Enseignante très demandée, pianiste du Brussels Jazz Orchestra, le meilleur big band de jazz de Belgique qui nous a visité l’été dernier – un concert au Parc Floral de Paris avec David Linx en invité dans un programme consacré à Jacques Brel –, Nathalie Loriers publie un nouveau disque en trio, le second qu’elle enregistre avec la saxophoniste Tineke Postma. Autant l’écrire tout de suite, “We Will Really Meet Again” est encore plus réussi que “Le Peuple des silencieux”, son précédent, enregistré en 2013 lors du Gaume Jazz Festival. On y entend les musiciens lâcher prise, se fondre dans la musique tout en lui apportant énergie et tension.
Philippe Aerts parti découvrir l’Inde, vers d'autres aventures, la formation ne perd nullement pied avec Nicolas Thys, bassiste expérimenté apprécié de Bill Carrothers, et rythmicien très capable de faire chanter son instrument (l’introduction de Dançao), de lui faire prendre des chemins mélodiques. Dialoguant souvent avec le saxophone et le piano, il adopte un jeu plus abstrait dans Oceans, voire même anguleux dans Remembering Lee, échanges spontanés sur la corde raide que se tendent les trois instruments dans deux des trois miniatures improvisées de l’album. Ce dernier s’ouvre sur une version enchanteresse et quelque peu ré-harmonisée de Luiza, une composition d’Antonio Carlos Jobim. La pianiste l’aborde seul, pose des couleurs subtiles sur une toile sonore que rejoint un peu plus tard une contrebasse aussi juste que discrète. L’alto expose le thème et assure les contre-chants.
Les autres compositions de ce nouvel opus sont de Nathalie Loriers dont le beau toucher met en valeur les notes délicates qu’elle utilise pour peindre des paysages, mélancoliques pour la plupart. Le blues qu’elle transmet à ses doigts irrigue ainsi sa musique. Les ballades, souvent poignantes sont ici nombreuses. Une grande douceur enveloppe Quietness, une des trois improvisations de l’album. De toute beauté, il prélude à la musique douloureuse de We Will Really Meet Again que Nathalie a écrit à l’intention du frère disparu de Thierry, son compagnon. Un tendre lamento de soprano se fait entendre. Le piano rentre tardivement et sur la pointe des pieds dans la musique comme pour lui témoigner pudiquement du respect. And Then Comes Love séduit également par sa lenteur, sa respiration favorisant l’écoute, l’interaction attentive, les musiciens prenant leur temps pour développer leurs idées et les faire circuler.
Cette fausse nonchalance n’est pas partout de mise. Les entrelacs acrobatiques de Everything We Need font entendre une musique inspirée par celle de Lennie Tristano. Tineke joue la mélodie à l'alto. Nathalie la double une octave plus bas. L'effet obtenu est surprenant, comme si deux saxophones étaient joués simultanément. Abordé à l’unisson, le thème génère de nombreux échanges, Nicolas Thys s’accordant lui aussi un chorus mélodique. C’est également la contrebasse qui introduit Dançao, morceau débordant de soleil et de joie. Un piano dynamique le chaloupe, le déhanche, nous invite à danser, Tineke lui faisant escalader les marches du ciel. Autre moment joyeux, le primesautier Take the Cake met en valeur la belle sonorité de cette dernière à l’alto. Piano et saxophone entrecroisent leurs lignes mélodiques et affichent une grande complicité. Confortablement assis sur de souples cadences, ils conduisent ainsi entre ciel et terre leurs dialogues aériens, l’excellente acoustique de la Salle Philharmonique de Liège contribuant à leur bonheur qui est aussi le nôtre.
Photo © Thomas Geuens