blogueur de Choc.SAMEDI 28 mars
Randy Weston et les Gnawas au théâtre Claude Lévi-Strauss du musée du quai Branly. Une déception. Né en 1926, Weston fatigué s’économise, joue peu de piano. Il fascine encore dans le registre grave du clavier, plaque des accords dissonants et étranges, mais laisse le plus souvent ses musiciens (toujours les mêmes) assurer le spectacle. Alex Blake son contrebassiste en fait ainsi des tonnes, utilise son instrument comme une guitare, slape ses notes et multiplie les effets de trémolos. Benny Powell se fait vieux et peine au trombone. Reste Talib Kibwe à la flûte et au saxophone alto pour colorer une musique décousue et lui apporter un peu de chaleur. Lorsque Weston et son groupe font silence, les Gnawas entonnent quelques chants envoûtants, les trois cordes de leurs guembris ou hajhoujs (sorte de luth dont la caisse de résonnance est une peau de dromadaire) assurent les basses, leurs qraqebs ou karkabas (grosses castagnettes en métal) et le tambour du maâlem rythmant leurs danses. Malheureusement la musique qu’ils donnent à entendre est davantage celle d’une fête profane que d’une cérémonie religieuse, comme si les Gnawas en déplacement ne voulaient que distraire et rester à la surface des choses.
LUNDI 30 mars
Soixante-dixième anniversaire des disques Blue Note. Un All Stars comprenant quelques-uns des musiciens du label fêtent l’événement au théâtre du Châtelet.
Flavio Boltro à la trompette, Stefano di Battista aux saxophones alto et soprano, Joe Lovano (en petite forme) au saxophone ténor, Jacky Terrasson au piano, Ron
Carter à la contrebasse et Payton Crossley à la batterie font ainsi revivre avec plus ou moins de réussite quelques grands standards du catalogue. Un beau programme avec Juju de
Wayne Shorter, Cheese Cake de Dexter Gordon, Peace d’Horace Silver, The Sidewinder de Lee Morgan sans oublier la fameuse Blues March
écrite par Benny Golson pour Art Blakey et ses Jazz Messengers, mais le concert mal préparé – les musiciens n’ont eu que trois heures pour répéter - ne laisse pas un
souvenir impérissable. Seul Jacky Terrasson dont les chorus fiévreux ruissellent de lumineuses notes bleues parvient à tirer son épingle du jeu.Plus intéressante, mais pas faite pour chauffer une salle, la musique intimiste proposée en première partie de programme par le quartette de Ron Carter fut plutôt mal perçue. Le contrebassiste joue un jazz de chambre sensible et raffinée qui se goûte davantage dans l’intimité d’un club. Au piano, Stephen Scott brode des harmonies délicates, improvise avec bonheur de jolies phrases mélodiques. Payton Crossley caresse tendrement les peaux de ses tambours. Mais la révélation du concert reste la découverte de Rolando Morales-Matos, le percussionniste de la formation. En parfaite osmose avec le batteur, utilisant de très nombreux instruments, il donne une grande souplesse rythmique à la musique et lui apporte de superbes couleurs.
MARDI 31 mars


Musée du quai Branly 10 heures 15 : Christine Albanel, ministre de la culture et de la
communication, remet les insignes de Commandeur dans l’ordre des
Arts et des Lettres à Roy Haynes et ceux de Chevalier à Stacey Kent et Médéric Collignon. Dans un français parfait, Stacey Kent prononce un discours dans lequel elle
ouvre son cœur et nous confie toute l’admiration qu’elle éprouve pour la culture française. Boute-en-train, Médéric Collignon grimace et fait rire, l’humour de ses propos masquant de façon
pudique sa grande sensibilité.SAMEDI 4 avril
Guillaume de Chassy au Duc des Lombards dans un répertoire en partie consacré aux compositions d’Andrew Hill, pianiste « inclassable, lunaire, à la fois avant-gardiste et enraciné dans la tradition du jazz…un phare dans ma propre recherche artistique » dixit Guillaume, fin connaisseur d’une musique qui ne ressemble pas à la sienne. Ils ne partagent pas la même esthétique, ne jouent pas le même piano, mais pratiquent tous deux un jeu économe et s’intéressent à la forme. Profondément enraciné dans une tradition africaine, Hill fascine par l’univers qu’il parvient à créer avec peu de notes. Il les espace par des intervalles inhabituels,
pratique une polyrythmie riche en décalages rythmiques et en
dissonances. Il invente parfois des thèmes très simples que l’oreille conserve toujours en mémoire, Pumpkin et sa courte séquence de notes est l’un d’eux. Guillaume le reprend ainsi que
Yokada Yokada, Refuge, For Emilio, mais leur donne d’autres couleurs, les fait autrement respirer. Il ne joue pas non plus son piano habituel, raccourcit ses voicings
pour de courtes phrases mélodiques entre lesquelles il place des silences inhabituels. Stéphane Kerecki en profite pour faire abondamment chanter sa contrebasse. Il exploite avec agilité les
sinuosités de la ligne mélodique et s’offre des solos expressifs et physiques. Le flux harmonique ralenti, Fabrice Moreau prend le temps de donner des couleurs à ses rythmes, les allonge,
les diffracte, nous surprend par les teintes toujours changeantes qu’il apporte au tissu percussif dont les mailles distendues offrent une grande liberté aux solistes.LUNDI 6 avril
Les belles histoires de l’oncle Antoine à l’auditorium St-Germain. Ce mois-ci Antoine Hervé raconte Charles Mingus, un homme blessé et révolté au
cœur plein d’amour et de rage, un musicien qui porta de nombreuses casquettes, celles de compositeur, d’arrangeur et de contrebassiste. Antoine en parle avec humour, livre des anecdotes amusantes
sur le parcours de ce géant du jazz, personnage haut en couleurs et aux colères célèbres. Il explique fort bien sa musique et le petit
groupe de musiciens qu’il a réuni pour la jouer impressionne.
Jean-Charles Richard au saxophone soprano et au baryton dans Moanin’, Michel Benita à la contrebasse pour colorer et chanter les mélodies, Philippe “Pipon“ Garcia à la
batterie font ainsi revivre avec bonheur quelques grandes œuvres mingusiennes, Pithecanthropus Erectus, Goodbye Pork Pie Hat, Fables of Faubus, Moanin’, et
Reincarnation of a Lovebird leur inspirant des improvisations aussi personnelles que réjouissantes. On les entend prendre beaucoup de plaisir à jouer cette musique, ce répertoire qui leur
va comme un gant et qu’ils enrichissent de leurs propres idées. Pourquoi pas un album ?MERCREDI 8 avril
La petite ville s’appelle Les Pavillons-sous-Bois. Elle est située à l’est de Paris, entre Bondy et Le Raincy et son Espace des Arts accueille Charles Lloyd et son New Quartet Il faut connaître ou avoir un bon plan de la banlieue parisienne pour le trouver. Banlieues Bleues a heureusement prévu une navette porte de Bagnolet. Elle nous ramène à temps pour un dernier métro. Emmanuel courageux m’accompagne et ne regrette pas une aventure dont nous sommes revenus sain et sauf. Assurant la première partie, le groupe du trompettiste afro-anglais Byron Wallen n’a pas réellement convaincu. Il réunit de bons musiciens autour de compositions passables que l’on oublie vite. Quelques bons chorus interpellent. Charles Lloyd
aussi. Il fait partie des
légendes du jazz, appartient à une génération de musiciens presque disparue qui joue avec le cœur. Son instrument exprime des émotions, parle le langage de l’âme, en transmet la beauté sensible.
Même les fausses notes – Lloyd en souffle quelques-unes – ne gênent pas trop le discours musical, une force tranquille et apaisante qui soulève et transporte. Fatigué, le saxophoniste peine à
trouver sa sonorité au ténor. On lui pardonne un début de concert claudiquant car Lloyd joue avec une sensibilité énorme et les trois hommes qui l’accompagnent éblouissent. Reuben Rogers à
la contrebasse et Eric Harland à la batterie constituent une paire rythmique exceptionnelle. Ce dernier développe une polyrythmie inventive et ne cesse de surprendre. Lloyd a toujours très
bien choisi ses pianistes. Jason Moran, le dernier en date, possède un jeu aussi singulier que celui de Thelonious Monk, Herbie Nichols ou Andrew Hill. Il plaque des
accords dissonants, joue des notes inhabituelles, possède un langage moderne, neuf et personnel profondément ancré dans le blues et la tradition. Musicien lyrique et sensible, Lloyd excelle dans
les ballades. Joués en fin de programme, The Water is Wide et Rabo de Nube furent les grands moments d’un concert émouvant.
JEUDI 9 avril
J’entraîne Phil Costing au Sunside pour écouter le pianiste Alexandre Saada en quartette. Il y présente “Panic Circus“, son nouvel album, une fantaisie pop jazz bien accueilli par la critique, un enregistrement sans prétention, mais plein de jolies couleurs et de bon plans mélodiques. Il contient même deux chansons que les groupes britanniques de la fin des années 60 auraient très bien pu inscrire à leur répertoire, une musique colorée et joyeuse qu’Alexandre trempe dans un grand bain de jazz électrique. Les sonorités de son Fender Rhodes relié à des pédales de distorsion se mêlent à celles du saxophone ténor de Sophie Alour et créent des paysages musicaux qui rappellent les premiers temps de la fusion. Jean-Daniel Botta joue de la basse électrique et chante ; à la batterie, Laurent Robin marque les rythme avec beaucoup d’énergie. Très travaillée sur le plan du son, leur musique séduit surtout par sa fraîcheur. Phil, content, achète leur album qui agit un peu comme la petite madeleine de Proust et véhicule bien des souvenirs.
Photos © Pierre de Chocqueuse
Pâques. Merci de votre compréhension.
Il peut marteler puissamment ses tambours ou se contenter de marquer simplement le rythme sur une cymbale, ou sur le bord métallique de sa caisse claire. Loin d’étouffer la
musique, le batteur la laisse au contraire respirer, l’aère, donne de l’espace aux notes qui sont jouées. Lew Soloff possède un jeu de trompette d’une grande précision. Sa maîtrise technique
lui permet de faire chanter de longues phrases aux notes détachées et ciselées avec finesse. Aussi à l’aise dans le jazz qu’au sein d’orchestres symphoniques, il séduit par l’intelligence de ses
chorus et la beauté de son jeu mélodique. Lew est également un musicien sensible qui souffle des notes tendres et brumeuses, presque fragiles dans les ballades, supports au sein desquels
Jean-Michel Pilc révèle sa grande sensibilité. Le pianiste joue de petites notes éparses et tranquilles, adopte un jeu minimaliste et élégant aux notes inattendues et aux accords étranges.
Il peut également donner beaucoup de volume à ses notes, les frapper et les marteler, ses chorus tumultueux se gonflant de clusters et de dissonances.
U
JEUDI 19 mars
faire sortir leur fille du Carmel – la scène de leur visite à la
mère supérieure de l’ordre répondant à leurs questions, en posant d’autres (« Comment être juif et athée ? ») ou pratiquant la langue de bois est un des grands moments de la pièce. Incapables de
faire le deuil de leurs enfants, les Spodek passent des nuits sans sommeil dans leur appartement. Charles, cynique et pessimiste, attend une troisième guerre mondiale. Il dévitalise les dents de
ses patients et ôte leurs douleurs, mais ne peut empêcher la sienne de lui ronger le sang. Clara se lamente ; les lettres qu’elle écrit à sa fille restent sans réponses. Elle essaye même de prier
ce qui provoque la colère de Charles qui ne croit pas et refuse de croire. Les relations avec leurs parents, leurs amis, deviennent difficiles, Charles ne voulant plus voir personne, pas même son
cousin Max. Le couple décide finalement de partir vivre en Israël, la terre promise. Se relève-t-on d’un tel traumatisme ? Que trouvera-t-il là-bas ?
Enfant, Jean-Claude Grumberg se faisait
régulièrement soigner ses caries chez un double de Spodek et a nourri sa pièce de ses propres souvenirs. La mise en scène de Charles Tordjman est d’une grande lisibilité. Les scènes jouées
alternent avec des monologues pédagogiques, les apartés explicatifs d’un faux cœur antique situant l’action dans le temps. Les quatre acteurs sont formidables. Christine Murillo interprète
une Clara émouvante. Philippe Fretun exprime avec une grande justesse le cynisme désabusé de Charles. Les deux autres comédiens, Clotilde Mollet et Antoine Mathieu campent les
autres personnages, Suzanne l’amie, Mauricette la belle-sœur, l’auteur enfant, le cousin attaché aux croyances, aux rituels, aux interdits qu’impose sa religion, le patient désespéré à l’idée de
n’avoir plus personne à qui se plaindre lorsque Charles partira. Tous deux assurent le chœur, mélange de tragédie grecque et d’humour juif, pour éloigner la douleur, la tenir à distance, la rendre
supportable.
musique de Paris (cnsmdp) à animer une master class. Les élèves de
Riccardo Del Fra joueront sa musique en big band le lundi 23. Ce soir, ils sont venus nombreux l’écouter en trio. Jim privilégie les belles lignes mélodiques, un jeu sobre aux couleurs
délicates. Ses longs voicings ne contiennent pas une note en trop. La fluidité de ses improvisations dissimule la richesse de ses idées harmoniques. Le pianiste cultive la discrétion, joue un piano
élégant qui respire, possède un rythme intérieur, écarte résolument le tape à l’œil, la virtuosité gratuite. Riccardo n’a rien non plus à prouver. Cela fait des années qu’il met sa contrebasse au
service de la musique et en fait chanter les notes. Un tempo très sûr, des notes très justes, des harmonies très pures bénéficient de sa magnifique sonorité. Avec le jeune Julien Loutelier à
la batterie, c’est une solide section rythmique qui commente mélodiquement et rythmiquement la musique, la trempe dans le swing. Le trio reprend Someday my Prince will come, In my own
Sweet Way, You and the Night and the Music, Con Alma, en donne des relectures harmoniques subtiles et surprenantes. 







Anne Ducros aime les jam-sessions, poser sa belle voix sur de la bonne
musique. Elle ne dédaigne pas les prouesses techniques et chante toujours avec une grande justesse. On ne se lasse pas de l’écouter. Du swing plein les doigts, Pierre Christophe lui donne
brillamment la réplique. A quoi pense Mourad Benhammou ? A la musique qu’il rythme avec talent ? A la chanteuse qu’il accompagne ? A “Perk’s Snare“ son nouvel album ?






U
Choisissant d’innover, Daniel Yvinec a chargé Alban Darche de les
moderniser. Conservant les mélodies, ce dernier a changé tout le reste, dotant chaque morceau d’une orchestration nouvelle, d’une instrumentation différente. Skylark mêle ainsi les
sonorités de deux saxophones alto, une clarinette basse, une trompette et un cor et Body and Soul voit son solo harmonisé par un petit ensemble comprenant saxophone alto, ténor, flûte,
clarinette basse et trompette. Le traitement sonore réservé aux morceaux est beaucoup moins conventionnel. Eve Risser
joue du piano préparé, tisse des sons inédits de sa table d’harmonie. Un saupoudrage
électronique apporte de nouvelles couleurs et plonge les thèmes dans la modernité. Des rythmes binaires et martelés, des arrangements souvent lourds les structurent,
la masse orchestrale laissant peu de place aux solistes. Ces derniers se font
entendre dans les nombreux intermèdes qui relient les morceaux entre eux, moments surprenants animés par le batteur, dialogues entre une clarinette basse et ses propres notes que les haut-parleurs
lui renvoient, chorus d’alto sur la voix enregistrée de Billie Holiday, poussée de soprano sur un léger voile d’effets sonores. Les improvisations collectives sont également nombreuses. Une
fanfare déjantée introduit Strange Fruit rythmé par un banjo. Dans My Man, l’instrument égraine les accords du blues. A mi-chemin entre Carla Bley et Nino Rota, ce
morceau carnavalesque plein de trouvailles et de
dissonances résume bien la
musique de l’orchestre, véritable auberge espagnole anticipant un troisième programme consacré à "Carmen". Les voix enfin pour conter et chanter Billie. Celle, enregistrée, d’Archie Shepp
nous lit des extraits de son autobiographie. Ian Siegal et Karen Lanaud reprennent ses mélodies. Le premier, un chanteur de blues, possède une voix rauque et puissante. Plus
classique, le timbre de la seconde peine à se faire entendre, couverte par les instruments d’un orchestre qui, à défaut de toujours bien sonner, joue beaucoup trop fort. Leurs voix se mêlent dans
You’ve Change dont la guitare égraine les accords. Comment ne pas songer au duo Tom Waits – Crystal Gayle qui illumine le film “One from the Heart“ (“Coup de cœur“) de
Francis Ford Coppola ? De bonnes idées, une mise en place parfois approximative, des longueurs, des moments superbes, difficile de juger l’ONJ à sa juste valeur sur ce premier
concert. Le second, celui de Banlieues Bleues fut, paraît-il, désastreux. Laissons lui donc le temps de grandir.
George Matthews (joué par Gary Lockwood, l’un des deux cosmonautes de “2001 l’odyssée de l’espace“), jeune architecte sans travail sur le point d’être envoyé au
Vietnam. Fasciné par une femme rencontrée dans un parking, il la suit jusqu’à son lieu de travail, une boutique dans laquelle, elle se loue comme modèle à des photographes. La jeune femme, c’est
Anouk Aimée, la Lola de Demy dont on retrouve la trace six ans plus tard. A George, elle confie son histoire. Michel, l’homme qui est allé la chercher à Nantes pour l’amener vivre en
Amérique, l’a finalement quittée. Elle s’est remise à travailler après avoir renvoyé son fils en France et économise pour le rejoindre. George lui donnera l’argent destiné à payer la traite de sa
voiture. A la veille d’un aller simple pour une guerre qu’il refuse, il permet à Lola de rentrer chez elle. On sent Jacques Demy désenchanté par l’Amérique dont il a longtemps rêvé. Frankie
le marin au grand cœur de “Lola“ est mort au Vietnam au début de la guerre, une guerre qui fait dire à George désabusé : « Qu’y a-t-il de plus beau que la vie ? » “Model
Shop“ n’existe qu’au sein d’un gros coffret Arte Video (Ciné-Tamaris)
réunissant tous les films de Demy. Sur le même DVD se trouve “Lola“, son premier opus, restauré en 2000, l’un des plus beaux films du cinéma français. Quel plaisir de revoir Anouk Aimée
chanter et danser, déambuler dans les rues de Nantes. Passage Pommeraye, elle rencontre Roland (Marc Michel) perdu de vue depuis quinze ans. Comme Jacques Demy, il rêve de l’Amérique.
Comme Frankie le marin de Chicago, il tombe amoureux de Lola qui chante, danse, se donne, mais n’aime qu’une fois. Son cœur appartient à Michel. Elle l’attend. Comme George, l’architecte de “Model
Shop“, Roland reste seul à la fin du film qui fascine par sa grâce et sa poésie. Une mise en scène élégante, des dialogues subtils et très justes lui donnent beaucoup de charme. La photo – du scope
noir et blanc - est de Raoul Coutard ; la musique de Michel Legrand. Confiée au groupe Spirit que Demy découvrit sur la scène du Kaleidoscope à son arrivée à Los Angeles, celle
de “Model Shop“ plonge dans les sonorités de l’acid-rock de la fin des années 60. Mêlant habilement jazz et rock psychédélique, le groupe fait entendre de très beaux instrumentaux. La guitare
magique de Randy California, disciple inspiré de Jimi Hendrix, illumine Clear, le thème principal du film orchestré par Marty Paich. Constatant son échec commercial,
la maison de disque de Spirit abandonna l’idée d’en sortir la musique. Dispersée au sein de plusieurs albums du groupe, elle ne fut éditée qu’en 2005.
Perpetua, Vertigo et leurs acrobaties rythmiques donnent le vertige, mais les doigts de Yaron savent aussi se faire légers et tendres dans les ballades. Ils
égrainent de petites notes fragiles et s’appliquent à les faire délicatement sonner. Après une version de Con Alma beaucoup plus développée que celle du disque, Yaron enrichie d’harmonies
exquises What Are You Doing the Rest of Your Life ?, un thème de Michel Legrand. Un émouvant Ose Shalom en trio conclut magnifiquement une soirée très intense.
bop, Dexter conclut un premier set qui donne envie d‘écouter le second, une longue suite encore inédite sur disque. On a du mal à croire que le groupe la joue pour la seconde
fois tant la mise en place est parfaite. Tom détache clairement de petites notes délicieuses, leur laisse le temps de s’envoler. Ses chorus aériens reflètent sa très grande sensibilité. Une des
pièces s’articule autour d’un rythme de samba. Un long chorus de Baptiste fait monter la température de quelques degrés. Après un interlude en solo, le piano égraine les notes rêveuses d’une
ballade. Bugle et ténor en colorent le thème. I Feel in Love Too Easily en rappel. Tom Harrell souffle des notes magnifiques et nous émeut profondément.
souffleurs, Jeremy Pelt à la trompette, J.D. Allen au saxophone
ténor et Andrew Bishop à la clarinette basse, la mélodie surgit d’un amoncellement de notes graves. Ce dernier instrument renforce l’aspect sombre et inquiétant de la musique. Mais Andrew
Bishop joue aussi du ténor et du soprano et les accords de Ben Walzer ne sont pas toujours si étranges. Le piano intègre une section rythmique très souple – Chris Lightcap tient
la contrebasse - qui permet aux solistes de s’exprimer avec une
grande
liberté. La vedette de l’orchestre Jeremy Pelt impressionne par sa maîtrise technique et sa vélocité. Les notes jaillissent, chaudes, sensuelles, impeccablement sculptées, portées par un
souffle puissant. Il possède une capacité pulmonaire exceptionnelle, une carrure impressionnante. Il tire de sa trompette de somptueuses lignes mélodiques, joue du bugle dans les ballades pour
rendre veloutées et sensuelles. Batteur au jeu très fin, Gerald Cleaver rythme subtilement la musique, le plus souvent sur ses cymbales. On découvre un compositeur habile dont le jazz
moderne s’enracine profondément dans la tradition. La formation a enregistré un premier album “Gerald Cleaver’s Detroit“ sur Fresh Sound New Talent. On peut y prêter attention.
U
Laurent a composé la
musique de cette œuvre d’une durée de deux heures en un seul acte avec un
prologue et un épilogue. Autour de ce dernier au piano, neuf musiciens multiplient les combinaisons instrumentales, la musique bénéficiant ainsi d’une grande variété de couleurs. Une des chansons
nécessite que la guitare ; d’autres
seulement l’accordéon. La
partition prévoit un trio, un quintette de vents sans rythmique et des morceaux en sextette et septette. Cinq jours de studio sont réservés pour la musique. Les voix (celles de David Linx,
Laïka Fatien et Yann-Gaël Poncet) seront enregistrées plus tard, en mai. Le disque, un double CD, doit sortir en janvier 2010 sur Signature,
un label de Radio France.
Olivier Govin
(saxophones), Thomas Savy (clarinettes, saxophones), Eric Karcher (cor), Lionel Suarez (accordéon), Frédéric Favarel (guitares), Jérôme Regard (contrebasse) et
Frédéric Chapperon (batterie) se concentrent devant leurs partitions. Le tentet au complet refait une prise de J’ai fouillé Los Angeles, un des derniers morceaux de l’opéra. Le
piano joue des accords délicieux, de petites notes perlées. Cor, clarinette basse, saxophone baryton, trombone habillent le
thème, colorent une musique lente et majestueuse. Pierre Olivier Govin
n’est pas content et va refaire sa partie de saxophone. On passe à une autre scène : Je ne veux pas que vous dormiez dehors. Un problème se pose à la mesure 17. On recommence, mais la
contrebasse a besoin d'être accordée. On reprend à la mesure 49. Ce n’est pas encore ça. Le batteur demande une nouvelle prise du morceau en entier… Sans faire de bruit, je fais quelques photos,
impatient de découvrir cet opéra dans sa totalité. Il sera donné dans sa version de concert les 1er et 2 avril à la Comédie de Saint Etienne :
VENDREDI 20 février
l’alto, Géraldine les souffle fiévreuses,
mais avec panache et lyrisme. Barracudas, un thème de Gil Evans que Shorter reprend dans l’album “Etcetera“ est ainsi développé par une succession de courtes phrases, de petits cris
étranglés. Dans The Soothsayer, le saxophone rugit de courts motifs mélodiques auxquels répond un piano virtuose qui développe un jeu orchestral. Yoni Zelnik fait puissamment sonner
sa contrebasse et Luc Insemann fouette avec vigueur ses cymbales, enserre la musique dans un tissu percussif suffisamment souple pour lui permettre de toujours respirer. Nous eûmes ainsi
droit à quelques-uns des morceaux que Shorter composa et enregistra au sein du second quintette de Miles Davis, la plus étonnante formation du trompettiste. Pris sur un tempo plus lent que
l’original, Fall envoûte par sa mélodie singulière, un leitmotiv de quelques notes autour desquelles sax et piano brodent de nombreuses variations. Le très beau Pinocchio inspire
également les solistes. Leur relecture parvient à conserver l’aspect fascinant du thème. Le groupe s’impose comme une évidence. Monk ne m’aurait pas contredit.
LUNDI 23 février
les plus importants écrivains exilés « soucieux de combattre le
national-socialisme et de défendre la véritable littérature allemande ». Déchu de sa nationalité, il s’installe aux Etats-Unis en 1936 et fonde une revue, Decision, dans laquelle il
dénonce le danger de l’Allemagne hitlérienne. Naturalisé américain, il s’engage, prend part à la campagne d’Italie et retourne en Allemagne en 1945, comme correspondant spécial du Stars and
Stripes, journal publié par l’armée. A cette occasion, il rencontre Richard Strauss, 81 ans, « un grand homme complètement dénué de grandeur ! », indifférent au sort des victimes d’une
guerre meurtrière. La dernière partie du livre se présente sous forme de lettres. Celle très longue qu’il écrit à son père le 16 mai 1945 pour ses soixante-dix ans décrit une Allemagne en ruine. On
le sent désabusé, déçu par l’attitude d’un peuple « qui ne nie plus que sa propre culpabilité ». Le cœur tourmenté et facile à blesser, il achève “Le Tournant“ à Cannes en avril 1949. Il se suicide
un mois plus tard, le 21 mai 1949.
MARDI 24 février
France avec le Trio BFG
(Bex-Ferris-Goubert), le groupe Palatino et bien d’autres formations. Jean-Yves Legrand a suivi Glenn pendant deux ans. Son film mêle des extraits de concerts et
des séances de répétition avec le Pentessence Quintet, formation avec laquelle il travaille depuis 2004. On le voit répéter en trio avec son Glenn Ferris Trio, Vincent Segal au
violoncelle et Bruno Rousselet à la contrebasse, enregistrer pour Olivier Ker Ourio. Mais surtout Glenn nous parle avec beaucoup d’humour de son instrument, un tube avec une coulisse
« qui handicape le mouvement ». Longuement interviewé sur sa carrière, sa vie de musicien, sa musique, Glenn ne se prend jamais au sérieux et nous fait rire. Il y a du Chaplin dans ce
personnage drôle et sympathique, ce grand musicien que ce joli film nous fait mieux connaître.
Drew et son batteur
Tom Rainey tissent les notes d’une toile percussive extrêmement serrée. Des pulsations irrégulières, des métriques changeantes bousculent le discours de solistes constamment en éveil. Drew
commente et improvise. Craig Taborn pratique un jeu de piano minimaliste, crée avec peu de notes de courtes séquences mélodiques et magiques. Il préfère
asseoir l’harmonie, calmer l’ardeur fiévreuse des souffleurs. Au saxophone
alto, Tim Berne libère un flot sonore d’une énergie intense, sculpte des sons souvent proche du cri. Ralph Alessi n’est pas seulement un grand virtuose, ses chorus fourmillent d’idées
nouvelles, de phrases toujours différentes. Sa trompette croise l’alto pour de brefs passages à l’unisson, des contre-chants, des dialogues à deux voix dont les thèmes relèvent de l’écriture du
bop. Très structurée sur le plan de la forme, complexe sur le plan de l’écriture, cette musique offre aussi de nombreuses séquences mélodiques, des ballades aux arrangements plus classiques jouées
avec beaucoup de chaleur. On goûte avec bonheur ces moments plus paisibles, ces beaux instants de séduction.
sortent-ils pas plutôt de l’imagination de Claire ? Sa fille– elle n’a aucun prénom – ne
porte-t-elle pas curieusement un uniforme d’infirmière ? Et puis quel âge a-t-elle ? Le choix de confier le rôle à une toute petite jeune femme augmente la confusion du spectateur. Ne sommes-nous
pas plutôt dans une histoire inventée par Claire au sein même d’une fiction théâtrale ? Jouée par de très bons acteurs et sobrement mis en scène par Marc Paquien, “La ville“ se
voit sans ennui malgré les zones d’ombre désirées par l’auteur. On se laisse porter par des dialogues brillants teintés d’un humour très britannique, par une langue fluide et rythmée remplie de
petites choses apparemment sans importance. Reliées les unes aux autres, elles forment la trame d’un récit complexe, une intrigue qui jusqu’au bout conserve son mystère.

son livre “Au temps du bœuf sur le toit“. Pianiste virtuose, Clément Doucet faisait le bœuf (l’expression y est née) avec Jean
Wiener. On y croisait Igor Stravinsky et Blaise Cendrars, Pablo Picasso et Coco Chanel, Francis
Poulenc et Jean Cocteau. Ce dernier suivit le Bœuf lorsque son propriétaire l’installa en 1941 au 34 rue du Colisée. Boiseries de chêne, peintures, photographies, décors
géométriques à chevrons, verres gravés, grands panneaux en laque de Coromandel, l’endroit tout en enfilade évoque un grand paquebot art déco. Juliette Greco et Serge
Reggiani, Django Reinhardt et Charlie Parker le fréquentèrent après la guerre. Propriété du Groupe Flo depuis 1985, le Bœuf sur le Toit accueillera des
jazzmen les premiers lundi de chaque mois. La programmation a été confiée à Frédéric Charbaut. Espérons-la d’un effet bœuf.
trompettes, trombones, saxophones (alto, soprano, ténor et baryton), tuba et deux gros soubassophones aux pavillons rutilants pour jouer les basses créent une
pâte sonore colorée, la douce petite musique des flûtes accompagnant le tonnerre des cuivres, les lignes mélodiques suaves et élégantes des anches. Pour marquer les rythmes, deux batteurs
percussionnistes complètent cette vraie fanfare malgré la présence d’un préposé aux claviers et occasionnellement d’une basse électrique. Capable de se produire en pleine rue, en bas de chez
vous, le Surnatural Orchestra transporte avec lui ses lumières, ses lampes, ses luminaires. Avec leurs longues tiges flexibles, ces derniers ressemblent à de longues fleurs
géantes. Ils
éclairent des tenues de scène bariolées, un spectacle coloré et visuel. Un
fil tendu aux deux extrémités de la piste circulaire du Cabaret Sauvage attend des funambules ; une corde suspendue au sommet du chapiteau, invite à des numéros d’acrobates. Ces voltigeurs amis
font partie d’un cirque, la Compagnie des Colporteurs. Leurs numéros
accompagnent de nouvelles compositions aux titres surprenants (Six apparitions de Berlusconi sur un écran), mais aussi des improvisations collectives ou soundpainting, une musique
mobile, in progress, que dirige à tour de rôle les membres de l’orchestre ou l’homme sans tête qui donne son titre au nouvel album. On est pris dans un tourbillon de notes, une féérie de
couleurs et de lumières, gigantesque patchwork sonore dans lequel des valses à trois temps tendent la main au swing, rencontrent Nino Rota et Carla Bley, le
Willem Breuker Kollectif et Battista Lena. “Sans tête“, leur nouvel opus vient de paraître, deux disques dans un coffret cartonné. S’y ajoutent “Soif" épopée
marine de Nicolas Flesh, et une plaquette contenant des photos et dessins de Camille Sauvage. Prochain concert parisien au Studio de l’Ermitage les 10 et 11 mars
prochains.
soprano lançait des flammes. Le groupe jouait un jazz moderne tendu à l’extrême, comme un fil prêt à se rompre. La musique de ce nouveau quartette
présente des différences notables. Daniel Humair
que martèlement de tambours de guerre. Il colore le flux
harmonique, mais peut installer un vrai chabada pour ponctuer un morceau plus classique hérité du bebop. Dave Liebman possède une très forte personnalité. Dès qu’il souffle dans
un saxophone – ténor, mais surtout soprano – une sonorité puissante et originale s’impose et fascine. Au piano, Bobo Stenson calme les notes de feu du saxophoniste, développe un
jeu mélodique sensible et lyrique, introduit des dissonances, des ruptures, joue des phrases abstraites qui étonnent. Une basse solide fait le lien, tisse les fils d’un travail de groupe. Loin de
faire gronder son instrument, Jean-Paul Celea préfère commenter dans les aigus, saupoudrer d’harmonies les compositions de ses partenaires. La formation donne ses premiers
concerts. Elle est déjà très prometteuse.
"Les Enfants Terribles" de Jean Cocteau mis en scène par Paul Desveaux au Théâtre de l’Athénée. Ce n’est pas une pièce mais un opéra de
chambre composé pour trois pianos par Philip Glass, le troisième volet d’un tryptique consacré à Cocteau, après “Orphée“ (1993) et "La belle et la bête" (1995). Avec l’aide de la
chorégraphe Susan Marshall, Glass l’a conçu comme un dance-opera dans lequel les chanteurs sont aussi des danseurs. Frappé en pleine poitrine par une boule de neige lancée par
Dargelo, un camarade qu’il vénère, Paul (le baryton Jean-Baptiste Dumora) doit garder la chambre. Sa sœur Elisabeth (la soprano Myriam Zekaria) le veille
jalousement. Elle écarte Agathe, un double féminin de Dargelos (Muriel Ferraro, une soprano, tient les deux rôles) dont Paul est amoureux et manigance le mariage cette dernière
avec Gérard (le ténor Damien Bigourdan), le narrateur de l’histoire. Découvrant ces manœuvres, Paul s’empoisonne. Elisabeth rejoint son frère dans la mort. Ces quatre personnages
occupent la scène. Ils chantent, dansent, au rythme d’une musique ensorcelante. Une nouvelle chorégraphie confiée à Yano Latridès donne à voir des scènes presque irréelles :
celle de la boule-de-neige ; le frère et la sœur jouant à se disputer et à « partir » ; Paul somnambule tournant sur lui-même tel un derviche. Les moments féeriques ne manquent pas dans ce
spectacle qui nous mène dans des chambres mystérieuses où se promènent des enfants joueurs qui
préfèrent les rêves à la réalité. Un tapis, quelques coussins, deux chaises, un lit qui va et vient, il n’en faut pas davantage pour décorer l’espace
scénique et inventer une chambre, lieu clos « espace imaginaire où le territoire de l’intime se révèle à cœur ouvert. » Trois pianistes (Véronique Briel, Cécile
Restier, Vincent Leterme et Stéphane Petitjean en alternance) occupent le fond de la scène derrière un fin rideau qui sert d’écran aux ombres et aux
jeux de lumières. Ils répètent des figures, de courtes phrases sans cesse enrichies de micro-intervalles, quarts ou huitièmes de ton, progression additive de figures répétitives. La musique
rythmée et en mouvement épouse les tensions dramatiques du récit. L’ouverture est splendide, de même que l’interlude instrumental accompagnant la danse de Paul en somnambule. Dommage que
Muriel Ferraro articule mal. Elle compense ce défaut par sa grâce, sa mobilité. Jolie fille, elle tourbillonne et virevolte comme un papillon. On sort de ce spectacle de belles
images plein les yeux et hypnotisé par une musique qui vous trotte très longtemps dans la tête.
les jouer crescendo. La caisse claire porte le flux sonore à ébullition ; la contrebasse
réactive s’empare d’une ligne jouée par le piano pour la commenter. Une mélodie peut jaillir d’un amoncellement d’accords et de clusters. Vijay invente, varie sans cesse son langage pianistique
et prend des risques. Sa musique in progress bruisse de cadences sauvages et vibre de puissance. “Trajicomic“, son dernier album a été récompensé par Jazzman. Un Choc de l’année 2008 tout à fait
mérité. Vijay en joue quelques morceaux. Je reconnais Comin’up et sa renversante petite musique, sa structure rythmique particulière. Le second set moins abstrait, plus mélodique, me
laisse une profonde impression. Le jazz bat d’autres rythmes, explore de nouveaux champs harmoniques. On ne doute pas de sa bonne santé après un tel concert.
se hisse sur leurs
branches. Lorsqu’elle est triste, elle parle aux fleurs, aux oiseaux, aux animaux qu’elle rencontre. Wilhelm Uhde (Ulrich Tukur), un collectionneur allemand,
l'un des premiers acheteurs de Picasso, Braque et du Douanier Rousseau, l’emploie quelques heures par semaine pour tenir sa maison et laver son
linge. Découvrant une de ses peintures, il l‘encourage à en faire d’autres. La guerre de 14 les sépare. Wilhelm Uhde doit s’enfuir et Séraphine, toujours bonne à tout faire,
continue à peindre des toiles de plus en plus grandes, de plus en plus nombreuses. Son mécène la retrouve en 1927. Il l‘aide à vivre, lui achète ses tableaux, lui trouve des clients. Lorsque
l’argent se raréfie après 1929 et qu’Uhde doit remettre à plus tard l’exposition parisienne promise, Séraphine, un cœur simple, ne comprend pas et perd la tête. Internée, elle finit ses jours à
l’asile. Yolande Moreau étonnante, prête à Séraphine son épaisseur, ses gestes maladroits, son âme sensible et attachante. Humble, frustre, modeste, Séraphine parle peu, mais
communique par les yeux, transperce par le regard. Martin Provost filme sobrement de courtes scènes que ses acteurs transfigurent. Le rythme est volontairement lent, les images
souvent belles et l’émotion palpable.
veille à cadrer ses envolées
lyriques, à leur donner une épaisseur concrète. Le pianiste aime les standards dont les harmonies ressemblent aux siennes. Il interprète toujours Angel Eyes et Wayfaring
Stranger, deux extraits de “Idéal Circus“, son deuxième album dans lequel Gildas Boclé et Arnaud Lechantre l'accompagnent déjà. De nouvelles compositions
enrichissent son répertoire. Il fait danser une ronde aux notes de Canaïma rapporté d’un séjour au Venezuela. Introduit par un jeu en accords puis développé par la contrebasse,
Wared semble construit sur un mode oriental. Il y a du McCoy Tyner et du Keith Jarrett dans ce piano modal qui déploie une énergie inhabituelle dans
Je me suis fait tout petit, de George Brassens, mais conserve intact son pouvoir hypnotique et lyrique. Gildas Boclé enrichit la musique à l’archet ;
Edouard trempe ses voicings dans des lignes de blues. Il fait bon écouter ces morceaux colorés qui évoquent des images. Ils chantent de petites musiques qui mettent du baume au
cœur.
de ces
mélodies enchanteresses, solides barres d’appui à des relectures oniriques. Saxophones alto et ténor, clarinette et clarinette basse, cor, trompette, flûtes soulignent les thèmes, les plongent
dans un univers sonore neuf et personnel ; les claviers les trempent dans des sonorités futuristes ; la guitare les enracine dans le rock. Vincent Artaud aime mettre en boucle
quelques notes, fabriquer de courtes séquences répétitives. Il marque la musique de son propre regard. Rangers in the Night, démarquage original de Strangers in the Night, le
tube de Frank Sinatra, une pièce très simple que Robert chante en s’accompagnant au piano, hérite de sonorités somptueuses. Son crescendo final évoque la coda magnifique de A
Day in the Life. La voix cassée de Daniel Darc fragilise le tendre O Caroline, lui transmet sa sensibilité d‘écorché vif. Les thèmes de ce répertoire n’ont pas tous
été composés par le barde à la voix d’archange. Shippbuilding, un vieux thème d’Elvis Costello, est confié à la voix de Yaël Naïm. La musique de The
Song (un des grands moments de “Songs“ un album de John Greaves dans lequel chante Robert) se voit transfigurée par une orchestration raffinée dans sa mise en couleurs.
Cette passionnante répétition annonce de magnifiques concerts et un album pour le moins gigantesque. Sa sortie est annoncée pour le 23 avril. On écoutera les disques de Robert
Wyatt pour patienter jusque-là.

comme lui à l’Hôtel Occidental. Qu’importe ! Kafka n’a
jamais terminé son livre. Vincent Colin en signe une jolie adaptation théâtrale. Sa mise en scène vive et rythmée valorise six acteurs et actrices qui passent d’un personnage à
un autre, font oublier l’absence de décors. La pièce dure une heure et quart. On n’y voit pas le temps passer. Vous avez jusqu’au 22 février pour rire et suivre les aventures d’un naïf
attachant.
Carole King. Take the A Train hérite d’un tempo
lent et chaloupé. Une composition sans titre se mâtine de rythmes afro-cubains. Les doigts font danser les notes, leur imposent des cadences hypnotiques. Après un Caravan très percussif,
le deuxième set de la soirée célèbre longuement le blues. Jacky en esquisse les phrases, leur donne rythme et respiration avant d’en bousculer les accords dans un jeu très physique. Les notes se
font puissantes, gonflent et s’étalent comme des vagues. Celles de I Love you More, une ultime ballade, apaisent et mettent en joie.
abonnement lui permet aussi de fréquenter le foyer de la danse. Il en profite. Sa Danseuse au bouquet, saluant est célèbre mais les femmes qu’il montre souvent
dans leur bain, captivent autant que ses danseuses. Les peintres symbolistes sont loin de tous posséder le même génie artistique. On doit à Lévy-Dhurmer un beau portrait de Georges
Rodenbach, l’auteur de “Bruges la morte“. Lévy-Dhurmer cultive souvent l’étrange. Sa Femme à la médaille s’appelle aussi Mystère. Les scènes mythologiques
d’Emile-René Ménard ou de Kerr-Xavier Roussel m’ennuient. Rattaché au symbolisme, Odilon Redon invente un monde onirique plus beau que celui des
autres. Le Char d’Apollon, Le grand vitrail (1904) longtemps la propriété du pianiste Ricardo Viñès, et Le Bouddha, un grand pastel sur papier beige
qu’il réalise vers 1906-1907 comptent parmi les plus belles œuvres de cette exposition.
résonance. On y trouve des clins d’œil au ragtime et une bonne dose d’humour.
Le second est une pièce à tiroirs, un assemblage de plusieurs thèmes aux rythmes acrobatiques, aux démarrages foudroyants, une marche sarcastique dont on perçoit le rire. Pierre
Christophe aime bien ce genre de compositions hybrides, mélange étrange de styles et d’époques jazzistiques. Relaxing at Battery Park, un morceau qui dormait depuis longtemps
dans un de ses cartons, en offre un bon exemple. Son thème appartient au bop, mais les musiciens improvisent sur des modes, recherchent une certaine couleur sonore. Le swing y est
omniprésent ; le blues, le mode original, y révèle son visage. L’écriture d’Elevation,
traduit ce retour aux origines africaines du jazz. La section rythmique assure un confortable appui aux solistes. Porté par une contrebasse qui tient un rôle de bourdon,
le saxophone chante en apesanteur et le piano développe un jeu orchestral qui porte les couleurs du blues. Si Grumpy Old Folks possède un aspect monkien – son vague rythme de valse ne
manque pas d’intriguer - , Lost Childhood suggère des images. La contrebasse l’anime et l’alto donne une belle suavité à un thème qui pourrait servir à un film. Son découpage, la douceur
du saxophone soufflant de longues phrases mélancoliques, une certaine alchimie avec le piano, évoquent l’association de Dave Brubeck avec Paul Desmond. Saxophone
et piano s’épaulent, se répondent et enchantent.
auteur d’une cinquantaine de pièces, mais aussi poète, peintre et metteur en scène,
son auteur Howard Barker, est une des grandes voix du théâtre britannique. Dans “Gertrude“, il reprend des personnages d’"Hamlet" que Shakespeare a
volontairement laissés dans l’ombre et leur fait vivre une autre histoire.
L’histoire, complexe, hermétique, nous
est expliquée dans le programme que l’on nous remet à l’entrée. On la comprend mieux après l’avoir lue, ce qui conduit à se demander si l’on doit connaître une pièce avant d’aller la voir ? Je
n’ai nul besoin d’avoir lu le scénario d’un film avant de le découvrir dans un cinéma. Une pièce comme un film doivent être compréhensibles. On saisit mal les intentions d’un auteur dont « le
théâtre invente un monde qui n’a pas à imiter une réalité, ni à contribuer à la changer, pas plus qu’il n’a à dénoncer, confirmer, consoler, distraire ou éduquer. » Ou Howard
Barker veut-il en venir ? Que souhaite t’il montrer ? On suit ses personnages sans trop comprendre ce qu’ils font, ce qui les agite. Hamlet est présenté comme un pauvre type mal élevé,
capricieux, infantile et torturé. Anne Alvaro, une grande actrice, se dénude inutilement. Les dialogues sont brillants, crus, ironiques, cruels, les mots bite, cul, couille,
vagin utilisés à profusion.
Lombards. Avec Dominique Di Piazza et André
Ceccarelli, mais aussi Olivier Temime qui apporte des couleurs nouvelles à l’orchestre. Le pianiste joue de très larges extraits de ce disque, des musiques écrites par
Armando Trovajoli pour des films, et quelques compositions originales, des pièces tendres, lyriques aux harmonies raffinées. Comme ces accords un peu magiques que Faraò invente.
Il assemble merveilleusement ses notes, les fait scintiller comme des petites lumières. Elles forment des bouquets de notes colorées, notes perlées ou jouées une à une, toujours chantantes grâce
à un merveilleux toucher. Antonio Faraò a du rythme dans les doigts, de la
poésie dans le cœur, et l’on se laisse bercer par ses voicings, la cohérence de son jeu en accords, l’élégance de ses phrases qui soulèvent et emportent. A la basse
électrique, Dominique Di Piazza fournit des graves ronds et palpables, fait sonner de riches harmoniques. Au saxophone ténor, Olivier muscle la musique, la tire un peu vers le
hard bop. Antonio lui demande de jouer aussi du soprano, un instrument dont il est difficile de dompter le son, mais convenant bien aux ballades nombreuses du répertoire. Dédé aime les morceaux
vifs qu’il rythme, impérial, sur sa grande cymbale . Son tempo millimétré, son grand sens de la mise en place impressionnent. En fin de set, Nicolas Folmer monte sur scène pour
confier du bop à sa trompette, souffler des notes aussi chaudes que des braises, s’envoler dans de longs et acrobatiques chorus dessinant des arcs-en-ciel. C’est beau le jazz la nuit.
et attachant, mal à l’aise dans une Suisse frileuse accrochée à ses banques pour laquelle toute idée nouvelle et généreuse est synonyme de peste, une Suisse domestiquée au décor
d’opérette. « Nous avons maintenant la certitude que nos montagnes ne sont porteuses d’aucune vérité ni d’aucune vertu » déclare Charles désabusé. Le cinéaste nous montre son personnage prendre
peu à peu conscience du système dans lequel il refuse d’être enfermé. « Je n’ai jamais eu besoin de lunettes » confie-il à son fils après les avoir détruites. « Pourquoi en portais-tu ? »
questionne ce dernier. « Pour-y voir moins clair » répond Charles qui déclare un peu plus tard : « Chacun se définit par ce qu’il fait. La seule chose qui me reste à faire, c’est de bien me
défaire. » Grand prix du Festival International de Locarno, ce premier long-métrage d'Alain Tanner propose un autre modèle de vie et de société qu'il nous est toujours permis
d'atteindre et de construire. Quarante ans plus tard, en pleine crise, il fait bon y réfléchir.
une musique profondément ancrée dans les traditions africaines et les
musiques du monde. “The Water is Wide“ débute par une version
inoubliable de Georgia et se poursuit par le titre éponyme de l’album, un traditionnel qui met les larmes aux yeux. Le saxophoniste exprime encore plus ses sentiments dans “Lift
Every Voice“, recueil de mélodies mémorables, de gospels à couper le souffle. Amazing Grace, Deep River, Wayfaring Stranger, Go Down Moses, You are so
Beautiful, on frissonne à l’écoute de cette musique intensément spirituelle. Hymn to the Mother s’étale comme les vagues de cet océan Pacifique qu’il contemple depuis sa résidence
californienne de Big Sur. Construit sur des modes, le morceau se développe comme un raga et dure un bon quart d’heure. A la guitare, Abercrombie joue des micro-intervalles et adopte la sonorité
d’un sitar. Lloyd fait appel à Billy Hart pour rythmer ce double album. Son jeu de cymbale est aussi précis que celui de Higgins, mais sa
frappe plus lourde donne de l‘épaisseur aux compositions, les muscle davantage. Hart
est également le batteur de “The Call“ et du magnifique et presque introuvable “Canto“ (l’indispensable Vladimir l’importe en quantité restreinte à la Fnac Montparnasse) qui
mérite d’être redécouvert. Bobo Stenson au piano et Anders Jormin complètent le quartette du saxophoniste qui souffle des vagues de notes colorées et tendres
ressemblant à des prières. Les longues plages de ces deux albums gravés en 1993 et 1996 reflètent un véritable travail de groupe, une approche réellement collective de la musique. Stenson éblouit
par un jeu modal raffiné. L’influence de John Coltrane se discerne dans The Blessing, Song, Tales of Rumi et Canto, mais Lloyd est un Coltrane
apaisé qui console par la douceur de sa musique. Brother On the Rooftop, la dernière plage de “The Call“, possède un aspect plus âpre. Lloyd tord davantage ses notes et tisse un climat
passionnel exacerbé. Il me manque plusieurs de ses disques. Puisse 2009 m’en amener quelques-uns.
R
et que les notes sculptées par les lèvres gardent intact leur pouvoir mélodique.
La flûte d’Hervé Meschinet semble séduite par Roland Kirk. L’air entre dans l’instrument et se change en notes aux couleurs apaisantes. A l’alto, il souffle des
aigus suaves, des accords généreux, ceux de Body and Soul son morceau. En grande forme, René multiplie les hommages, à Charlie Parker, à Bud Powell
(Un Poco Loco joué en trio dans le registre grave du clavier) et même à Count Basie, un moment fort et poétique. La contrebasse ronronne comme un gros chat heureux, la
batterie mène la danse, le piano de René chante de petites notes joyeuses et tendres. Les doigts agiles effleurent les touches. Gorgées de swing et de lyrisme, ses voicings rivalisent d’élégance.
Sa musique a du cœur. Lui aussi. Chapeau René !
“
imagine ce qu’on lui cache et croit à ce qu’elle voit, à la réalité du monstre.
Interviewé dans les suppléments, Victor Erice raconte qu’apercevant l’acteur grimé qui doit jouer la créature, Ana se réfugie dans les bras d’un adulte et se met à pleurer. La
mort, Ana la découvre également dans les propos que son père lui tient sur certains champignons vénéneux « Il n’y a aucun remède pour celui qui y goûte. Il meurt sans tarder. » Erice filme
toujours frontalement. Il aime la symétrie des rails, des pièces en enfilade, les plans fixes qui offrent de l’espace et des lignes de fuite aux acteurs. L’intérieur du cadre fait l’objet d’un
soin particulier. On rentre dans des tableaux de Vermeer et de Zurbarán. Dans “La vie des abeilles“, Maurice Maeterlinck écrit « esprit de la
ruche » pour évoquer les abeilles obéissant à leur reine. Dans le film d’Erice, la ruche est aussi la vieille demeure dans laquelle se déroule la vie des personnages. Les vitres y sont en nid
d’abeille. L’image a la couleur du miel.
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