Pianiste attaché au blues, aux traditions du jazz dont il connaît aussi bien l’histoire que la grammaire et le vocabulaire, perméable aussi à d’autres influences,
Gerald Clayton défriche de nouveaux espaces rythmiques grâce à des métriques impaires qui relèvent du funk et du hip-hop. Elles apportent un
autre swing, un rebond dont profite son piano. Son jeu n’est pas aussi abstrait et tumultueux que celui d’un Vijay Iyer qui privilégie clusters et dissonances, mais son phrasé aux notes chantantes et aux harmonies
élégantes épouse les nombreuses figures rythmiques qu’inventent Joe Sanders et Justin
Brown, ses musiciens habituels. En phase avec la frappe puissante de Brown, un batteur très mobile, Sanders assure une contrebasse pneumatique et réactive, joue ses propres lignes
mélodiques tout en asseyant parfaitement le tempo. Après deux albums novateurs enregistrés avec eux et aidé par Ben Wendel, le saxophoniste
de Kneebody qui a produit ce nouveau disque, Clayton affine sa musique par des arrangements surprenants, ajoute d’autres couleurs à ses
compositions mélodiques que son trio plonge toujours dans le groove. Utilisés avec modération, la trompette d’Ambrose Akinmusire et les saxophones de Logan Richardson et de Dayna Stephens apportent d’autres sonorités à sa musique. Les vocalises discrètes de Gretchen
Parlato et de Sachal Vasandani l’habillent également. La première chantonne Deep Dry
Ocean à l’unisson du piano, ce qui donne à la pièce un aspect onirique. Elle rejoint le second pour des vocalises ornementant Like Water,
ballade rêveuse introduite à l’archet. Dans Future Reflection et Some Always, les deux voix mêlées aux
timbres des souffleurs donnent une grande légèreté à la musique. Outre le titre A Life Forum qui ouvre l’album, morceau confié à la voix grave du
poète Carl Hancock Rux, seuls deux morceaux possèdent de véritables paroles : Dusk Baby
confié à la voix d’ange de Vasandani et When an Angel Sheds a Feather, un duo Parlato / Vasandani, exercice vocal en apesanteur qui masque une plage
cachée très ancrée dans le bop. Le fils de John Clayton, contrebassiste émérite et co-leader des Clayton Brothers, réussit là un coup de maître, un disque aux tons chauds et suaves, une suite de séquences fluides qui bousculent nos habitudes
jazzistiques et apportent au genre des perspectives nouvelles et passionnantes.