19 février 2009
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- Tu as fait des études d’ingénieur chimiste…
- Pas seulement des études. Après avoir obtenu mon diplôme et effectué un tour du monde sac au dos, j’ai travaillé trois ans à Strasbourg comme ingénieur chimiste pour le Ministère de l’Environnement. Je menais alors une double vie car le soir j’étais musicien. Je faisais le bœuf et travaillais mon piano.

- Non, au Conservatoire. J’ai fait des études de piano classique. J’écoutais beaucoup de musique classique, le grand répertoire. Mon professeur me voyait concertiste. Elle avait commencé à m’y préparer, mais ça ne m’intéressait pas. A 14 ans, je me suis fâché avec elle, après 7 ans de piano. Ma prof était une bonne pédagogue, mais je ne faisais pas de musique avec elle. Elle ne m’en faisait jamais écouter, ne me parlait que de piano et de technique et je voulais entendre autre chose, faire autre chose. Je suis parti en courant sans achever mon cursus. J’ai failli être perdu pour la musique. J’y suis revenu deux ans plus tard, à 16 ans, grâce à un professeur exceptionnel. Il m’a fait découvrir Rachmaninov, Scriabine, Prokofiev, Debussy, Ravel, me donnait des cours particuliers qui duraient deux heures. Je travaillais avec lui le piano pendant une heure, puis il me jouait des œuvres ou me faisait écouter des disques, la meilleure leçon de musique que l’on puisse rêver. Je suis resté en contact avec lui jusqu’à sa mort prématurée et lorsque j’ai commencé à jouer de jazz, il m’a encouragé. C’était un type intelligent, un vrai musicien.
- Tu as donc découvert le jazz tardivement ?
- Oui. J’avais 20 ans, l’âge où beaucoup de musiciens débutent leur carrière de jazzman. Un ami m’a fait entendre un disque live de Monty Alexander, une révélation. Peu de temps après, j’ai acheté mon premier disque de jazz qui est toujours un de mes disques de chevet : “New Jazz Conceptions“ de Bill Evans. Une seconde révélation. Je me suis donc mis à écouter du jazz.

- Et tu t’es mis à en jouer ?
- J’essayais de copier ce que j’entendais dans les disques, mais je n’y comprenais rien. Les rythmes, les harmonies de Bill Evans, de Monty Alexander étaient très trop élaborés.
- Ta connaissance de l’harmonie classique, tes études de piano ne t’ont donc pas aidé ?
- J’étais handicapé par le rythme, le phrasé, le tempo. C’était comme des langues étrangères. Pour caricaturer je dirai que le musicien de jazz s’arrête de jouer quant on lui met une partition devant les yeux et le musicien classique lorsque la partition se referme. Ce n’est plus vrai aujourd’hui avec toutes ces écoles de jazz. Mais à l’époque j’étais mal à l’aise avec le rythme et le phrasé, mais très à l’aise avec l’harmonie, le son, la dynamique, les nuances, les couleurs du piano. J’avais grandi avec Ravel, Debussy, Dutilleux et le langage harmonique des musiciens de jazz m’était familier. J’ai commencé à jouer du jazz avec des musiciens plus forts que moi et ils m’ont appris beaucoup de choses. Je donnais de petits concerts sans prétention tout en poursuivant mes études d’ingénieur. Lorsque je me suis retrouvé en poste à Strasbourg, les engagements ont été plus nombreux. J’avais gardé de nombreux contacts avec des musiciens de Toulouse, ville où j’avais fait mes études supérieures. Un chanteur indien, Ravi Prasad, m’a proposé de faire un disque. Je n’étais pas encore un bon improvisateur et ça m’a obligé à progresser.

-A quel moment as-tu décidé de lâcher ton métier d’ingénieur pour devenir un musicien de jazz à temps plein ?
-En 1994, une boîte privée m’a proposé de quitter le Ministère de l’Environnement pour pantoufler chez eux, mais j’étais tellement impliqué dans la musique que je me suis dit que je devais choisir entre le métier d’ingénieur et une carrière de musicien. J’ai choisi la seconde option, consacrant tout mon temps au jazz, travaillant comme un fou pour me mettre au niveau. J’acceptais tout ce que l’on me proposait. Je jouais tous les soirs. C’est une bonne façon d’apprendre. Pendant un an, je me suis concentré sur ce travail, ne m’occupant que de musique. J’ai englouti un énorme répertoire, me plongeant dans Coleman Hawkins, Sonny Rollins, Bud Powell, Wynton Kelly, Red Garland, Ahmad Jamal. C’était pour moi une nécessité vitale. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Ce travail d’écoute, de compréhension est devenu mon pain quotidien. J’habitais à nouveau Toulouse. Mon premier disque “Pour Monk“ date de cette époque. Je l’ai produit moi-même sans trop savoir comment le vendre. Je n’avais pas encore d’existence médiatique. Je ne la recherchais pas. J’étais comme un peintre qui ne se préoccupe pas de savoir si ses toiles seront exposées et vendues. Stéphane Belmondo joue dans ce disque ainsi qu’une

- Arrivais-tu à vivre en faisant du jazz ?
- J’en vivais, mais très mal. J’étais devenu un bon pianiste local, mais surtout pleinement moi-même. Après ce premier disque, Jean-Michel Pilc m’a conseillé de quitter Toulouse et de monter à Paris. Il partait s’installer à New York et me proposait son appartement. A Paris, j’ai diversifié mes activités. J’ai travaillé avec une danseuse de flamenco, Ana Yerno, avec laquelle j’ai beaucoup appris sur le geste et le rythme – elle est danseuse percussionniste. Beaucoup de choses m’intéressaient en dehors du jazz. J’ai écrit un conte musical dans lequel j’étais pianiste et narrateur, “La fabuleuse histoire de la femme obus“. Philippe Renault, un tromboniste, et Pierre Dayraud, un percussionniste, m’accompagnaient. J’ai écrit une cantate, une pièce classique créée en 2000 et enregistrée avec le chœur Les Eléments dirigé par Joël Suhubiette.
-Personne ne te connaissait à Paris. Jouais-tu facilement dans des clubs ? Comment trouvais-tu des engagements ?


- A quel moment se situe ta rencontre avec Daniel Yvinec ?
- Daniel m’a appelé peu de temps après. Nous avions fait un concert ensemble plusieurs années auparavant, sur une péniche dans des conditions misérables. Je jouais sur un clavinova et Daniel sur une basse électrique. Ce concert catastrophique nous avait pourtant rapproché. Donc, Daniel m’appelle et me

- Mais cette manière de travailler n’amène-t-elle pas des automatismes que tu reproduis sur scène ?
- Ça en crée, mais ils se fondent dans mon propre vocabulaire. C’est probablement l’avantage de la maturité. Un filtre se met en place automatiquement pour éviter les clichés et laisser toute la place au chant intérieur.
A suivre la semaine prochaine dans "Les années Bee Jazz".
http://www.guillaumedechassy.fr
http://www.myspace.com/gdechassy
Photos ©Pierre de Chocqueuse, sauf la photo en noir et blanc (Guillaume au piano) © Pierre Lebouc