JEUDI 21 octobre
« Le meilleur festival de l’hexagone » m’avait
répété Jean-Paul. Je m’étais bien gardé de lui dire que venu entendre en 2003 Roy Haynes, le Roy Hargrove RH Factor
et le pianiste Robert Glasper, j’avais été royalement accueilli par l’équipe de Jazz en Tête. Attendu
à la gare de Clermont et conduit à l’hôtel Mercure, le dortoir des musiciens, je croise dans le hall Xavier Felgeyrolles qui depuis 23
ans s’occupe de la direction artistique du festival. L’accueil est chaleureux. Comme moi, Xavier traîne souvent rue des Lombards, à la recherche de la perle rare, du musicien d’exception.
Il a fait venir à Clermont les plus grands noms de la planète jazz et Space Time Records, son label, abrite d’excellents disques. Les pianistes Donald Brown, Mulgrew Miller (son seul enregistrement en solo, une merveille) et le saxophoniste Jean
Toussaint y ont trouvé accueil. Ce dernier anime les jam sessions de l’hôtel qui se terminent souvent à l’aube. Les concerts officiels se déroulent en
face, à la Maison de la Culture. J’apprends par Philippe machin chose Etheldrède errant dans un couloir que Jean-Paul n’est pas là. Subjugué par le concert de Mulgrew, il est remonté dare-dare l’écouter à Paris au foyer du Châtelet. Mulgrew se
produisant également ce soir au Sunside, Jean-Paul s’y trouve, probablement assis au premier rang pour avoir constamment à l’œil les mains virevoltantes du pianiste virtuose. Dans les loges où
l’on ripaille allègrement, je rencontre le photographe Michel Vasset dont le beau livre “L’ombre du Jazz” retrace l’histoire des quinze
premières années du festival, et Jacques des Lombards, un passionné de courses automobiles et de jazz, lui aussi du voyage
clermontois.
Mais il est temps d’écouter Roberta Gambarini. Le quartette dont elle dispose n’est
malheureusement pas celui annoncé. Cyrus Chestnut que je me réjouissais d’entendre est remplacé par Eric
Gunnison, un pianiste passe-partout. Le meilleur musicien du quartette est Neil Swainson dont la contrebasse a accompagné de grands jazzmen (nombreux disques et tournées avec George Shearing). Roberta
aime les vieux standards au point d’en oublier le jazz moderne. On the Sunny side of
the Street (1930), Day in, Day out (1939), I Love You Porgy (“Porgy and Bess” date de 1935), Poor Butterfly (1916), Lover Come Back to Me (1928) sont des mélodies de bonheur que de plus belles voix que la sienne ont chantées. Elle possède un métier solide, une technique de scat efficace et introduit très bien
ses morceaux a cappella. Sa voix à beau couvrir une large tessiture, il lui manque feeling et charisme. C’est lisse, propre et sans surprises. On aimerait la découvrir dans un répertoire plus
moderne, la voir s’emparer de chansons plus récentes. Composé en 1960 par Bruno Martino, Estate est le plus jeune morceau d’un
répertoire qui tient trop du musée.
Beaucoup plus conséquente fut la deuxième partie du concert, un all star réunissant Stéphane Belmondo à la trompette et au bugle, Kirk Lightsey au piano, Sylvain Romano à la contrebasse et Billy Hart à la batterie. Ces quatre-là musclent leur bop et le trempent dans un grand bain
de blues. Le pianiste en connaît parfaitement les accords. Infatigable, il martèle le clavier de ses grandes mains puissantes. Le batteur fouette ses cymbales, fait crier ses tambours et pousse
les solistes. Son duo avec Stéphane, un moment de grande tension, fut profitable à la
musique. S’il déborde d’énergie, le groupe joue aussi des ballades. Après un long chorus de contrebasse, Kirk échange son piano pour une flûte
traversière. Stéphane l’accompagne avec un coquillage. Il a composé un bien joli morceau pour sa fille et sait mettre du miel dans ses puissantes attaques. Pour le rappel, une version
survitaminée d’Oleo, Jean Toussaint rejoint la formation au ténor. Le saxophoniste s’empare de la musique à bras le corps pour
en souffler les notes brûlantes sous nos applaudissements.
VENDREDI 22 octobre
Pour éviter Jean-Paul qui
revient aujourd’hui, je visite la vieille ville, les antiquaires de la rue Pascal, la cathédrale gothique en pierre de Volvic qui dresse fièrement vers le ciel sa couronne de flèches noires,
l’église romane Notre Dame du Port aujourd’hui restaurée. La plus grande librairie de Clermont est celle des Volcans, un endroit incontournable, tout proche du Mercure. On y trouve même des CD…
et Jean-Paul qui peste ne pas y voir ses disques préférés. Il est là pour Jacky Terrasson, me demande des nouvelles de Philippe Machin Chose qu’il porte en
haute estime. Ce dernier se terre dans sa chambre pour ne pas avoir à le rencontrer. Jean-Paul lui a cassé les pieds, le suivant partout, louant à tel point ses Jazz à Fip qu’il s’en trouvait
gêné. Une heure avant le concert de Marcus Strickland qui assure la première partie de Jacky
Terrasson, je retrouve mon ami Papy Doc avec lequel je compte bien poursuivre à Nîmes mon
périple musical (vous en aurez prochainement un compte-rendu dans ce blog). Ensemble, nous assistons à la prestation du trio de Strickland. Excellent
saxophoniste (ténor, alto et soprano), ce dernier
laisse souvent jouer ses musiciens, et les rejoint pour tisser avec eux une trame mélodico-rythmique constamment inventive. Marcus prend son temps pour pétrir la matière sonore sur laquelle il
travaille. Avec lui, Joe Sanders, contrebassiste solide au jeu souvent mélodique et son frère E.J.
Strickland, batteur puissant et véritablement complice de ses ébats sonores. Le trio à beau varier ses tempos, reprendre un thème de
Björk, et diversifier sa musique, cette dernière n’en reste pas moins monotone, l’instrumentation saxophone, contrebasse, batterie offrant une
palette restreinte de couleurs harmoniques.
Après l’entracte, je découvre le nouveau batteur du trio de Jacky Terrasson, un musicien de dix-neuf ans dont l’énergie stupéfiante convient parfaitement à la musique aujourd’hui plus funky et festive du pianiste. Justin
Faulkner, une découverte de Branford Marsalis, joue régulièrement avec ce dernier. Jacky
arrivera-t-il à le garder dans son trio ? Il ferait bien, car Justin l’oblige à tenir des tempos déraisonnables, à tirer le maximum de dynamique de son clavier et le pousse à jouer son
meilleur piano. Sous ses doigts l’instrument
devient batterie et contrebasse. Ben Williams, bassiste ô combien subtil, se voit ainsi offrir de nombreuses opportunités mélodiques.
Jacky reprend Beat It de Michael Jackson avec sa longue intro à la tonalité un peu floue, mais aussi un pot-pourri de
compositions de Gershwin et plusieurs morceaux de “Push” son dernier album. Le tonique Beat Bop avec sa mélodie imbriquée dans le rythme et son aspect funky hérite d’un
spectaculaire solo de
batterie. Faisant tourner un
ostinato, Jackie contraint Justin à se surpasser. Il fait de même dans Smile, le batteur adoptant un jeu polyrythmique aussi complexe
qu’efficace. Say Yeah, un morceau très frais, invite à danser. La tension retombe un peu avec Smoke Gets in your Eyes
et My Church, des ballades, cette dernière teintée de folk et longuement introduite par Jacky en solo. Ce
dernier improvise alors des phrases rêveuses, joue un jazz aux harmonies plus classiques. Jean-Paul, heureux, applaudit un trio qui caracole en tête.
Photos © Pierre de Chocqueuse