Septembre, une rentrée que bouchonnent des kilomètres de véhicules. Leurs gaz polluent l’atmosphère, empuantissent les routes. Les vacanciers qu’ils transportent n’auront pas à débronzer. Le ciel leur est tombé sur la tête tout l’été pour le bonheur des vendeurs de parapluies made in china. Ils rentrent les pieds mouillés, engoncés dans de chauds vêtements imperméables, prêts à découvrir dans leur boîte à lettres les factures que leur demande de payer un état dépensier et avide de leurs sous. Parmi eux des amateurs de jazz, peu nombreux mais fidèles à une musique qui se transforme, à du jazz qui ressemble de moins en moins à du jazz, mais qui offre encore de bonnes surprises. Ils rentrent des festivals parfois désappointés. Bon gré mal gré, les intermittents ont assuré le spectacle. The show must go on, et ce malgré les intempéries, l’arythmie de nos rythmes scolaires, les mauvaises nouvelles dont raffolent les médias. On nous promet un mois ensoleillé, des baisses d’impôts, moins de fonctionnaires, une simplification du code du travail et du code de la route. Les pigeons roucoulent, les moineaux pépient, les hirondelles portent ces grandes nouvelles à tire d’ailes. La flore s’en réjouit aussi. Les fleurs tardent à faner, les arbres à perdre leurs feuilles. La lumière surtout est plus belle. Profitons-en pour sortir, aller vers la musique. Il pleut toujours, mais ce sont des disques qui tombent du ciel et certains interpellent. Stefano Bollani, Franck Amsallem, Denny Zeitlin, Gilles Naturel, René Urtreger et la jolie Sinne Eeg qui nous rend visite à Paris le 27 sortent des opus qui comptent. Diana Krall a enregistré l’album le plus pop de sa carrière. Associé à Anja Lechner, sa complice au violoncelle, François Couturier relit Mompou et Gurdjieff, réinvente leurs pages classiques. Le programme de Jazz à la Villette qui se déroule du 3 au 14 ne m’excite pas outre mesure. Avishai Cohen et Roberto Fonseca exhibent leur technique au détriment de la musique. Figure historique du jazz libertaire, Archie Shepp m’a rarement convaincu. Il multiplie aujourd’hui les fausses notes sous les applaudissements. Mélanie De Biaso garde ma sympathie. Elle se produisait il n’y a pas si longtemps dans de petits clubs à moitié vides. De grandes salles s’ouvrent à elle et ce n’est que justice. La grande affaire de cette rentrée reste toutefois la création du Gil Evans Paris Workshop qui, autour de Laurent Cugny, rassemble de talentueux musiciens tous nés dans les années 1980. Olivier Laisney (trompette), Adrien Sanchez et Martin Guerpin (saxophones ténor), Antonin-Tri Hoang (saxophone alto), Joachim Govin (contrebasse) sont de l’aventure. La photo a été prise en juin lors d’une répétition. On reconnaît Pierre-Olivier Govin (saxophone baryton) à droite de Laurent. Premiers concerts le 8 octobre, le 12 novembre et le 10 décembre au studio de l’Ermitage. La formation cherche des fonds. On peut dès à présent participer à son financement sur KissKissBankBank. Enfin, Martial Perez expose des photos en noir et blanc de jazzmen jusqu’au 30 septembre à la galerie Argentic, 7 rue Taylor 75010 Paris (du lundi au vendredi de 15h00 à 18h00). Son exposition s’intitule Jazz Passion et devrait concerner les lecteurs de ce blog.
KissKissBankBank : www.kisskissbankbank.com/gil-evans-paris-workshop?ref=search
QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT
-Harold Mabern en trio au Sunside le 5 et le 6 avec John Weber à la contrebasse et Joe Farnsworth à la batterie. Comme Phineas Newborn son mentor, originaire comme lui de Memphis, Mabern pratique un piano virtuose, joue un bop puissant aux lignes mélodiques élégantes. Né en 1936, il travailla avec Miles Davis, Lee Morgan, Sonny Rollins et fut membre du Jazztet que co-dirigeaient Art Farmer et Benny Golson.
-David Virelles au Sunside le 9. On l’a découvert dans de récents albums ECM de Chris Potter et de Tomasz Stanko. Il y joue un piano sensible et ses notes sont des couleurs qu’il pose sur la musique. Né à Cuba, il possède une vaste culture qui lui permet de briller dans des contextes très différents. Diplômé du Humber College de Toronto, il a également étudié l’instrument avec Barry Harris et la composition avec Henry Threadgill qu’il admire. Reiner Elizarde à la contrebasse et Eric McPherson à la batterie seront ses partenaires pour ce concert parisien.
-Donald Brown en trio au Duc des Lombards le 12 et le 13 avec le solide Darryl Hall à la contrebasse et Kenneth Brown, son fils aîné, à la batterie. Auteur de mélodies chantantes, orchestrateur émérite et excellent pianiste, Brown aime le blues, celui de Memphis, sa ville natale. Attaché au vocabulaire du bop et à la tradition, il en nourrit sa musique, ses improvisations. Funky ou ternaire, le rythme y tient une place prépondérante.
-Chanteuse dotée d’une voix rauque et puissante, Molly Johnson est attendue au New Morning le 17. Elle sort un nouvel album “Because of Billie”, un hommage à Billie Holiday, des chansons enregistrées le plus souvent en une seule prise avec ses musiciens habituels – Robi Botos au piano, le fidèle Mike Downes à la contrebasse et Terry Clarke à la batterie. Elle en reprendra de larges extraits, avec humour et malice car elle sait mettre le public dans sa poche. Elle peut aussi se montrer bouleversante dans les ballades. Le répertoire de Billie Holiday en contient de nombreuses. On peut compter sur Molly Johnson pour les chanter avec émotion.
-Entouré de ses musiciens habituels – Jean-Luc Aramy (contrebasse) et Vincent Frade (batterie) –, Rémi Toulon retrouve le Sunside le 18 avec un invité, l’harmoniciste Sébastien Charlier. Ecoutez “Quietly” le dernier album du pianiste, un disque aux mélodies attachantes et aux reprises bien choisies. Le numéro de mars de Jazz Magazine / Jazzman en contient la chronique.
-Le 19 au Sunside, Xavier Desandre Navarre fête la sortie de “In-Pulse” (Jazz Village), disque réunissant d’excellents musiciens parmi lesquels Stéphane Guillaume (saxophone, flutes, clarinette basse), Emil Spanyi (piano) et Stéphane Kerecki (contrebasse). Tous ont répondu présents pour assurer ce concert, mettre en musique les images, les souvenirs qu’évoquent les musiques du batteur / percussionniste. Enregistré dans une seule pièce avec des musiciens proches les uns des autres dans les mêmes conditions qu’un live, cet album dans lequel le rythme sert la mélodie est une des bonnes surprises de cette rentrée.
-Le 20 au Sunside, Franck Amsallem fête également la sortie de son nouvel album “Sings Vol.II”. Comme son titre l’indique, le pianiste se fait aussi chanteur, reprend de belles pages du Great American Songbook, des mélodies de Frank Losser (merveilleuse et tendre version de Never Will I Marry), Jimmy Van Heusen, Cole Porter, Irving Berlin, Henry Mancini mais aussi des pièces de Tadd Dameron, Antonio Carlos Jobim, de quoi contenter les plus exigeants. Je vous reparlerai prochainement de ce disque enregistré en trio avec Sylvain Romano à la contrebasse et Karl Jannuska à la batterie. Tous deux seront bien sûr présents au Sunside pour fêter la sortie de cet opus qui me tient particulièrement à cœur.
-Toujours le 20, mais au Triton, club qui programme souvent des musiques nouvelles et improvisées, le pianiste Benoît Delbecq nous confiera en avant-première la musique de son prochain disque enregistré en juin dernier pour le label Songlines. Avec lui Miles Perkin, jeune bassiste canadien, et Emile Biayenda qui tient la batterie dans “Phonetics” (2004) et “The Sixth Jump”, un album de 2010 célébré dans ces colonnes. Depuis bientôt vingt-cinq ans, le pianiste invente une musique savante et onirique qui hypnotise rythmiquement et brille de mille couleurs.
-Qu’il fasse allégeance au hard bop, au blues ou au funk – Brother Stoon qui donne son nom à son premier album – Baptiste Herbin étonne par la qualité de son jeu de saxophone (tant à alto qu’au soprano) et la maturité de son écriture. S’il se plaît à jouer plusieurs sortes de musique, il privilégie toutefois l’héritage afro-américain, aime les jam sessions, les rencontres au sein desquelles il brille par ses notes torrides, son jeu fougueux et tonique. On attend une suite à “Brother Stoon”, un disque qui a déjà deux ans. Habitué des clubs de la rue des Lombards, Baptiste se produira au Sunset le 22 avec Renaud Gensane (trompette), Maxime Fougères (guitare), Sylvain Romano (contrebasse) et Benjamin Henocq (batterie).
-Après des concerts en juin au Duc des Lombards, Dominique Fillon se pose au Sunside le 23 pour jouer son dernier disque, “Born in 68” (Cristal Records), un opus électro-acoustique dont les compositions toutes originales plongent dans le groove. Malgré l’absence du guitariste Yuri Toriyama qui apporte beaucoup à Friends and More, pour moi le meilleur morceau de album, le pianiste peut compter sur Sylvain Gontard à la trompette, Antoine Reininger à la basse et Francis Arnaud à la batterie, pour faire vivre sa musique.
-Sinne Eeg au Sunset le 27. Elle séduisit un public clairsemé dans cette même salle en juin 2011. “Don’t Be So Blue” (Red Dot Music), le disque qu’elle venait alors de faire paraître, m’avait interpellé. Son nouvel album, “Face the Music” (Stunt Records), sort le 22 septembre. Cette chanteuse danoise impressionne par la justesse de sa voix de mezzo-soprano. Disposant d’un large ambitus, elle swingue avec souplesse et maîtrise un scat qu’elle possède original et attachant. Ses musiciens sont loin d’être manchots. Le batteur Morten Lund joue avec Stefano Bollani dans plusieurs de ses disques et le pianiste Jacob Christoffersen fournit un accompagnement appréciable à la chanteuse. Morten Toftgard Ramsbøl complète la formation à la contrebasse.
-Jazz à la Villette : www.jazzalavillette.com
-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com
-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com
-New Morning : www.newmorning.com
-Le Triton : www.letriton.com
Crédits photos : Harold Mabern © Alan Nahigian – Donald Brown © Jimmy Katz – Molly Johnson © Universal Records – Rémi Toulon © Amélie Gamet – Xavier Desandre Navarre © Xavier Kubisiak – Franck Amsallem © Nathalie Raffet – Baptiste Herbin © Morgan Roudaut – Dominique Fillon © Philippe Marchin – Sinne Eeg © Stephen Freiheit – David Virelles, Benoît Delbecq © photos X/D.R.