go Down Moses, The Water is Wide et Lift Every Voice bénéficient de nouveaux arrangements, se parent d’habits neufs qui les rendent aussi attractifs que s’ils venaient de naître. Discret, faisant souvent taire son piano, Jason Moran guette les bons moments pour ajouter des couleurs harmoniques, jouer une pédale, répondre au saxophone ou enrichir la musique de notes inattendues. Une paire rythmique d’une souplesse exceptionnelle assure un subtil contrepoint rythmique aux vagabondages poétiques des solistes. Dans Caroline, No un des plus beaux morceaux de “Pet Sound” (des Beach Boys), Lloyd enroule tendrement ses notes autour de la mélodie réharmonisée. Avec l’âge, ses chorus moins longs semblent flotter dans l’espace comme si de grandes ailes les portaient vers l’azur. Il peine un peu à trouver sa sonorité, ce vibrato très ample auquel il nous a habitué. Il ne joue pas toujours très juste dans La Llorona ou dans la version très dépouillée de I Fall in Love Too Easily, mais son immense feeling n’a jamais été aussi perceptible que dans cet album. Son chant apaisé est une bouffée d’air frais, le souffle d’une respiration intérieure et mystique. Dans Tagi, un raga d ‘une dizaine de minutes, il nous invite à trouver le bonheur dans la paix et nous fait partager la douceur d’une méditation modale qui ressemble à un rêve.

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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 12:07

J.O. Baroque, bandeauEncore beaucoup de disques en octobre. Trop au regard de ce qu’ils apportent d’original, de réellement neuf. Quelques réussites, peu nombreuses, sortent du lot. Vous les trouverez ici brièvement chroniquées. J’y ajoute mes coups de cœur, des disques imparfaits qui séduisent par la fraîcheur de leur musique, leur aspect inattendu. Faites comme moi, laissez-vous surprendre. Des oreilles grandes ouvertes favorisent les découvertes.
Jazz : les grandes sorties d’octobre

Manuel Rocheman, cover

-Longtemps fasciné par la technique, la virtuosité d’Oscar Peterson et de Phineas Newborn, sans oublier celle de Martial Solal qui fut un temps son professeur, Manuel Rocheman s’intéresse depuis quelques années à Bill Evans. Dans “The Touch of Your Lips“, son piano se fait plus lyrique pour célébrer sa musique. Il reprend quelques-unes de ses compositions, mais joue aussi les siennes, y fait passer ses émotions, utilise son propre langage harmonique pour exprimer son admiration pour Evans et nous offre son album le plus chantant. (Naïve. Sortie le 5 octobre)

 

C. Lloyd -“Mirror“, le nouveau disque de Charles Lloyd témoigne de la complicité des musiciens qui l’entourent depuis plus de trois ans. Le pianiste Jason Moran, le contrebassiste Reuben Rogers et le batteur Eric Harland ont eu le temps de se connaître, d’affiner leurs échanges pour les rendre plus fluides et servir le chant apaisé des saxophones de Lloyd. Ce dernier reprend plusieurs thèmes qu’il a déjà enregistrés (Go Down Moses, The Water is Wide), joue deux compositions de Thelonious Monk et s’amuse à improviser sur Caroline, No des Beach Boys. A soixante-douze ans, Lloyd reste un jeune homme espiègle et malicieux. On ne peut que s’en réjouir. (ECM / Universal. Sortie le 11 octobre)

 

Aldo Romano Complete Communion-Aldo Romano rend hommage à Don Cherry. Il jouait avec lui dans les années 60 et n’a jamais oublié sa musique. “Complete Communion to Don Cherry“ fait référence à un enregistrement Blue Note de décembre 1965 qui reste le plus célèbre et le plus captivant du trompettiste. Le quartette réuni par le batteur pour interpréter sa musique, comprend le contrebassiste Henri Texier, lui aussi ancien compagnon de concerts de Cherry. Au programme, des compositions de ce dernier (Rememberance, Spring is Here, Art Deco), mais aussi des thèmes d’Ornette Coleman (Jayne, The Blessing) auprès duquel Cherry se fit connaître. Fabrizio Bosso à la trompette et Géraldine Laurent à l’alto complètent la formation d’Aldo. Ils sont tous deux extraordinaires. (Dreyfus Jazz / Sony Music. Sortie le 11 octobre)

 

J. Onishi Baroque (gde)-Après un album Blue Note en trio, publié en début d’année, la pianiste Junko Onishi confirme son grand retour avec “Baroque“, un disque hommage à la musique de Charles Mingus dans lequel la pianiste revisite également Eubie Blake, Sir Charles Thompson et Thelonious Monk. Avec elle, un trio de souffleurs expérimentés – Nicholas Payton (trompette), James Carter (Saxophones alto et ténor, flûte et clarinette basse) et Waycliffe Gordon (trombone) et sa section rythmique de prédilection, Reginald Veal à la contrebasse et Herlin Riley à la batterie, une seconde contrebasse, celle de Rodney Whitaker, se joignant parfois à elle. (Verve / Universal. Sortie le 18 octobre)

 

Eric Watson, cover-On doit à Eric Watson des albums superbes en solo pour Owl Records (ses premiers), mais aussi des enregistrements avec Mark Dresser et Ed Thigpen, leur trio se transformant en quartette lorsque le saxophoniste Bennie Wallace se joint à lui. C’est toutefois en solo que le pianiste nous offre la quintessence de son art pianistique, une musique libre, nourrie d’harmonies classiques et contemporaines et constamment inspirée. Neuf ans après “Sketches of Solitude“ (night bird), et toujours pour Jean-Jacques Pussiau, Eric Watson réunit ses souvenirs parisiens dans “Memories of Paris“. Tour à tour, son piano chante, gronde, emporte dans un torrent de notes. La fougue le dispute à la grâce. (Out Note / Harmonia Mundi. Sortie le 21 octobre)

 

Wared Quartet, cover-Après deux albums en trio et un en duo avec Sébastien Texier, le pianiste Edouard Bineau se rappelle à notre attention avec un nouveau disque aux compositions excitantes, une des bonnes surprises de cette rentrée. Constitué de Gildas Boclé (contrebasse) et d’Arnaud Lechantre (batterie), son trio habituel se transforme en “Wared Quartet“ (Edouard en verlan) et se fait plus musclé avec l’arrivée de Daniel Erdmann aux saxophones ténor et soprano. Sébastien Texier au saxophone alto y est convié dans trois morceaux. (Derry Dol / Socadisc. Sortie le 22 octobre)

 

Chris Minh Doky, cover-En général, les disques de Chris Minh Doky ne m’emballent pas. Enregistré avec les cordes du Metropole Orkest, formation néerlandaise d’envergure placée sous la direction de Vince Mendoza, “Scenes from a Dream“ fait exception. Brillamment arrangé par les deux hommes, il réunit leurs compositions, mais aussi un titre du regretté Don Grolnick et quelques pièces traditionnelles. Chris Minh Dokyfait beaucoup chanter sa contrebasse. Au piano, Larry Goldings est également très convaincant. L’album bénéficie aussi de la batterie de Peter Erskine. Ses délicates ponctuations rythmiques font mouche. Ecoutez le magnifique The Coast of Living qui ouvre l’album et laissez-vous porter par le lyrisme de la musique. (Red Dot Music / Integral distribution. Sortie le 25 octobre)   

 

Sophisticated Ladies-Le Charlie Haden Quartet West - Ernie Watts au ténor, Alan Broadbent au piano, Charlie Haden à la contrebasse et Rodney Green remplaçant de Larance Marable à la batterie - n’avait pas fait de disques depuis “The Art of The Song“, un album Verve de 1999. Comme ce dernier, “Sophisticated Ladies“ est largement consacré au chant. Un orchestre de cordes sert d’écrin aux voix de Melody Gardot, Cassandra Wilson, Ruth Cameron, Renée Fleming et Diana Krall. Celle de Norah Jones se passe de cordes dans Ill Wind. Les autres morceaux, des instrumentaux, des standards de l’histoire du jazz, n’en ont pas davantage et n’en sont que plus beaux. (EmArcy / Universal. Sortie le 25 octobre)

 

Eric Truffaz, cover

 

-Du Jazz, parfois même acoustique (Les gens du voyage), du rock, de la musique d’ambiance très travaillée, “In Between“, nouvel opus du trompettiste suisse Eric Truffaz s’adresse à un public très large. Chanté par Sophie Hunger, Let me Go ! pourrait devenir un énorme tube. Quant aux longues plages planantes de l’album, elles font souvent rêver. (Blue Note / EMI. Sortie le 29 octobre)

 

Photo Junko Onishi © Mika Ninagawa

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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 09:26

sixthjumpDeux disques de Benoît Delbecq paraissent simultanément : “The Sixth Jump“, son premier album en trio et “Circles and Calligrams“, un enregistrement de piano solo. Les deux opus ont des titres en commun (Ando, Le sixième saut). Leurs pochettes sont également semblables : même graphisme et typographie, un cercle inachevé sur fond bleu nuit pour “The Sixth Jump“, sur fond blanc pour “Circles and Calligrams“. Tous deux contiennent d’anciennes compositions de Benoît. Le même jour a déjà fait l’objet de trois enregistrements. Benoît Delbecq a fait la connaissance d’Emile Biayenda lors d’une tournée en Afrique en 1994. Il tient la batterie dans “Phonetics“ (2003) et ne joue pas comme un batteur de jazz. Originaire du Congo, le pays des pygmées Aka, il installe des métriques inhabituelles et tisse avec la contrebasse de Jean-Jacques Avenel des cycles polyrythmiques d’aspect mélodique, leurs rythmes se mêlant à des timbres très travaillés. Le piano préparé de Benoît peut se transformer en instrument de percussion, sonner comme un balaphon. Emile Biayenda utilise deux caisses claires, deux calebasses dont l’une remplie d’eau, et un shaker de poignet est fixé à la batte de sa grosse caisse. Tant sur le plan du rythme que de la couleur, la musique du trio, intuitive et souple, présente un aspect très africain. Dans Ando contrebasse et batterie font tourner un ostinato, le piano improvisant à la manière d’un ngoni, sorte de harpe à chevalet mandingue. Déjà présent dans “Pursuit“ (1999), Jean-Jacques Avenel se passionne pour cette musique traditionnelle. Dans Aka, il fait chanter des lignes de basses serrées comme les mailles d’un filet. Le piano préparé et les percussions donnent également un fort parfum mélodique à cette pièce fascinante. Introduit par la contrebasse mélodique d’Avenel, Letter to György L. reste ancré dans une approche européenne du jazz et Piano Page est un piano solo.

 

circlesCe qui nous ramène à“Circles and Calligrams“, un disque en solo élaboré en Italie près de Pérouse, et conçu comme un set de concert. « Environ la moitié des morceaux a été créée sur place. Je ne pouvais pas en six semaines produire un set entier de choses nouvelles. J’ai ainsi passé du temps à revoir d’anciennes compositions. » Benoît a bien sûr soigneusement préparé son instrument, placé dans certaines cordes divers morceaux de bois ou des gommes pour en modifier le timbre, obtenant ainsi des sons plus bas. Seules certaines cordes ont leur sonorité altérée. Les graves du piano rythment la musique comme des tambours. Les doigts peuvent se poser sur des touches préparées et faire entendre les lames de bois d’un balaphon ou assurer des chorus avec le son d’un piano. En réelle osmose avec son instrument, Benoît se tient aujourd’hui plus loin du clavier, joue avec davantage de souplesse, de puissance, et le Bösendorfer 225 qu’il utilise pour tous ses enregistrements parisiens y gagne en dynamique. Dans A Lack of Dreams, des groupes de notes jouées à des vitesses différentes semblent se poursuivre. Dans Fireflies (lucioles), deux cycles de lignes mélodiques de longueur inégale se superposent. Le pianiste reprend brièvement Flakes de Steve Lacy sans le développer. Alpha est également une ébauche, une idée musicale que Benoît a souhaité conserver. Ces deux pièces sont jouées sur un piano non préparé, de même que Meanwhile et Le sixième saut, des pages abstraites et oniriques qui s’intercalent entre des morceaux plus rythmés. John Cage, Luciano Berio, György Ligeti, mais aussi Mal Waldron et Thelonious Monk nourrissent son piano différent. Disque après disque et depuis plus de vingt ans, Benoît Delbecq invente un univers sonore, une musique envoûtante qui ne ressemble à aucune autre.

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7 octobre 2010 4 07 /10 /octobre /2010 09:12

G. Laurent, cover Around GigiSe méfiant des vertiges de l’improvisation libre, Géraldine Laurent préfère s’attacher aux standards du passé, au répertoire de compositeurs qu’elle admire, privilégier la mémoire à la nouveauté. Elle a beaucoup appris de ses devanciers illustres en repiquant leurs solos. Cela explique la richesse de sa sonorité d’alto, un assemblage de timbres capiteux. On y entend Johnny Hodges et Charlie Parker, mais aussi la pureté sonore d’un Paul Desmond. C’est Gigi Gryce, musicien moins médiatisé et plus rare qu’elle célèbre ici, un altiste qui, profitant d’une tournée européenne de l’orchestre de Lionel Hampton dont il faisait partie, enregistra ses premières faces sous son nom à Paris. Elle s’empare de trois de ses plus célèbres compositions, Nica’s Tempo, Smoke Signal et Minority, mais aussi de Kerry Dance, un traditionnel, et de Mau Mau, une pièce de l’album “The Art Farmer Septet“ que Gryce arrangea. Géraldine étonne dès l’ouverture de son disque, une version étonnante de Black and Tan Fantasy de Duke Ellington qu’elle attaque sans virtuosité excessive par de courtes phrases étranglées. Cette jeune femme plutôt timide et réservée joue avec une assurance et une autorité stupéfiantes. Ecoutez-la dans Gallop’s Gallop de Monk, duo magistral avec Franck Agulhon son batteur, ou dans Minority qu’elle introduit par un dialogue avec Pierre de Bethmann, la rythmique rentrant plus tard lorsque le thème se dévoile. Dans Smash, une de ses compositions, elle répond au piano de Pierre sans jamais se démonter, soutient une véritable conversation, la rythmique restant toujours en phase avec les solistes. Les lignes mélodiques de ses propres compositions semblent construites sur le schéma harmonique de morceaux des années 50. Les disques Blue Note, Prestige ou Riverside auraient pu les abriter. L’altiste se fait miel dans Did You Remember You baigné de notes poétiques, ou dans Nica’s Tempo qui fait un peu penser à Naima de John Coltrane. Mais le plus souvent, Géraldine Laurent souffle impétueusement dans son alto comme s’il y avait toujours urgence. A ses côtés, Pierre de Bethmann joue son meilleur piano, tricote des notes élégantes, met de belles couleurs dans un jeu qui intègre réflexion, silence et respiration. Franck Aghulon apporte une puissante assise rythmique à la musique et propulse Mau Mau vers des sommets de swing. Yoni Zelnik s’offre un superbe solo de contrebasse dans Smash et partout Géraldine fait chanter son saxophone, surprend par ses attaques, ses placements rythmiques, l’impeccabilité de ses notes fiévreuses qui nous tiennent constamment en haleine.

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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 09:15

Charlap - Rosnes, coverLes amateurs de piano auraient tort d’ignorer cette belle rencontre. Les associations qu’offre l’instrument ne sont pas légions dans le jazz. On se souvient des rencontres Herbie Hancock - Chick Corea dans les années 70. Ce dernier a récemment enregistré en duo avec la jeune pianiste japonaise Hiromi. Dans “Duet“ (2008), nos deux virtuoses font sonner leurs pianos comme des cathédrales et provoquent le tournis par leurs myriades de notes. “Double Portrait“ est loin de proposer la même esthétique. Entre Bill Charlap et Renee Rosnes, point de haute voltige, de poursuites impitoyables. S’ils s’amusent à reprendre Never Will I Marry de Frank Loesser, Bill et Renée sont mari et femme depuis 2007. Ce disque est le premier qu’ils partagent et ni l’un ni l’autre n’éprouvent le besoin d’engager un duel pianistique pour montrer leur savoir-faire. Sa musique reflète leur parfaite entente, le respect et la tendresse qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Point de compétition ici, mais quatre mains s’entrecroisent, s’unissent pour créer non sans malice la plus belle musique possible. Le vertige est provoqué par une palette harmonique élargie à 176 notes. Ana Maria de Wayne Shorter, Little Glory de Gerry Mulligan, Double Rainbow (Chovendo Na Roseira) d’Antonio Carlos Jobim s’en trouvent subtilement embellis. Simple échauffement de doigts, Chorinho (petit pleur en portugais) ouvre l’album et fait pleurer une joyeuse pluie de notes. Le second piano assure la cadence, apporte les basses, structure la musique par le rythme. Dans The Saros Cycle, une composition de Renee, mais aussi dans Double Rainbow et Ana Maria, les deux pianistes font entendre une même voix mélodique. Les thèmes se parent de magnifiques couleurs, les échanges se font délicats. Les mains embellissent, peaufinent, ajoutent des graves, cisèlent des phrases chantantes. Nos deux complices ne font qu’un et l’on a bien du mal à distinguer leur propre jeu de piano dans cet entrelacs d’harmonies poétiques qui ne se bousculent jamais, mais se complètent, la clarté de l’expression passant ici au premier plan. A une tendre et romantique version de My Man’s Gone Now (George Gershwin), succède pourtant un Dancing in the Dark (Arthur Schwartz) enlevé et trempé dans le blues. Inner Urge de Joe Henderson bénéficie également d’une interprétation musclée. Le couple ne manque pas de tonus, mais Bill et Renee font surtout parler leur cœur. Ne boudez pas leurs ébats pianistiques. Magnifique peinture de Marc Chagall (Au-Dessus de la ville) sur la pochette.   

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