Trouvé sur les quais un roman peu connu de Bram Stoker. La réussite de son “Dracula“ semble avoir éclipsé les autres ouvrages du romancier anglais. “Le joyau des sept étoiles“ avec sa fin très surprenante reste pourtant une réussite. Publié chez Marabout puis six ans plus tard par les Nouvelles Editions Oswald (NéO) en 1982, il est aujourd’hui réédité par les Editions Terre de Brume. Un archéologue tente ici de ressusciter la momie d’une reine égyptienne qui régna du vingt-neuvième au vingt-cinquième siècle avant Jésus-Christ. Le livre commence comme un polar. Par la mystérieuse agression de notre égyptologue dans une pièce entièrement close. Plongé dans un étrange état cataleptique, il en sort frais et dispos après trois jours. Normal, il est l’un des seuls à pouvoir redonner vie à la momie de la reine Tera, dont le corps astral, toujours soumis à la volonté implacable de cette dernière, parvient à se matérialiser dans le corps d’un animal pour se débarrasser de ses ennemis. Résurrection bien plus extraordinaire que les morts présumées de Fu Manchu qui, malgré tous les efforts de ses ennemis (voir ma chronique des “mystères du Si-Fan“), n’arrive pas à mourir.
Grand roman d’aventures, “Le joyau des sept étoiles“ fait parfois penser au célèbre “She“ de H. Rider Haggard que Jean-Jacques Pauvert réédita en 1965 dans sa collection Les Indes Noires. Un sacré éditeur ce Pauvert. J’ai récemment terminé le premier tome de ses mémoires “La traversée du livre“ (un excellent titre) que Viviane Hamy publia en 2004. Un second volume est toujours en préparation, celui-ci se terminant en 1968. Cette année-là, Pauvert édite L’Enragé. Siné, puis Wolinski dessinent les couvertures des premiers numéros. Pauvert milite et raconte ses combats contre la censure hypocrite. Il a commencé très tôt, publiant les deux premiers volumes de l’édition intégrale de l’“Histoire de Juliette“ du marquis de Sade dès 1947, mettant par inconscience son nom et son adresse sur la couverture d’un ouvrage interdit. Perquisitions, interrogatoires dans les bureaux de la Brigade Mondaine se succèdent. Pauvert persiste, fait paraître en 1953 “La nouvelle Justine“ et les “ Cent vingt journées de Sodome“. Défendu par Maurice Garçon, il est condamné en correctionnelle à verser 200.000 francs d’amende. Le jugement est cassé en appel en mars 1958. « Pour la première fois, l’existence d’une “littérature pour adultes“ était officiellement reconnue par la magistrature. » écrit Pauvert qui édite aussi Jean Genet (“Les bonnes“), George Bataille (“Madame Edwarda“), “Histoire d’O“ écrit par Dominique Aury sous le pseudonyme de Pauline Réage. Il reprend à Eric Losfeld la revue Bizarre après deux numéros et réédite “Le voleur“ de Georges Darien et le “Dictionnaire de la langue française“ d’Emile Littré en sept volumes, dictionnaire au format étroit et allongé conçu sur une seule colonne, donc révolutionnaire pour l’époque. Jean-Jacques Pauvert publiera Pierre Klossowski (“Le Souffleur“ après “Le bain de Diane“), André Breton, Albertine Sarrazin (“L’astragale“). Il rééditera les poésies complètes de Victor Hugo,“Monsieur Nicolas“ de Restif de La Bretonne, Raymond Roussel et les romans de Boris Vian dont “L’écume des jours“ qu’il reprend à Gallimard « moyennant la reprise du stock pour un prix ridiculement bas ». Boris Vian dont il lisait les textes dans Jazz Hot : « J’étais un collectionneur de disques de jazz. Sous l’Occupation, je les achetais à Christian Viénot, tromboniste de Claude Luter. » Pauvert écrit bien et ne mâche pas ses mots pour critiquer François Mauriac, sa tête de turc. Il n’est pas tendre avec Françoise Giroud et Jean-Paul Sartre et n’aime pas trop Eric Losfeld « cyclothymique, menteur, capable d’être charmant un jour, odieux le lendemain, sujet à des accès de fureur imprévisibles. »
C’est au Terrain Vague, sa maison d’édition, que ce dernier publie en 1969 “Toi ma nuit“ de Jacques Sternberg réédité chez Folio et dont on attend la réimpression. Disparu en 2006 dans une indifférence quasi générale, Sternberg fut un auteur extrêmement prolifique. J’ai trouvé ce livre chez Bloody Mary, excellente et sympathique librairie de la rue Linné que je fréquente assidûment. Il raconte en détail l’histoire d’une passion amoureuse tournant à l’obsession. En rencontrant Michèle (mais s’appelle-t-elle vraiment Michèle ?), le narrateur rencontre une jeune femme changeant sans cesse d’attitude « absente, distante, inaccessible (…) privée de substance, de relief, de système nerveux, réduite à une simple apparence diaphane ». Il décide de subir, de supporter l’indifférence de cette femme imprévisible « aussi dangereuse qu’une trappe qui aurait donné l’illusion d’un sol plat » qui le fascine, l’obsède et qu’il ne parvient pas à comprendre. Obsédé par son personnage, Sternberg reprendra cette histoire avec davantage de réussite dans “Le cœur froid » édité chez Christian Bourgois en 1972. L’aspect fantastique de ce roman d’anticipation est également peu développé. Il se situe en 1995, et le monde que décrit l’auteur est devenu « une gigantesque chambre à coucher où chacun fait désormais l’amour avec autant de désinvolture que s’il fumait une cigarette. » L’industrie du sexe, la première de la planète, inspire à Sternberg des pages hilarantes dont l’écriture n’est jamais vulgaire. Sa description du “Viol de Frankenstein“ (un film dont le scénario est bien sûr complètement inventé) est d’une drôlerie irrésistible. Je l'ai lue à Jean-Paul pour lui changer les idées. De peur d’être cambriolé, il ne communique à personne l’adresse de son appartement et j’ignore même s’il possède une bibliothèque. Sternberg ne l‘amuse pas, mais il apprécie les quelques lignes sur le jazz dont je lui fait la lecture : « Personne ne m’empêchera de préférer les plaintes exacerbées et lancinantes d’un Armstrong, d’un Charlie Parker, d’un Coltrane ou d’un Mingus aux hurlements incantatoires, obscènes, vulgaires, inconsistants qui sont l’unique aliment de la musique d’aujourd’hui. », un passage que Jean-Paul applaudit des deux mains.
Photo © Pierre de Chocqueuse