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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 10:55

Lundi 11 juillet

Chaude journée à Vienne. Son théâtre antique (7000 places) accueille Sonny Rollins attendu à 20h30. Grâce à Jean-Pierre Vignola que je salue ici, je retrouve avec plaisir la ville et son festival dont j’étais un habitué dans les années Sonny Rollins c80. Ayant obtenu ma carte d’accréditation au bureau de presse, j’assiste au réglage de balances de ce dinosaure du jazz, quatre-vingt-un ans le 7 septembre prochain. Rollins marche avec difficulté, comme un gros ours fatigué pesant ses lourdes pattes sur un sol qui ne paraît pas stable. Le dos courbé, il arpente la grande scène en tous sens, se redresse pour souffler avec assurance dans son ténor. Il possède toujours un son énorme et des idées mélodiques qui semblent ne jamais se tarir. Ce n’est plus un soundcheck, mais un concert d’une heure trente au cours duquel le colosse souffle une pluie de notes brûlantes et affirme une énergie intacte. Rollins laisse tourner une section rythmique très au point qui sert parfaitement sa musique. Depuis bientôt deux ans, un batteur fougueux rythme ses nombreux calypsos, son bop mâtiné de rythmes latins. A la batterie, Kobie Watkins assure des tempos musclés et solides sur lesquels se greffent les congas de Sammy Figueroa. La contrebasse ronronnante de l’inusable Bob Cranshaw – que l’on a l’habitude d’entendre à la basse électrique –  et la guitare de Peter Bernstein complètent la trame rythmique. Ce dernier aimerait bien jouer S. Rollins Banddavantage sa musique, exposer ses propres idées. Il en aura l’occasion lors du concert – trois heures de musique, avec une pause de vingt minutes – lorsque Rollins, fatigué, aura besoin que ses musiciens le relayent, l’aident à mener à bien ses travaux d’hercule. Joués en rappel, Don’t Stop the Carnival et Tenor Madness lui seront partiellement confiés. Pourtant le saxophoniste n’aime guère passer la main. Il la garde même le plus longtemps possible. Ses chorus généreux laissent peu de place à d’autres que les siens. Il ne laisse jamais longtemps s’envoler les instruments qui l’accompagnent et dialogue parcimonieusement avec eux. Arc bouté sur son ténor, Rollins recherche l’exploit technique, va jusqu’au bout de lui-même dans un répertoire familier dans lequel il parvient toujours à surprendre.

 

MARDI 12 juillet

John-Scofield-band.jpgJournée caniculaire. Voilé depuis le milieu de la journée, le ciel pèse sur nos têtes comme une chape de plomb chauffée à blanc. La pluie s’annonce, mais tarde à tomber. L’orage n’éclatera pas avant minuit, au cours du rappel que Marcus John-Scofield.jpgMiller, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Sean Jones et Sean Reickman accordent à un public qui les ovationne. Le quartette de John Scofield assure la première partie de leur “Tribute to Miles”. Guitariste confirmé, il a joué avec ce dernier, remplaçant Mike Stern en 1982 dans la formation du trompettiste. Scofield possède une sonorité bien à lui, raccordant son instrument à divers effets afin d’obtenir une sonorité légèrement réverbérée. Construisant ses phases avec un grand sens du rythme, tirant de ses cordes des inflexions percussives, il les trempe dans le blues et la soul. Dans sa jeunesse, il a appartenu à des formations de rhythm and blues et la soul reste présente au sein des nombreux albums qu’il a Mulgrew Miller-copie-1enregistré. Le blues aussi, et ce n’est pas un hasard si John Scofield s’entend si bien avec Mulgrew Miller, pianiste chez qui cet idiome fondateur est parfaitement naturel. Intégré au vocabulaire du bop, il nourrit un piano qui swingue et rappelle d’illustres aînés. Art Tatum, Bud Powell, Oscar Peterson se font ainsi entendre dans une musique raffinée, des lignes mélodiques élégantes qui donnent des couleurs à la musique de John et lui procure une assise rythmique non négligeable. Outre une intelligente répartition des chorus, les deux hommes dialoguent, échangent des idées, le pianiste jouant souvent au plus près de la contrebasse de Scott Colley, et de la batterie de Bill Stewart, grand technicien de l’instrument qui ponctue, relance et fait chanter ses cymbales.

 

Herbie-Hancock.jpgSean Reickman, le batteur du “Tribute to Miles”, concert auquel nous assistons ensuite après un rapide changement de plateau n’a pas ce talent. Il en a d’autres, donne une assise funky à la musique, lui fournit un groove appréciable, mais les rythmes ternaires ne font pas son affaire. Il joue depuis longtemps avec Marcus Miller un jazz funk qui n’est pas trop pour moi et je me suis bien sûr demandé quelle serait la musique de ce concert réunissant deux légendes de l’histoire du jazz à de jeunes musiciens talentueux, Miller, star confirmé, étant lui-même un des grands de la basse électrique depuis la disparition de Jaco Pastorius, son modèle et inspirateur avec Stanley Clarke. Contre toute attente, le concert fut une bonne surprise. Les arrangements sobres et pertinents du bassiste mirent en valeur la musique, pot-pourri de quelques grands succès du trompettiste au cours de différentes époques de sa carrière. Avec Marcus-Miller.jpgHerbie Hancock au piano acoustique et Wayne Shorter au ténor et au soprano, la musique de Miles revivait comme par magie, la trompette de Sean Jones, un peu en retrait pour ne pas rompre le charme, s’intégrant parfaitement au dispositif orchestral. Marcus ponctuait par des notes funky les phrases colorées des solistes, un sax fluide soufflant des myriades de notes bleues, un piano confié à un génial créateur d’harmonies. Herbie rajoutant des couleurs, de l’épaisseur sonore avec son Korg, donnant un aspect électro-acoustique à la musique. Les morceaux défilèrent enchaînés les uns aux autres : Bitches Brew actualisé, Sunday My Prince Will Come embellit par des nappes de synthés, Footprints confié à Shorter particulièrement inspiré. Les derniers disques de Miles ne sont pas tous convaincants. Le trompettiste qui cherchait à séduire un large public fit trop de concessions. De cette période datent Jean-Pierre Wayne-Shorter.jpget Time After Time, des mélodies mièvres et racoleuses que Miller habille de nouveaux arrangements. Après une séquence bop et acoustique, vint enfin la pluie et Tutu en rappel, John Scofield rejoignant la formation dans un final logiquement confié à la basse électrique de Miller, principal responsable de cette célébration.

PHOTOS © Pierre de Chocqueuse

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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 13:00

Denise-King---Michel-Rosciglione.jpg 

LUNDI 6 juin

Denise King et Olivier Hutman au Duc des Lombards. Avec eux, on peut passer joyeusement l’été. Leur musique donne des forces et met du baume au cœur. On plonge dedans pour rajeunir, se sentir bien, faire le plein de bonheur à la pompe. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse grand soleil, la chanteuse reste égale à elle-même, se cantonne désespérément dans l’excellence. On a presque envie de Olivier-Hutman.jpgla prendre en défaut, de surprendre une note un peu fausse dans cette voix en or qui fait corps avec elle. Rien à faire, Denise la place toujours au bon endroit, fait swinguer les mots et les met sur orbite. Auprès d’elle, le piano d’Olivier s’immerge dans le blues comme s’il prenait un bain dans le Mississippi. Ses notes sont les bulles d’air qui remontent à la surface du fleuve. Elles aèrent des musiques qui s’embrassent sur les lèvres, jazz, blues et soul étroitement mêlés ne formant plus qu’une seule musique. Aucun tour de passe-passe, la magie opère sans trucages. « No Tricks » affirment Denise et Olivier sur la pochette du premier disque qu’ils ont enregistré ensemble, un répertoire de standards et de compositions originales que l’on peine à croire écrites en terre gauloise. Naalaiya est une immense chanson. Waiting for the Sandman en a Denise King & Olivier Hutmanpresque la taille. Leurs refrains entêtants perdurent dans la mémoire comme la flamme d’une veilleuse refusant de s’éteindre. Pour les jouer, Denise et Olivier ont fait appel à leurs complices. Olivier Temime souffle de longs et brûlants chorus de ténor. A la contrebasse, Michel Rosciglione étonne par sa maturité, la justesse de son jeu mélodique. Loin de couvrir le flux musical, Charles Benarroch le rythme délicatement. Au programme : “No Tricks” et ses standards qu’il fait bon écouter, That Old Black Magic, I Got Rythm, Nuages, All Blues, September Song, mais aussi Walk on Bye pour me faire plaisir. Pour la musique qu’ils apportent, on ne les remerciera jamais assez.

 

Rene-Urtreger-copie-1.jpgMERCREDI 8 juin

René Urtreger retrouve le Duc des Lombards, mais avec Sylvain Beuf et Eric Le Lann, des solistes qui furent naguère les siens. Yves Torchinsky (basse) et Eric Dervieu (batterie) lui fournissent l’accompagnement rythmique qui convient à son piano intense et habité. Son batteur joue avec lui depuis trente ans et le rappela, ému, à la fin d’un concert de rêve dont le souvenir n’est pas prêt de s’éteindre. Réunir au bon moment les bonnes personnes et avoir envie de se surpasser génère parfois une musique particulièrement inspirée. René reprend ce répertoire depuis des années, mais parvient toujours à le Eric Le Lannréinventer, donne une nouvelle jeunesse à des thèmes de Parker (Scrapple from the Apple), Monk (‘Round Midnight), Rollins (Doxy) qui font partie de l’histoire. Lui et ses musiciens font oublier leur technique et envoûtent par la poésie de leur geste musicale. Entre leurs mains et leurs oreilles expertes, le bop qui existe depuis plus d’un demi-siècle devient lumineusement limpide. Exposés à  l’unisson par les souffleurs, portés par une rythmique enthousiasmante (la contrebasse ronronne comme un gros matou repu et la grosse cymbale d’Eric danse de joyeux chabadas qui rendent les jambes agiles), les thèmes génèrent, improvisations, commentaires fiévreux et lyriques au cours desquels les musiciens Sylvain-Beuf.jpgse parlent, se répondent, inventent avec bonheur et malice. Les chorus de Beuf furent particulièrement réjouissants. Le saxophoniste possède une sonorité moelleuse et épaisse qui rend son chant très expressif. Le Lann conversa longuement avec lui, mêlant les phrases finement sculptées de sa trompette au timbre suave du ténor. Dervieu s’en donna à cœur joie dans les breaks latins de Love for Sale. Les solos de Torchinsky firent le plein de notes chantantes, René en grande forme dialoguant avec lui, trempant sans modération son piano dans le bop et le swing, une ovation saluant l’éblouissante prestation de son orchestre.

   

Sinne Eeg aJEUDI 9 juin 

Je ne connaissais pas Sinne Eeg avant de découvrir “Don’t Be So Blue” son dernier album. Il m’a donné envie de l’écouter au Sunset. Grande, jolie, un physique de nageuse, la chanteuse danoise impressionne par la justesse de sa voix. Mezzo-soprano, elle dispose d’un large ambitus, swingue avec souplesse et impressionne par la maîtrise de son scat qu’elle possède original et attachant. Sa large tessiture, sa technique vocale très au point lui permet de chanter et de scatter a cappella, mais laisse souvent improviser les musiciens qui l’accompagnent, Morten Toftgard Ramsbøl à la contrebasse, Morten Lund à la batterie et Jacob Christoffersen au piano. Ce dernier fit merveille sur celui du club. Il peut jouer de longues phrases chantantes ou plaquer des accords déjantés, ses doigts Sinne-Eeg-c.jpgn’oublient jamais le blues. Il fournit un accompagnement appréciable à la chanteuse, offre à sa voix des couleurs qu’elle caresse et étire, recouvre d’un voile sensible et intimiste. Sinne Eeg chante avec beaucoup d’émotion les ballades de son répertoire. Sa version de Goodbye (Gordon Jenkins) mit le public en émoi. Célèbre dans les pays scandinaves, elle attire un public nombreux venu écouter ses chansons, celles qu’elle compose elle-même (paroles et musiques) et les standards qu’elle reprend, My Favorite Things, Better than Anything que chante Al Jarreau, Les moulins de mon cœur (The Windmills of your Mind) de Michel Legrand. Interprété en rappel, ses musiciens chantonnant son refrain en choeur, Time to Go, fut un moment de grâce, un magnifique tombé de rideau sur un concert auquel il fallait assister.

Christian McBride-copie-1

 

VENDREDI 10 juin

Christian McBride en trio au Duc des Lombards. Un événement qui n’est pas passé inaperçu. Le Duc est archi-plein pour ce grand de la contrebasse, un instrument qui n’a plus aucun secret pour lui. Attentif à l’attaque de ses notes, les faisant précisément sonner comme il le souhaite, il pratique un jeu très musical, à la fois rythmique et mélodique. Doté d’une articulation très sûre, d’une justesse parfaite, c’est un prodigieux bassiste acoustique qui fait constamment chanter son instrument et s’autorise de longs et stupéfiants chorus. Il faut voir glisser ses doigts sur les cordes pour lier ses notes les unes aux autres. Avec lui, un jeune pianiste enthousiasmant avec lequel il dialogue. Agé de 22 ans, Christian Sands possède des mains immenses ce qui lui permet de couvrir une large surface Christian-Sands.jpgde clavier. Il dialogue souvent avec la contrebasse qui anticipe ses accords malicieux, joue le blues avec une sensibilité remarquable et remplit l’espace sonore par un jeu orchestral qui pallie l’absence d’autres instruments. Ulysses Owen, un batteur un peu sage, complète le trio. Ce dernier n’innove en rien, mais les standards qu’il reprend - I Mean You, In a Mellow Tone, My Favorite Things, Giant Steps - héritent tous de chorus stupéfiants. Ancrées dans le swing et la tradition, ces passionnantes relectures furent gages d’une excellente soirée.

PHOTOS © Pierre de Chocqueuse

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 11:30

Le silence est noirMARDI 31 mai

Troisième anniversaire du label Sans Bruit au Sunside. Ses musiques sont uniquement disponibles sur le site www.sansbruit.fr en téléchargement (MP3 320 ou FLAC qualité CD). On y trouve notamment “After Noir”, un recueil de compositions et d’improvisations de Stéphan Oliva, le pendant de son “Film Noir” produit par Philippe Ghielmetti sur le label Illusions, un album en vente chez Paris Jazz Corner, les bonnes FNAC de la capitale et sur www.illusionsmusic.fr

 

After-Noir--pochette.jpgLe pianiste débuta la soirée en solo, transposant très librement sur son clavier des extraits des deux disques, y ajoutant “Vertigo”  disponible au sein de “Lives of Bernard Herrmann” autre album d’Oliva édité par Sans Bruit. Ecrit par John Lewis et propice à des variations autour du blues, un des thèmes de “Odds Against Tomorrow” ouvrit ce récital largement improvisé. La main gauche assure d’emblée un ostinato pesant, la droite décline d’angoissants accords en noir et blanc. Dans son film “Force of Evil”, le metteur en scène Abraham Polonsky dénonce une société entièrement corrompue. Reprenant sa musique, Stéphan Oliva en restitue le malaise, rend la peur palpable par des basses abyssales. La pédale forte en prolonge les effets. Des notes graves et obsédantes accompagnent la fuite de Sterling Hayden dans “The Asphalt Jungle”. Composé par Dimitri Tiomkin, le thème d’“Angel Face” envoûte comme un parfum capiteux. Jean Simmons le joue à Robert Mitchum pour le séduire et le manipuler. Stéphan poursuivit son exploration du noir avec “Touch of Evil” et une improvisation autour de “The Night of the Hunter” dont la dramaturgie se greffe sur la ritournelle que chantent les STéphan Oliva, n&b (a)enfants poursuivis. Ces séquences particulièrement sombres donnent un relief saisissant à la mélodie exquise de ”The Killer’s Kiss”. Au cours d’une séquence improvisée, le pianiste nous a fait voir la mer, ses vagues que Madame Muir contemple de sa fenêtre en rêvant au retour du Capitaine Gregg. Bernard Herrmann en a écrit la partition. Celle du portrait de Robert Ryan appartient entièrement à Stéphan Oliva qui pose son propre regard sur l’acteur, convoque les émotions qu’il a ressenties en le voyant interpréter des rôles de salaud (“Crossfire” d’Edward Dmytryk),de policier aigri et violent (“On Dangerous Ground” de Nicholas Ray). A un piano crépusculaire et tourmenté dont les notes se bousculent et tournent autour du blues succède le thème délicat et tendre de “The Long Goodbye”. La danse macabre que lui inspire les films noirs d’Akira Kurosawa s’estompe devant la grâce et la beauté de Gene Tierney. Joué en rappel, son portrait lumineux jaillit des nuages comme un arc-en-ciel resplendissant.

 

Jusqu’au 31 juillet, la Cinémathèque française programme des films noirs rares et méconnus. On consultera le programme sur : www.cinematheque.fr

 

Moreau--Angelini--Gargano.jpgBruno Angelini (piano), Mauro Gargano (contrebasse) et Fabrice Moreau (batterie) achevèrent avec bonheur une soirée qui ne pouvait avoir mieux commencé. Sans Bruit propose sur son site le premier album de ce trio dont la musique fait appel à une large palette de couleurs. So, Now ?... contient pour moitié des standards, une musique ouverte et souvent modale que les trois hommes interprétèrent. Bruno Angelini aime l’improvisation pure et sans filet. L’étude de la musique classique lui a donné le sens des nuances, des harmonies séduisantes qu’il apprécie libres et flottantes. La contrebasse chantante de Mauro Gargano assure des rythmes souples et fournit un contrepoint mélodique au piano avec lequel il dialogue. Souvent aux balais, Fabrice Moreau apporte les couleurs sonores, fait bruisser ses cymbales, caresse ses tambours et met en perspective les timbres de sa batterie. Le groupe proposa une relecture inventive de Nefertiti de Wayne Shorter, Some Echoes de Steve Swallow, The Two Lonely People de Bill Evans (Bruno Angelini enseigne à la Bill Evans Academy depuis 1996). Il joua aussi ses propres compositions, des thèmes de Bruno (Adrian danse, Caroline), Mauro (Prélude, Before 1903), et Fabrice, ce dernier reprenant Vert, un thème que l’on trouve dans le dernier disque de Jean-Philippe Viret, un trio dont Fabrice Moreau est bien sûr le batteur.

 

PHOTOS © Pierre de Chocqueuse, sauf celle extraite du film “The Asphalt Jungle” de John Huston dont la magnifique photographie est de Harold Rosson.     

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 10:18

W.-Blanding-c-Ph.-Marchin.JPGLUNDI 24 mai

Originaire de Cleveland et saxophoniste de Wynton Marsalis depuis “From the Plantation to the Penitentiary”, un disque Blue Note de 2006, Walter Blanding s’est produit deux soirs de suite au Duc des Lombards (23 et 24 mai) avec les autres membres du quintette de Wynton. Dan Nimmer au piano, Carlos Henriquez à Walter-Blanding-c-Ph.-Marchin.JPGla contrebasse et Ali Jackson à la batterie. Tout dévoué au trompettiste qui fit une courte apparition sur la scène du club le premier soir, Blanding a fait peu de disques sous son nom. Son plus récent, “The Olive Tree” date de décembre 1999. Sans la trompette de Wynton, il manque au groupe une troisième voix mélodique que le savoir faire des musiciens ne parvient pas complètement à pallier. Au ténor, son principal instrument, Blanding alterne de courtes phrases et de longs jets de notes construites autour du blues (Never Too Late). Le vocabulaire du bop est abondamment utilisé. Le quartette reprend des standards, donne une belle version de Inner Urge, un thème de Joe Henderson. On remarque très vite le piano de Dan Nimmer. Les yeux clos, ce dernier ressemble un peu à Mister Bean. Il phrase comme un guitariste, assure les chorus les plus nombreux, les plus intéressants et apparaît comme le vrai leader du groupe. Après ses chorus, Blanding quitte la scène et laisse la musique se construire en trio. Nimmer improvise de magnifiques lignes de blues, trempe son instrument dans le swing, Dan-Nimmer-c-Ph.-Marchin.JPGmais peut tout aussi bien jouer un piano modal que ne désavouerait pas McCoy Tyner. Dan s’entend bien avec Carlos Henriquez qui apporte de bonnes compositions. Le bassiste a joué avec des pointures de la musique afro-cubaine, Eddie Palmieri, Tito Puente, Celia Cruz, et ses morceaux chaloupés possèdent de chaudes couleurs latines. Quant au drumming d’Ali Jackson, il reste toujours très musical. Ali qui joue également du piano a étudié la batterie avec Elvin Jones et Max Roach. Il sait mettre le feu à la musique, la cadrer, lui donner une tension appréciable.

 

DIMANCHE 29 mai

Craig-Taborn--b-.jpgCraig Taborn en solo au Sunside devant un public clairsemé. On a tendance à oublier qu’il fut le pianiste des débuts fracassants de James Carter et de ses meilleurs albums (“JC on the Set”, “The Real Quietstorm”) avant de travailler avec Tim Berne, Mat Maneri, Roscoe Mitchell et Drew Gress. Craig a peu enregistré sous son nom : une première séance pour DIW records en 1994, puis deux disques en trio et quartette pour le label Thirsty Ear et récemment un solo pour ECM, la sortie d’“Avenging Angel” (une réussite) étant le prétexte de ce concert promotionnel. Plutôt que d’en reprendre les compositions (qualifions-les d’improvisations « compositionnelles »), Taborn préféra travailler sur un nouveau matériel totalement improvisé, exercice délicat qu’il pratique depuis plusieurs années. L’homme a indubitablement un univers et les possibilités sonores de son instrument y sont étroitement associées. Il attache beaucoup d’attention aux timbres, aux harmoniques, à la résonance de son piano. Les pièces qu’il invente Craig-Taborn--c-.jpgsont courtes, structurées, ramassées sur elles-mêmes. La main gauche effleure les basses ; la droite, puissante, martèle souvent le même accord. Répétitif, le premier morceau progresse crescendo, renferme des passages intenses et violents qui s‘apaisent comme la vague après la tempête. La seconde pièce fourmille de dissonances. Un thème s’y dessine, mais Craig ne s’y attarde pas. Il préfère jouer à vive allure un piano heurté, mêler des clusters à des myriades de notes scintillantes et les faire puissamment sonner. A des cadences enflammées succède le tempo lent d’une ballade dont la mélodie brumeuse, légère comme si le vent l’avait sculptée dans un nuage, est exposée obstinément. Associées à des ostinato envoûtants, les esquisses mélodiques se firent plus nombreuses dans le second set, la musique rêveuse, chargée de délicates attentions harmoniques, s’approchant davantage de celle de son disque. Craig Taborn mit aussi davantage de blues dans ses improvisations inspirées et d’un jour ordinaire en fit un dimanche pas comme les autres.

 

PHOTOS : Walter Blanding, Dan Nimmer © Philippe Marchin - Craig Taborn © Pierre de Chocqueuse

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30 mai 2011 1 30 /05 /mai /2011 09:27

Stefano-Bollani--a-.jpgMERCREDI 18 mai

Stefano Bollani au Sunside. Label danois basé à Copenhague qui se consacre au jazz scandinave depuis 25 ans, Stunt Records y fait son festival. Cette Scandinavian Touch, le pianiste en bénéficie par l’entremise de la section rythmique danoise qui l’accompagne, Jesper Bodilsen à la contrebasse et Morten Lund à la batterie. Mi-ritorni--cover.jpgIls se sont rencontrés en 2002 à Copenhague lors de la remise du JAZZPAR Prize à Enrico Rava et ont enregistré trois albums dont deux pour Stunt Records : “Gleda” (2004) disponible en France depuis l’an dernier et “Mi ritorni in mente” (2003) qui sort seulement aujourd’hui, Stunt n’ayant jamais trouvé à placer ses disques dans notre pays avant qu’Integral en assure la distribution. Si “Gleda” est entièrement consacré à des thèmes scandinaves, “Mi ritorni in mente” contient surtout des standards. Les deux disques témoignent de la cohésion d’un trio dont les membres privilégient l’écoute et l’échange. La scène est pour eux le lieu propice à l’expérimentation, à l’aventure. Bollani aime que cette dernière comporte des risques. Il travaille sans filet. Son piano romantique, paisible rivière, peut se gonfler de pluies soudaines. Ses notes roulent alors comme les galets d’un torrent Bollani--Magoni.jpgfurieux. Indépendantes et mobiles, ses mains ne cessent de les tricoter. La gauche assure des basses puissantes qui libèrent la contrebasse d’une fonction purement rythmique et lui donnent l’occasion de s’exprimer en soliste. Il fait de même avec son batteur, assure des cadences qui le laisse libre de colorer le rythme, de se faire instrument mélodique. La pièce de Caetano Veloso qu’il reprend en bénéficie. Il joue ensuite une ballade avec un feeling, un toucher exceptionnel. Ses basses ronronnent comme un gros chat. Quelques mesures plus tard, l’animal est un fauve ramassé sur son clavier pour contraindre ses notes à danser. Sa main droite leur fait courir des cent mètres à grande vitesse. Stefano Bollani a du mal à tempérer sa virtuosité naturelle. Qu’importe. Même saturée de notes, sa ligne mélodique reste toujours musicale (on reconnaîtra sur la Katrine Madsenphoto Petra Magoni venue l'applaudir).

 

Avec le même trio, le pianiste accompagne un peu plus tard la chanteuse Katrine Madsen et développe un jeu plus vertical, ajoute des couleurs à une jolie voix d’alto, une voix de gorge au timbre grave qui émet un très lent vibrato, presque une oscillation vocale qui lui confère un aspect fragile. Elle chante Autumn Leaves, un morceau des Beatles et des titres de son dernier opus, “Simple Life”, et laisse beaucoup de place au pianiste qui harmonise, met moins de feu dans ses notes. Au sous-sol, Eliel Lazo, le joueur de congas, « El Eliel-Lazo.jpgConguero », un élève de l’école de percussion d’Oscar Valdes, transformait le Sunset en piste de danse. Sollicité par l’élite du jazz mondial (Herbie Hancock, Wayne Shorter, Dave Holland, Chucho Valdés et le célèbre Danish Radio Big Band) le vainqueur du prestigieux Percuba International Percussion Prize livrait en petit comité une musique rythmée et sensuelle. Avec lui trois musiciens danois dont le guitariste Mikkel Nordso (10 albums publiés sur Stunt Records) et le contrebassiste cubain Felipe Cabrera que l’on entendra beaucoup cet été avec le jeune et talentueux pianiste Harold López Nussa.

St. Germain Crew 

JEUDI 19 mai

Antoine Hervé et Jean-François Zygel en duo dans l’église de Saint-Germain-des-Prés mise comme chaque année à disposition du festival qu’organise le Capitaine Charbaut et son équipage, Donatienne Hantin (productrice et co-fondatrice du festival), Géraldine Santin et Véronique Tronchot toutes les trois sur la photo et que je salue ici. Depuis le concert décevant de Kenny Barron il y a deux ans, l’église est discrètement  sonorisée. Sa forte résonance naturelle oblige les pianistes à ne pas se servir de la pédale forte et d’adapter leur jeu à une acoustique qui ne perturba nullement Hervé et Zygel, parrains de cette édition 2011 du festival. Si le public vint nombreux les Herve--Zygel-a.jpgapplaudir, les journalistes de jazz manquaient curieusement à l’appel comme si la saine émulation pianistique des deux hommes les laissait indifférents. Ils viennent de sortir leur premier disque chez Naïve (“Double Messieurs”), et y improvisent une musique superbe qui aurait très bien pu être celle dont ils nous régalèrent ce soir-là. Un mélange de jazz et de classique dans lequel on pouvait reconnaître Bach, Mozart, Bartók, Prokofiev, Stravinsky, Gershwin et bien d’autres dans un flux musical rythmé, un cheminement horizontal de thèmes brièvement esquissés et portés par une harmonie constamment inventive. Majestueux et enchanteur, le premier morceau s’étala sur une petite demi-heure. Antoine Hervé et Jean-François Zygel en embellirent la ligne mélodique, au départ quelques notes qui circulent, se transforment, se répètent, changent de rythmes et de couleurs selon leur humeur complice. Comme deux amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps, ils ont beaucoup d’histoires à échanger. Chacun intervient dans le récit de l’autre, questionne, relance, enjolive, ornemente. Jean-François martèle des basses lourdes et puissantes, peut donner un poids rythmique considérable à Hervé, Zygeldes improvisations basées sur le chant carillonnant de Big Ben ou sur les notes d’une simple comptine. Oncle Antoine relance et fignole la ligne mélodique, ajoute de superbes couleurs, des notes perlées, trilles et pas de danses. I Love You Porgy : la musique tangue comme jouée sur le pont d’un navire. Un air du divin Mozart hérite d’une cadence bartokienne. La Carmen de Bizet effleure de ses pieds un dancing floor de Harlem. La chanson populaire de Petrouchka  « Elle avait une jambe de bois » se dessine sans jamais se totalement se révéler. Les deux pianistes préfèrent tourner autour, leurs instruments célébrant la fête de la semaine grasse en tirant des feux d’artifices de notes multicolores qui brillent comme des étoiles. En rappel, la berceuse de Brahms aux notes limpides, légères et presque silencieuses dont on perçoit intensément la beauté.

 

Gerald Clayton bVENDREDI 20 mai

Un mois après avoir donné un concert au Duc des Lombards avec les Clayton Brothers dont il est le pianiste, Gerald Clayton retrouve le club pour y jouer en trio. Avec lui Joe Sanders son bassiste habituel. A la batterie Clarence Penn remplace Justin Brown indisponible ce qui rend plus fluide le répertoire qu’il emprunte à “Bond, The Paris Sessions”, son excellent dernier album (vous en lirez la chronique dans Jazz Magazine / Jazzman). Avec sa frappe lourde, Brown apporte un aspect funky aux compositions du leader et aux standards que contient le disque, place le groove au cœur du discours musical. Se rapprochant davantage de la ligne mélodique des morceaux, le jeu de Penn est Joe Sanders & G. Claytonmoins heurté. Il a longtemps travaillé avec Betty Carter et au sein de nombreux trios. Il écoute, sert le soliste par un drumming souple et félin. Le blues dans les doigts, le pianiste joue de courtes phrases dont il fait respirer les notes et installe une tension à laquelle participe les deux autres instruments. La contrebasse de Sanders reste toutefois son interlocuteur privilégié. Le rythmicien propose aussi ses propres lignes mélodiques, intervient dans les compositions d’un pianiste dont la modernité du discours reste profondément ancrée dans l’histoire du jazz. Gerald Clayton connaît parfaitement le bop. S’il s’amuse à introduire des dissonances, il n’oublie pas de swinguer. Attentif à ses partenaires, il réagit à leurs propositions avec la fougue de la jeunesse. Les ballades qu’il interprète révèlent la délicatesse de son toucher, la richesse de ses harmonies raffinées que l’on applaudit sans réserves.

Photos & collage © Pierre de Chocqueuse     

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 11:51

D.-Perez.jpgVENDREDI 6 mai

Danilo Pérez en trio au Duc des Lombards. Le pianiste joue une musique très ouverte et ne semble jamais vraiment savoir de quelles couleurs, de quels rythmes elle héritera. Accompagnateur régulier de Wayne Shorter, Danilo a l’habitude de constamment improviser, d’inventer au fur et à mesure des mesures. Il joue des Danilo-Perez.jpgthèmes, mais s’en écarte, peut choisir de suivre sa propre inspiration ou les lignes mélodiques que lui suggère Ben Street, son bassiste. Sa musique se ballade et mène ailleurs. Son jeu de piano délicat sert un jeu souvent segmenté, de courtes phrases colées les unes aux autres qui semblent posséder leur propre logique. Difficile de reconnaître les mélodies qu’il préfère masquer, suggérer, et qu’il introduit longuement en solo. Même Besame Mucho tarde a révéler son thème. Le rythme est inhabituellement lent, bizarrement chaloupé. Même traitement pour Round Midnight qui croise The Peacock de Jimmy Rowles puis redevient du Monk. On ne sait trop où nous conduit le pianiste qui à l’écoute d’Adam Cruz, son batteur, dévoile les influences latines de sa musique, des rythmes de rumba ou de tamborito intégrés à une polyrythmie très riche. Interprété en rappel, Overjoyed de Stevie Wonder résuma parfaitement l’ambiguïté inventive de la démarche du pianiste à la recherche d’une voie médiane entre latinité et jazz, véritable lien entre les rythmes latins proposés par son batteur et les harmonies inspirées de son bassiste.

 

K. Barron & M. MillerVENDREDI 13 mai

Mulgrew Miller & Kenny Barron avaient mal choisi leur jour pour nous régaler de leur piano. La grève, de trop rares RER aux heures de pointe. Heureusement, bravant les embouteillages, Francis, mon toubib préféré, me conduisit les écouter au Vésinet dont le théâtre inaugurait son premier Jazz Piano Festival. Franck Avitabile avait la délicate mission d’assurer en solo la première partie du concert. Bon pianiste, il ne boxe pas dans la même catégorie que ces deux poids lourds du clavier, possède un grand talent pour accompagner les autres, sait écouter, réagir, rebondir, mais en solo je Franck Avitabileconserve de lui l’image brouillée par le temps d’une prestation très moyenne Salle Gaveau. Il jouait ce soir-là avec une crève handicapante et fut incapable de faire entendre son piano habituel. Au Vésinet, il montra son savoir faire pianistique et présenta sa musique avec une bonne dose d’humour. Twisted Nerve, une ritournelle de Bernard Herrmann que Quentin Tarentino utilise dans “Kill Bill”, Le déserteur de Boris Vian très joliment harmonisé, une brillante version d’Autumn Leaves en rappel et quelques compositions personnelles (Cat Tale, Sun Waltz, Trois Gros) constituèrent un excellent programme. On aurait aimé écouter ce piano sensible, nerveux et inventif pendant des heures, mais Franck dut laisser la place à ses aînés dont l’éblouissante technique fut loin d’être toujours musicale. Les deux hommes déroulèrent des tapis de notes, Mulgrew-Miller.jpgse contentèrent de jouer des grilles, des standards dont on attend de leurs interprètes de nouvelles idées harmoniques et rythmiques. Loin de nous surprendre, If I Were a Bell, How Deep is the Ocean héritèrent de ronronnantes improvisations interchangeables, introductions et codas se révélant les moments les plus intéressants. Fort heureusement Barron et Miller interprétèrent chacun une pièce en solo et leur écoute révéla leur vraie valeur. Tendrement chaloupée, déclinée par un stride léger et délicatement ornementé, celle de Miller semblait contenir l’histoire du jazz. D’une modernité surprenante, Lullabye de Barron bénéficia de riches progressions d’accords et de fioritures bien dosées. Dans Monk’s Dream joué en fin de concert, les deux hommes abandonnèrent leur réserve, leur conversation jusque-là trop polie devenant inventive. Frappées, martelées, les 176 touches des pianos dialoguaient, faisant enfin circuler une musique que l’on aurait aimé entendre plus tôt.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 09:43

Conques-sur-scene.jpgMERCREDI 13 avril

Kurt Rosenwinkel au Sunside pour une longue semaine. Sa guitare ne sonne pas comme les autres. De nombreuses pédales lui apportent un son épais proche du rock que les puristes n’apprécient guère. Il joue beaucoup avec lui, allonge la durée de ses notes grâce à un delay, profite de ce léger décalage pour en ajouter d’autres, créer des nappes sonores enveloppantes. Rosenwinkel phrase pourtant comme un Kurt Rosenwinkeljazzman authentique. Son jeu se situe quelque part entre celui de John Scofield et de Pat Metheny dont on croit parfois entendre la guitare synthé. Il possède toutefois ses propres accords et ses longues phrases chantantes dessinent des paysages sonores sophistiqués riches en développements  harmoniques et rythmiques. D’excellents musiciens servent ses compositions complexes et mélodiques. Après Brad Mehldau et Aaron Goldberg, c’est aujourd’hui Aaron Parks qui a charge du piano. Ce dernier attaque ses notes avec vélocité et puissance, pratique un piano souvent percussif, un jeu en single notes qui sert le rythme, mais se plaît aussi à rêver. Saturé de stridences électriques, l’air porte ainsi une musique brumeuse et onirique que tonifie une section rythmique très présente. Si la contrebasse d’Eric Kurt Rosenwinkel & Eric RevisRevis assure avec justesse le tempo,  Justin Faulkner, batteur que l’on a entendu avec Jacky Terrasson, ne cesse de le faire bouger et danser. Il possède une frappe lourde et puissante, martèle ses tambours et apporte un groove énorme à la musique qu’il relance et pousse physiquement. Le guitariste reprit Our Secret World, un extrait d’“Heartcore” son disque le plus travaillé sur le plan sonore, joua Safe Corners, morceau bluesy qui figure sur “The Remedy”, double album enregistré au Village Vanguard. Au cours d’un second set plus virtuose et maîtrisé que le premier, il s’attaqua à remodeler d’anciens thèmes, The Next Step et A Shifting Design, mêlant ses notes à celles du piano et improvisant crescendo un tourbillon de notes voluptueuses.

 

Steve Turre bMARDI 19 avril

Ses meilleurs disques, Steve Turre les enregistra dans les années 90. Des budgets conséquents lui permirent d’inviter Herbie Hancock, Pharoah Sanders, Jon Faddis, Randy Brecker, J.J. Johnson et de faire tourner une formation d’une dizaine de membres qui comprenait plusieurs trombones. Turre ne s’était pas produit à Paris depuis longtemps et le Duc des Lombards l’accueillait pour quatre concerts à la tête d’un quartette comprenant deux musiciens italiens - Nico Menci au piano, Marco Marzola à la contrebasse - , et Dion Parson le batteur de “Delicious and Delightful” son dernier album. Les premiers morceaux interprétés firent entendre une formation jouant un bop de facture classique. Excellent technicien formé à l’école des Jay Jay Johnson et Kai Winding, Turre connaît parfaitement les secrets de cette musique acrobatique et improvise de larges glissandos avec chaleur et brio. Le Steve Turre cpianiste romain qui l’accompagne allie virtuosité et élégance. Très en phase, la section rythmique ne couvre jamais les solistes, marque avec souplesse le tempo adéquat, la contrebasse en retrait assurant une walking bass efficace. Introduit par la batterie, Unitedde Wayne Shorter possède un léger parfum latin qui entraîna le groupe à chalouper davantage sa musique, à la faire moins ronronner. Il fallut toutefois attendre trois bons quart d’heures pour en découvrir une autre, métissée, sentant bon les parfums sonores des îles, des continents sud-américain et africain. Dans Brother Ray, une ballade dédiée à Ray Charles que Turre accompagna et qui lui fit l’honneur de jouer du piano dans un de ses albums, le tromboniste aborde une autre musique, utilise une sourdine et tire des effets de growl de son instrument. Il a joué avec Dizzy Gillespie, les Jazz Messengers, mais aussi avec Celia Cruz, Tito Puente, Ray Barretto et son maître Roland Kirk lui a confié les secrets des plus anciens Steve Turre ainstruments à vent, les coquillages. Il les sort de l’étoffe qui les protège pour Brother Bob, un nouveau morceau, prend des chorus avec des lambis de toutes tailles qui apportent d’autres couleurs à sa musique, saisit son trombone pour chanter le thème de cette pièce modale et africaine. Nico Menci joue alors un piano ornemental à la McCoy Tyner - phrases fleuve, notes perlées en cascade - , le morceau reposant sur une structure très simple, un ostinato propice au rythme (le trombone s’est emparé de maracas et de claves) et aux échanges. Métamorphosée, la formation livra une magnifique version de Ray’S Collard Greens, un blues, Turre soufflant simultanément dans deux grosses conques pour faire venir à lui les sirènes légendaires qui peuplent l’océan de nos imaginaires.

 

John---Gerald-Clayton.jpgJEUDI 21 avril

Programmation de qualité au Duc des Lombards quoiqu’en pensent les aigris et les malentendants. Le club accueille jusqu’au samedi 23 avril les Clayton Brothers, ce qui constitue un véritable événement. Fondé en 1977 par les deux frères Clayton - John à la contrebasse qui compose et arrange le plus souvent les morceaux des membres du groupe et Jeff qui joue du saxophone alto et de la flûte - , le quintette comprend Terell Stafford à la trompette, le pianiste Gerald Clayton, fils de John, au piano et Obed Calvaire à la batterie. John Clayton co-dirige aussi le Clayton / Hamilton Jazz Orchestra qui accompagne Diana Krall dans plusieurs de ses disques. On a pu entendre ce rutilant big band au festival de Vienne, mais c’est la toute première fois que le quintette se produit en France apportant des compositions originales (il a enregistré sept albums) et un savoir-faire incomparable dans la manière de les agencer. Car, bien que plongeant dans la tradition du bop, le répertoire que joue le groupe sonne étonnamment moderne. On le doit au soin apporté aux arrangements. L’exposition Jeff Claytondes thèmes par les souffleurs, les contre-chants de leurs instruments respectifs restent assez classiques, mais, fignolée dans ses moindres détails et bénéficiant d’une mise en place irréprochable, la musique acquiert une dimension intemporelle. Constamment portée par le swing, par une section rythmique à l’écoute permanente des solistes, elle offre de nombreux espaces de liberté dans leurs chorus. Terell Stafford souffle des notes incandescentes à la trompette. Jeff Clayton construit des solos fluides et adapte son lyrisme aux exigences de la mélodie. Le surdoué Gerald Clayton trempe subtilement son piano dans le hip-hop et assemble des accords qui élargissent le champ harmonique. Ne manquez surtout pas les Clayton Brothers. Ce jazz-là est irrésistible.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 08:49

Jazz---Java-c-Vincent-Gramain.jpgVENDREDI 25 mars

Antoine Hervé au théâtre Jean Vilar de Suresnes dans une nouvelle création en quintette, “Le Jazz et la Java”, clin d’œil à Claude Nougaro dont il reprend la chanson. Un programme au sein duquel, grâce à la chanson française, le jazz s’offre de nouveaux standards, des textes poétiques, des vraies mélodies parlant à tous. Edith Piaf (Mon amant de Saint-Jean, L’Hymne à l’amour), Yves Montand (A bicyclette), Serge Gainsbourg (La Javanaise, Les Sucettes, Couleur café) nous les ont fait connaître. Oncle Antoine n’a pas oublié Michel Legrand, auteur de Antoine-Herve---Melanie-Dahan.jpgthèmes admirables comme cette Chanson de Maxence extraite des “Demoiselles de Rochefort”. Pour les chanter, une autre demoiselle, Mélanie Dahan. Sa voix fraîche, agréable se prête bien à ce répertoire. Mélanie ne scate pas, mais vocalise, interprète avec sensibilité ces chansons, en articule parfaitement les paroles, les rend sensibles et convaincantes. Exposant les thèmes, elle en chante les lignes mélodiques et les confie à Antoine qui les transforme, leur apporte d’autres couleurs harmoniques, les engage sur le terrain poétique de l’improvisation. Comme Les Feuilles mortes, morceau bénéficiant d’un arrangement malicieux le faisant passer d’un tempo à un autre, les bons moments se ramassent à la pelle dans une recréation qui apporte au jazz de nouveaux standards. Les musiciens exploitent avec bonheur le potentiel mélodiques de ces airs qu’il fait bon chantonner. Eric Le Lann et sa trompette magique entrouvrent les portes de la nuit. Michel Benita caresse une contrebasse ronronnante de plaisir. Philippe Garcia fait doucement parler ses tambours, chuchote des Eric-Le-Lann---michel-Benita.jpgrythmes qui ponctuent un flux musical réservant bien des surprises. A Bicyclette qui roule sur un tempo très rapide croise All Blues de bon matin sur son chemin. Plus surprenantes encore ces relectures jazz de chansons du répertoire d’Edith Piaf, Les amants d’un jour (avec Michel Benita à la guitare basse) et L’Hymne à l’amour que Piaf composa, morceau bénéficiant des harmonies arc-en-ciel d’un piano élégant. Antoine Hervé l’introduit longuement en solo, en dévoile progressivement le thème. Abordée sur un tempo très lent, sa mélodie inoubliable gagne en intensité lyrique. Mélanie Dahan la chante avec beaucoup d’émotion et elle nous met les larmes aux yeux dans Ne me quitte pas, un duo voix piano, le rappel poignant d’un concert qui confirme que pour être mieux accepté le jazz a besoin de vraies mélodies qui parlent au cœur et pas seulement d’exploits techniques qui ne s’adressent qu’à l’intellect.

 

Didier-Malherbe.jpgMARDI 29 mars

Le Hadouk Trio au New Morning avec en première partie Didier Malherbe et Eric Löhrer qui fêtent la sortie de “Nuit d’Ombrelle” (Naïve), double album comprenant un disque de standards et un second totalement improvisé. Occupant la scène une bonne demi-heure, les deux complices donnèrent des couleurs inédites à St James Infirmary, firent briller nos yeux de plaisir avec Smoke Gets in your Eyes, improvisèrent un Vaguablues et reprirent plusieurs pièces de Thelonious Monk  ‘Round Midnight, Think of One, Friday the 13th avec Steve Shehan pour rythmer la musique. On sait l’admiration Eric Löhrerque le guitariste porte au Moine. Rappelons “Evidence” enregistrement en solo que Löhrer lui consacra et qui reste sa plus belle réussite. Transposer Monk à la guitare n’est pas facile, mais le jouer au doudouk, instrument arménien en Loy-Ehrlich.jpgbois d’abricotier qui ne possède qu’une octave et une quarte tient de l’exploit. Didier Malherbe parvient à moduler ses notes, à les faire vibrer, à les poétiser. On classe l’instrument dans la famille des hautbois, mais son timbre doux et triste porte l’âme d’un peuple et évoque son histoire. Didier le découvrit en 1993 et n’a jamais cessé d’en jouer, l’associant à la sonorité d’ensemble du Hadouk Trio qui nous offrit quelques belles pièces de son répertoire, Dragon de Lune avec Didier au soprano, Barca Solaris, les notes de Loy Ehrlich sonnant comme celles Steve-Shehan.jpgd’un santour. Batteur percussionniste constamment inspiré, Steve Shehan joua bien sûr du hang, sphère métallique qui comprend sept ou huit notes et une fondamentale. Le Hadouk Trio nous fit voir le bleu du ciel avec la world musique planante et aérienne d’“Air Hadouk”, un disque plus proche du jazz que les précédents opus du groupe. On décolle avec Lomsha pour se poser en douceur avec Soft Landing. Le rappel vit le groupe inviter Eric Löhrer et Jean-Philippe Rykiel (claviers électriques) pour une tournerie magique dont les derviches gardent le secret.

 

Fay ClaassenMERCREDI 30 mars

Fay Claassen au foyer du théâtre du Châtelet pour une présentation de son dernier album “Sing ! ” dont vous trouverez une récente chronique dans ce blog. N’étant guère possible de faire venir de Cologne le WDR Big Band, c’est accompagné d’un trio que Fay nous en chanta les morceaux, Olaf Polziehn au piano et Christophe Wallemme se chargeant des chorus. Ce dernier sait mettre en valeur la sonorité ronde, charnue de sa contrebasse. Il n’en fait jamais trop et sert idéalement la musique de Fay, un répertoire éclectique (Cole Porter, Joni Mitchell, Betty Carter, Ennio Fay Claassen cMoricone, Abbey Lincoln). Fay le chante magnifiquement. Elle possède un solide métier, place sa voix sur la musique, étire les mots, longues notes tenues et sensibles joliment modulées. Elle impressionne par la qualité de ses scats (dans You’d Be So Nice to Come Home notamment), mais ce sont les ballades qu’elle reprend qui révèlent davantage ses qualités vocales, le parfait placement de sa voix, la justesse de son chant. Love for Sale de Cole Porter abordé sur tempo lent, You Turn Me On que chantait la grande Blossom Dearie, My Funny Valentine furent ainsi de grands moments de tendresse. Un  piano élégant les habilla d’harmonies lumineuses, et si Stéphane Huchard n’eut guère l’occasion de jouer son propre jeu  de batterie, il rythma avec humilité la musique, la portant discrètement au zénith.

 

Photos : © Pierre de Chocqueuse - Grande photo avec, de gauche à droite, Philippe Garcia, Michel Benita, Mélanie Dahan, Antoine Hervé et Eric Le Lann © Vincent Gramain.

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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 14:43

de-Wilde-Quartet.jpg

VENDREDI 4 mars

Géraldine Laurent (saxophone alto), Laurent de Wilde (piano), Yoni Zelnik (contrebasse) et Luc Insemann (batterie) au Sunside dans un programme entièrement consacré à Wayne Shorter. Le quartette avait déjà abordé ce répertoire en février 2009 dans ce même club qu’ils affectionnent et dans lequel au sein de diverses formations, ils se produisent régulièrement. Jouer des musiques de Shorter, c’est s’attaquer à des mélodies singulières, des paysages sonores brumeux et fantomatiques aux tonalités flottantes et ambiguës. Greffant sur elles des harmonies et des rythmes nouveaux, le groupe renouvelle ces morceaux tout en parvenant à conserver leur aspect troublant. Dès le premier set, Géraldine prend G.-Laurent---L.-de-Wilde.jpgles choses en main, souffle avec vigueur et autorité les notes d’Armageddon, donne du tonus à Barracudas, un thème de Gil Evans reconnaissable à sa structure rythmique. Le chant de l’alto se fait tendre et émouvant dans Fall, une ballade envoûtante nimbée de mystère que Shorter jouait avec Miles Davis. Après avoir soulevé des tourbillons de notes dans Eighty One, le piano prend le temps de rêver. Portés par un tissu rythmique suffisamment souple pour permettre à la musique de toujours respirer, Laurent et Géraldine dialoguent, inventent et bousculent joyeusement nos habitudes d’écoute. Nombreux sont leurs échanges dans une version rénovée d’Eighty One, mais aussi dans Pinocchio, autre thème fascinant naguère confié à Miles qui inspire les solistes, incite le groupe à doubler le tempo, à improviser avec un brio sans pareil. Adam’s Apple hérite d’une rythmique funky et d’un grand solo de contrebasse. Laurent donne puissance et dynamique à son instrument, le trempe constamment dans le blues et le bleu. Il n’existe aucun disque de cette formation que l’on aimerait entendre plus souvent. Qu’attend-elle pour enregistrer ce répertoire, le mettre à la disposition de tous ?

 

Patrice-Caratini.jpgLUNDI 7 mars

Au P'tit Journal Montparnasse, le Patrice Caratini Jazz Ensemble et le trio Biguine Reflections d’Alain Jean-Marie fêtent la sortie de “Chofé buiguine la”, un enregistrement live de décembre 2001. Le disque n’est pas terrible sur le plan sonore, mais comme l’écrit très justement Patrice dans les notes du livret « L’énergie circule, l’émotion irrigue le concert et le public n’est pas en reste. » Car en public, cette musique est incomparablement plus vivante que sur disque (même s’il s‘agit d’un concert). Les amateurs de jazz purent le vérifier en découvrant bien sonorisés ces deux orchestres sur scène alignant deux bassistes (outre Patrice Caratini à la contrebasse, Eric Vinceno tient la basse électrique) deux batteurs (Thomas Grimmonprez et Jean-Claude Andre-Villeger.jpgMontredon), Roger Raspail, un ami percussionniste, renforçant la section rythmique dans certains titres du répertoire. Ce dernier comprend plusieurs compositions d’Al Lirvat dont Pa Oublié ti Commission la et Tou sa sé pou doudou orchestré pour neuf musiciens, Pierre-Olivier Govin (saxophone alto) et Claude Egea (trompette) assurant les chorus. Biguine plus archaïque car composée avant l’éruption de la Montagne Pelée qui en 1902 détruisit Saint-Pierre jusque-là principale capitale culturelle de la Martinique, Serpent maigre d’Alexandre Stellio (il fit connaître cette musique à la Métropole dans les années 30) mêle improvisations jazziques de la Nouvelle-Orléans et les rythmes afro-cubains des îles qui entourent les Antilles françaises. Bastien Thill au tuba, David Chevallier au banjo et André Villeger à la clarinette animent le morceau. Sur ce dernier instrument, André se distingue dans Fête à la Guadeloupe, un des grands succès d’Edouard Mariépin. Alain-Jean-Marie.jpgIntroduit au piano par Alain Jean-Marie, Tú mi delirio est un bolero très lent que Denis Leloup enrichit d’un chorus de trombone. Jean Claude Montredon apporte au groupe Diamant H2O. La section rythmique tourne alors à plein régime, occasion pour Alain de chalouper ses notes et d’y mettre le feu. Son piano est bien mis en valeur dans Antillas, une suite en trois parties de Patrice, un collage inspiré par l’Afrique et les musiques des Caraïbes. Son deuxième mouvement est une rumba lente. Alain nous invite à danser la biguine dans le troisième. Il apporte plusieurs morceaux forts dont le très beau Haïti dans lequel Pierre-Olivier Govin à l’alto fait des étincelles. Mieux qu’un concert, une fête irrésistible !

 

E.-Pieranunzi--R.-Giuliani-Quartet.jpgMARDI 8 mars

J’avoue préférer Enrico Pieranunzi en trio ou en solo (ses disques en duo avec Marc Johnson sont également formidables), mais avec Rosario Giuliani la musique circule, respire, surtout lorsque les deux hommes s’appuient sur une bonne section rythmique pour encadrer leurs échanges. Avec Darryl Hall à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie, les deux amis peuvent se permettrent de rénover leurs propres compositions, d’innover sur des standards dont on pourrait croire qu’ils ont depuis longtemps livré leurs secrets, épuisé leur potentiel novateur. Enrico aime le risque et Rosario lui en offre avec ses longues phrases fiévreuses qui Enrico-Pieranunzi.jpgescaladent les barres de mesure, sa sonorité âpre qui contraste avec le lyrisme du pianiste romain dont les doigts en or harmonisent et colorent de mélodies superbes. Retrouvant le Sunside, Enrico joua les siennes, alternance de pièces lyriques et de morceaux rapides propices à des séquences virtuoses, mais aussi celles de Rosario, Dream House, une ballade, témoignant des capacités d’inventions mélodiques du saxophoniste. Ce dernier reprit  Lennie’s Pennies, un thème acrobatique de Lennie Tristano qui donne son nom à son dernier album. Impassible, le maestro ne se laisse jamais déborder par les phrases brûlantes qu’invente son partenaire. Sa main gauche réagit, plaque de puissants accords, ses notes restent toujours d’une suprême élégance.

 

Philippe Pilon band + guestsLe même soir, Philippe Pilon donnait un concert au Sunset pour fêter la sortie de “Take it Easy”, album récemment chroniqué dans ces colonnes et dont je dis le plus grand bien. N’ayant point le don d’ubiquité, mon cœur balançant entre la musique d’Enrico et celle de Philippe, j’assistai à son premier set, découvrant avec plaisir qu’un nombreux public de connaisseurs remplissait le club. Accompagné par les musiciens de son disque, Philippe Soirat remplaçant Guillaume Nouaux indisponible à la batterie, le saxophoniste nous en fit entendre les principaux thèmes, des compositions originales (Take it Easy, Chicken Walk, Sulkin’) et des standards (Blue Turning Grey Over You), y ajoutant I Surrender Dear, ballade dans laquelle il se fait miel, et une version funky et capiteuse du Soul Sister de Dexter Gordon. La sonorité moelleuse et chaude de son ténor, Philippe la met au service du bop et du swing qu’il approche de façon constamment mélodique. Une esthétique qu’il partage avec ses musiciens qui nous offrirent des chorus plein de joie, Pierre Christophe en grande forme parvenant à tirer le maximum de son piano droit, ses notes lumineuses éclairant le club comme si un grand soleil d’été y plongeait ses rayons.

 

E. Caumont & A. DebiossatJEUDI 10 mars

Michel Jonasz au Casino de Paris avec Elisabeth Caumont en première partie, une petite demi-heure, juste le temps de se raconter en chansons avec la guitare d’Alain Debiossat pour rythmer son chant et le faire s’envoler. Le jazz, Elisabeth le vit avec ses propres mots, petits poèmes qui naissent et se développent près du cœur avant d’éclore au jour. Les musiques des grands jazzmen héritent de ses textes. Elisabeth les greffent aussi sur de jolies mélodies d’Alain (Princesse Micomiconne, Yaoundé). On aime Le petit foulard vert, ses arpèges, la voix douce qui le chante et lui confie son souffle. Michel Jonasz a souvent flirté avec le jazz. Sa boîte en a Michel-Jonasz-a.jpglongtemps été pleine. Aujourd’hui il y met du blues, reprend Hoochie Coochie Man du grand Muddy Waters, y ajoute le rock et le twist. On lui doit de grandes chansons, Lucille que réclame son public mais qu’il ne chantera pas, Super Nana son morceau fétiche qu’il fait reprendre en chœur, Guigui, Arthur et beaucoup d’autres. Avec sa moustache, Michel Jonasz ressemble aujourd’hui davantage à Michel Blanc qu’à lui-même. C’est à la voix qu’on le reconnaît, à ce vibrato qui transmet l’émotion. Il danse comme un jeune homme avec ses deux chanteurs, soigne la chorégraphie de son spectacle largement consacré à son nouvel album “Les Hommes sont toujours des enfants”, le premier depuis bien trop longtemps.

 

Moutin-a.jpgSAMEDI 12 mars

Ronnie Lynn Patterson est un homme si discret qu’il serait bien capable de se rendre invisible. Il joue un magnifique piano, mais se produit si peu que organisateurs de festivals oublient de l’inviter au profit de stars médiatiques, des techniciens dont le jazz est technique. L’an dernier, Ronnie Lynn nous offrit “Music”, un recueil de standards enregistré avec François et Louis Moutin qui témoigne de sa sensibilité, de sa capacité à renouveler un matériel thématique et à le faire chanter. Le Studio Charles Trenet de Radio France l’accueillait pour un de ses très rares concerts avec les deux frères qui savent si bien mettre en valeur son piano lyrique. N’ayant pas eu l’occasion de préparer un répertoire et de le répéter, les Moutin btempos furent lents, presque distendus, la musique peinant à circuler. Les Moutin ont une telle habitude de jouer ensemble que le pianiste hésita longtemps à rentrer dans leur jeu, pour ne pas déranger, ne pas troubler leurs conversations ludiques et inventives. C’est avec Lazy Bird (John Coltrane) que ce piano aux harmonies subtiles et colorées se glissa dans la toile rythmique tissée par la basse et la batterie. Se laissant porter par elle. Ronnie Lynn put ainsi confier ses plus belles notes à son instrument, sa musique, épanchement d’un grand plein de tendresse, jaillissant alors d’une même source, celle, désaltérante, d’un trio retrouvé.

Photos © Pierre de Chocqueuse

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17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 09:00

Alain Gerber C’est à Venise en 1996 qu’Alain Gerber entend parler d’Emmett Ray. Il déjeune dans une trattoria avec Woody Allen lorsque le cinéaste lui demande s’il connaît Emmett Ray, Amintore Repeto de son vrai nom, un guitariste plus grand qu’Eddie Lang et Charlie Christian, l’auteur de six uniques faces de 78 tours enregistrées pour RCA Victor en 1951. Gerber qui possède une connaissance encyclopédique du jazz croit à un canular. Woody Allen affabule, son Emmett Ray n’a jamais existé. Quelques mois plus tard, du bureau new-yorkais d’Allen, une cassette D.A.T. lui parvient, une copie de I’ll See You in my Dreams, un des titres de cette unique séance du guitariste inconnu, un bon démarquage d’un thème gravé par Django Reinhardt en 1939. Alain pense à une mystification, il n’existe aucun enregistrement de Ray, Daniel Richard et Philippe Baudoin le confirment. Lorsqu’il reçoit une lettre d’un certain Jean-Charles Gracieux qui prétend avoir tenu la contrebasse dans le quartette de Ray en 1945, le romancier est pour le moins surpris. Il lui rend visite dans son pavillon de banlieue, et le laisse raconter son histoire. Emmett a séjourné plusieurs fois à Paris. Il s’est même trouvé une petite amie pendant l’été 1945, une fille prénommée Lorette. Il portait alors l’uniforme de l’infanterie américaine. De la bouche de Gracieux, Gerber apprend de nombreux épisodes de la vie de Ray, mais le vieil homme est-il crédible ? N’est-il pas mythomane comme certains le prétendent ? Alain se perd en conjecture lorsqu’une nouvelle lettre de Gracieux lui fournit le nom du batteur de Ray, un certain Bill Shields alias Napoleone Ciani qui, de passage dans la capitale, souhaite le voir. Alain le rencontre au Crillon. Ciani parle, complète la biographie d’Emmett qui devient aussi réelle que peut l’être celle d’un personnage de roman. A New York, Ray a croisé Django en compagnie de Marcel Cerdan et Igor Stravinsky. En 1948, il s’est retiré à Bottleneck, petite ville côtière située à quarante-cinq minutes au sud de Boston, et n’a jamais franchi les portes d’un studio d’enregistrement. Son récit laisse Gerber plus perplexe que jamais. La fin de l’histoire, il l’apprend par hasard en 1998. Un périple en voiture de Montréal à New York le conduit à Bottleneck et le Accords-et-desaccords--affiche.jpgmène à Lorette. Elle lui confirme qu’Emmett s’est bien rendu à New York en 1951 pour y graver quelques faces, mais l'a-t-il fait ? De cette prétendue séance pour Victor, aucune bande n’a été conservée. Qui donc joue sur ce mystérieux enregistrement que Woody Allen a fait parvenir au romancier ? A Venise où il le croise une seconde fois, Woody lui donne la solution de l’énigme. Samantha Morton, une jeune actrice l’accompagne. Avec elle et Sean Penn, le cinéaste s’apprête à tourner “Sweet and Lowdown” (“Accords et désaccords”) qu’il présentera à la Mostra (hors compétition) en 1999. Une évocation de la vie du guitariste bien différente que celle qu'Alain Gerber nous propose dans “Je te verrai dans mes rêves”, un roman publié chez Fayard. D’une plume espiègle, le romancier brouille les pistes, donne des noms et des détails biographiques de personnes réelles et les mêle à d’autres de pure fantaisie. Le cadre historique est d’une telle vérité que l’on peine à croire qu’Emmett Ray n’est que fiction. Né de l’imagination d’Allen, malicieusement réinventé par Gerber, le guitariste s’étoffe, prend de l’épaisseur et devient aussi vrai que s’il avait réellement existé.

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