MERCREDI 22 et JEUDI 23 septembre
Enrico Pieranunzi au Sunside avec le saxophoniste Rosario Giuliani. Je n’ai jamais entendu le maestro en petite forme en concert. Il possède une maîtrise totale de son instrument, une technique éblouissante qui lui permet de ne jamais rejouer la même chose. Avec Marc Johnson et Joey Baron, il possède l’un des meilleurs trios de la planète, mais se plaît à changer de répertoire et de partenaires, explorer d’autres directions musicales. Il aime jouer avec Rosario Guiliani, saxophoniste énergique qui souffle des notes de feu, des phrases longues et âpres qui ont du caractère. Avec lui le piano d’Enrico devient percussif. Il apporte aussi un contrepoint mélodique aux attaques fiévreuses de l’alto. Composé par le pianiste, No-nonsense devient prétexte à une conversation ouverte, à des échanges acrobatiques. Dream House, une ballade de Rosario, calme le jeu, la musique devenant plus lyrique. Piano et saxophone s’entendent à poser de nouvelles notes sur les standards qu’ils reprennent. Oleo, Love for Sale, Lennie’s Pennieshéritent ainsi d’improvisations neuves et nous tiennent constamment en haleine.
Rosario Giuliani se produira en quartette au Carré Bellefeuille de Boulogne-Billancourt le samedi 16 octobre avec Roberto Tarenzi au piano, Darryl Hall à la contrebasse et Benjamin Henocq à la batterie. Il sera également au Sunset le 20 octobre avec Pippo Matino à la contrebasse et toujours Benjamin Henocq à la batterie.
LUNDI 27 septembre
On doit à François Couturier, François Méchali et François Laizeau un des disques les plus réussis de la rentrée. Les trois François le consacrent au compositeur catalan Federico Mompou. Son cycle pianistique le plus célèbre s’intitule “Musica Callada“. Composé entre 1959 et 1967, il comprend 28 pièces regroupées en quatre cahiers, le dernier dédié à la pianiste Alicia de Larrocha qui fut leur première interprète. Le trio fêtait au New Morning la sortie de son album. Intitulé lui aussi “Musica Callada“ (musique du silence), il en reprend quelques-unes ainsi que d’autres œuvres de Mompou qui, toujours pour le piano, écrivit des chansons, des danses, des impressions intimes, toutes de courtes pièces que le trio développe sur scène. D’une grande simplicité, leurs mélodies servent de fil conducteur à des improvisations libres et délicatement architecturées. Mompou écrivait aussi des pièces à la tonalité floue, ni totalement consonante, ni réellement dissonante. Pain béni pour les jazzmen, leurs harmonies flottantes favorisant le rêve, les longs développements mélodiques. Inspiré, François Couturier joue un piano lyrique et sensible, trouve les notes qui parlent au cœur. François Méchali tire de belles harmoniques de sa contrebasse et François Laizeau, batteur mélodique, met de la couleur dans ses rythmes pour mieux les faire chanter.
VENDREDI 1er octobre
Depuis plusieurs années le groupe suisse Ronin propose une musique fascinante, qui pour n’être pas à proprement parler du jazz, lui emprunte certains battements et ostinato rythmiques. Confiée au piano de Nik Bärtsch, le leader et compositeur du groupe, mais aussi à la clarinette basse, contrebasse et à l’alto de Sha, l’improvisation y tient une place limitée, bien que “Llyrìa“ le nouveau disque du groupe s’ouvre à une expression plus mélodique et offre davantage d’espace aux solistes. Le New Morning accueillait l’univers sonore de Ronin qui relève partiellement de la musique minimaliste et répétitive. Comme dans certaines œuvres de Steve Reich, le point de départ est souvent un simple motif rythmique qui se développe, juxtapose métriques inhabituelles et battements réguliers. Elle s’en différencie par ses textures sonores produites par une instrumentation réduite (outre Nik Bärtsch et Sha, la formation comprend Björn Meyer à la guitare basse, Kaspar Rast à la batterie et Andi Pupato aux percussions) et le groove que la musique engendre. Sur scène, le groupe travaille en temps réel sans cette mémoire électronique qui permet de mettre en boucle des séquences rythmiques, de les répéter indéfiniment. Emboîtage savant de motifs répétitifs polymétriques et de cellules mélodiques, les modules cellulaires proposés par Ronin engendrent des thèmes séduisants qui rendent sa musique accessible. Quelques concerts dans l’hexagone pourraient la rendre très populaire.
JEUDI 7 octobre
Ex-apôtre de la déconstruction, Michel P a conservé l’habitude du cri et le goût du risque. Que ce soit à la clarinette basse, à la clarinette ou au saxophone soprano, il peut sculpter de très belles notes et les rendre lyriques, mais brusque le plus souvent la musique, se bat avec elle comme s’il voulait la dompter. Aux grondements de tuyauterie qu’émettent ses instruments dans l’effort, répond le chant d’un piano lumineux qui structure le flux musical, apporte un superbe tapis harmonique à la musique. P laisse peu d’espace à Jacky Terrasson son invité surprise, pas assez pour qu’il puisse développer de longs solos. Les deux hommes parviennent toutefois à dialoguer et à surprendre. Leurs échanges dans Spain avec Michel P à la clarinette B constituèrent un des moments palpitants du concert. P souffle des notes abondantes. Jacky double la mise et en rajoute d’inattendues. Avec lui, le piano est aussi instrument de percussion et contrebasse. Sa main gauche exceptionnelle assure des basses puissantes. Il compense les placements approximatifs de P, ses jets de notes sans barres de mesures, par des cadences vertigineuses, plonge la musique dans le blues, cite Thelonious Monk et bouscule nos habitudes. Deux acrobates improvisent des numéros de haute voltige. On ne s’ennuie pas une seconde.
Yaron Herman et son nouveau trio après l’entracte. Son nouvel album ne me plaît pas trop, mais j’ai envie d’écouter le groupe sur scène, de voir comment fonctionnent les nouveaux morceaux, Yaron excellant souvent lors de ses concerts. Handicapée par une prise de son défectueuse, la musique décolla rarement, la mitraille de la batterie ne rendant pas toujours le piano audible. Yaron préfère jouer avec un batteur plus énergique, plus “rock“ et c’est son droit. On comprend moins le choix de Chris Tordini à la contrebasse. Nonobstant la mauvaise sonorisation de son instrument, il se contente de jouer le tempo et semble incapable de développer un vrai jeu mélodique. Le groupe piétine, peine à trouver ses marques. Saturn Returns n’a nullement besoin d’un aussi long prologue. Les reprises de Nirvana et de Radiohead ne furent pas plus convaincantes, moins intéressantes que celles du disque. Tendu et contrarié, Yaron ne joua pas les notes légères et tendres qui baignent sa musique. Puisse-t-il apprendre à gérer ses émotions. Son piano n’en sera que meilleur.
Photos © Pierre de Chocqueuse