LUNDI 4 juin
Jean-Pierre Mas fêtait avec retard la sortie de son dernier album
au Duc des Lombards. Vous en trouverez la chronique dans ce blog à la date du 17 février. Chargé d’effluves tropicales et de rythmes chaloupés, “Juste après” met en joie celui qui l’écoute. Ses musiciens, ceux d’un quartette rassemblant
Eric Seva aux saxophones ténor et soprano, Sylvin Marc à la guitare basse,
Xavier Desandre à la batterie et bien sûr Jean-Pierre au piano, firent de même en ce lundi pluvieux, installant même cette belle lumière que le
ciel porte après la pluie, titre d’une poignante mélodie de Jean-Pierre qui excelle dans l’art d’écrire des thèmes enchanteurs et de poser dessus de belles couleurs. Cela depuis
“Rue de Lourmel” en 1976. Exposée avec finesse et feeling par le ténor, la composition qui lui donne
son nom, une ballade, n’a pas pris la moindre ride, conserve intacte sa fraîcheur. Mais c’est aussi dans le rythme et la bonne humeur –
Desandre faisant danser ses tambours le sourire jusqu’aux oreilles, Seva soufflant un grand plein de bonheur –
que se déclina cette soirée festive. Un bus pour Tabarka, pièce modale dans laquelle Seva adopte le soprano, l’irrésistible Bâton dansant qui donne envie de gagner au plus vite les Caraïbes, Recado Bossa Nova porté par un Xavier Desandre
aussi performant qu’un orchestre de percussions afro-cubain, Au Sec, pièce latine et fiévreuse pour oublier le mauvais temps furent de puissants remèdes
à la morosité d’un bien morne printemps.
MERCREDI 13 juin
Pierre Christophe au Sunside avec son trio – Raphaël Dever à la contrebasse et Mourad Benhammou à la batterie – pour fêter la sortie de “Byard by Us Live !” enregistré
en public le 25 juillet 2007 au Festival de Radio France de Montpellier. Aussi bons soient-ils, les trois précédents disques que Pierre consacra au pianiste Jaki Byard
qui fut son professeur à New York, n’atteignent pas l’excellence de celui-ci. Choc de Jazz Magagine / Jazzman en juin, il renferme des versions particulièrement
brillantes des thèmes de Byard et des compositions originales de Pierre, un matériel thématique que ce dernier interpréta avec brio au Sunside devant un public parsemé qui se bouscule pour
écouter de médiocres stars médiatiques et passe à côté d’un jazz aussi excitant qu’authentique. Le trio de Pierre Christophe compte
parmi les meilleurs de l’hexagone et sa prestation fut à la hauteur de nos espérances. Le blues dans les
doigts, le pianiste nous offrit d’excellentes versions de Proverbs, Out Front, Spanish Tinge # 1(dédié à Jelly Roll Morton) des thèmes enlevés de Byard, Pierre n’hésitant pas à
introduire des dissonances dans des cascades de notes perlées, à nous plonger dans un maelström d’arpèges enivrants. Avec beaucoup d’humour, son piano s’encanaille, se déhanche. Sorte de
ritournelle sortie d’une boîte à musique monkienne, Hollis Jam swingue et fait tourner la tête. Byard composa Garnerin’A Bit
en hommage à Erroll Garner, né comme lui un 15 juin, mais après une introduction arpégée, c’est Fats Waller que Pierre nous fit revivre, ses complices trempant généreusement avec lui ce morceau dans le blues. Les ballades ne furent pas oubliées, Pierre adoptant un jeu en accord
pour jouer To Them - To Us, morceau composé par Byard dans les années 80. All the Distance, composition nouvelle évoquant le
Take Five du tandem Dave Brubeck / Paul Desmond, mit en valeur la batterie
de Mourad. Son instrument rythme, caresse, accompagne la contrebasse mélodique de Raphaël, le chant élégant d’un piano inspiré offrant une belle leçon de jazz.
SAMEDI 16 juin
Joshua Redman et Brad Mehldau à Pleyel dans le cadre de « Domaine Privé », série de quatre concerts donnés à Paris
par le saxophoniste. Faut-il rappeler que les deux hommes se connaissent depuis plus de vingt ans et que Brad fut le pianiste du quartette de Joshua avant de se faire remplacer par Aaron
Goldberg ? Toujours est-il que si Joshua Redman reste un saxophoniste talentueux et plein d’imagination, le piano que joue Brad Mehldau le place
parmi les très grands de l’instrument. Depuis l’apparition de Keith Jarrett sur la scène du jazz, aucun autre pianiste n’a autant impressionné et
influencé. Brad est unique, tant en trio qu’en solo,
et les concerts qu’il donne en duo avec son ami Joshua leur ouvrent de précieux espaces de liberté. C’est toutefois le pianiste qui, Salle Pleyel, fut le plus convaincant, Redman (au soprano et
au ténor) peinant à trouver ses marques, à obtenir le son qu’il souhaitait. Les deux premiers morceaux furent ainsi un peu laborieux. Mais dès le morceau d’ouverture, The Falcon Will Fly
Again, un extrait de “Highway Rider”, Brad nous fit entendre une musique si éblouissante que les échanges entre les deux hommes se situèrent rapidement à un niveau supérieur. Nul autre que
Brad Mehldau aurait pu relancer pareillement le discours musical, réinventer chaque morceau, en proposer des relectures neuves et fascinantes, leur apporter un
aspect romantique ou leur donner toutes les couleurs du
blues. Dès que le pianiste se retrouvait à jouer en solo, la musique prenait une nouvelle direction. Grâce à un jeu polyphonique d’une impressionnante cohésion, la plus simple ritournelle prenait
un goût de paradis, comme si vingt doigts posés sur le clavier en animaient les notes, les graves sonnant comme un bourdon de cathédrale. Dream Brother de Jeff Buckley,
In Walked Bud de Monk furent frémissements intenses, respiration féerique de la phrase musicale et grands moments d’éternité.
Photos © Pierre de Chocqueuse