MARDI 27 avril
La presse est plutôt sévère avec
Thomas Enhco. On lui reproche son conformisme musical, d’être trop doué. L’enfant prodige qui s’est mis au violon à trois ans et au piano à six
ne manque pourtant pas d’expérience. Il a étudié avec des concertistes classiques et donné de nombreux concerts. Très à l’aise sur scène, il n’hésite pas à s’adresser au public, cite les noms des
morceaux qu’il interprète et joue surtout un beau piano. On y entend les maîtres classiques qui l’ont façonné. On y entend aussi le blues, des rythmes et un vocabulaire harmonique qui
appartiennent au jazz. Est-ce faire preuve d’académisme que de choisir le beau comme esthétique, d’exprimer un langage clair, de revendiquer son appartenance à une tradition ? Contrairement
à ces musiciens qui pensent se montrer créatifs en faisant table rase, leurs pitoyables grimaces sonores n’intéressant qu’une poignée d’intellectuels terrifiés à l’idée de manquer le coche des
avant-gardes, Thomas Enhco exprime son amour de la
musique par un piano soucieux de faire entendre
de belles notes, de les agencer au mieux sur le plan de la forme. Il subit encore des influences et doit s’en dégager, apprendre à désapprendre pour devenir lui-même, donner des versions inédites
et personnelles des grands standards qu’il choisit de reprendre. Si “Someday My Prince Will Come“ son nouveau disque, un enregistrement de janvier 2009 préalablement publié au Japon, n’est que
prometteur, le concert qu’il donna au Sunside le 27 avril avec le même trio - Joachim Govin à la contrebasse et Nicolas
Charlier à la batterie - mit en lumière les progrès du jeune homme et de ses jeunes complices. Disposant d’un merveilleux toucher, Thomas fait chanter
ses notes, leur donne de la couleur et phrase avec un grand sens de l’articulation. Il compose de jolis morceaux qui racontent des histoires. Qu’il mette en musique les mésaventures d’une fenêtre
agressée par la pluie ou expose le
thème d’une mélodie agaçante qui vous trotte dans la tête après un réveil difficile, le propos est toujours poétique. Thomas nous entraîne dans ses rêves, décline des arpèges oniriques, approche
les thèmes avec sensibilité et délicatesse. Au violon dans La Vie en Rose, il improvise de longues phrases chantantes après un exposé un peu juste du thème. Contrebasse et
batterie aident à les porter. La contrebasse de Joachim Govin est ronde, puissante dans les graves. Le fougueux Nicolas
Charlier tempère son ardeur. Bien que la musique classique reste encore très présente dans le jeu de piano de Thomas, ce dernier étonne par sa maîtrise
du bop. Le trio reprend Visa de Charlie Parker. La walking bass de Joachim profite au piano espiègle de Thomas
qui éblouit par ses voicings, possède beaucoup de force dans les doigts et fait sonner ses notes avec puissance. On surveillera de près ce trio "in
progress".
CD : “Someday My Prince Will Come“ (Label AMES / Harmonia Mundi)
Photos © Pierre de Chocqueuse