Se
méfiant des vertiges de l’improvisation libre, Géraldine Laurent préfère s’attacher aux standards du passé, au répertoire de compositeurs qu’elle admire, privilégier la mémoire à
la nouveauté. Elle a beaucoup appris de ses devanciers illustres en repiquant leurs solos. Cela explique la richesse de sa sonorité d’alto, un assemblage de timbres capiteux. On y entend
Johnny Hodges et Charlie Parker, mais aussi la pureté sonore d’un Paul Desmond. C’est Gigi Gryce, musicien moins médiatisé et
plus rare qu’elle célèbre ici, un altiste qui, profitant d’une tournée européenne de l’orchestre de Lionel Hampton dont il faisait partie, enregistra ses premières faces sous son
nom à Paris. Elle s’empare de trois de ses plus célèbres compositions, Nica’s Tempo, Smoke Signal et Minority, mais aussi de Kerry Dance, un traditionnel, et
de Mau Mau, une pièce de l’album “The Art Farmer Septet“ que Gryce arrangea. Géraldine étonne dès l’ouverture de son disque, une version étonnante de Black and Tan Fantasy de
Duke Ellington qu’elle attaque sans virtuosité excessive par de courtes phrases étranglées. Cette jeune femme plutôt timide et réservée joue avec une assurance et une autorité
stupéfiantes. Ecoutez-la dans Gallop’s Gallop de Monk, duo magistral avec Franck Agulhon son batteur, ou dans Minority qu’elle introduit par un dialogue avec
Pierre de Bethmann, la rythmique rentrant plus tard lorsque le thème se dévoile. Dans Smash, une de ses compositions, elle répond au piano de Pierre sans jamais se
démonter, soutient une véritable conversation, la rythmique restant toujours en phase avec les solistes. Les lignes mélodiques de ses propres compositions semblent construites sur le schéma
harmonique de morceaux des années 50. Les disques Blue Note, Prestige ou Riverside auraient pu les abriter. L’altiste se fait miel dans Did You Remember You baigné de notes poétiques, ou
dans Nica’s Tempo qui fait un peu penser à Naima de John Coltrane. Mais le plus souvent, Géraldine Laurent souffle impétueusement dans son alto
comme s’il y avait toujours urgence. A ses côtés, Pierre de Bethmann joue son meilleur piano, tricote des notes élégantes, met de belles couleurs dans un jeu qui intègre
réflexion, silence et respiration. Franck Aghulon apporte une puissante assise rythmique à la musique et propulse Mau Mau vers des sommets de swing. Yoni
Zelnik s’offre un superbe solo de contrebasse dans Smash et partout Géraldine fait chanter son saxophone, surprend par ses attaques, ses placements rythmiques, l’impeccabilité
de ses notes fiévreuses qui nous tiennent constamment en haleine.