Apôtre du free jazz dans les
années 70, Enrico Rava utilisait le cri, la démesure paroxystique comme moyen d’expression. Privilégiant la mélodie, il préfère aujourd’hui
souffler de la douceur, arrondir ses notes brumeuses pour les rendre plus belles. Trois ans après “New York Days”, un enregistrement new- yorkais qui compte parmi les grands opus de sa
discographie, le trompettiste retrouve son groupe transalpin, mais sans Stefano Bollani qui possède son propre trio et donne des concerts en
duo avec Chick Corea. Pour le remplacer, Enrico a engagé un jeune musicien qu’il suit depuis longtemps. Il l’a connu âgé de 12 ans et l’a vu
travailler son piano sans relâche. « Pour continuer d’inventer j’ai besoin de me mettre en situation d’être surpris. Giovanni Guidi est
comme Bollani ou Petrella : il m’étonne constamment. » On ne le serait pas moins à l’écoute de ce pianiste au toucher délicat qui possède un sens profond des couleurs, économise ses
notes pour les placer aux bons endroits, et enrichit les thèmes par ses nuances. Rava reprend ici de vieux thèmes de son répertoire. Cinq des douze morceaux que contient l'album ont été
précédemment gravés pour ECM, Label Bleu et Soul Note. Les trois premiers s’enchaînent parfaitement, comme s’ils avaient été conçus ainsi. Le mélancolique Amnesia introduit Garbage Can Blues qui, confié à un trio (piano, contrebasse, batterie), sert de prélude à
Choctow. Émule de Paul Motian, son jeu mélodique allant de pair avec un travail sur les
timbres de l'instrument, Fabrizio Sferra marque le temps sur la grande cymbale. Associée à la contrebasse complice de Gabriele
Evangelista qui assure souvent une simple pédale, sa batterie rythme les dialogues de Rava et de Gianluca Petrella
au trombone. Le thème de Cornettology relève du bop, mais très vite, le morceau bifurque, s’ouvre aux improvisations
collectives des solistes, le ralentissement du rythme harmonique leur donnant une grande liberté. Invitée dans F. Express, la guitare de
Giacomo Ancillotto en souligne la ligne mélodique. Tears For Neda nous tire effectivement des
larmes. Son tempo est lent ; de ses notes chagrines coulent des pleurs. Une série de courtes compositions complètent l’album. Song Tree évoque
le Miles Davis de Lonely Fire. Autre pièce modale et lente, Paris Baguette
subjugue par la magie de son lyrisme, la trompette de Rava servant le cantabile avec une grande variété d’inflexions.
Un des disques les plus attachants de l’année.