VENDREDI 25 mars
Antoine Hervé au théâtre
Jean Vilar de Suresnes dans une nouvelle création en quintette, “Le Jazz et la Java”, clin d’œil à Claude Nougaro dont il reprend la
chanson. Un programme au sein duquel, grâce à la chanson française, le jazz s’offre de nouveaux standards, des textes poétiques, des vraies mélodies parlant à tous. Edith
Piaf (Mon amant de Saint-Jean, L’Hymne à l’amour), Yves Montand
(A bicyclette), Serge Gainsbourg (La Javanaise, Les
Sucettes, Couleur café) nous les ont fait connaître. Oncle Antoine n’a pas oublié Michel
Legrand, auteur de thèmes admirables comme cette Chanson de Maxence extraite des “Demoiselles de Rochefort”. Pour les chanter, une autre
demoiselle, Mélanie Dahan. Sa voix fraîche, agréable se prête bien à ce répertoire. Mélanie ne scate pas, mais vocalise, interprète avec sensibilité ces chansons, en
articule parfaitement les paroles, les rend sensibles et convaincantes. Exposant les thèmes, elle en chante les lignes mélodiques et les confie à Antoine qui les transforme, leur apporte d’autres
couleurs harmoniques, les engage sur le terrain poétique de l’improvisation. Comme Les Feuilles mortes, morceau bénéficiant d’un arrangement malicieux
le faisant passer d’un tempo à un autre, les bons moments se ramassent à la pelle dans une recréation qui apporte au jazz de nouveaux standards. Les musiciens exploitent avec bonheur le potentiel
mélodiques de ces airs qu’il fait bon chantonner. Eric Le Lann et sa trompette magique entrouvrent les portes de la nuit. Michel Benita caresse une contrebasse ronronnante de plaisir. Philippe Garcia fait doucement parler ses tambours, chuchote des
rythmes qui
ponctuent un flux musical réservant bien des surprises. A Bicyclette qui roule sur un tempo très rapide croise All Blues de bon matin
sur son chemin. Plus surprenantes encore ces relectures jazz de chansons du répertoire d’Edith Piaf, Les amants d’un jour (avec Michel
Benita à la guitare basse) et L’Hymne à l’amour que Piaf composa, morceau bénéficiant des harmonies arc-en-ciel d’un piano élégant.
Antoine Hervé l’introduit longuement en solo, en dévoile progressivement le thème. Abordée sur un tempo très lent, sa mélodie inoubliable gagne en intensité lyrique.
Mélanie Dahan la chante avec beaucoup d’émotion et elle nous met les larmes aux yeux dans Ne me quitte pas, un duo voix piano,
le rappel poignant d’un concert qui confirme que pour être mieux accepté le jazz a besoin de vraies mélodies qui parlent au cœur et pas seulement d’exploits techniques qui ne s’adressent qu’à
l’intellect.
MARDI 29 mars
Le Hadouk Trio au New Morning avec en première partie Didier Malherbe et Eric Löhrer qui fêtent la sortie de “Nuit d’Ombrelle” (Naïve), double album comprenant un disque de standards et un second totalement improvisé. Occupant la scène une bonne demi-heure,
les deux complices donnèrent des couleurs inédites à St James Infirmary, firent briller nos yeux de plaisir avec Smoke Gets in your Eyes, improvisèrent un Vaguablues et reprirent plusieurs pièces de Thelonious Monk ‘Round
Midnight, Think of One, Friday the 13th avec
Steve Shehan pour rythmer la musique. On sait l’admiration que le guitariste porte au Moine. Rappelons “Evidence” enregistrement en solo que Löhrer lui consacra et qui reste sa plus belle réussite. Transposer Monk à
la guitare n’est pas facile, mais le jouer au doudouk, instrument arménien en
bois d’abricotier qui ne possède qu’une octave et une quarte tient de l’exploit. Didier Malherbe parvient à moduler ses notes, à les faire vibrer, à les poétiser. On classe l’instrument dans la famille des hautbois, mais son timbre doux et triste porte l’âme d’un
peuple et évoque son histoire. Didier le découvrit en 1993 et n’a jamais cessé d’en jouer, l’associant à la sonorité d’ensemble du Hadouk Trio qui nous offrit quelques belles pièces de son répertoire, Dragon de Lune avec Didier au soprano, Barca Solaris,
les notes de Loy Ehrlich sonnant comme celles
d’un santour. Batteur percussionniste constamment inspiré, Steve Shehan joua bien sûr du hang, sphère métallique qui
comprend sept ou huit notes et une fondamentale. Le Hadouk Trio nous fit voir le bleu du ciel avec la world musique planante et aérienne
d’“Air Hadouk”, un disque plus proche du jazz que les précédents opus du groupe. On décolle avec Lomsha pour se poser en douceur avec Soft Landing. Le rappel vit le groupe inviter Eric Löhrer et Jean-Philippe Rykiel (claviers électriques) pour
une tournerie magique dont les derviches gardent le secret.
MERCREDI 30 mars
Fay Claassen au foyer du théâtre du Châtelet pour une
présentation de son dernier album “Sing ! ” dont vous trouverez une récente chronique dans ce blog. N’étant guère possible de faire venir de Cologne le WDR Big Band, c’est
accompagné d’un trio que Fay nous en chanta les morceaux, Olaf Polziehn au piano et Christophe Wallemme se chargeant des chorus. Ce dernier sait mettre en valeur
la sonorité ronde, charnue de sa contrebasse. Il n’en fait jamais trop et sert idéalement la musique de Fay, un répertoire éclectique (Cole Porter, Joni
Mitchell, Betty Carter, Ennio Moricone, Abbey Lincoln). Fay le chante magnifiquement. Elle possède un solide métier, place sa voix sur la musique, étire les mots, longues notes
tenues et sensibles joliment modulées. Elle impressionne par la qualité de ses scats (dans You’d Be So Nice to Come Home notamment), mais ce sont les ballades qu’elle reprend qui
révèlent davantage ses qualités vocales, le parfait placement de sa voix, la justesse de son chant. Love for Sale de Cole Porter abordé sur tempo lent, You Turn Me
On que chantait la grande Blossom Dearie, My Funny Valentine furent ainsi de grands moments de tendresse. Un piano élégant les habilla d’harmonies lumineuses,
et si Stéphane Huchard n’eut guère l’occasion de jouer son propre jeu de batterie, il rythma avec humilité
la musique, la portant discrètement au zénith.
Photos : © Pierre de Chocqueuse - Grande photo avec, de gauche à
droite, Philippe Garcia, Michel Benita, Mélanie Dahan, Antoine Hervé et Eric Le Lann © Vincent
Gramain.