Recueil de chroniques écrites entre 2010 et 2020 principalement pour ce blog de Choc, “De Jazz et d’autre”, mon nouveau livre, vient de paraître aux éditions Les Soleils Bleus*. Il est disponible sur le site de l’éditeur www.lessoleilsbleus.comet chez quelques libraires et disquaires parisiens (Paris Jazz Corner, Sam Records Store).
Ordonnés chronologiquement, un peu comme un journal dont la parution s’est étalée sur plus de dix ans, les textes réunis dans “De Jazz et d’Autre” célèbrent des disques, des livres, des films que j’ai beaucoup aimés. Ils reflètent ma passion pour le piano et ma relation intime avec le jazz, fil conducteur de ce blog de Choc largement consacré à cette musique.
Journaliste (Best, Jazz Hot, puis Jazzman et Jazz Magazine), j’ai beaucoup fréquenté les clubs, rencontré des musiciens, rédigé les programmes de leurs concerts, les livrets de leurs disques et écrit de nombreuses chroniques. Cet ouvrage en sélectionne quelques-unes, sur des jazzmen peu médiatisés, des albums méconnus qu’il m’a semblé important de défendre. Révéler de nouveaux talents a toujours été mon intention première. Espace de liberté, mon blog m’a permis de couvrir une vaste actualité culturelle, d’approfondir des sujets qui me tenaient à cœur, de raconter le jazz et de le questionner : Peut-il exister sans swing ni racines ? Va-t-il disparaître avec le CD ? Était-il plus créatif auparavant ? Mais pas seulement ! D’autres plaisirs, d’autres ivresses nourrissent aussi ces pages.
Préfacé par Laurent de Wilde, “De jazz et d’autre” me semble au mieux les résumer.Vous y trouverez entre autres des axolotls, des ermites qui partent à la retraite, des pigeons qui ont mal à la tête, de drôles de drames, un certain Monsieur Michu et des considérations sur Boris Vian, Duke Ellington, André Hodeir, Claude Debussy et la modernité des Heures persanes. Certains textes font l’éloge de la lenteur ; d’autres prennent la défense du compositeur Henri Dutilleux ou regrettent les éreintements d’antan. Puissiez-vous en apprécier la lecture.
*On se procurera par la même occasion chez le même éditeur “Chroniques allumées”, florilège des chroniques que Jean-Louis Wiart fit paraître pendant vingt ans dans le journal des Allumés du Jazz.
Il est grand temps pour moi de refermer ce blog après une année noire. On espère la suivante moins dramatique. Sans trop y croire, car on hésite à la souhaiter bonne et heureuse, par crainte de vœux pieux. Abusons sans excès de ces quelques jours de liberté avant un reconfinement attendu en janvier. Un Noël sans couvre-feu nous est même accordé. Profitons-en car il faut être résolument optimiste pour penser que demain sera comme avant, que les clubs et les salles de concert pourront bientôt nous accueillir. Nous quittons une année masquée pour une autre. Le masque est déjà aussi indispensable que ses clefs, son portefeuille ou sa carte d’identité et il le restera longtemps.
L’an dernier à la même époque, privé de bus et de rames de métro, le parisien arpentait les rues de la capitale tout en aspirant à reposer ses pieds fatigués. De nombreux cafés le lui permettait. Un an plus tard, ces derniers gardant portes closes, il se dépêche de faire ses courses dans des magasins provisoirement ouverts. Faites donc vivre ceux de votre quartier. Évitez d’enrichir Amazon. Offrez des livres et des disques. Fiez-vous à mes Chocs de l’année pour les choisir. Je mets donc ce blog en sommeil et vous donne un rendez-vous probable en février. Je prends des risques et ose même vous adresser mes bons vœux pour l’année à venir. Puisse-t-elle être meilleure que la précédente et le jazz combler vos désirs.
2020 : une année noire pour la culture, pour nos jazzmen, pour les habitants d’un monde sens dessus dessous victimes d’un ennemi invisible, inodore, incolore et mortel. Tour à tour confinés, déconfinés et reconfinés par leurs gouvernants eux-mêmes surpris par l’ampleur d’une pandémie que personne n’a vu venir, le terrien s’interroge sur la vie de demain. Y-aura-t-il encore des contacts physiques, des magasins, des bars, des restaurants, des musées, des salles de concerts, des clubs et des festivals de jazz ? Les ventes de disques en ont bien sûr été affectées. Les rares échoppes qui en proposent ayant été contraintes ce printemps de garder portes closes, bien des parutions furent reportées à l’automne. Leurs bacs à nouveau remplis, nos boutiques préférées se sont retrouvées fermées en novembre. Quant aux clubs et aux salles qui assurent les concerts de sortie des albums, leur réouverture tant espérée le 15 décembre est reportée en janvier, ou plus tard encore. Enregistrer des concerts et les proposer sur des sites ou des réseaux sociaux, ce n’est pas la même chose que d’écouter une musique vivante se créant sous nos yeux.
Restent les disques que l’on peut écouter chez soi sans danger. Malgré la pandémie, ils ont été nombreux à sortir en 2020. Depuis, la plupart des studios ont provisoirement fermé leurs portes et c’est chez lui, sur son propre piano, que Fred Hersch a enregistré le sien, l’un des deux albums solo de ces 13 Chocs au sein desquels les musiciens européens sont à l’honneur cette année. Comme Michael Wollny, l’auteur du second opus en solo de cette sélection, Anja Lechner et Daniel Erdmann sont allemands. Associés à des musiciens français, la violoncelliste à François Couturier, le saxophoniste à Bruno Angelini, ils ont fait paraître d’excellents disques en duo, l’amitié franco-allemande se révélant gagnante.
“Palo Alto”, un inédit non négligeable du grand Thelonious Monk, “The Women Who Raised Me” de Kandace Springs et “Sunset in the Blue” de Melody Gardot sont les seuls disques de jazz américains de ce palmarès 2020 avec celui de Fred Hersch dont la rythmique habituelle accompagne Marc Benham dans un album publié sur le label danois SteepleChase. Souvent produit par des firmes européennes (ECM), le meilleur du jazz sort aujourd’hui des studios européens. Andy Emler, le Marcin Wasilewski trio avec Joe Lovano ont enregistré leurs disques à La Buissonne et Pierre de Bethmann les quatre volumes de ses “Essais” au Studio Recall. Gérard de Haro et Philippe Gaillot, leurs ingénieurs du son, comptent parmi les meilleurs. Puissent-ils encore enregistrer des disques l’an prochain.
11 nouveautés…
Marc BENHAM : “Biotope” (SteepleChase / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 10 mars
Jouant avec un égal bonheur du stride, du dixieland, du swing, du bop et du jazz moderne, le piano espiègle de Marc Benham rassemble toutes les périodes de l’histoire du jazz, les époques de sa saga se télescopant parfois au sein d’un même morceau. Enregistré en une seule journée avec John Hebert (contrebasse) et Eric McPherson, la section rythmique habituelle de Fred Hersch, “Biotope” séduit donc par la variété de son répertoire. Mood Indigo, Jitterbug Waltz, Moonlight in Vermont datent des années 30 et 40. Con Alma et Airegin des années 50. Le pianiste étonne aussi par l’audace, la modernité de ses compositions. Sa Suite de Fibonacci est une petite merveille d’écriture et Pablo un dandinement de notes étourdissantes habitées par le swing. Imprévisible, chargée d’un humour malicieux, sa musique acrobatique donne le vertige.
Vincent COURTOIS : “Love of Life”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 17 février
En 2019, subjugué par la force évocatrice des récits de Jack London (1876-1916), le violoncelliste Vincent Courtois entreprit avec Robin Fincker (saxophone ténor et clarinette) et Daniel Erdmann (saxophone ténor), une tournée américaine les menant sur les terres de l’écrivain. Gérard de Haro qui les accompagnait enregistra le trio à Oakland. Une nouvelle de London, Love of Live, donne son nom à l’album. Presque tous les morceaux portent d’ailleurs ceux de ses romans et nouvelles, ses livres parmi lesquels “Martin Eden” inspirant à Vincent Courtois mélodies et cadences. Principal pourvoyeur de thèmes du trio, ce dernier donne volume et puissance à la musique. De l’intimité de son instrument avec deux saxophones naissent des sonorités inouïes que ce trio d’exception est bien le seul à nous offrir.
Anne DUCROS : “Something”
(Sunset Records / L’autre distribution)
Chronique dans le blog de Choc le 2 mars
Produit par Stéphane Portet et dédié à Didier Lockwood qui s’impliqua beaucoup dans “Purple Songs” (Dreyfus Jazz), un album d’Anne Ducros primé par l’Académie du Jazz en 2001, “Something” parvient à capter merveilleusement les nuances, le timbre de sa voix. Qu’elle s’exprime en anglais (Your Song d’Elton John, Something de George Harrison, The Very Thought of You) en français (Samba Saravah, paroles françaises de Pierre Barouh), ou en italien (Estate), sa diction parfaite, son phrasé aérien et souple, ses onomatopées inventives suscitent l’admiration. Gardienne du tempo, la contrebasse de Diego Imbert donne une grande lisibilité mélodique au répertoire. Quant à la guitare d’Adrien Moignard, elle trouve toujours les notes justes pour mettre en valeur la meilleure de nos chanteuses de jazz.
Andy EMLER : “No Solo”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 12 octobre
Bien qu’écrit sur mesure pour ses invités, le répertoire de “No Solo” entièrement composé par Andy Emler qui a conçu son disque comme une suite, s’ouvre à l’imprévu et irradie un feeling inhabituel. Ces morceaux, le pianiste les a enregistrés en solo avant de les confier aux musiciens pour lesquels ils ont été pensés, chacun d’eux rajoutant en re-recordingdans un autre studio sa propre partie instrumentale ou vocale. Réservant les deux premières pièces à son piano, Emler enchaîne sur des duos et des trios éblouissants. La flûte de Naïssim Jalal plonge For Nobody dans un bain de douceur. Les voix d’Aïda Nosrat, d’Aminata « Nakou » Dramé et de Thomas de Pourquery humanisent une musique sensible et colorée qui devient pure magie lorsque, porté par un ostinato de piano envoûtant, le saxophone alto Géraldine Laurent y insuffle son âme.
Daniel ERDMANN / Bruno ANGELINI : “La dernière nuit”
(www.brunoangelini.com)
Chronique dans le blog de Choc le 17 février
Composée et interprétée par Daniel Erdmann (saxophone ténor) et Bruno Angelini (piano), la musique de “La dernière nuit” accompagne une évocation de Sophie Scholl (1921-1943), figure emblématique du réseau « La Rose Blanche » qui fut décapitée le 22 février 1943 à Munich par les nazis avec son frère Hans pour avoir imprimé et diffusé des tracts hostiles au régime et à la guerre. Les subtiles couleurs harmoniques des compositions, les notes tendres et émouvantes du piano, le souffle expressif du saxophone traduisent les états d’âme de la condamnée la nuit qui précède son exécution, expriment son espoir de vaincre la peur et d’entrer sereinement dans la mort. Vendu lors des concerts du duo, ce disque, magnifique, est disponible sur les plateformes numériques (Bandcamp) et sur le site de Bruno Angelini.
Melody GARDOT : “Sunset in the Blue”
(Decca / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 13 novembre
Cinq ans que Melody Gardot n’avait pas sorti de disque studio. “Sunset in the Blue” ne déçoit pas et fait partie de ses grandes réussites. Arrangés par Vince Mendoza, les violons et violoncelles du Royal Philharmonic Orchestra magnifient la voix chaude et caressante de la chanteuse qu’accompagne le chanteur de fado António Zambujo dans C’est magnifique. À cet écrin de cordes se mêlent parfois des vents, l’orchestre au grand complet déployant aussi ses fastes. Larry Klein qui a produit l’album en a soigné tous les détails pour lui donner un brillant exceptionnel. Il y parvient. Interprétant une poignée de standards et des compositions originales, Melody Gardot célèbre sensuellement le Brésil et le jazz. Des musiciens confirmés l’accompagnent, la guitare d’Anthony Wilson rythmant délicatement la musique.
Fred HERSCH : “Songs from Home”
(Palmetto / L’autre distribution)
Chronique dans le blog de Choc le 11 décembre
Ce disque en solo, Fred Hersch l’a enregistré dans la maison de campagne de Pennsylvanie sur son propre piano, un Steinway B de 50 ans. Confiné, souhaitant rendre les gens heureux par sa musique, il pose ses propres harmonies sur des chansons souvent liées à des souvenirs de jeunesse. Il a grandi avec la musique populaire sophistiquée et créative des années 60, avec “Blue” de Joni Mitchell, “Sgt Peppers” des Beatles, Wichita Lineman de Jimmy Webb. Outre quelques compositions personnelles – Sarabande, West Virginia Rose dédié à sa mère et à sa grand-mère –, le répertoire comprend aussi Get Out of Town de Cole Porter et Solitude de Duke Ellington, morceau approprié à l’enfermement que fait vivre la pandémie. Dans l’intimité de son domicile Fred Hersch s’épanche et exprime ses sentiments en jouant un merveilleux piano.
Anja LECHNER / François COUTURIER : “Lontano”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°732
Anja Lechner au violoncelle, François Couturier au piano, soit la moitié de l’admirable Tarkovski Quartet à nouveau réuni après un premier opus en duo en 2013 sur ECM New Series. Avec Anja, l’une des rares violoncellistes « classique » qui ne craint pas d’improviser, François joue une musique ouverte qui dépasse le cadre du jazz et décloisonne les genres. Les belles lignes mélodiques de son piano se mêlent à celles du violoncelle dont les cordes laissent échapper une musique pure et majestueuse. Parfaitement équilibré, le répertoire de l’album comprend des compositions originales, de courtes improvisations collectives, des pièces du répertoire classique du géorgien Giya Kancheli et d’Henri Dutilleux, et des relectures inspirées d’œuvres du pianiste argentin Ariel Ramírez, et de l’oudiste tunisien Anouar Brahim.
Kandace SPRINGS : “The Women Who Raised Me”
(Blue Note / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°726
Larry Klein sait mettre en valeur les musicien(ne)s dont il produit les albums. Repérée par Prince en 2016, Kandace Springs bénéficie deses arrangements élégants dans ce disque qui comme son nom l’indique, (« Les femmes qui m’ont inspirée »), est un hommage aux chanteuses qui ont marqué sa jeunesse. Reprenant des thèmes chantés par Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Carmen McRae et plus proche de nous par Norah Jones, Diana Krall, Sade, Roberta Flack, Dusty Springfield et Bonnie Raitt, elle les chante avec une voix chaude et puissante dont il est difficile de rester insensible. Jouant elle-même du piano, accompagnée par une section rythmique comprenant Steve Cardenas (guitare), Scott Colley (contrebasse) et Clarence Penn (batterie), et conviant à la fête quelques solistes prestigieux, elle signe un opus 100% jazz, son meilleur.
Marcin WASILEWSKI Trio, Joe LOVANO : “Arctic Riff”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°729
Après avoir convié le saxophoniste suédois Joakim Milder à l’enregistrement de “Spark Of Life” en 2014, le trio du pianiste Marcin Wasilewski qui depuis sa création en 1993 comprend le bassiste Slawomir Kurkiewicz et le batteur Michal Miskiewicz, invite le saxophoniste Joe Lovano à partager sa musique. Dans Glimmer of Hope, une longue et délicate introduction de piano de Wasilewski fait d’emblée rentrer l’auditeur dans un jazz modal et onirique. Le pianiste embellit les thèmes par des couleurs harmoniques enveloppantes, la finesse de son toucher. Au ténor, Lovano dynamise la musique par un jeu musclé dont profitent L’amour fou et On the Other Side qu’il a écrit pour cette séance. Sa sonorité chaleureuse fait merveille dans les ballades. Le lyrisme de ses chorus en magnifie les mélodies.
Michael WOLLNY : “Mondenkind”
(ACT / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 26 octobre
Enregistré à Berlin en avril, en pleine période de confinement, “Mondenkind” est le premier opus en solo de Michael Wolny. Son titre (Enfant de la lune) fait référence à la mission Apollo 11, plus précisément à l’astronaute Michael Collins qui à chaque passage orbital autour de la lune perdait tout contact avec la terre pendant 46mn et 38s, la durée de ce disque. Le pianiste mêle ses œuvres à des pièces de compositeurs « classiques » (Alban Berg, Rudolf Hindemith), à des thèmes du groupe canadien Timber Timbre et du chanteur Sufjan Stevens. Des morceaux lents et expressifs, souvent en mode mineur, accompagnent de courtes pièces abstraites et inquiétantes. En pleine possession de ses moyens, un musicien inventif pose des harmonies raffinées sur une musique souvent onirique et signe une des grandes réussites de sa discographie.
…1 coffret de 5 CD(s)
Pierre de BETHMANN Trio : “Essais / Volumes 1 à 4”
(Aléa / Socadisc)
Chronique du volume 4 dans le blog de Choc le 2 mars
Chronique du volume 4 dans le blog de Choc le 27 novembre
Le volume 4 et le disque bonus de ce coffret contenant cinq plages inédites sont parus cet automne. Les trois autres datent de 2015, 2017 et février 2020. Tous contiennent des thèmes écrits ou adoptés par des jazzmen (Thelonious Monk, Herbie Hancock, Sam Rivers, Wayne Shorter), des chansons (Que Sera Sera popularisé par Doris Day, Pull Marine de Serge Gainsbourg), des pièces du répertoire classique (Sicilienne de Gabriel Fauré, Forlane de Maurice Ravel) et des morceaux peu souvent joués qui revivent sous d’autres couleurs harmoniques (Moreira que le pianiste et chanteur Guillermo Klein enregistra en 2011 avec son groupe Los Guachos). Les bonnes mélodies ne meurent jamais. Pierre de Bethmann (piano et rhodes) Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie) s’en approprient 40 et les rendent éblouissantes.
…et 1 inédit
Thelonious MONK : “Palo Alto”
(Impulse ! / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 9 novembre
1968, une année difficile pour l’Amérique et pour Thelonious Monk qui pourtant enchaîne les concerts. En octobre, le pianiste se produit deux semaines au Jazz Workshop de San Francisco. Alors que les tensions restent vives entre Blancs et Noirs en cette période d’émeutes raciales, le 27 octobre Danny Scher, un lycéen de seize ans, parvient à rassembler les deux communautés autour de la musique de Monk dans l’auditorium de son lycée de Palo Alto. En quartette avec Charlie Rouse (saxophone ténor), Larry Gales (contrebasse) et Ben Riley (batterie), le pianiste interprète cet après-midi-là Ruby My Dear, Well, You Needn’t, Blue Monk, Epistrophy, reprend en stride Don’t Blame Me et achève sur quelques notes de I Love You Sweetheart of All My Dreams, une chanson de 1928 popularisé par Rudy Vallee. 47 minutes de bonheur enfin ressuscitées.
Ami(e)s lecteurs et lectrices, comme chaque été je mets ce blog en sommeil, un peu plus tôt cette année car confiné cinquante-cinq jours dans un appartement parisien, même confortable, donne envie d’avoir devant ses yeux d’autres paysages. Je m’étais promis de consacrer moins de temps à l’actualité du jazz. La Covid-19 qui a brutalement interrompu la sortie des disques et fermé les salles de concerts, m’a pourtant conduit à écrire davantage. Des chroniques sur des albums Blue Note quelque peu oubliés et une étude sur le jazz et le cinéma que je reprendrai à la rentrée ont largement occupées mes loisirs. Il vous faudra patienter pour lire la suite de cette saga que j’espère achever à l’automne car des vacances m’attendent. Je vous abandonne aux vôtres pour prendre les miennes. Passez tous un bel été et rendez-vous en septembre.
Incontournable rendez-vous médiatique et jazzistique que préside et orchestre François Lacharme depuis 2005, la traditionnelle remise des Prix de l'Académie du Jazz s’est tenue le 27 janvier au Pan Piper, une salle de concerts que l’amateur de jazz parisien connaît bien. Devant un parterre d’invités et d’amis œuvrant dans les métiers de la musique, du cinéma et des spectacles – musiciens et académiciens, producteurs et responsables de maisons de disques, partenaires et sponsors*, journalistes, photographes, attaché(e)s de presse, organisateurs de concerts –, dix prix furent décernés ce soir-là dont le prestigieux Prix Django Reinhardt que tous les musiciens de jazz français souhaitent bien sûr obtenir.
Mon compte-rendu de cette soirée de gala, très riche sur le plan musical, privilégie aussi l’image. Prenez-le temps de faire défiler mon carrousel jazzistique et de découvrir les photos qu’Antoine Piechaud et moi-même avons prises pendant les répétitions, en coulisses et après le concert lors des agapes qui suivirent. Outre les lauréats, vous y trouverez sans doute des visages familiers et peut-être le vôtre. Que la fête commence.
*La Fondation BNP Paribas, la SACEM, la SPEDIDAM, le Conseil des Vins de Saint-Émilion, le Pan Piper, mais aussi le Goethe Institut qui accueille en amont depuis quelques années nos fiévreux et passionnants débats.
LACÉRÉMONIE
19h05 : à tout seigneur, tout honneur, François Lacharme ouvrit la cérémonie, et après quelques mots de bienvenue, remit le Prix du Jazz Classique à Gisèle Larrivé dite Gigi qui supervisa le travail de réédition exceptionnel qu’entreprit pendant plus de trente ans Michel Pfau sur Albert Ammons (1907-1949) le roi du boogie-woogie, la manière la plus africaine de jouer le blues au piano. Michel Pfau ne vit malheureusement pas son projet aboutir. Il décéda avant la parution de “Complete Work Albert Ammons” (coffret de 9 CD(s) auquel s’ajoute un DVD) qui regroupe tous les enregistrements du pianiste et contient un livre de 192 pages comprenant sa biographie et sa discographie complète. Appelé sur scène, Jean-Paul Amouroux expliqua ce qu’est le style boogie-woogie, puis l’un des groupes finalistes, les Three Blind Mice – Malo Mazurié (trompette), Félix Hunot (guitare) et Sébastien Girardot (contrebasse) – nous donnèrent une version chaleureuse de Viper Mad de Sydney Bechet en guise d’intermède musical.
2019 ne fut pas très riche en littérature jazzistique. Le centenaire de la naissance de Boris Vian que nous fêtons cette année (il est né à Ville-d’Avray le 10 mars 1920) donna fort heureusement matière à deux ouvrages que la commission livres de l’Académie estima judicieux de primer ensemble. Richement illustré, “Boris Vian 100 ans” (Éditions Heredium) de Nicole Bertolt et Alexia Guggemos est un peu le livre officiel de ce centenaire qui verra pleuvoir de nombreuses manifestations autour de l’écrivain. Dans leur “Anatomie du Bison” (Éditions des Cendres), Christelle Gonzalo et François Roulmann nous font suivre presque au jour la vie de l’écrivain qui fut membre de l’Académie et dont les écrits sur le jazz restent célèbres.
Prélude à une « Nuit Boris Vian » que l’Académie du Jazz organisera au Pan Piper le 27 mars, Natalie Dessay vint un peu plus tard confirmer son talent de lectrice sur Quand l’amateur de jazz écrit, un texte de Vian publié dans “Jazz 1954”, plaquette « présentée par l’Académie du Jazz » comme mentionne la couverture de ce petit ouvrage (20 pages) aujourd’hui recherché.
Également attribué par une commission, le Prix du Meilleur Inédit récompensa “Live in Tokyo‘91”, un double CD de Barney Wilen enregistré sur un Sony DAT au Keystone Corner de Tokyo, aujourd’hui le Harajuku Keynote. C’est grâce au fils de Barney, Patrick Wilen que nous avons aujourd’hui ce concert. Barney y est accompagné par Olivier Hutman au piano, Gilles Naturel à la contrebasse et Peter Gritz à la batterie. En l’absence du saxophoniste, décédé trop tôt en 1996, ses trois musiciens vinrent recevoir le prix des mains de François Lacharme et nous firent l’honneur d’interpréter No Problem de Duke Jordan, un des titres emblématiques de cette résurrection sonore et l’un des thèmes préférés de Barney. Plaisir d’entendre Gilles Naturel toujours impérial à la contrebasse et le merveilleux piano blues d’Olivier Hutman, un ami apprécié.
N’ayant pu se déplacer, Jontavious Willis et Mavis Staples, lauréat(e)s des Prix Blues et Soul pour leurs albums “Spectacular Class” et “Live in London”, exprimèrent leurs vifs remerciements à l’Académie dans les petits films qu’ils avaient envoyés.
Ce qui laissa du temps au pianiste / organiste Laurent Coulondre, Prix du Disque Français 2019 pour “Michel On My Mind”, superbe hommage à Michel Petrucciani, d’interpréter deux morceaux de son album après avoir reçu son trophée. Accompagné par les musiciens de son disque, Jérémy Bruyère à la contrebasse et l’inégalable André Ceccarelli à la batterie, Laurent mena son mini concert tambour battant. Sa version de She Did It Again, une composition de Michel que contient son album Blue Note “Promenade with Duke” (1993) et dans laquelle Caravan est longuement cité enthousiasma l’auditoire.
Présidée par Arnaud Merlin qui programme de grands musiciens au Studio 104 de Radio France dans le cadre de son émission Jazz sur le Vif, la Commission du Jazz Européen (dont j’ai l’honneur d’être membre) trouve toujours à récompenser des musiciens qui le méritent, des musiciens pas toujours connus du grand public, leur musique, parfois difficile, exigeant des oreilles ouvertes et attentives. Choisir Daniel Erdmann, primé cette année, fut une excellente idée. Membre du trio Das Kapital, capable de souffler des notes brûlantes et dissonantes et d’en murmurer d’autres apaisées et lyriques, le saxophoniste allemand a récemment enregistré un magnifique album en duo avec le pianiste Bruno Angelini dont vous lirez prochainement la chronique dans ce blog. Après avoir reçu son trophée, rejoint par Vincent Courtois au violoncelle avec lequel il travaille depuis plusieurs années, Daniel nous interpréta une composition d’un grand souffle poétique intitulée Les frigos. Elle apparaît dans “A Short Moment of Zero G”, un album BMC du Velvet Revolution publié en 2016, Théo Ceccaldi (violon) et Jim Hart (vibraphone) complétant le trio.
Après un hommage aux membres de l’Académie du Jazz disparus l’an dernier, Jean-Pierre Daubresse et André Francis qui était non seulement le doyen mais aussi l’un des membres fondateur de l’Académie (une courte bande audio retrouvée à l’INA, premières minutes de l’émission « Aimer le jazz » diffusée sur les ondes en mai 1948, André n’a pas encore vingt-trois ans, nous fit entendre sa voix), le Prix du Jazz Vocal fut décerné à la chanteuse Leïla Martial pour son album “Warm Canto”.
Un prix qui témoigne de l’éclectisme de l’Académie du Jazz dont le collège, faut-il le rappeler, reste très largement composé de journalistes. “Warm Canto” n’est nullement un disque de jazz, musique que Leïla Martial réinvente. Découverte par Jean-Jacques Pussiau qui publia son premier enregistrement, elle possède son propre univers musical, invente avec ses musiciens, Pierre Tereygeol (guitare acoustique) et Eric Perez (batterie, voix) un monde sonore qui n’appartient qu’à elle. Sa prestation fut unanimement appréciée car sur scène, la chanteuse, tout feu tout flamme, ensorcelle par ses onomatopées rythmiques, son énergie, et donne le meilleur d’elle-même. Assis près de moi, Bertrand Tavernier enthousiasmé voulait immédiatement se rendre chez un disquaire pour acheter l’album. Vu l’heure tardive, 20h30 passé, je lui conseillai prudemment d’attendre le lendemain.
Puis vint le moment tant attendu, celui de dévoiler le Prix Django Reinhardt, le plus prestigieux de l’Académie, un prix doté d’une somme de 3000 euros grâce à la générosité de la Fondation BNP Paribas représenté par Jean-Jacques Goron, son Délégué Général. Hugo Lippi le remporta devant Théo Ceccaldi et Leïla Olivesi dont la “Suite Andamane” fut également l’un des trois albums finalistes du Prix du Disque Français. Avec Fred Nardin, Prix Django Reinhardt 2016 au piano, Fabien Marcoz à la contrebasse et Romain Sarron à la batterie, le guitariste joua deux morceaux dont le Manoir de mes rêves de Django qui introduit “Comfort Zone” son dernier album enregistré à New-York avec Nardin et une section rythmique américaine. Propulsée par un (re)bondissant « Poinciana Beat », cher à Ahmad Jamal, la musique de Manoir de mes rêves se fit légère et délicate, pour ne plus peser que son poids de poésie.
Bien qu’impatient d’aller féliciter Leïla Martial, le cinéaste Bertrand Tavernier avait été invité à remettre le prix du meilleur disque de jazz de l’année, le Grand Prix de l’Académie du Jazz qu’il n’est évidemment pas facile d’obtenir, une pluie de bons disques s’abattant chaque année sur la tête des journalistes composant le collège électoral. Onze albums étaient encore en compétition au dernier tour de scrutin, “Groove du Jour” du Yes! Trio l’emportant pour finir sur “Star People Nation” de Theo Croker et “Playing the Room” d’Avishai Cohen et Yonathan Avishai.
Monté sur scène pour remettre le trophée à Aaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson, respectivement pianiste, bassiste et batteur du Yes! Trio, Bertrand Tavernier qui, faut-il le rappeler, est un fin connaisseur du jazz – il a souvent confié les musiques de ses films à des jazzmen – se livra à un échange d’anecdotes fusantes et drôles avec François Lacharme, prenant le temps de décacheter l’enveloppe révélant le vainqueur afin de raconter des histoires savoureuses sur d’autres remises de prix. Très fiers d’avoir reçu leur trophée des mains d’un cinéaste qu’ils admirent – “Autour de Minuit” remporta un Oscar et “Dans la brume électrique” (“In the Electric Mist”) fut tourné aux États-Unis avec des acteurs américains. Tommy Lee Jones en est l’acteur principal –, le Yes! Trio joua deux morceaux de son disque(Escalier, son ouverture, et C’est clair), nos trois grands musiciens achevant ainsi de rendre cette soirée inoubliable.
LE PALMARÈS2019
Prix Django Reinhardt
HUGO LIPPI
Grand Prix de l’Académie du Jazz :
YES! TRIO « Groove du jour »
(Jazz&People / Pias)
Prix du Disque Français :
LAURENT COULONDRE « Michel On My Mind »
(New World Production / L’Autre Distribution)
Prix du Musicien Européen :
DANIEL ERDMANN
Prix du Meilleur Inédit :
BARNEY WILEN QUARTET « Live In Tokyo ’91 »
(Elemental Music / Distrijazz)
Prix du Jazz Classique :
ALBERT AMMONS « Complete Work Albert Ammons (1907-1949)
Boogie Woogie King »
(Cafe Society / eurenie@gmail.com)
Prix du Jazz Vocal :
LEÏLA MARTIAL « Warm Canto »
(Laborie Jazz / Socadisc)
Prix Soul :
MAVIS STAPLES « Live in London »
(Anti- / Pias)
Prix Blues :
JONTAVIOUS WILLIS « Spectacular Class »
(Kind of Blue Music / www.jontaviouswillis.com)
Prix du Livre de Jazz :
NICOLE BERTOLT & ALEXIA GUGGÉMOS « Boris Vian 100 ans »
(Éditions Heredium)
CHRISTELLE GONZALO & FRANÇOIS ROULMANN
« Anatomie du Bison – Chrono-bio-bibliographie de Boris Vian »
(Éditions des Cendres)
BEFORE&AFTER
Avec par ordre d’entrée en scène (70 photos) : Aaron Goldberg & André Ceccarelli – André Cayot – Agnès Thomas – Claude Carrière & Claudette de San Isidoro – Laurent Coulondre – André Villeger – Bertrand Tavernier – Vincent Courtois –François Lacharme – Jacques Pauper & Hugo Lippi – Chantal Goron & Marie Mifsud – Alain Tomas – Juliette Poitrenaud – Francis Capeau & Sylvie Durand – Fred Nardin & Hugo Lippi – Jean Szlamowicz & Sarah Thorpe – Gilles Coquempot & Bruno Pfeiffer – Leïla Martial – Gilles Petard – Jean-Jacques Goron & Frédéric Charbaut – Pierre de Chocqueuse & Leïla Olivesi – Axelle & Louis Moutin – Hervé Cocotier – Omer Avital, Vincent Bessières & Hélène Lifar – Hervé Riesen – Bertrand Tavernier & François Lacharme – Marie-Claude Nouy & Flavien Pierson – Jean-Michel Proust & Hugo Lippi – Véronique Coquempot, Sylvie Durand & Gilles Coquempot – Isabelle Marquis & André Villeger – Jean-Louis Chautemps – Juliette Poitrenaud & Françoise Philippe – Patrick Martineau – Jean-Jacques Goron, Agnès Thomas & Mathilde Favre – Laurent Carrier – Patrice Caratini & Jacqueline Capeau – Pierre de Bethmann – Pierre-Henri Ardonceau – Mélanie Dahan & Marc Benham – Michele Hendricks & Claude Carrière – Sara Lazarus – Bénédicte de Chocqueuse & Aaron Goldberg – Vincent Bessières & François Lacharme – André Ceccarelli – Pierre Cuny – Jean-Louis Lemarchand – Glenn Ferris & Olivier Hutman – Hervé Sellin – Mathilde Favre – Marc Sénéchal – Gilles Petard & Jean-François Pitet – Jean-Jacques Goron – Sophie Louvet – Jacques Pauper, Ali Jackson & Aaron Goldberg – Pierre Christophe – Solenne Amalric & Stéphane Marais – Xavier Felgeyrolles – Stéphane Portet & Jean-Charles Doukhan – Ramona Horvath & Nicolas Rageau – Pierre de Chocqueuse & Bertrand Tavernier – Mélanie Dahan & Sarah Thorpe – Lionel Eskenazi – Philippe Baudoin – Fred Nardin & Leïla Martial – Didier Pennequin – Sylvie Durand & Gilles Coquempot – Pierre Mégret – Stéphane Kerecki – Laurent de Wilde – Yes! Trio.
Décembre : 13 disques enthousiasmants, 13 Chocs, pas un de plus, un choix subjectif correspondant à mes goûts et ce depuis les dix ans que ce palmarès existe. Les sélectionner n’est jamais facile. Il y en a beaucoup d’autres que j’apprécie, des disques dont la musique au-delà des notes parvient à envoûter. Il m'a été difficile de ne pas inclure “Changes” de Russ Lossing, un album du pianiste presque entièrement consacré à des standards, “Confort Zone” du guitariste Hugo Lippi, “53” de Jacky Terrassonet “The Sound The Rhythm”, un enregistrement en quartette du saxophoniste danois Jan Harbeck largement consacré au répertoire de Ben Webster.
Mais mon plus grand regret reste l’absence de “Characters On A Wall” un disque de Louis Sclavis reçu trop tard pour que j’en fasse une chronique. Les compositions qu’il contient répondent à des œuvres picturales de l’artiste plasticien Ernest Pignon-Ernest, le clarinettiste imaginant une musique dans laquelle rythme et émotion, couleur et élégance cohabitent. C’est aussi la première fois que Louis Sclavis enregistre pour ECM un album dont l’instrumentation est celle d’un disque de jazz classique : piano (Benjamin Moussay), contrebasse (Sarah Murcia) et batterie (Christophe Lavergne) accompagnant ses clarinettes.
ECM est toutefois loin d’être oublié dans ce palmarès. Le label vient de fêter son cinquantième anniversaire et a publié cette année de grands disques. Comme l’an dernier, les productions européennes représentent plus de 50% de cette sélection compte tenu que Dan Tepfer est un pianiste franco-américain et que “Groove du Jour” du Yes ! Trio est une production française. Enfin, mon intérêt pour le piano me conduit à privilégier des grands de l’instrument. J’en assume l’entière responsabilité et vous invite à les découvrir. Puissent ces 13 disques vous apporter autant de joie qu’ils m’en donnent.
11 nouveautés…
Franck AMSALLEM :
“Gotham Goodbye”
(Jazz&People / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 18 octobre
“Gotham Goodbye” est un adieu à New York, une ville que Franck Amsallem habita pendant 20 ans et dont le jazz moderne qu’elle engendre le marqua profondément. Enregistré avec le saxophoniste cubain Irving Acao et une section rythmique européenne, le bassiste suédois Victor Nyberg et le batteur français Gautier Garrigue, ce disque de compositions originales rassemble des ballades et des morceaux rapides aux métriques parfois impaires et inhabituelles. Seul standard de l’album, Last Night When We Were Young renferme une partie de piano d’une rare élégance. Jouant un magnifique piano, Franck Amsallem improvise sur les belles mélodies qu’il nous donne à entendre, les phrases sensuelles et chaudes d’Irving Acao leur donnant un brillant peu commun.
Yonathan AVISHAI :
“Joys and Solitudes”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°713 - février (Choc)
Deux albums pour le label Jazz&People, un enregistrement en duo avec le trompettiste Avishai Cohen, et ce disque sorti en début d’année suffisent à placer le pianiste franco-israélien Yonathan Avishai parmi les musiciens les plus attachants de l’instrument. Avec lui, point de cascades d’arpèges, de surabondance de notes, de virtuosité démonstrative, mais un piano aux couleurs souvent ellingtoniennes, un jeu économe qui place le silence au cœur de la musique. En trio avec Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie), musiciens avec lesquels il partage la simplicité de son approche musicale, Yonathan Avishai nous séduit par l’élégance des lignes mélodiques de son piano, les phrases tranquilles et chantantes de ses mélodies et sa version de Mood Indigo dont il nous offre une superbe relecture.
Chick COREA& The Spanish Heart Band : “Antidote”
(Concord Jazz / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 15 juillet
Dans “Antidote”, Chick Corea célèbre à nouveau ses origines latines, un héritage qu’il revendique et qui nourrit depuis longtemps ses visions musicales. L’un de ses albums s’intitule “My Spanish Heart” et Spain, l’une de ses plus célèbres compositions, s’inspire du “Concerto d’Aranjuez” de Joaquín Rodrigo. “Antidote” est aussi un hommage à Paco de Lucía (1947-2014) qui modernisa la guitare flamenca. “Touchstone”, un album de Corea, les a réuni en1982. Il contient The Yellow Nimbus, une danse ici réorchestrée. Enregistré avec des musiciens dont certains nous sont familiers – le flûtiste espagnol Jorge Pardo, le tromboniste Steve Davis, le batteur David Gilmore, le chanteur panaméen Rubén Blades – cet album solaire contient aussi quelques-uns des plus beaux arrangements du pianiste.
Laurent COULONDRE :
“Michel On My Mind”
(New World Production / L’Autre distribution)
Chronique dans le blog de Choc le 9 octobre
Michel, c’est bien sûr Michel Petrucciani. Sa musique n’a jamais cessé de faire chavirer le cœur de Laurent Coulondre. Enregistré en trio avec Jérémy Bruyère à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie, ce « tribute » au pianiste disparu en 1999 rassemble onze de ses compositions, un thème d’Eddy Louiss et deux originaux de Laurent. Ce derniera choisi de conserver les arrangements initiaux de Michel pour mieux en faire chanter les notes. Empruntés à l’album “Music”, Memories of Paris, Looking Up et Bite bénéficient d’un merveilleux piano et c’est à l’orgue Hammond que Laurent Coulondre interprète Les Grelots d’Eddy Louiss. Enfin, Michel On My Mind qui donne son nom à l’album est joué avec une telle générosité qu’il met constamment en joie.
Giovanni GUIDI :
“Avec le temps”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°714 - mars (Choc)
Dédiés à Léo Ferré et à Tomasz Stanko, Avec Le temps et Tomasz, pièces lentes et majestueuses qui encadrent le disque, font entendre Giovanni Guidi en trio avec Thomas Morgan à la contrebasse et João Lobo à la batterie, la section rythmique de deux des trois albums que le pianiste enregistra pour ECM. Leurs phrases chantantes révèlent la délicatesse de toucher d’un grand pianiste. Souvent riches en dissonances, en harmonies inattendues, les autres morceaux en quintette mettent en valeur le guitariste Roberto Cecchetto (Ti Stimo et sa mélodie inoubliable) et le saxophoniste Francesco Bearzatti dont le ténor inventif apporte beaucoup à une musique ouverte que structure magnifiquement le piano raffiné du leader.
Joachim KÜHN :
“Melodic Ornette Coleman”
(ACT / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 25 mars
Instrumentiste controversé, Ornette Coleman n’en reste pas moins un compositeur important. Joachim Kühn, l’un des rares pianistes qui enregistra avec lui, reprend aujourd’hui des œuvres jamais publiées du saxophoniste que les deux hommes jouaient en concert. Ornette apportait les mélodies et Joachim, choisissait leurs accords, se basant sur des sons et non sur des notes pour les mettre en forme. Excepté Lonely Woman dont nous avons ici deux versions, c’est dans ces morceaux que Kühn a puisé le répertoire de ce disque enregistré à Ibiza. La Méditerranée, le bleu du ciel, la nature luxuriante de l’île semblent avoir eu une influence positive sur son jeu, son piano adamantin et virtuose, nourri par une longue pratique de la musique classique, s’ouvrant à la douceur.
Enrico RAVA / Joe LOVANO :
“Roma”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 28 octobre
L’enregistrement d’un concert donné à Rome en novembre 2018 par le trompettiste italien Enrico Rava et le saxophoniste américain d’origine sicilienne Joe Lovano. Réunie par Giovanni Guidi, le meilleur des jeunes pianistes italiens, la section rythmique comprend le bassiste Dezron Douglaset le batteur Gerald Cleaver, tous deux américains. Au bugle, soufflant de longues phrases chantantes, Rava privilégie la mélodie. S’il fait merveille dans les ballades, Lovano trempe son saxophone ténor dans les accords du bop, nous offre une version particulièrement lyrique de Spiritual (John Coltrane) et donne de l’énergie à la musique, Guidi apportant à cette dernière des couleurs attrayantes, la jouant très librement. Il est seul au piano pour un Over the Rainbow d’une grande intensité poétique.
Nick SANDERS Trio :
“Playtime 2050”
(Sunnyside / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 9 avril
Aussi singulière soit-elle, cette musique ne tombe pas du ciel. Elle possède une grammaire, un vocabulaire et porte le poids du passé. Le jazz, Nick Sanders l’a étudié avec Ran Blake au New England Conservatory of Music de Boston. Danilo Perez, Jason Moran et Fred Hersch, qui a produit ses deux premiers disques, furent ses autres professeurs. Jouant aussi de la batterie, il introduit souvent ruptures et décalages rythmiques dans ses compositions. Enregistré avec ses musiciens habituels, le bassiste Henry Fraser et le batteur Connor Baker qui lui permettent de structurer un discours souvent imprévisible et de proposer un piano différent, “Playtime 2050” témoigne une fois encore de sa capacité à jouer une musique neuve possédant sa propre logique.
Mario STANTCHEV :
“Musica Sin Fin”
(Cristal / Believe Digital)
Chronique dans le blog de Choc le 16 avril
Depuis sa sortie en avril, “Musica Sin Fin” passe et repasse sur ma platine CD comme si ses trente-cinq minutes de musique n’allaient jamais s’arrêter et que la musique inoubliable du morceau qui donne son nom à l’album allait durer éternellement. Comment quitter ce disque de piano dont on adopte si bien la musique, des miniatures sonores d’une quasi perfection qui naviguent avec bonheur entre le classique et le jazz, la gaieté et la mélancolie. Ses douze morceaux en solo sont si enveloppants qu’il est bien difficile d’en abandonner l’écoute. Pianiste en pleine possession de son art, Mario Stantchev fait chanter son instrument et raconte des histoires dépourvues de fioritures et de notes inutiles. Un must tout simplement.
Dan TEPFER :
“Natural Machines”
(Sunnyside / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 14 juin
L’instrument : un Disklavier, piano à queue relié et piloté par un ordinateur portable, soit une sorte de piano mécanique au sein duquel un programme informatique remplace les rouleaux mécaniques jadis utilisés. Celui qu’a créé Dan Tepfer, pianiste mais aussi astrophysicien de formation, permet de réagir en temps réel à ses improvisations. Des algorithmes analysent ce qu’il joue et renvoient une réponse au piano dont les touches s’activent d’elles-mêmes. La note jouée en actionne une autre sans que son doigt n’ait besoin de se poser sur le clavier. L’instrument peut jouer la même note une octave plus basse, le pianiste dialoguant ainsi avec lui-même. Enregistrés en une seule prise et ne posant aucune difficulté d'écoute, les onze morceaux de “Natural Machines”, disque insolite et neuf, sont remarquables d'invention et de musicalité.
YES ! Trio :
“Groove du jour”
(Jazz&People / Pias)
Chronique dans Jazz Magazine n°722 - novembre (Choc)
Deuxième album d’un trio dont les membres se connaissent depuis vingt-cinq ans, “Groove du jour” célèbre le swing et étale les belles couleurs d’une musique aux lignes mélodiques irriguées par le blues. Par sa technique, sa vivacité, Aaron Goldberg impressionne. Les doigts de ce pianiste virtuose courent souvent sur le clavier, mais Aaron nous séduit davantage encore lorsqu’il joue des notes délicates et les fait respirer. La contrebasse ronde et boisée d’Omer Avital, principal pourvoyeur de thèmes de la formation, les chante et leur donne un souple et subtil balancement. Entre les mains d’Ali Jackson, un simple tambourin suffit parfois à marquer les temps. Retrouvant le chemin des studios, Aaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson réussissent un disque enthousiasmant.
…et 2 inédits
Paul BLEY, Gary PEACOCK, Paul MOTIAN :
“When Will the Blues Leave”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°717 - juin (Choc)
Il existe peu d’albums réunissant Paul Bley, Gary Peacock et Paul Motian. Enregistré en 1998 pour ECM, “Not Two, Not One” est l’un d’entre eux. Il fut suivi par une tournée l’année suivante. Le concert qu’il donnèrent en mars 1999 à Lugano fut par bonheur capté par des micros. Si la plupart des thèmes nous sont familiers, il se révèle comme une des pièces maîtresse de la discographie du pianiste. Ce dernier jouait déjà When Will the Blues Leaveen 1958 au Hillcrest Club de Los Angeles avec Ornette Coleman. Moor et Mazatlandatent des années 60. Mais ces nouvelles versions aux harmonies différentes sont loin de ressembler à celles déjà existantes. En osmose, les trois hommes prennent des risques et dialoguent en toute liberté. La musique inattendue qu’ils nous livrent réserve des moments inoubliables.
Stan GETZ Quartet :
“Getz at The Gate”
(Verve / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 8 juillet
Enregistrées le 26 novembre 1961 par Verve, sa compagnie de disques, lors du dernier des quatre concerts qu’il donna au Village Gate de New-York, ces faces inédites – près de 2h20 de musique et une excellente prise de son – témoignent du désir de Stan Getz de jouer un jazz plus moderne, John Coltrane venant de le détrôner dans les référendums des magazines. Son pouvoir de séduction reste intact dans les ballades, la sonorité moelleuse et suave de son saxophone ténor fait toujours battre les cœurs, mais le saxophoniste adopte aussi un jeu plus dur, souffle des notes agressives. Avec Steve Kuhn au piano, John Neves à la contrebasse et Roy Haynes à la batterie, il attaque ses notes avec une puissance inhabituelle, Getz, bopper tout feu tout flamme, se montrant ici plus proche de Charlie Parker que de Lester Young.
Ce 21 décembre, le soleil entre dans le solstice d’hiver, l’annonce d’une année qui s’achève. Avec les fêtes, les familles se retrouvent, se réunissent. On fraternise avec le voisin, on réunit ses amis autour du sapin illuminé. Offrir, partager, prendre le temps de lire, écouter, rêver… Janvier, c’est aussi la traditionnelle remise des prix de l’Académie du Jazz, mais vous patienterez quelques semaines de plus pour les découvrir.
Comme je vous l’ai précédemment annoncé, le palmarès sera dévoilé le 9 février à la Seine Musicale au cours d’un concert hommage au pianiste Michel Petrucciani disparu il y a vingt ans en 1999. Ne tardez pas à acheter des billets pour cet événement exceptionnel réunissant les nombreux musiciens qui ont tenu à y participer. Franck Avitabile, Flavio Boltro, Laurent Coulondre, Géraldine Laurent, Joe Lovano, Philippe Petrucciani, Géraud Portal, Lucienne Renaudin Vary, Aldo Romano, Jacky Terrasson et Lenny White assureront la deuxième partie et les lauréats de l'Académie du Jazz la première.
Le blog de Choc a fêté ses dix ans en septembre. J'ai beaucoup hésité à l'arrêter mais votre fidélité m'en a finalement dissuadé. Cette aventure va donc se poursuivre en 2019 avec peut-être moins de chroniques, de concerts qui interpellent. L'actualité du jazz en décidera, mais les bons disques qui actuellement me parviennent et doivent bientôt paraître m'encouragent à garder le rythme.
Comme chaque année, ce blog sommeillera jusqu’à la mi-janvier. Pas plus tard, car des concerts alléchant sont prévus – Martial Solal à Gaveau, Bobo Stenson à Radio France – et, mon enthousiasme pour le jazz ne faiblissant pas, je me dois de vous en tenir informé.
Vous les attendiez ces 13 disques que je place au-dessus des autres, mes lauréats de 2018. Vous retrouverez dans ce palmarès des musiciens qui ont l’habitude d’y être. Fred Hersch, Brad Mehldau, Enrico Pieranunzi font régulièrement de grands disques. Bruno Angelini aussi. Déjà Choc de l’année en 2017, le batteur danois Snorre Kirk récidive avec un album encore plus enthousiasmant. Tous ont fait l’objet de chroniques dans ce blog ou dans Jazz Magazine. Comme à mon habitude, je n’écris que sur ceux qui m’éblouissent, préférant passer les autres sous silence. Ce choix subjectif correspond à mes goûts. Ceux qui me lisent régulièrement connaissent mon intérêt pour le piano mais Jacques Vidal est un contrebassiste, Eddie Daniels un clarinettiste et Snorre Kirk un batteur.
Des regrets, j’en ai bien sûr. Sélectionner 13 disques n’est pas facile. J’aurai pu tout aussi bien choisir “Wine & Waltzes” ou “Blue Waltz” d’Enrico Pieranunzi, mais “Monsieur Claude” garde ma préférence. Thomas Bramerie, Stephan Oliva, Stéphane Kerecki, Kenny Werner, John Surman et Andy Sheppard ont également sorti de bons albums cette année. Ces deux derniers sont des artistes ECM, un catalogue riche en merveilles. Présents dans ce palmarès, les CD(s) de Tord Gustavson, Bobo Stenson et Keith Jarrett (un de mes deux inédits) sont aussi des disques ECM. Ils confirment la bonne santé du jazz européen qui représente plus de 50% d’une sélection que je vous invite à découvrir et bien sûr à écouter.
11 nouveautés…
Bruno ANGELINI : “Open Land”
(La Buissonne / Pias)
Chronique dans le blog de Choc le 16 avril
“Open Land”, fait entendre un univers musical onirique d’une grande richesse, un jazz de chambre mélodique et largement ouvert à l’improvisation. Les timbres sont traités avec une grande douceur par les musiciens, Bruno Angelini (piano), Régis Huby (violons), Claude Tchamitchian (contrebasse) et Edward Perraud (batterie). Contrairement à “Instant Sharings”, son premier opus, la formation s’est rendue au studio la Buissonne avec un répertoire original apporté par son pianiste et rôdé en concert. Des compositions pensées pour les couleurs, les timbres des instruments qui, entremêlés, donnent au groupe sa sonorité particulière, sa signature qui le distingue de tous les autres.
Marc COPLAND : “Gary”
(Illusions / www.illusions-music.fr)
Chronique dans le blog de Choc le 15 novembre
Presque entièrement consacré à des compositions de Gary Peacock, produit par Philippe Ghielmetti et enregistré en avril à La Buissonne par Gérard de Haro, “Gary” est l’un des grands opus de Marc Copland, un disque en solo dans lequel le pianiste donne à ce répertoire qu’il connaît bien une grande dimension onirique. Mises en valeur, habillées d’harmonies flottantes et rêveuses que favorisent un jeu de pédales très élaboré et une grande finesse de toucher, les mélodies deviennent prétextes à d’inépuisables variations de couleurs harmoniques et acquièrent un aspect grandiose et introspectif que les propres enregistrements du bassiste sont loin de toujours posséder.
Eddie DANIELS : “Heart of Brazil”
(Resonance / Bertus)
Chronique dans le blog de Choc le 13 juillet
De son propre aveu, Eddie Daniels ne connaissait pas la musique du compositeur brésilien Egberto Gismonti avant que George Klabin, le producteur de cet album, ne la lui fasse entendre. Éblouissant à la clarinette dont il est un virtuose incontesté, mais également très convaincant au saxophone ténor, Daniels habille ici de nouveaux arrangements la musique du compositeur brésilien, un mélange équilibré et savoureux de musique savante et populaire dépassant le cadre de la samba, du choro ou de la bossa nova. Un quartette comprenant le pianiste Josh Nelson (l’un des arrangeurs de cet album), le batteur brésilien Maurizio Zottarelli, et un quatuor à cordes qui dialogue souvent avec les solistes (le Harlem Quartet), en assure l’instrumentation.
Tord GUSTAVSEN Trio : “The Other Side”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°709 - septembre (Choc)
Après plusieurs albums en quartette, et un disque en trio avec la chanteuse germano-afghane Simin Tander, Tord Gustavsen a choisi de revenir au trio piano, contrebasse, batterie. Enregistré avec Jarle Vespestad, son batteur habituel, et Sigurd Hole, un nouveau bassiste, “The Other Side” son huitième opus pour ECM est plus que jamais inspiré par la musique sacrée, hymnes religieux norvégiens et chorals de Jean-Sébastien Bach constituant une part importante du répertoire. L’épure, l’ascétisme musical que recherche le pianiste s’exprime dans son jeu qui ornemente a minima pour mieux dire l’essentiel. Les notes se font ici légères comme si l’Esprit Saint soufflait sur elles, la musique, lente, contemplative et d’une grande simplicité mélodique, acquérant une profondeur spirituelle à laquelle on n’est plus habitué.
Fred HERSCH Trio : “Live in Europe”
(Palmetto / Bertus)
Chronique dans Jazz Magazine n°705 - mai (Choc)
Enregistré dans un studio de Bruxelles lors d’une récente tournée européenne effectuée avec John Hébert (contrebasse) et Eric McPherson (batterie), ses musiciens habituels, ce “Live in Europe” est encore plus enthousiasmant que “Sunday Night at the Vanguard”, un disque que Fred Hersch considère comme étant le meilleur de ses nombreux albums en trio. C’est dire l’excellence du programme musical qui nous est ici proposé. Dédiant comme à son habitude ses compositions à des amis, des artistes qu’il affectionne, Hersh joue à cache-cache avec des notes que ses deux mains autonomes font sortir de son piano. Jouant simultanément plusieurs lignes mélodiques, recourant au contrepoint, il aborde blues et calypso, reprend deux thèmes de Wayne Shorter et termine sa prestation par un Blue Monk qui ensorcelle.
Snorre KIRK : “Beat”
(Stunt / Una Volta Music)
Chronique dans Jazz Magazine n°712 - décembre (Choc)
Le procédé est connu : on frappe dans ses mains pour se réchauffer. Le batteur Snorre Kirk vient du froid, du Danemark, non pour espionner mais pour battre d’autres tambours, rythmer une musique chaude comme de la braise. Count Basie, Duke Ellington et Wynton Marsalis se font entendre dans ses compositions, ses arrangements très soignés. Dans la même veine musicale que “Drummer & Composer” publié l’an dernier, l’un des treize Chocs 2017 de ce blog, “Beat” est encore plus enthousiasmant. Cocktail détonnant à base de swing, de blues et de rythmes afro-cubains, il réunit un sextette comprenant cornet, saxophone alto (ou clarinette) saxophone ténor, piano, contrebasse et batterie. Jan Harbeck, le ténor de la formation, a enregistré un album très réussi avec le saxophoniste Walter Smith III et son pianiste, Magnus Hjorth, est l’un des grands de l’instrument.
Brad MEHLDAU Trio : “Seymour Reads the Constitution !”
(Nonesuch / Warner)
Chronique dans Jazz Magazine n°706 - juin (Choc)
On peut lui préférer, “Blues and Ballads” publié il y a deux ans, l’un des treize Chocs 2016 de ce blog, un album aux tempos lents au sein duquel la mélodie est constamment privilégiée. D’une grande unité stylistique et lourd d’improvisations audacieuses “Seymour Reads the Constitution!” reste toutefois un grand disque de Brad Mehldau. Mêlant compositions nouvelles et standards – Beatrice de Sam Rivers et De-Dah de Elmo Hope, mais aussi Friends de Brian Wilson et Great Day de Paul McCartney –, le pianiste envoûte par son flot de notes, son univers harmonique aux longues phrases en constante expansion. Étroitement associés à sa musique Larry Grenadier et Jeff Ballard canalisent cette énergie qui le pousse à questionner sans relâche et jusqu’au vertige les thèmes qu’il aborde pour nous offrir la plus belle des musiques.
Enrico PIERANUNZI / Diego IMBERT / André CECCARELLI :
“Monsieur Claude {A Travel with Claude Debussy}”
(Bonsaï Music / Sony Music)
Chronique dans le blog de Choc le 26 mars
Multipliant les enregistrements, Enrico Pieranunzi a fait paraître quatre albums en 2018. Je les aime tous, mais ma préférence va à ce “Monsieur Claude” consacré à des relectures de quelques pages de Claude Debussy, un disque publié en début d’année qui, du fait de la présence dans quatre morceaux de la chanteuse Simona Severini, fait polémique. C’est pourtant elle qui ajoute à ce enregistrement un supplément d’âme, le rend si attachant. Composé par le Maestro, L’adieu, un poème de Guillaume Apollinaire confié à sa voix, rencontre l’interprète idéale pour en chanter les notes. Dans quatre autres plages, David El Malek rejoint le trio du pianiste. Diego Imbert et André Ceccarelli – l’album sort sous leurs trois noms – en constituent la section rythmique et font merveille en trio.
Bruno RUDER & Rémi DUMOULIN : “Gravitational Waves”
(Association du Hajeton / Absilone)
Chronique dans le blog de Choc le 23 février
Enregistré en public en janvier 2016 avec le batteur Billy Hart, qui trouve ici un répertoire sur mesure lui permettant d’exprimer pleinement son art, “Gravitational Waves” contient une musique généreuse, ouverte et étonnamment vivante. Le batteur apporte beaucoup à ces morceaux composés par le pianiste Bruno Ruder et le saxophoniste Rémi Dumoulin, leaders d’une formation que complète le trompettiste Aymeric Avice et le bassiste Guido Zorn. Adoptant une ponctuation rythmique inhabituelle, Hart suggère le tempo sans le jouer, profite des simples riffs, des courts motifs mélodiques qui structurent la musique pour inventer avec ses partenaires de jeu un jazz moderne parfois abstrait, souvent lyrique dont la trame musicale, riche en surprises, offre tous les possibles.
Bobo STENSON Trio : “Contra la indecisión”
(ECM / Universal)
Chronique dans Jazz Magazine n°702 - février (Choc)
Aucune note inutile chez ce grand Monsieur du piano dont le jeu délicatement introspectif est d’une telle finesse harmonique qu’il faut plusieurs écoutes pour pleinement la goûter. Avec le contrebassiste Anders Jormin qui signe ici la moitié du répertoire, Bobo Stenson a longtemps été le pianiste de Charles Lloyd, les deux complices se retrouvant également sur deux albums ECM du regretté Tomasz Stanko, le label munichois publiant aussi ceux de son trio. Jon Fält, son batteur, l’a rejoint en 2007 et “Contra la indecisión” est le troisième album qu’ils font ensemble. Une esthétique européenne du jazz s’affirme dans leur musique souvent modale. Leurs relectures décalées d’œuvres composées par Erik Satie, Béla Bartók et Federico Mompou comptent parmi les grands moments de cet opus d’une rare élégance.
Jacques VIDAL Quintet : “Hymn”
(Soupir Editions / Socadisc)
Chronique dans le blog de Choc le 24 octobre
Publié en 2007, “Mingus Spirit” aurait certainement été un de mes 13 Chocs de l’année 2007 si ce blog crée l’année suivante, avait alors existé. Comme lui, “Hymn” rassemble des compositions personnelles de Jacques Vidal sur lesquelles souffle l’esprit de Mingus. Une épaule démise l’empêchant de jouer de la contrebasse, Jacques s’est remis à l’écriture et réintroduit le piano dans sa musique. Arrangée par ses soins, elle reflète l’attention qu’il porte aux timbres, aux couleurs, aux volumes, un travail sur la forme, une mise en espace laissant beaucoup de liberté aux solistes, à Pierrick Pédron et Daniel Zimmermann déjà présents dans “Mingus Spirit”. Retrouvant son instrument un temps délaissé, Jacques donne une assise rythmique et livre des commentaires mélodiques à sa musique lyrique et inspirée.
…Et deux inédits
Charlie HADEN & Brad MEHLDAU : “Long Ago and Far Away”
(Impulse / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 24 novembre
Charlie Haden a toujours aimé rencontrer d’autres musiciens. Plusieurs de ses disques sont des duos qui ont parfois été publiés après sa mort. Enregistré en public avec Brad Mehldau en novembre 2007, “Long Ago and Far Away” est presque du même niveau que trois autres albums dans lesquels il est associé à des pianistes, le sublime “Tokyo Adagio” avec Gonzalo Rubalcaba et les non moins enthousiasmant “Night and the City” avec Kenny Barron et “Nightfall” avec John Taylor. Les six standards qu’il contient permettent à Mehldau de jouer souvent son meilleur piano. Une contrebasse aussi mélodique que rythmique et au son volumineux l’accompagne sans jamais chercher à s’imposer. My Love and I de David Raskin, un morceau qu’Haden interprète souvent, et la somptueuse version de Everything Happens to Me qui conclut cette rencontre en sont les deux sommets.
Keith JARRETT Trio : “After the Fall”
(ECM / Universal)
Chronique dans le blog de Choc le 19 mars
Enregistré en novembre 1998, après la maladie qu’il l’a contraint d’arrêter tous ses concerts, “After The Fall” (après la chute) est le disque de la résurrection de Keith Jarrett, de son retour sur scène après presque deux ans d’absence. Il doute encore de lui, mais avec Gary Peacock et Jack DeJohnette, il sait qu’il peut donner le meilleur de lui-même et retrouver sa confiance. Bouncing With Bud de Bud Powell qui lui permet d’éprouver la mobilité de ses doigts, Doxy de Sonny Rollins, One For Majid de Pete La Roca, Scrapple from the Apple de Charlie Parker, le bebop est la musique idéale pour constater l’état de sa technique. When I Fall in Love, une ballade, révèle la délicatesse de son toucher et une version excitante d’Autumn Leaves, dans laquelle Jarrett dialogue avec son batteur et laisse parler une contrebasse inventive, témoignent de son piano retrouvé.