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22 septembre 2010 3 22 /09 /septembre /2010 09:36

Chucho Valdés, coverDisque de jazz afro-cubain aux arrangements diversifiés et soignés, “Chucho’s Steps“ est plus proche de “New Conceptions“, un enregistrement Blue Note de 2002 dont les morceaux sont confiés à un quartette auquel s’ajoutent quelques invités, que des autres albums latins de Chucho Valdés. Plus nombreux, les musiciens de ce nouveau disque s’expriment dans des formations à géométrie variable. S’ils ne sont que quatre dans New Orleans, une pièce dédiée à la famille Marsalis qui s’achève comme elle se doit par une improvisation collective, Yansá s’organise autour d’un nonette, fait entendre un chœur et des tambours batás. Les autres morceaux ont presque tous été écrits pour un sextette qui affiche une belle énergie. Trompette et saxophone mêlent leurs voix pour introduire le thème acrobatique de Las dos Caras qui ouvre l’album. Au long et éblouissant chorus de Chucho succède un autre rythme, celui d’une guaguancó, une rumba lente propre aux provinces de La Havane et de Matanzas. Danzón qui met en valeur le saxophone ténor très chantant de Carlos Miyares Hernández donne pareillement l’impression de contenir deux morceaux. Là encore, le rythme change, se transforme progressivement en cha-cha-cha pour accompagner le piano virtuose de Valdés, la technique éblouissante de ce dernier confinant au vertige. On l’aura compris, cet album s’articule autour du rythme. Les métriques inhabituelles et irrégulières y abondent. Le pianiste ne révolutionne pas la musique afro-cubaine, mais apporte une grande fluidité rythmique à ses compositions sophistiquées et souvent complexes. Démarquage habile du Birdland de Joe Zawinul, Zawinul’s Mambo nécessite une parfaite interaction de tous les musiciens. De même queBegin to Bee Good, réunion inattendue de Begin the Beguine de Cole Porter et Lady Bee Good de George Gershwin. Si Julian, un morceau lyrique et proche du blues (il porte le nom du plus jeune fils de Chucho), possède une structure harmonique assez simple, Chucho’s Steps, réponse ambitieuse du pianiste au Giant Steps de John Coltrane demande une réelle maîtrise technique. Difficile à mettre en place, elle offre de nombreuses opportunités aux solistes (je n’ai pas encore cité l’excellent Reynaldo Melián Alvarez à la trompette), et permet aux tambours (tumbadoras et pailas précise Leonardo Acosta, l’auteur des passionnantes notes de pochette) de longuement s’exprimer. 

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19 septembre 2010 7 19 /09 /septembre /2010 09:36

Anne Ducros aComme promis, un aperçu des disques de jazz qui sortent en septembre. Certains sont déjà disponibles. D’autres le seront sous peu. Il s’agit bien sûr d’une sélection. Vous n’y trouverez pas les nombreux albums que je trouve peu intéressants. Je préfère vous parler des bons, bien que tous ne méritent pas la note maximale. Les meilleurs d’entre eux bénéficieront d’une chronique détaillée dans les jours ou les semaines qui viennent. Les parutions d’octobre seront traitées ultérieurement. Quelques probables réussites ne figurent pas dans ce choix forcément subjectif. N’ayant pas tout reçu, j’ignore lesquelles. Merci aux attachés de presse qui ne m’ont pas oublié.

Les sorties de septembre

-Renouvelant son répertoire, Pierre Christophe consacre aujourd’hui davantage de temps à ses propres compositions. Son trio habituel - Raphaël Dever à la contrebasse et Mourad Benhammou à la batterie - s’est transformé en quartette, Olivier Zanot l’ayant rejoint il y a quelques mois au saxophone alto. “Frozen Tears“contient dix compositions originales du pianiste, dix miniatures pudiques et tendres dont les lignes mélodiques respirent le lyrisme. (Black & Blue / Socadisc. Sortie le 1 septembre)

 

-Dans “I Will Follow You“, son troisième album pour Bee Jazz, le saxophoniste Jérôme Sabbagh retrouve le guitariste Ben Monder qui joue depuis longtemps avec lui. Avec Daniel Humair à la batterie, le groupe prend des risques, improvise sans filet. Cela ne signifie nullement un abandon de la forme. Malgré sa forte propension à l’abstraction et une absence de vraies mélodies, le disque est étonnamment bien construit. (Bee Jazz / Abeille Music. Sortie le 2 septembre)

Scott Colley, cover

 

-Un casting alléchant sur “Empire“ le nouveau disque de Scott Colley. Ralph Alessi (trompette), Bill Frisell(guitare), Craig Taborn (piano) et Brian Blade (batterie) accompagnent le contrebassiste, également auteur de toutes les compositions. Du jazz moderne et inventif qui n’a pas peur d’innover. La guitare de Frisell la teinte délicatement de folk. (Cam Jazz / Harmonia Mundi. Sortie le 9 septembre)

 

-La musique savante et ouverte de Ralph Alessi ne rebutera pas les amateurs de jazz progressif. Dans “Cognitive Dissonance“ Jason Moran et Andy Milne au piano, Drew Gress à la contrebasse et Nasheet Waits à la batterie entourent le trompettiste new-yorkais, l’un des plus brillants de sa génération. (Cam Jazz / Harmonia Mundi. Sortie le 9 septembre)

M. Formanek, cover

 

-On retrouve le pianiste Craig Taborn très en forme dans “The Rub and Spare Change“, premier opus du contrebassiste Michael Formanek pour ECM. Le batteur Gerald Cleaver complète une section rythmique qui encadre parfaitement les solistes. Très soignées, les compositions laissent beaucoup de place à l’improvisation et au jeu collectif. Soliste fougueux, Tim Berne est ici étonnamment sage, sauf dans la dernière plage, une pièce free dont on peut se passer. (ECM / Universal. Sortie le 13 septembre)

 

-Mari et femme dans la vie, Bill Charlap et Renee Rosnes forment un duo de rêve dans “Double Portrait“, l’un des plus beaux disques de l’année. Loin de se provoquer en duel, les deux pianistes joignent leurs forces pour rendre la musique la plus lumineuse possible, la nourrir de bonnes idées mélodiques et de rythmes entraînants. On est content de retrouver Renee Rosnes sur Blue Note. Son dernier disque pour le label date de 1990. Un bail ! (Blue Note / EMI. Sortie le 13 septembre)  

Quest, cover

 

-Avec “Re-Dial“, un album live enregistré à Hambourg en 2007, Quest, groupe mythique des années 80 reformé en 2005, confirme sa bonne santé après quinze années de silence. Dave Liebman (saxophones), Richie Beirach (piano), Ron McClure (contrebasse) et Billy Hart (batterie) proposent toujours une musique à la fois puissante et lyrique. Le quartette reprend Pendulum de Beirach depuis longtemps à son répertoire et propose de nouvelles pièces constamment excitantes. (Out Note / Harmonia Mundi. Sortie le 23 septembre)

 

-Toujours sur Out Note, Kenny Werner sort “New York - Love Songs“ un album solo qui inaugure la série Jazz and the City associant une ville et un pianiste. Werner a choisi de nous transmettre ses impressions, sa vision de la mégapole américaine qu’il habite. Song of the Heart, Back Home Again et la première plage First Light / East River sont à écouter en priorité. (Sortie le 23 septembre)    

Youn Sun Nah, cover

 

-Youn Sun Nah possède incontestablement une voix. La chaleur de son timbre, sa parfaite diction suffisent à nous convaincre. Tout aussi varié que “Voyage“ auquel il succède, “Same Girl“traduit l’éclectisme de ses goûts musicaux. Au-delà du jazz, la chanteuse coréenne puise son répertoire dans la pop du groupe Metallica, les chansons de Randy Newman ou dans la folk music de Jackson C. Frank qui ne laissa qu’un seul album. (ACT / Harmonia Mundi. Sortie le 23 septembre)

 

-La musique “environnementale“ que propose Michel Benita dans “Ethics“, son nouvel album, n’est en rien anonyme. Michel peint des paysages de rêves à l’instrumentation insolite, saupoudre d’électronique une musique planante à l’instrumentation insolite qui associe koto, guitare, trompette (ou bugle) à sa contrebasse. Merveilleuse au koto, la japonaise Mieko Miyazakienvoûte par sa voix sensuelle. C’est aussi une belle réussite sonore qu’une prise de son très soignée restitue fidèlement. (Zig Zag Territoires / Harmonia Mundi. Sortie le 23 septembre).

Anne Ducros, cover

 

-Anne Ducros est une sacrée chanteuse. Son expérience lui permet d’être toujours à l’aise, de surmonter les partitions les plus difficiles. Dans “Ella, My Dear“, un hommage à la grande Ella Fitzgerald, un orchestre de cuivres rutilants (quarante-cinq musiciens) l’accompagne. Les arrangements ont été confiés à Ivan Jullien. Jean-Pierre Como au piano, Essiet Okon Essiet à la contrebasse et Bruce Cox à la batterie assurent la rythmique.  (Plus Loin Music / Harmonia Mundi. Sortie le 24 septembre)

 

-“VOYAGER, Live by Night“  a été enregistré au Sunside en octobre 2008 et à l’incontournable Festival Jazz-en-Tête de Clermont-Ferrand. Eric Harland, l’un des meilleurs batteurs de la planète jazz, y promène une équipe de musiciens musclés et pas manchots. Avec lui, le bouillonnant Walter Smith III au saxophone ténor, Julian Lage à la guitare, Taylor Eigsti au piano et Harish Raghavan à la contrebasse. Tous développent avec énergie d’acrobatiques chorus. La prise de son donne beaucoup de relief à ces concerts. On a comme l’impression d’y être ! (Space Time Records / Socadisc. Sortie le 24 septembre)

 

G. Laurent, cover Around Gigi-Le nouvel album de Géraldine Laurent s’intitule “Around Gigi“. Gigi c’est Gigi Gryce (1927-1983), saxophoniste à la sonorité cool, compositeur et arrangeur raffiné, fondateur du fameux Jazz Lab Quintet. Gryce enregistra ses premières faces sous son nom à Paris en 1953. Comme lui, Géraldine joue du saxophone alto et c’est sur cet instrument qu’elle reprend quelques-unes de ses compositions. Des morceaux d’Art Farmer, de Thelonious Monk et les siens complètent cette magnifique séance enregistrée en quartette avec Pierre de Bethmann au piano, Yoni Zelnik à la contrebasse et Franck Agulhon à la batterie. (Dreyfus Jazz / Sony Music. Sortie le 27 septembre)

 

-Troisième album du groupe suisse Ronin, “Llyria“ est aussi bon que les précédents. Nick Bärtsch, le leader du quintette, compose des modules de différentes durées au sein desquels cohabitent boucles rythmiques et figures répétitives. Il en résulte une musique hypnotique dont la tension ne faiblit pas. (ECM / Universal. Sortie le 27 septembre)

Jane Monheit, cover

 

-Dixième album de la chanteuse Jane Monheit, “Home“ rassemble des grands standards du jazz, des compositions de Rodgers & Hart, Arthur Schwartz & Howard Dietz, Irving Berlin, Jerome Kern et quelques autres. Quelques invités, parmi lesquels John Pizzarelli (voix et guitare) et Larry Goldings (piano), rejoignent son trio habituel : Michael Kanan au piano, Neal Miner à la contrebasse, Rick Montalbano à la batterie. (Emarcy / Universal. Sortie le 27 septembre)

 

ONJ, Shut Up cover

-La dernière bonne idée de Daniel Yvinec : confier la musique du nouveau disque de l’Orchestre National de Jazz à John Hollenbeck, un compositeur arrangeur new-yorkais qui à la tête de son propre big band conçoit une musique très originale. Comprenant deux CD(s), “Shut Up and Dance“ contient dix pièces spécialement écrites par Hollenbeck pour les dix musiciens de l’orchestre. Une onzième, for the band, et un court prologue complète un album dense, traversé de soudains afflux de couleurs. Souvent répétitive, la musique agence et fait tourner de surprenantes cellules rythmiques. D’un tissu sonore aux mailles très serrées, surgissent des mélodies étonnantes, des combinaisons harmoniques inattendues. L’une des bonnes surprises de cette rentrée. (Bee Jazz / Abeille Musique. Sortie le 30 septembre)  

Photo Anne Ducros © Ari Rossner / Plus Loin Music

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16 septembre 2010 4 16 /09 /septembre /2010 09:16

Zeitlin Precipice, coverL’angoisse du pianiste devant les 88 touches de son clavier, Denny Zeitlin ne semble pas la connaître. A soixante-douze ans il en a vu d’autres. Il s’est produit dans les plus grands festivals américains, Newport et Monterey et “Cathexis“, son premier disque pour Columbia, date de 1964. Psychiatre, Zeitlin enseigne à l’Université de Californie (San Francisco) tout en trouvant le temps de se consacrer à son piano. Un face à face avec lui-même ne lui fait pas peur. Il a d’ailleurs enregistré plusieurs albums en solo dont un en 1992 au Maybeck Recital Hall. Pour qui sait s’en servir, l’instrument exprime les émotions les plus intimes et Zeitlin place beaucoup de tendresse dans ses ballades, que ce soit dans The We of Us écrit pour son épouse Joséphine et qu’il a précédemment enregistré en trio ou dans Out of My Dreams une composition de Richard Rodgers avec laquelle il prend certaines libertés rythmiques. Zeitlin reprend aussi un thème qu’il a écrit pour le film “Invasion of the Body Snatchers“ de Philip Kaufman (1978) pâle remake du long-métrage de Don Siegel qui porte le même nom. Zeitlin pose délicatement ses doigts sur les notes d’une mélodie derrière laquelle se profile l’ombre de Bill Evans, prend le temps de poser des couleurs sur la musique. Ce nouvel album ne contient pas que des morceaux lents. Lors de ce concert enregistré à Santa Barbara en janvier 2008, le pianiste change allègrement de tempo pour surprendre et maintenir l’attention. Il aime commencer par une improvisation libre et termine généralement ses prestations par quelque pièce spectaculaire. Dès Free Form, l’ouverture du disque, Zeitlin accapare tout le clavier. Le tempo est volontairement flou, propice à des vagues de notes plus ou moins abondantes. Les graves résonnent, puissantes, sous le poids d’une main gauche exceptionnelle qui plaque les accords d’un boogie-woogie malicieux. Le rythme accélère, Zeitlin enchaîne sur What is This Thing Called Love ? de Cole Porter, puis martèle puissamment les accords de Fifth House de John Coltrane. Imbriqués les uns dans les autres, les deux thèmes d’On the March, une ancienne composition pour la première fois enregistrée en solo, sont développés par les improvisations ouvertes et inattendues d’un pianiste espiègle qui semble connaître toute l’histoire du piano jazz et s’amuse à tremper ses notes dans le blues. Deluge de Wayne Shorter hérite du balancement rythmique du honky tonk, la main droite du pianiste prenant toutefois des libertés avec le genre. La virtuosité de Zeitlin est également manifeste dans une courte et ébouriffante version de Oleo, mais surtout dans le titre Precipice, véritable morceau de bravoure de l’album dans lequel, infatigable, il résume en huit minutes sa science pianistique. Un parfait contrôle de la dynamique de l’instrument s’allie à un sens aigu de la forme. Ici, l’harmonie hérite de diverses cadences et plonge ses notes brûlantes dans des baumes apaisants.   

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9 septembre 2010 4 09 /09 /septembre /2010 10:13

VIJAY IYER solo, coverAprès “Historicity“ enregistré en trio avec Stephan Crump et Marcus Gilmore, un disque à la pointe de la modernité, on espérait beaucoup de ce premier opus en solo. Privé de contrebasse et de batterie pour l’aider à tisser une toile de notes inattendues, le pousser à la déraison et à l’aventure, Vijay Iyer allait-il mener plus loin ses recherches harmoniques et rythmiques ? Adoptant un jeu plus lyrique, le pianiste surprend ici par la grande lisibilité de ses improvisations. Attachant beaucoup d’importance à la forme, il structure un discours musical ouvert au tumulte comme à l’émotion. S’il pratique un piano énergique et prend plaisir à épaissir ses notes, Iyer perd rarement de vue des mélodies qu’il encadre par des cadences martelées dans les graves. Le thème surgit parfois par effraction au sein de longues phrases acrobatiques, comme dans cette version d’Epistrophy dans laquelle s’entrelacent plusieurs rythmes. Jamais oubliées dans ces pages en solo, les mélodies restent présentes au sein même des morceaux les plus abstraits. Un thème rêveur et tendre se dessine ainsi dans les vagues de notes mouvantes et tourmentées d’Autoscopy. Celui de Patterns engendre un riff, un ostinato rythmique têtu et obsessionnel qui en encadre un second, flottant et onirique. Les mains puissantes du pianiste lui tricotent des notes aussi brillantes que des étoiles. Desiring est une mélodie délicate et un peu irréelle au rythme distendu. Iyer prend le temps de lui peindre de jolies couleurs. Les thèmes des standards qu’il reprend inspirent et guident ses pas de flâneur solitaire. Il s’attarde sur celui d’Human Nature, joue la grille de Darn That Dream avec des intervalles inhabituels, interprète Black & Tan Fantasy comme une marche funèbre tout en mêlant stride et ragtime à ses dissonances. Il aime jouer les notes graves de l’instrument et en fait profiter Fleurette Africaine, magnifique thème ellingtonien qu’il approche avec délicatesse et décline avec pudeur. On n’attendait pas Vijay Iyer aussi sage. Son piano chante. Personne ne s’en plaindra.

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 11:47

To the Moon, coverL'introduction de Moonfleck qui ouvre l’album est inoubliable. Au souffle de la clarinette basse succède le violoncelle exposant un bref motif mélodique. Le piano y répond par des harmonies délicates aux couleurs de la nuit. Enfermés dans un studio de Minneapolis par une journée d’hiver froide et belle, Jean-Marc Foltz, Matt Turner et Bill Carrothers ont enregistré dans une obscurité complète une musique entièrement improvisée. « What are we going to play ? » ont demandé Bill et Matt. « Let’s find some music, somewhere… over the rainbow » leur a répondu Jean-Marc. En route pour la lune, les trois hommes ont gravé ce jour-là, une page musicale d’une grande richesse poétique, une musique de chambre inclassable relevant autant du jazz que de la musique contemporaine. Dialogue inspiré entre le violoncelle et la clarinette qu’arbitre un piano obsédant, Gallows Song est une pièce si bien structurée qu’on la croirait écrite. Clarinette (basse ou en si bémol selon les plages), violoncelle et piano inventent constamment d’éphémères mélodies qui servent de point de départ au discours musical. Elles peuvent aussi naître spontanément au sein des improvisations et se greffer sur des motifs rythmiques. Dans Black Butterflies, le piano impose ainsi une cadence sur laquelle la clarinette basse improvise, Foltz esquissant les pas de danse d’une mélopée lyrique. Il en va autrement dans To Colombine où la clarinette basse commence par introduire la mélodie en solo. Le piano reste toutefois au cœur du dispositif orchestral. Comme Philippe Ghielmetti se plait à le dire, Bill Carrothers aime les tempos « lents, plus lents, et encore plus lents ». Il assoit la tonalité, donne une réelle assise harmonique et rythmique à la musique et imagine des mélodies ou des semblants de thèmes, la musique étant enrichie collectivement par les membres du trio. A Pale Washerwoman, Crosses ou Moondrunk sont construits sur les accords du piano. Jean-Marc Foltz reprend les notes de Moondrunk à la clarinette basse et improvise des phrases constamment mélodiques. Dans Old Pantomines, les cordes du piano font vibrer le timbre de la caisse claire qui est posée dessus. Carrothers utilise aussi les cordes métalliques de son piano pour rythmer l’inquiétant Knitting Needles, pièce abstraite dans laquelle l’archet du violoncelle émet des glissandos fascinants. Bien qu’austère, cette musique n’en reste pas moins prenante et admirable. Le disque s’achève sur Prayer, une improvisation de plus de huit minutes confiée à la clarinette et que le piano accompagne sobrement. La clarinette possède une grande tessiture et Foltz souffle l’extase, trouve les notes les plus hautes d’un moment irréel précieusement conservé.

 

Dernière chronique avant une rentrée qui s’annonce riche en nouveautés (nouveaux albums de Fred Hersch, Norma Winstone, David Linx, Vijay Iyer, Manuel Rocheman, Ralph Alessi, Laurent Cugny, Denny Zeitlin, Charles Lloyd, Quest, Aldo Romano, Géraldine Laurent pour n’en citer que quelques-uns), “To the Moon“ s’écoute de préférence dans l’obscurité et dans un complet silence. Je l’emmène avec moi en vacances pour donner du son à mes nuits estivales.

 

  Grandes-vacances.jpg

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7 juillet 2010 3 07 /07 /juillet /2010 11:56

Herbie Hancock©D. Kirkland aTrois ans après “River, The Joni Letters“, disque consacré à Joni Mitchell pour lequel il obtint le Grammy Award du meilleur album de l’année 2007, Herbie Hancock, 70 ans, est de retour avec un projet très tendance dont je doute qu’il fera l’unanimité de la critique. Produit par Larry Klein qui joue de la basse ou des claviers dans de nombreux morceaux, “The Imagine Project“ a été enregistré aux quatre coins de la planète, et ce pendant plus d’un an avec des musiciens de H. Hancock, covercultures très différentes. Les improvisations d’Herbie au piano acoustique assurent le lien, mais n’ancrent pas pour autant dans le jazz les musiques des pays visités. Comme “Possibilities“ en 2005 (dix chansons et autant de vocalistes), l’album accorde beaucoup de place aux voix et rassemble des vedettes qui ne sont pas des chanteurs et des chanteuses de jazz. Herbie ne signe aucune composition nouvelle, mais reprend des chansons engagées ou parlantes de John Lennon (le fameux Imagine qui donne son nom à l’album), Peter Gabriel, Bob Dylan,Bob Marley, Sam Cooke et les confie à des stars du rock et de la soul pour la plupart impliquées dans des œuvres humanitaires. A travers elles, le pianiste a un message de paix à faire passer et tend la main à l’autre.

 

Imagine ouvre l’album et débute par une très belle introduction en solo, mais très vite, la mélodie hérite de rythmes chaloupés et perd de sa fraîcheur initiale. Konono N°1, un célèbre orchestre de Kinshasa, l’africanise. La malienne Oumou Sangaré et la chanteuse américaine de néo-soul India.Arie assurent les voix. Lionel Loueke et Jeff Beck se partagent les guitares. On peut ne pas adhérer à ce grand déballage de rythmes et de couleurs que l’on trouve aussi dans Tamatant Tilay/Exodus, un medley au beat très solide qui réunit le chanteur canadien d’origine malienne K’naan, le groupe Tex-Mex américain Los Lobos et les musiciens touaregs de Tinariwen pour un résultat quelque peu mitigé. C’est d’ailleurs un des rares morceaux dans lequel Herbie Hancock délaisse son piano acoustique. L’autre est Tomorrow Never Knows, un des titres de “Revolver“, célébrissime album des Beatles. La magie de l’original y a complètement disparu.

 

H. Hancock, inside cover

 

Joliment chanté par Céu, Tempo de Amor fonctionne mieux, de même que La Tierra enregistré avec le chanteur colombien Juanes très populaire en Amérique Latine. Don’t Give Up est également de bonne facture. Alecia Beth Moore alias Pink, chanteuse de pop rock qui a vendu 35 millions d’albums, et John Legend dont la musique mêle habituellement gospel, hip-hop et rhythm’n’blues se chargent des parties vocales. Leur version ne nous fait toutefois pas oublier celle que Kate Bush et Peter Gabriel enregistrèrent en 1986. Dans un tout autre genre, Space Captain vaut surtout pour le duo piano guitare (celle de Derek Trucks) qu’il contient. Enregistré en Inde, tentative de fusion entre la musique indienne et le jazz, The Song Goes On accorde trop de place aux voix (K.S. Chithra et Chaka Khan) au détriment des improvisations qu’on aurait souhaitées plus longues. Menées tablas et tambours battant, ces dernières réservent des dialogues étonnants entre Wayne Shorter au soprano et Anoushka Shankar (une des filles de Ravi) au sitar, Herbie sublime, arbitrant au piano.

 

Herbie Hancock© D. Kirkland bEnregistré à Dublin, The Times, They Are A Changin’ est une des grandes réussites de cet album. On y découvre une chanteuse émouvante Lisa Hannigan. L’instrumentation fournit par les Chieftains donne à cette ballade un aspect irlandais, mais la kora de Toumani Diabete introduit d’autres sonorités, ouvre les portes d’un monde sonore dans lequel se glisse la guitare si personnelle de Lionel Loueke pour répondre au piano et provoquer l’échange. Autre relecture à marquer d’une pierre blanche, celle de A Change Is Gonna Come de Sam Cooke confiée au chanteur britannique James Morrison. Sa voix grave et puissante ne laisse pas insensible - celles que l’on entend brièvement à la reprise sont également les siennes. Autour de lui un orchestre réduit : Dean Parks à la guitare, Tal Wilkenfeld à la basse, Vinnie Colaiuta à la batterie (il joue dans la plupart des morceaux)... Herbie Hancock réserve à ce grand moment de soul ses plus belles harmonies dans une improvisation de plus de cinq minutes. Du jazz enfin me direz-vous. Certes, mais comment ne pas se laisser séduire par les nombreux bons moments que réserve cet album, la haute tenue de ses parties instrumentales ? A défaut de mettre tout le monde d’accord, un merveilleux piano chante constamment et fait entendre une petite voix intérieure qui le rend plus beau et plus précieux que beaucoup d’autres.

Accompagné par Lionel Loueke (guitare), Greg Phillinganes (claviers), Tal Wilkenfeld (basse) et Vinnie Colaiuta (batterie), Herbie Hancock sera au Festival de Jazz à Sète le 12 juillet, à Montreux (Suisse) le 16 juillet, et au Nice Jazz Festival le 21 juillet.

Photos © Douglas Kirkland / Sony Music

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25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 09:29

José James, coverLe logo que l’on peut voir sur la pochette, deux i tête-bêche, est celui du célèbre catalogue Impulse! Longtemps mis en sommeil, réactivé en 1987 avec la signature de Michael Brecker, le label n’abrite plus de nouveaux artistes depuis quelques années. La raison probable de ce choix (le disque aurait pu tout aussi bien sortir sur Verve ou EmArcy) est la passion qu’éprouve José James pour la musique de John Coltrane qu’Impulse! abrita. Le chanteur de Minneapolis rend d’ailleurs hommage au saxophoniste cet été. La tournée s’intitule Facing East : The Music of John Coltrane et Jef Neve est le pianiste de son quintette. Le nom de José James n’évoque pas grand-chose à l’amateur de jazz On trouve seulement deux disques de lui dans les bacs des disquaires. Des enregistrements proches de la soul et du hip-hop. Le plus ancien, “The Dreamer“, révèle un chanteur à la voix singulière. Le jazz, José James l’a découvert à la radio en écoutant Take The A Train de Duke Ellington. Un thème de ce dernier, Just Squeeze Me, fait partie des titres que contient cet album. Depuis qu’Universal Music assure sa promotion, Jef Neve nous est davantage familier. Le pianiste se produit dans des contextes très divers et s’implique dans des concerts de musique classique. On le découvre jouant un piano beaucoup plus convaincant que dans ses propres disques. Jef Neve et José José James & Jef NeveJames se sont rencontrés en Belgique en 2008 pendant une émission de télévision à laquelle tous deux participaient. Neve remplaça le pianiste de James lors d’un concert que ce dernier donna à Bruxelles. Dans la foulée, ils réservèrent un studio pour conserver une trace de leur tête-à-tête musical, une séance spontanée, des premières prises sans overdubs, complétée par une seconde six mois plus tard dans le même studio bruxellois. Au programme : neuf standards célèbres que les deux hommes interprètent avec un rare bonheur. Une voix de baryton douce et suave détache parfaitement les syllabes des mots prononcés, étirés et rythmés, trouve toujours le ton juste pour que la phrase soit la plus musicale possible. James a beaucoup écouté Billie Holiday. Cela s’entend dans les phrasés qu’il adopte. Constamment à l’écoute, Neve adopte un jeu plutôt sobre et lui offre son plus beau piano. La moindre intonation, le moindre murmure de cette voix grave et chaude sont développés et colorés par des bouquets de notes perlées, des accords au scintillement lumineux. Ses improvisations dans Embraceable You et Body and Soul débordent d’harmonies subtiles et délicates. Les deux hommes s’abandonnent en toute confiance à la musique, leur complicité se révélant très créative. Leur version de When I Fall in Love relève de l’état de grâce. On peut dire la même chose de Lush Life, introduit par des harmonies oniriques sur lesquelles la voix, aérienne, nonchalante et tendre, se promène et prend son temps pour séduire. Le charme opère et perdure. Le jazz hérite d’un chanteur talentueux, mais saura t’il le conserver ?

Photo © Nathan Gallagher, Universal Music

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17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 15:30

G.-Zufferey--cover.jpgEnregistré avec Sébastien Boisseau et Daniel Humair, “Après l’orage“ de Gabriel Zufferey fut une des bonnes surprises jazzistiques de l’année 2004. Le jeune pianiste suisse s’était fait remarqué cinq ans plus tôt en remportant à quatorze ans le prix du meilleur espoir au deuxième Concours International de Piano Jazz Martial Solal. Après quelques concerts dont un au Duc des Lombards, le musicien prometteur prit du temps et du recul pour préparer ce second disque, deux pièces de Thelonious Monk et des compositions originales pour la plupart composées lors d’un séjour à New York en 2009, un enregistrement live au sein duquel on le retrouve dans un environnement sonore très différent. Le trombone de Samuel Blaser, musicien suisse résidant à Berlin, donne un aspect austère à un jazz moderne que colorent les claviers de Gabriel. On est surpris par le contraste de leurs sonorités. Une voix grave et expressive pose les thèmes de ‘Round Midnight et de Blue Monk, dialogue avec le saxophone ténor de Maria Kim Grand dans Be(e) Honey, et ne dédaigne pas les effets de growl. Un piano électrique à la sonorité déformée par de mystérieuses pédales lui répond par des cascades de notes brillantes et lumineuses. Gabriel Zufferey n’abuse pas de sa virtuosité. Il pratique un jeu sobre et économe. Ses doigts se font délicats et tendres pour faire chanter des motifs mélodiques. Patrice Moret à la contrebasse et Ramon Lopez à la batterie marquent rarement un tempo régulier. Ils colorent et jouent avec une rare souplesse des rythmes inattendus. Dans ‘Round Midnight, la basse adopte ainsi un rythme saccadé, presque un riff de reggae. Les musiciens disposent tous de beaucoup d’espace pour improviser et ne manquent pas de bonnes idées. On a connu Gabriel derrière un piano acoustique. On le découvre bruiteur, créateur de sons au Fender Rhodes, instrument qu’il utilise avec un rare bonheur et avec lequel il parvient à donner une dimension onirique à la musique (les sonorités de harpe de HeaR(E) & kNOW) tout en lui apportant un groove permanent. Gabriel n’a pas pour autant abandonné le piano. Il en joue dans I’M’N’U, dans Ballade en cet… , et nous fascine par les couleurs de ses accords. Il laisse le trombone exposer les thèmes, les nourrit d’harmonies, en poétise les notes. Libre et spontané, sa musique “in progress“ possède beaucoup de charme.

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13 juin 2010 7 13 /06 /juin /2010 14:31

R.L. Patterson, coverOn avait un peu perdu sa trace depuis une magnifique apparition au New Morning en octobre 2008. Ronnie Lynn Patterson y fêtait la sortie de “Freedom Fighters“, disque salué par un aréopage de critiques enthousiastes. Un quasi-silence et de trop rares concerts ne nous ont pas fait oublier le pianiste qui affiche un talent intact dans “Music“, premier disque paraissant sur OutNote, nouveau label de jazz confié à Jean-Jacques Pussiau et dont on souhaite une longue carrière. Ce dernier avait co-produit le très beau “Mississippi“ de Ronnie Lynn sur son défunt label Night Bird. C’est de lui que vient l’idée de ce recueil de standards, librement choisi par un pianiste dont il partage les choix artistiques. Jean-Jacques lui a également suggéré Louis et François Moutin, paire rythmique gémellaire avec laquelle Ronnie Lynn s’est très vite retrouvé en osmose.

 

Batteur venu tardivement au piano, Ronnie Lynn Patterson n’a jamais oublié la discothèque familiale, les albums du quartette de John Coltrane, “Miles Smiles“ et surtout “Kind of Blue“ de Miles Davis, un disque que son père mélomane passait toujours la veille de Noël. Plus tard, un enregistrement Atlantic le fascinera. Il réunit McCoy Tyner, Herbie Hancock, Chick Corea et Keith Jarrett, quatre pianistes qui apportent au jazz de nouvelles couleurs harmoniques.

 

Ces dernières teintent toujours le piano de Ronnie Lynn qui a toutefois dépassé ses influences pour faire œuvre originale. Liés à son histoire, les standards qu’il propose ici ont jalonné son cheminement pianistique. Lazy Bird de John Coltrane est l’arrangement qu’en donne McCoy dans l’album Atlantic qui l’a tant marqué. Summer Night, une chanson de Harry Warren, est repris par Chick Corea dans “Trio Music, Live in Europe“, un enregistrement ECM de 1984 que Ronnie Lynn a beaucoup écouté. Choisissant un tempo plus lent, il éclaire davantage le thème qui inspire à François Moutin un beau chorus mélodique dont R.L. Patterson n&bil fait chanter les notes.

 

C’est également un arrangement de Chick Corea (il provient du double album Blue Note “Circling In“) qu’emprunte Ronnie Lynn lorsqu’il joue Blues Connotation d’Ornette Coleman, un thème abstrait, une ritournelle anguleuse dont il saisit la mélodie pour en traduire le lyrisme. La reprise de Moon and Sand, un thème d’Alec Wilder dont s’empare dès 1941 Xavier Cugat, n’est pas non plus fortuite. Keith Jarrett en donne une magnifique version en trio dans “Standards, Vol.2“ . La contrebasse de François double joliment la ligne mélodique. Le drumming musical de Louis pèse son poids d’émotion. Le pianiste égraine de longues phrases chargées de notes et ses voicings vertigineux nous emportent dans leur flot impétueux. Difficile de jouer Monk sans refaire du Monk. Dans “Trio Music“ Chick Corea y parvient. Ronnie Lynn Patterson aussi. Les notes d’Evidence se retrouvent tellement mêlées aux siennes, qu’elles se dissolvent, disparaissent dans une improvisation joyeuse qui ne conserve rien des accords syncopés du thème. It’s Easy to Remember de Richard Rodgers est également lié à un souvenir personnel. Un pianiste qu’il connaissait le jouait dans un bar de Washington. Ebloui, il en releva les accords.

 

C’est cette version que l’on entend ici, la seule que goûte Ronnie Lynn qui en connaît pourtant bien d’autres. Son piano rêve de notes dorées par le soleil. Elles sortent toutes seules de sa tête dans All Blues, une musique romantique spontanément introduite en solo. Exposé par la contrebasse, le thème se révèle tardivement. Avec lui rentre la batterie, une section rythmique qui ne marque pas seulement le tempo, mais aplanit le terrain, et devance les idées du pianiste. C’est une version neuve de ce grand classique que nous offre le trio. Un cadeau, tout comme l’est cette reprise de Blue in Green, un autre instantané de “Kind of Blue“, petit miracle de fraîcheur et de tendresse, dont les notes lumineuses et solaires procurent une émotion intense.

 

Accompagné par François et Louis Moutin (contrebasse et batterie), Ronnie Lynn Patterson donne un concert le mardi 15 juin au Duc des Lombards pour fêter la sortie de son disque.

Photo © Jean-Jacques Pussiau

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5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 11:16

Antoine Hervé, coverMusicien fantasque, Thelonious Monk ne faisait rien comme les autres. Il laisse environ quatre-vingts compositions et de nombreux enregistrements. Des thèmes simples, mais construits avec des notes savamment décalées, des dissonances calculées, des intervalles chromatiques (Monk’s Dream), des notes ou des accords assemblés pour leur sonorité. Les rythmes, les harmonies de Monk se confondent avec les mélodies qu’il invente. Difficile de les jouer de façon personnelle, de leur trouver des harmonies nouvelles, de mettre des couleurs sur ces accords étranges qui parviennent à sonner. Difficile d’aborder « une œuvre dont les dimensions cubistes nous interdisent déjà d’y distinguer le sol du plafond, l’envers de l’endroit, le dessus du dessous, l’horizontal du vertical » pour citer Franck Bergerot auteur des textes du livret. En 1997, date de cet enregistrement live, oncle Antoine n’a pas encore examiné Monk à la loupe, raconté et expliqué sa musique lors de ses fameuses leçons de jazz au cours desquelles il évoque le pianiste dansant sur sa musique pendant ses concerts, et insiste sur la complexité rythmique de ses pièces. C’est cette complexité qui intéresse ici Antoine Hervé dont le piano met en relief la sensation de perte d’équilibre, de tangage que donne la musique de Monk. Confié à Antoine, le rythme monkien ne reste jamais très longtemps linéaire. Il bouge, se brise, accélère ou ralentit selon les idées mélodiques qu’introduit l’improvisateur. Les notes de Think of One, de Well You Needn’t sont des pas de danse sur une corde raide. Les chausse-trappes qu’ils contiennent ne parviennent pas à faire tomber le pianiste qui jongle avec les difficultés et les dissonances, les contourne ou les utilise selon les cas, son bagage technique et sa virtuosité lui permettant d’imaginer une autre façon de jouer Monk. Le regard qu’il lui porte éveille sa mémoire. Antoine parsème ainsi ses improvisations de nombreuses citations. Olivier Messiaen est évoqué dans All Alone, un standard d’Irving Berlin que Monk reprend dans l’album “Thelonious Himself“. Un autre morceau de Monk, I Mean You, est cité au milieu de Monk’s Mood. Dans cette pièce, la plus longue de l’album, Antoine Hervé s’abandonne à une certaine rêverie, s’écarte du thème, y retourne comme un promeneur empruntant des chemins de traverse. Il flâne aussi dans Round Midnight et Ruby My Dear, deux des plus belles pages de l’ermite, ce qui lui permet, d’exprimer son lyrisme, son attachement à la mélodie, et d’affirmer l’originalité de son piano.

 

Antoine Hervé sera au théâtre du Châtelet le 14 juin. Au programme : "Mozart La Nuit" avec François et Louis Moutin (contrebasse et batterie), Médéric Collignon et la Maîtrise des Hauts-de-Seine placée sous la direction de Gaël Darchin.

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