
« Mon professeur de français me haïssait. J’ai étudié votre langue pendant trois ans
avant de prendre du recul avec elle. » Décontracté, Eli Degibri plaisante facilement avec le public du Sunside. Au regard des pochettes de ses disques,
je le voyais plus grand. Je ne suis pas le premier à le lui dire et lui-même ne sait pas trop pourquoi. Il accepte volontiers que je le prenne en photo avec Aaron Goldberg, son pianiste.
Eli est un saxophoniste ténor puissant et expressif qui sait mettre une bonne dose de tendresse dans les ballades qu’il interprète au soprano. Il a enregistré trois albums et son jazz moderne aux
compositions soignées interpelle. Né en Israël, il vit aux Etats-Unis depuis 1997. Un an d’études au Berklee College of Music de Boston, puis le programme du Thelonious Monk Institute of
Jazz Performance qu’il suit au New England Conservatory of Music de la même ville le mettent sur la sellette. Il joue pendant trois ans avec Herbie Hancock puis intègre le groupe du batteur Al Foster. Au Sunside, ses amis musiciens l’accompagnent. Ben Street
indisponible, Thomas Bramerie le remplace sans difficulté à la contrebasse. Son solide métier lui
permet de se sentir parfaitement à l’aise dans des contextes musicaux très variés. Les autres membres du quartette qui l’entoure connaissent ses compositions. A la batterie, Jonathan
Blake impose la singularité d’une polyrythmie foisonnante. Eli joue souvent avec Aaron Goldberg qui
développe avec autorité et savoir-faire les thèmes qui lui sont confiés : Pum-Pum, In the Beginning qui est aussi le titre de l’un
des albums d’Eli, mais aussi Sue, un morceau fiévreux et énergique et Jealous Eyes, une ballade
récente dans laquelle Aaron développe des voicings inventifs et fluides.
LUNDI 25 janvier
Marc Copland au Sunside, en duo avec
Riccardo Del Fra dont la belle contrebasse accompagne souvent de grands musiciens. Marc est l’un d’entre eux, non pour sa virtuosité tapageuse (les
cascades de notes perlées à la Oscar Peterson ne sont pas indispensables à son univers musical poétique), mais pour l’approche différente du piano
qu’il propose, Marc se souciant davantage de la sonorité qu’il peut tirer de l’instrument que de l’habileté avec laquelle il peut en jouer. Celui du Sunside n’est pas idéal pour un pianiste qui
attache une si grande importance à la couleur et à la dynamique de ses notes, mais Copland s’en accommode. Son fameux jeu de pédales modifie leurs résonances et change le son de l’instrument. Au
cours du premier morceau interprété, il trouve les nuances qu’il recherche et parvient à jouer sa musique, un piano aux harmonies brumeuses et oniriques. Avec Riccardo, une vraie conversation
peut alors s’installer. Rencontre oblige, contrebasse et piano dialoguent et inventent, le plus souvent sur des standards. Les notes scintillent, tintinnabulent. La palette sonore s’enrichit de
nouveaux timbres, s’ouvre à d’inépuisables variations harmoniques, les ostinato de piano laissant du champ libre à une contrebasse désireuse de chanter. In a Sentimental Mood
bénéficie de nouvelles harmonies qui transforment le thème. On Your Own Sweet Way de Dave Brubeck se voit jouer de manière très
personnelle, de même que Round Midnight au sein duquel la contrebasse esquisse un léger rythme de samba. Couplé avec I’m a Fool to Want
You, Someday My Prince Will Come fut un autre grand moment de la soirée, confiée à deux complices en
parfaite osmose, la musique acquérant une profondeur et une sensibilité peu communes.
JEUDI 28 janvier




Photos © Pierre de Chocqueuse